Par exemple, des entreprises comme CanWest Global et Bell Globemedia n'investissent pas autant dans les émissions dramatiques canadiennes que de nombreux témoins le souhaiteraient — plus particulièrement les créateurs — et pour plusieurs raisons (mentionnées aux chapitres 5 et 8), elles importent beaucoup d'émissions américaines qu'elles diffusent aux heures de grande écoute. Par ailleurs, le fait que CanWest Global ait insisté en faveur de l'adoption d'une politique de rédaction centralisée a fait craindre à certains que les journalistes subissent des pressions pour se conformer aux attentes et aux points de vue du groupe propriétaire de leurs journaux respectifs.
Des témoins préoccupés par les dangers de la propriété croisée ont déclaré au Comité que le risque réside dans le fait que trop de pouvoir pourrait être concentré entre les mains de quelques personnes qui n'ont aucune obligation de rendre compte. Les propriétaires de multiples entreprises médiatiques dans un marché local ou national détiennent le pouvoir extraordinaire de modeler l'opinion des citoyens. Dans ces circonstances, le nombre et la variété des voix et des perspectives offertes aux lecteurs et aux téléspectateurs sont considérablement réduites. La promotion croisée d'un média par un autre fait que les nouvelles et les commentaires se transforment en publicité ou en stratégie de marketing. Cela ne peut qu'éroder la confiance des citoyens dans les agences d'information.
On se préoccupe également des effets qu'aura la multiplicité des tâches sur les journalistes. En effet, si les journalistes de la presse écrite doivent aussi apparaître à la radio et à la télévision, en plus de verser des articles dans Internet, ils disposeront de moins de temps pour faire des reportages.
De plus, l'argument selon lequel les Canadiens ont aujourd'hui accès à de multiples chaînes et à une vaste gamme de nouvelles sources d'information en ligne ne tient pas compte d'un facteur important. Les bulletins de nouvelles nationaux et locaux continuent d'être regardés par des millions de téléspectateurs chaque jour, et la presse écrite est toujours une source d'information privilégiée de la population.
Il convient de noter que d'autres pays ont pris des mesures pour limiter la propriété croisée. Aux États-Unis, la Commission fédérale des communications interdit la propriété croisée entre la presse écrite et la radiodiffusion depuis les années 70. En 1975, par exemple, la Commission a interdit la propriété croisée télévision/presse pour deux raisons : pour favoriser la diversité de la propriété et encourager la diversité des points de vue dans les médias américains. Depuis peu, elle a réduit cette interdiction, pour les marchés fortement fragmenté. En France, la loi cherche à garantir qu'aucun groupe ne domine plus de deux des quatre principaux secteurs médiatiques (presse, radio, télévision et câble) et fixe des limites de concentration des médias à l'échelle régionale et nationale. En outre, au Royaume-Uni, la nouvelle Communications Act dispose que ceux qui possèdent un journal lu par 20 % du lectorat national ou local ne sont pas autorisés à avoir une licence pour des services nationaux ou régionaux de télévision commerciale. Dans ce pays, ces restrictions s'appliquent également aux propriétaires de journaux qui veulent obtenir une licence d'exploitation de services radiophoniques.
Au Canada, la propriété croisée des médias a atteint des sommets sans précédent au cours de la vague de prises de contrôle qui a eu lieu en 2000. Le Comité doit déterminer quelles sont les mesures à prendre à l'égard de la convergence, de la consolidation et de la concentration. Cela signifie qu'il devra recommander des mesures qui feront en sorte que les citoyens aient accès à une variété de points de vue, mais qui ne provoqueront pas de bouleversements d'ordre financier au sein de l'industrie canadienne des médias. Il s'agit probablement de la plus grande difficulté à laquelle le Comité sera confronté. C'est pourquoi ce dernier a examiné attentivement une série d'options :
1) | Ne prendre aucune mesure et laisser le marché régler le problème. Assurer un solide soutien à la radiodiffusion publique. |
Le Comité a étudié s'il y a lieu de recommander des mesures compte tenu du fait que le marché semble en voie de résoudre au moins certains problèmes. Certaines sociétés qui s'étaient laissées prendre par l'euphorie suscitée par les très bons résultats du marché boursier et des titres de haute technologie à la fin des années 1990 sont maintenant lourdement endettées et incapables de trouver des moyens de faire fonctionner la convergence. Des analystes financiers prétendent que le modèle de convergence comporte de nombreuses lacunes et que les sociétés finiront par conserver seulement leurs activités principales. La proposition de ne pas intervenir se justifie par le fait que la situation actuelle risque d'évoluer beaucoup au cours des deux prochaines années et qu'une intervention de la part du gouvernement devrait être considérée comme un dernier recours. On peut prétendre que les objectifs en matière de politique publique seraient mieux servis en investissant dans la radiodiffusion publique en vue d'atteindre l'équilibre dont le système a besoin.
