Passer au contenu
;

ENVI Rapport du Comité

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

PDF

La page d’accueil du site de l’Agence affiche en gros caractères : L’évaluation environnementale : un atout. Mais est-ce vraiment le cas?

Le Comité estime que, globalement, le gouvernement fédéral prend l’EE beaucoup plus au sérieux qu’à la fin des années 1980. Cela dit, les avantages tangibles pour l’environnement sont difficiles à cerner. Selon Stephen Hazell, ancien directeur de la réglementation à l’Agence et auteur de Canada v. The Environment: Federal Environmental Assessment 1984-1998, fait observer ce qui suit :

[Traduction] [L’existence de la LCEE] a manifestement déclenché le développement d’une culture de l’évaluation environnementale au moins dans certaines divisions de tous les grands ministères fédéraux. Le système d’enregistrement public de l’Agence a fait beaucoup pour accroître l’accès du public à l’information concernant les évaluations environnementales fédérales, nonobstant les préoccupations de la commissaire à l’environnement et au développement durable.

Hazell rappelle que l’un des avantages les plus importants qu’ait produit la LCEE est peut-être le fait qu’elle propose des mesures pour atténuer les effets néfastes de projets sur l’environnement. Les modifications proposées au projet de loi C-9 concernant le suivi des EE devraient contribuer à garantir que les mesures sont mises en œuvre et qu’elles sont efficaces.

En mars 2000, l’Agence a publié une brochure intitulée L’évaluation environnementale fédérale : un atout; elle y décrit les avantages des EE de la LCEE dans le cadre de 12 projets. Il est difficile de déterminer le degré de représentativité de ces projets sur le plan de l’EE au Canada étant donné qu’il s’agit d’un petit échantillon parmi les 30 000 projets réalisés jusqu’ici sous les auspices de la LCEE et que les indicateurs ou mesures normalisés de succès n’étaient pas explicites. Cependant, la brochure représente une reconnaissance du fait que l’EE doit donner lieu à des avantages concrets pour l’environnement et non simplement servir d’exercice pouvant ou non avoir un effet sur les décisions effectives sur la question de savoir comment les projets doivent être réalisés ou s’il y a lieu de les réaliser.

Pour que l’EE soit vraiment un atout, il faut absolument, selon le Comité, qu’elle donne lieu aux retombées suivantes :

Donner lieu à des projets, des politiques et des programmes propices à l’environnement.
Permettre que les écosystèmes conservent leur intégrité.
Comporter des possibilités de participation effective pour la population.

Le Comité propose les questions suivantes pour déterminer si l’EE est un atout :

L’évaluation environnementale sert-elle à aborder des enjeux importants et à réaliser des projets d’envergure?
L’évaluation environnementale donne-t-elle lieu à des progrès sur le plan écologique?
Le gouvernement fédéral est-il vraiment convaincu?

2.1       L’évaluation environnementale sert-elle à aborder des enjeux importants et à réaliser des projets d’envergure?

L’un des moyens de déterminer si l’EE est un atout consiste à se demander si et comment elle est appliquée (par le biais de la LCEE notamment) à d’importants enjeux et projets environnementaux, par exemple :

L’EE sert-elle à régler les problèmes de surexploitation comme les politiques qui ont donné lieu à la destruction des réserves de morue dans l’Atlantique et à la réduction des réserves de saumon dans le Pacifique?

Le gouvernement du Canada s’est systématiquement opposé à l’application du principe de l’EE fédérale à la délivrance des permis et quotas de pêche, même pour les formes les plus destructrices de pêche comme le chalutage par le fond.

L’EE a-t-elle servi à évaluer les dangers que représentent les émissions de gaz à effet de serre?

L’Agence a organisé un atelier au début de 2002 sur l’application de l’EE aux enjeux du réchauffement climatique, mais quel intérêt a-t-il suscité? Les émissions de gaz à effet de serre sont assez rarement un enjeu dans les évaluations environnementales fédérales.

L’EE sert-elle à aborder la question de la fragmentation continue des paysages naturels?

La LCEE (et d’autres types de processus d’évaluation environnementale) sera presque certainement appliquée au gazoduc de Mackenzie et aux parties du gazoduc de l’autoroute de l’Alaska qui passent par le Yukon et la Colombie-Britannique, de même qu’elle a été appliquée à des projets comme les nouvelles mines de diamant des Territoires du Nord-Ouest, la mine de nickel de Voisey’s Bay au Labrador et la mine de charbon de Cheviot en Alberta. Pourtant, de grands projets de construction routière et d’exploitation du bois d’œuvre sont systématiquement approuvés dans les régions septentrionales de nombreuses provinces sans qu’aucune évaluation fédérale ou provinciale soit effectuée. Les EE appliquées à des projets prévus dans des zones parfaitement sauvages tiennent rarement compte de la nécessité de créer des réseaux de zones protégées pour garantir la pérennité des valeurs de la vie sauvage.