2) | Plaider en faveur de l'indépendance journalistique et demander au CRTC de renforcer sa politique sur la gestion indépendante des salles de nouvelles. |
Dans ce cas-ci, les répercussions de la propriété croisée des médias peuvent être atténuées si les journalistes sont à l'abri des pressions engendrées par la convergence. Des barrières réglementaires peuvent être mises en place afin de faire en sorte que les salles de nouvelles des journaux soient gérées séparément et indépendamment des stations de télévision. Cela assurera le maintien d'une variété de voix. En outre, cela évitera d'ordonner aux sociétés médiatiques de vendre les entités qu'elles possèdent. Le CRTC pourrait toutefois se retrouver dans une quasi-impasse. Il agira seulement s'il reçoit des plaintes, mais les journalistes, entre autres, craignent peut-être de se plaindre. Ce pourrait être une situation où le contrôleur de la radiodiffusion canadienne (voir le chapitre 19) jouerait un rôle.
3) | Proposer l'établissement d'un « contrat » entre les propriétaires de médias et les directeurs de services de rédaction. |
Le Comité signale qu'une façon de se sortir de l'impasse serait d'adopter une suggestion qu'avait formulée M.Tom Kent, président de l'ancienne Commission royale sur les quotidiens, lorsqu'il avait témoigné devant le Comité. M. Kent avait repris une proposition formulée dans le rapport de la Commission, à savoir que les propriétaires signent un « contrat » avec les rédacteurs en chef pour faire en sorte qu'il n'existe aucun lien de dépendance entre les rédacteurs en chef, les éditeurs et les propriétaires. Le contrat serait en vigueur pour une certaine période — 5 ans par exemple — et donnerait aux rédacteurs une grande latitude sur le plan administratif, notamment en ce qui concerne la politique rédactionnelle et l'embauche. Les rédacteurs seraient aussi libres, comme l'a indiqué la Commission, de faire des commentaires défavorables sur les points de vue ou les actions de toute personne, entreprise ou organisation associée au propriétaire39.
Le Comité reconnaît toutefois que, les journaux ne relevant pas de la compétence du CRTC, toute intervention de sa part dans ce secteur provoquerait vraisemblablement une importante bataille juridique ainsi qu'une avalanche de réactions et de critiques. Cela dit, l'organisme pourrait toutefois faire en sorte que de tels «contrats» s'appliquent aux directeurs des stations de télévision. Cela aurait pour effet d'éloigner les stations de télévision de la pression d'effectuer une convergence avec des journaux.
4) | Recommander que le gouvernement fédéral élabore une politique claire sur la propriété croisée des médias. |
Selon cette option, aucune mesure ne serait prise tant que de nouvelles règles n'auraient pas été établies. Comme c'est le cas en France, ces règles autoriseraient un certain niveau de propriété croisée. Diverses possibilités pourraient être envisagées. Le propriétaire d'un quotidien pourrait être autorisé à détenir une licence de radiodiffusion locale uniquement dans les villes où, par exemple, il existe au moins quatre autres stations de télévision. Une société pourrait être autorisée à conserver une licence seulement si elle cesse d'être actionnaire majoritaire du journal local. Une participation minoritaire pourrait être tolérée. Par ailleurs, des limites strictes pourraient être imposées quant au nombre d'entreprises de radiodiffusion et de journaux qu'une même société pourrait posséder. Un traitement différent pourrait être accordé selon qu'il s'agit d'un marché local, régional ou national.
5) | Recommander qu'on ordonne au CRTC de ne pas accorder de licence aux radiodiffuseurs dont le propriétaire détient des intérêts majoritaires dans un quotidien. |
Plusieurs témoins qui ont comparu devant le Comité ont fait cette suggestion. Certes, cette proposition mérite d'être examinée davantage (il est loin d'être clair, par exemple, qu'un journal serait bâillonné simplement parce que son propriétaire doit demander au CRTC de renouveler ses licences de radiodiffusion), mais elle est certainement attrayante. Comme il a été dit, le CRTC a déjà reçu de telles instructions au début des années 80. Leur annulation par la suite a fort probablement été peu judicieuse. Le problème actuel concerne l'incidence qu'aurait une telle mesure sur les industries concernées.
6) | Recommander l'interdiction pure et simple de la propriété croisée des médias. |
Le Comité reconnaît que cette option est la plus radicale. On peut présumer que les propriétaires de stations de radio et de télévision et d'entreprises de distribution de radiodiffusion auraient à se défaire des journaux qu'ils possèdent ou risquer que leur licence ne soit pas renouvelée le moment venu. Les sociétés les plus touchées seraient Québécor et CanWest Global. Plusieurs des grands quotidiens du pays seraient tous à vendre en même temps. On ne sait pas exactement qui seraient les acheteurs potentiels ou si une telle mesure diminuerait la concurrence entre les quotidiens. Cette recommandation constituerait toutefois un message clair et sans équivoque au gouvernement, au CRTC et aux propriétaires de sociétés.
Solutions proposées
Le Comité signale que deux comités de l'Assemblée nationale du Québec, soit la Commission de la culture et le Comité conseil sur la qualité et la diversité de l'information, ont publié des rapports sur la concentration des médias au cours des dernières années. Le Comité reconnaît l'importance du travail accompli par ces comités et il fait remarquer qu'avant la dissolution de l'Assemblée nationale en mars 2003, le gouvernement du Québec a annoncé son intention de présenter un projet de loi visant à accroître la diversité des médias dans un contexte de concentration de la propriété.
Le Comité fera deux recommandations sur l'indépendance rédactionnelle et la propriété croisée des médias.
Indépendance rédactionnelle
Le Comité croit que les nombreux défis posés par la propriété croisée doivent être abordés de front pour défendre l'indépendance journalistique. Il présente donc ci-après des recommandations qui lui semblent nécessaires pour s'attaquer à la situation actuelle, y apporter les mesures correctives qui s'imposent et préparer l'avenir.
Le Comité sait qu'il s'agit d'une tâche difficile qui comporte de nombreux imprévus et des circonstances particulières. Il serait tentant, par exemple, de proposer que le CRTC soit tenu de refuser l'attribution de licences aux demandeurs qui contrôlent un quotidien canadien. Mais cette mesure devrait-elle s'appliquer uniquement à la propriété croisée au sein d'un même marché local? Qu'en serait-il des réseaux et des journaux nationaux? Qui pourrait acheter les entreprises dont certains propriétaires devraient se départir?
Malheureusement, le Comité ne dispose pas de suffisamment d'information actuellement pour bien se préparer à tous les imprévus. Cela étant dit, il peut faire une déclaration ferme et proposer des mesures immédiates. C'est pourquoi, en dépit du fait que les journaux ne font pas partie de son mandat et ne sont pas assujettis à la réglementation, le Comité est d'avis qu'il faut prendre des mesures afin de protéger l'intégrité de l'indépendance rédactionnelle et la liberté de presse. Par conséquent, le Comité dénonce fermement toute tentative pour réprimer l'indépendance rédactionnelle et la liberté de presse. De plus :
RECOMMANDATION 11.1 :
Le Comité recommande qu'il soit ordonné au CRTC de renforcer sa politique sur la séparation des activités des salles de presse dans les situations où il y a propriété croisée de médias afin d'assurer l'indépendance rédactionnelle. |
Le Comité croit également que, pour garantir l'efficacité de cette mesure, un mécanisme de surveillance est nécessaire. C'est pourquoi, il estime que le contrôleur de la radiodiffusion canadienne (proposé au chapitre 19) pourrait jouer un rôle à cet égard. Par conséquent :
RECOMMANDATION 11.2 :
Le Comité recommande que le CRTC mette en place un mécanisme pour assurer l'indépendance rédactionnelle des activités de radiodiffusion et que l'autorité compétente (par ex., le contrôleur de la radiodiffusion canadienne) présente un rapport annuel à cet égard au Parlement. |
Le Comité convient avec le Centre d'études sur les médias que les élus ont un rôle à jouer. Dans le rapport préparé à l'intention du Comité, le Centre écrit ce qui suit :
Nous croyons qu'il appartient aux élus d'intervenir en ce domaine. En effet, l'approche au cas par cas présente de grandes limites. Les décisions dépendent de situations particulières et des acteurs en présence. Au contraire, l'approche législative permet l'élaboration d'un cadre conceptuel et une certaine pérennité des règles. Celles-ci ne devraient pas changer de manière abrupte, sous la poussée de projets industriels donnés40.