L’EE sert-elle a régler les questions de biodiversité, par exemple concernant les menaces qui pèsent sur les espèces en voie d’extinction et les problèmes associés aux espèces invasives (ex. : salicaire pourpre, moule zébrée, cladocère épineux)?

La question des espèces en voie d’extinction est souvent abordée dans les EE fédérales lorsque les praticiens de l’EE disposent de données à cet égard (ce qui n’est pas toujours le cas). L’introduction d’espèces invasives au Canada est généralement accidentelle, de sorte que l’EE y est plus difficilement applicable. Cela dit, la LCEE devrait servir à examiner les activités (ex. : les déversements d’eau de cale dans les cours d’eau canadiens) qui peuvent donner lieu à la propagation d’espèces invasives au Canada.

Les témoins ont fourni de nombreux exemples de projets importants qui auraient dû donner lieu à un examen par voie d’audience ou à une étude approfondie, mais qui n’en ont pas fait l’objet. Par exemple, Don Sullivan, directeur exécutif de la Manitoba’s Future Forest Alliance, a décrit une EE gravement lacunaire, lorsqu’il a expliqué comment l’EE de l’énorme projet d’exploitation du bois d’œuvre de Tolko, dans le nord du Manitoba (11 millions d’hectares) s’est limitée à l’évaluation des répercussions environnementales de deux ponts et de leurs culées. Son témoignage fournit un exemple spectaculaire de la façon dont l’établissement étroit de la portée des incidences d’un projet entraîne un changement majeur à l’échelle du paysage global sans aucune évaluation coordonnée des retombées environnementales.

Le fédéral a la responsabilité exclusive de plusieurs questions d’environnement qui ne sont pas du ressort des provinces, comme le poisson et les oiseaux migrateurs. […] Il faut prendre note que le gouvernement fédéral était le premier signataire de la Convention sur la diversité biologique, qui fut ensuite ratifiée en 1992. L’Agence canadienne d’évaluation environnementale a aussi publié un guide d’évaluation des impacts sur la biodiversité. Pourtant, on n’a pas abordé les impacts de la biodiversité, même dans le cas d’une évaluation restreinte à un pont et aux effets physiques d’autres ponts. […] Pendant les années qui ont précédé la demande d’approbation du pont soumise par le promoteur en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables, l’alliance a tenté de déclencher des révisions par des commissions d’évaluation fédérales conformément à l’article 46 de la LCEE à cause des effets transfrontaliers de l’exploitation forestière visée par les projets Repap-Tolke et LP. Chacune de ces demandes a été rejetée. Ainsi, le ministre n’a jamais étudié les effets interprovinciaux et internationaux de l’agrandissement des fabriques dont les effluents sont rejetés dans les eaux interprovinciales et de l’exploitation forestière qui détruit d’importants habitats d’oiseaux et des millions d’hectares d’habitat de poissons. (Réunion73)

Le Comité a également entendu parler du projet d’entreposage de déchets nucléaires de Bruce, qui n’a pas fait l’objet d’un examen par voie d’audience. Normand de la Chevrotiere, président de la Inverhuron and District Ratepayers Association, a dénoncé, en termes très touchants, les conséquences que pourrait avoir sur la santé ce projet d’entreposage de déchets nucléaires, qui n’a pas fait l’objet d’un examen alors qu’il s’agirait du plus vaste entrepôt de déchets nucléaires au monde.

D’autres témoins se sont plaints de la décision prise en novembre 1996 par le ministre du Commerce international et le ministre des Finances de ne pas procéder à une EE concernant la vente de deux réacteurs CANDU à la Chine, laquelle était assortie d’un prêt de 1,5 million de dollars du gouvernement du Canada.

Le Comité conclut que, si des milliers de petits projets sont évalués plus ou moins efficacement aux termes de la LCEE chaque année, beaucoup de grands projets aux graves conséquences éventuelles pour l’environnement échappent à l’évaluation ou sont circonscrits de façon si étroite que la valeur de l’EE en est contestable.

2.2       L’évaluation environnementale donne-t-elle lieu à des progrès sur le plan écologique?

Exception faite d’éléments de preuve anecdotiques limités, les avantages de l’EE du point de vue de la viabilité des projets et de la protection des écosystèmes n’ont pas fait l’objet d’un contrôle systématique. Le Comité rappelle que, en 1998, la commissaire à l’environnement et au développement durable a fait observer que «  [l]e gouvernement fédéral ne recueille pas l’information qui permettrait aux Canadiens de savoir si l’évaluation environnementale produit ou non les résultats escomptés  » (paragraphe 6.5, Chapitre 6, rapport de 1998).