Il a également avancé que :
Tout dispositif canadien visant à encadrer la propriété des médias devrait donc prendre en compte la dimension linguistique et comporter des règles destinées à maintenir une diversité des propriétaires d'abord au niveau local mais également au palier national pour s'assurer aussi de la diversité des sources d'information nationale41.
En outre, il a déclaré :
[T]out dispositif voulant réglementer la propriété croisée gagnerait à tenir compte de l'aire d'influence des groupes en considérant l'ensemble des médias qui leur appartiennent ou qu'ils souhaitent acquérir42.
Le Centre fait remarquer qu'en plus d'adopter des mesures réglementaires relatives à la propriété, il y aurait lieu de prendre des mesures pour accroître la concurrence. Les médias locaux qui font une contribution d'importance à leur collectivité pourraient recevoir une aide financière. Un appui pourrait être dispensé aux entreprises médiatiques qui ajoutent à la diversité de l'information et des points de vue. La première de ces entreprises est, bien sûr, la SRC, et toute mesure visant à résoudre ses problèmes de financement (suivant celles qui sont recommandées au chapitre 6) contribuerait à améliorer la situation.
Propriété croisée
Le Comité est d'avis que les problèmes éventuels découlant de la propriété croisée sont suffisamment graves pour que le gouvernement fédéral publie une politique claire et sans équivoque à ce sujet. Il voudrait d'abord que le gouvernement ordonne au CRTC de reporter l'attribution ou le renouvellement de licences de radiodiffusion faisant intervenir la propriété croisée jusqu'à ce qu'une politique ait été publiée. Cette mesure devrait être prise au cours de l'année suivant le dépôt du présent rapport.
RECOMMANDATION 11.3 :
Le Comité recommande que le gouvernement du Canada publie un énoncé de politique clair et sans équivoque concernant la propriété croisée au plus tard le 30 juin 2004. |
De plus :
RECOMMANDATION 11.4 :
D'ici à ce que le gouvernement du Canada publie sa politique concernant la propriété croisée, le Comité recommande :
(a) Qu'il soit ordonné au CRTC de reporter toutes les décisions concernant l'attribution de nouvelles licences de radiodiffusion lorsqu'il y a propriété croisée.
(b) Que les licences faisant intervenir la propriété croisée soient automatiquement renouvelées (c.-à-d. qu'elles fassent l'objet d'un renouvellement administratif) pour une période minimale de deux ans et une période maximale de trois ans. |
C. Propriété étrangère
Sur le plan de la population et de l'économie, le Canada est relativement petit en regard des pays avec lesquels il a des liens historiques, politiques et géographiques. Même s'il a eu recours à des capitaux étrangers pour favoriser sa croissance, il s'est toujours inquiété des conséquences des mouvements de capitaux — et des liens économiques solides avec d'autres pays importants — sur sa souveraineté et son caractère distinct.
Compte tenu de leur proximité, les États-Unis ont toujours préoccupé certains décideurs canadiens. Par exemple, lors des élections de 1887 et 1891, sir John A. MacDonald a su exploiter la fibre patriotique des Canadiens et leur méfiance envers les États-Unis pour remporter la victoire. Au cours de cette période, la plupart des investissements étrangers au Canada provenaient du Royaume-Uni. Il s'agissait plus d'investissements de portefeuille que d'investissements directs, c'est-à-dire d'investissements en obligations plutôt qu'en capital, qui donnent un certain contrôle sur une entreprise.
Au cours des années 50, les États-Unis étaient la principale source d'investissement étranger au Canada, plus particulièrement sous forme de participation au capital. La crainte de perdre le contrôle de notre économie a donné lieu à plusieurs études, notamment le rapport Watkins en 1968 et le rapport Gray en 1972 qui portaient tous deux sur les coûts engendrés par les mouvements importants de capitaux étrangers. Ces études ont, à leur tour, mené à l'adoption de mesures législatives visant à filtrer les investissements étrangers afin de s'assurer que les avantages l'emportent sur les coûts, notamment la Loi sur l'examen de l'investissement étranger de 1973, qui a été remplacée en 1985 par la moins restrictive Loi sur Investissement Canada.
La Loi sur l'examen de l'investissement étranger et la Loi sur Investissement Canada traitaient toutes deux de l'investissement étranger en général. On considérait que certains domaines, notamment le secteur bancaire, étaient particulièrement susceptibles de souffrir des investissements et du contrôle étrangers. Ces domaines étaient régis par des restrictions précises en matière d'investissement étranger. Il n'est donc pas étonnant que les industries culturelles soient assujetties depuis longtemps à telles restrictions.
Depuis le milieu des années 60, les progrès technologiques et les modifications réglementaires ont aiguisé la concurrence dans le domaine des télécommunications qui, à son tour, a amené un certain questionnement au sujet des restrictions imposées sur la propriété étrangère dans les secteurs des télécommunications et de la radiodiffusion.
Ce que les témoins ont dit
Les témoins ont soulevé de nombreuses questions à propos de la propriété étrangère. Dans un premier temps, on a demandé s'il valait mieux conserver les restrictions ou les assouplir. Dans un deuxième temps, on a cherché à savoir qui était touché par ces changements. Devrait-on assouplir les restrictions sur la propriété tant pour les fournisseurs de contenu que pour les entreprises? Si les composantes sont traitées différemment, que devraient être les différences? La dernière question, qui était liée à la première, portait sur les moyens de conserver les politiques de radiodiffusion canadiennes, et surtout les politiques relatives au contenu canadien, avec la propriété étrangère.
Les discussions sur la propriété étrangère devant le Comité étaient parfois vives, dénotant des divergences d'opinion parmi les participants. De façon générale, les syndicats, les créateurs et les partisans de la radiodiffusion publique s'opposaient aux modifications apportées aux restrictions sur la propriété étrangère. Certains radiodiffuseurs et distributeurs étaient pour un maintien du contrôle canadien dans l'industrie, tout en estimant que l'on pourrait assouplir les restrictions actuelles afin de permettre un taux de participation étrangère maximum de 49 %.
La ministre du Patrimoine canadien a déclaré au Comité que ce sont les objectifs de la politique de la Loi sur la radiodiffusion qui comptent et non la réglementation y afférente. Voici ce qu'elle a affirmé :
Les exigences relatives à la propriété étrangère visent à assurer une diversité des voix. Si nous pouvons atteindre cet objectif d'une autre façon, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de nous presser à en faire l'examen, mais il faut tout de même nous pencher sur la question43.
Mme Joie Warnock, Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, a fait l'une des déclarations les plus percutantes sur la nécessité de maintenir les limites relatives à la propriété étrangère de la radiodiffusion au Canada :
Pour ce qui est de la question des intérêts étrangers, le fait même qu'on se penche sur la question dans le contexte du système de radiodiffusion canadien montre à quel point les forces de la mondialisation sont puissantes.
... L'orientation proposée par le petit groupe qui cherche à faire disparaître les restrictions relatives à la propriété étrangère va à l'encontre des objectifs fondamentaux de la Loi sur la radiodiffusion. Nous devons protéger notre souveraineté dans les derniers bastions de l'identité canadienne44.
AOL-Time-Warner et les entreprises canadiennes de câblodistribution étaient au nombre des intervenants qui ont témoigné en faveur d'un assouplissement des restrictions sur la propriété étrangère. Les câblodistributeurs ont souligné la distinction entre les fournisseurs de contenu (les radiodiffuseurs) et les distributeurs (les EDR) et affirmé que les restrictions devraient être maintenues pour le premier groupe et assouplies pour le deuxième. AOL-Time-Warner (avec AOL Canada) a fait valoir le bien-fondé de l'assouplissement des restrictions sur la propriété dans son mémoire et lors de sa comparution devant le Comité :
Le gouvernement canadien et le CRTC ont reconnu qu'il faut des entreprises canadiennes fortes et bien financées pour faire face à la concurrence sur un marché de la télédiffusion de plus en plus mondial. On constate un phénomène constant de consolidation parmi les entreprises de télédiffusion et dans les médias, et le Canada n'y fait pas exception. L'investissement étranger est indispensable pour que les Canadiens aient accès à une vaste gamme de points de vue45.