Le Comité estime que les dispositions du projet de loi C-9 qui exigent le suivi des EE de projets devraient donner lieu à la production d’une meilleure information sur la façon dont les EE sont bénéfiques pour l’environnement. Il est cependant difficile de savoir si les EE auront des effets bénéfiques pour l’environnement tant qu’il n’existe pas d’études écologiques de base suffisantes. Certaines autorités fédérales, comme l’Agence des parcs du Canada, sont en train d’élaborer ce genre d’études dans le cadre des plans d’aménagement des parcs nationaux et du programme d’intégrité écologique.

2.3       Le gouvernement fédéral est-il vraiment engagé?

Plusieurs témoins ont dit douter que les hauts fonctionnaires soient engagés en ce qui concerne l’EE. À preuve, par exemple, le fait que les ressources financières et humaines affectées à l’EE aient fondu depuis quelques années. Selon une étude de l’Agence, en 1995, première année de mise en œuvre de la LCEE, le gouvernement fédéral a consacré entre 40 et 45 millions de dollars à l’EE. Le Plan vert en représentait 32 millions. Au terme du Plan vert, en mars 1997, le financement de l’EE a été considérablement réduit, sans plus de débat public. Il est difficile de déterminer le montant exact consacré à l’EE, car ce type de dépense est réparti entre les ministères. Une partie des fonds du Plan vert a été reversée dans les budgets permanents de l’Agence et des ministères, mais l’écart reste considérable. Par ailleurs, le financement accordé par le Conseil du Trésor à l’Agence au titre du programme de participation publique (1,2 million de dollars par an) a pris fin le 31 mars 1998 et a été remplacé par un financement de la participation de la population aux examens par voie d’audience, déterminé directement en fonction du degré d’activité globale en matière d’examen au cours d’une année donnée. L’Agence a prévu un montant de 1 million de dollars au titre de la participation, mais les coûts réels pour 2001-2002 ne dépasseraient pas 100 000 dollars. Selon le ministre de l’Environnement, David Anderson, le gouvernement s’est engagé à fournir 51 millions de dollars de plus au cours des cinq prochaines années pour mettre en œuvre le nouveau processus d’évaluation environnementale.

Second indicateur : aucun des quatre derniers ministres de l’Environnement ne s’est servi de son autorité pour ordonner des examens par voie d’audience aux termes des articles 26 et 46 à 48 à l’égard de projets pouvant avoir d’importants effets environnementaux transfrontaliers. Ce genre d’examen a été demandé, entre autres, pour le projet de centre de villégiature commercial de Greenwich, près du parc national de l’Île-du-Prince-Édouard, pour la mine de diamants de Diavik, dans les Territoires du Nord-Ouest, pour la zone d’entreposage de déchets nucléaires de Bruce, pour le projet de terminal de conteneurs de l’Administration portuaire de Vancouver dans le delta de la rivière Fraser et pour les projets de l’usine de panneaux OSB Louisiane-Pacifique et de Tolko, au Manitoba. Le fait que ces pouvoirs n’aient pas été employés n’est certainement pas attribuable au fait que les groupes écologistes et autochtones auraient hésité à demander ce genre de renvoi.

Troisième indicateur : on n’a guère progressé du côté de l’évaluation des effets environnementaux des politiques, programmes et plans proposés (ce qu’on appelle une évaluation environnementale stratégique ou EES) que le Cabinet doit approuver (une directive adoptée en 1990 par le Cabinet exige que l’on procède à cette «  évaluation environnementale stratégique  »). Sur ce plan, le Canada accuse un retard comparativement à bien des pays, notamment ceux de l’Union européenne, qui ont déjà mis en œuvre des régimes d’évaluation environnementale stratégique. En outre, la directive du Cabinet a été appliquée sporadiquement et, qui pis est, son application s’est raréfiée en 1999. En 1998, la commissaire à l’environnement et au développement durable a conclu que les «  ministères ont réagi avec lenteur à une directive du Cabinet établie en 1990 sur la mise en œuvre de l’évaluation environnementale des programmes et des politiques  ». Elle a alors formulé la recommandation suivante : «  L’Agence canadienne d’évaluation environnementale devrait collaborer avec d’autres ministères et organismes fédéraux en vue d’accroître l’application de la directive du Cabinet sur l’évaluation environnementale des politiques et des programmes.  » (Chapitre 6, rapport de 1998)

Le Comité voit des raisons de se réjouir prudemment des améliorations que la version modifiée du projet de loi C-9 apporte à l’EE fédérale. Toutefois, les données historiques montrent que la détermination du Cabinet et du Bureau du Conseil privé à l’égard de l’EE a varié d’irrégulière à inexistante ces dernières années.