L'Association canadienne des radiodiffuseurs a toutefois milité en faveur d'un contrôle canadien de la radiodiffusion, tout en suggérant que cela pourrait permettre un assouplissement des restrictions actuelles et se traduire par un taux de participation étrangère maximum de 49 % :
Nos membres ont diverses façons d'aborder la question de la propriété étrangère, comme vous le savez, et cela est attribuable en majeure partie aux stratégies de leur entreprise, aux stratégies de développement international de leur structure et ainsi de suite.
À l'heure actuelle, il existe un consensus concernant le contrôle canadien majoritaire, et, dans le cas de la propriété étrangère, les opinions varient depuis le maintien du statu quo jusqu'à une propriété illimitée de 49 % liée à une libéralisation réciproque de règles correspondantes de l'autre pays46.
Par contre, pour au moins un radiodiffuseur, l'assouplissement du niveau de participation maximum à 49 % n'était qu'une première étape pour réunir plus de capital pour l'industrie. Ce radiodiffuseur ne serait pas contrarié si la propriété étrangère s'élevait à 100 %, pourvu que les exigences relatives au contenu canadien demeurent en place et qu'elles s'appliquent à tous les radiodiffuseurs. M. Leonard Asper, CanWest Global Communications, a déclaré au Comité :
Nous recommandons aux entreprises de réduire le pourcentage à 49 % en tant que mesure pratique lors de la première étape. Elles devraient aussi maintenir les règles en matière de contenu, s'assurer d'obtenir la réciprocité afin que nous puissions élargir le contenu jusqu'à leurs marchés et élargir leurs points de vente, ce qui permettra de rentabiliser la programmation canadienne, par exemple.
La deuxième étape pourrait comprendre l'augmentation du pourcentage à 100 %. Peu importe, pourvu qu'il y ait une réglementation en matière de contenu47.
Une autre raison invoquée pour assouplir les règles sur la propriété était le coût accru de l'investissement en capital canadien, que ce soit sous forme de placements par emprunt ou de placements en actions, souvent appelé le coût du capital. En effet, les limites actuelles sur la propriété étrangère dans le secteur de la radiodiffusion imposées aux États-Unis et dans d'autres pays peuvent restreindre ou mettre à rude épreuve la capacité des entreprises canadiennes d'établir des partenariats stratégiques. Comme l'expliquait M. Geoffrey Elliot de CanWest Global Communications :
Les partenariats stratégiques exigent un niveau d'investissement suffisant pour garantir une participation à la direction et à l'orientation stratégique d'une entreprise, ce qui n'est pas la même chose que les investissements de portefeuille que les limites actuelles induisent généralement48.
M. Elliot a poursuivi en déclarant que l'élimination complète des règles, bien que CanWest Global ne s'y objecte pas, n'était pas nécessaire et que le Canada ne devrait modifier ses règles que si d'autres pays en faisaient autant.
M. Matthew Fraser a abondé dans le même sens en affirmant que le modèle d'interfinancement en matière de radiodiffusion canadienne (c'est-à-dire les restrictions sur la propriété étrangère qui permettent aux radiodiffuseurs de réaliser des profits en montrant des émissions américaines afin d'être en mesure de produire et de montrer des émissions canadiennes non rentables) ne fonctionnait pas vraiment et qu'il était, à certains égards, paradoxal. Il a déclaré ce qui suit :
Je soutiens que nous devons revoir le marché canadien et comprendre que le Canada fait maintenant partie d'un marché continental. La distinction entre le Canada avec son régime de réglementation distinct et les États-Unis en tant que territoire différent ne tient plus49.
L'un des principaux arguments d'ordre économique en faveur de la propriété étrangère est que celle-ci diminuerait le coût du capital pour les firmes canadiennes. Cet argument est revenu plusieurs fois. Si les restrictions sur la propriété étrangère étaient assouplies ou éliminées, le coût du capital chuterait pour les radiodiffuseurs visés ou, autrement dit, la valeur de leurs actifs pourrait s'accroître, de même que la valeur de leurs actions. Une question difficile, mais importante consiste à savoir de combien le coût du capital serait diminué si on levait les restrictions.
Un premier vice-président de Rogers Communications Inc., M. Dean MacDonald, qui a comparu devant le Comité avec l'Association canadienne de télévision par câble, a tenté d'esquisser une réponse à cette question :
Le plus grand défi auquel fait face notre industrie est celui que posent les importantes dépenses d'infrastructure nécessaires pour maintenir notre avantage concurrentiel. Il est impératif de trouver de nouvelles façons d'avoir accès au capital requis pour poursuivre nos investissements en matière de technologie de pointe, et pour maintenir notre position de chef de file mondial des communications, et non seulement de chef de file de notre industrie mais aussi notre rôle de chef de file au pays50.
Puis, il a fait remarquer que :
... les abonnés des entreprises de câblodistribution aux États-Unis sont en moyenne évalués à environ 2 000 $ de plus que les entreprises canadiennes. Cette évaluation supérieure va de paire évidemment avec une capacité plus grande d'exercer des investissements en capital. Les entreprises canadiennes sont nettement défavorisées comparativement aux entreprises américaines. Par conséquent, si nous voulons poursuivre nos investissements au niveau des infrastructures, il nous faut accéder au capital selon des conditions plus favorables51.
Par contre, comme l'expliquait M. Richard Paradis, président de l'Association canadienne des distributeurs et exportateurs de films :
... je voudrais souligner la faible crédibilité de l'argument voulant que les entreprises canadiennes aient un besoin pressant de capitalisation étrangère afin d'assurer leur croissance, capitalisation qui ne pourrait être obtenue sans l'abandon des exigences de propriété canadienne. Depuis quelques années, un nombre considérable de transactions de grande envergure sont survenues dans le secteur canadien des communications, de la radiodiffusion et des médias en général. Or, toutes les entreprises canadiennes impliquées dans ces transactions ont réussi à trouver aisément les milliards de dollars nécessaires au financement de celles-ci. De plus, la majorité d'entre elles ont obtenu ce financement entièrement au Canada sans même se prévaloir du niveau de propriété étrangère déjà autorisé, soit de 33,33 % pour les sociétés mères et de 20 % pour les titulaires de licences52.
On trouve un autre exemple de cette opinion dans une entrevue que le nouveau président du CRTC, M. Charles Dalfen, a accordée à la presse en juillet 2002. M. Dalfen a laissé entendre que la réglementation sur la propriété étrangère en télécommunications et en radiodiffusion n'a pas besoin d'être modifiée étant donné que les restrictions actuelles ne limitent pas la croissance économique dans ces secteurs. Il a fait valoir ce qui suit :
J'ai travaillé à plusieurs de ces dossiers dans le secteur privé. J'ai rarement, sinon jamais, vu des affaires échouer à cause d'un manque de capital étranger. Elles étaient dictées par des plans d'activités, et dans la mesure où le plan d'activités avait du sens, le capital était disponible53.
Comme il a été mentionné, les entreprises de câblodistribution ont établi la distinction entre les restrictions relatives à la propriété étrangère pour les entreprises de télécommunications et celles pour les fournisseurs de contenu. Allant dans le même sens, vient l'allégation que ce sont les fournisseurs de contenu qui ont une responsabilité de protection à l'égard de la culture canadienne et, en raison de cette position, les restrictions relatives à la propriété étrangère devraient être conservées pour eux. Les entreprises de télécommunications, qui ne font qu'acheminer les chaînes ou la programmation autorisées quelles qu'elles soient, n'ont pas besoin de ces restrictions. Plusieurs témoins ont accepté la possibilité d'avoir des restrictions différentes pour les deux segments de l'industrie de la radiodiffusion. Par exemple, l'Association de l'industrie du film de l'Alberta a fait observer ce qui suit :
... si la distribution est prise en considération, la participation canadienne n'est pas un problème. Si, toutefois, ce sont les opérations de radiodiffusion qui sont prises en compte, alors c'est clair qu'il faut que les Canadiens possèdent les intérêts majoritaires et les contrôlent.
Si une entreprise disposait des deux, il faudrait qu'elle les sépare et seule la distribution pourrait détenir une plus grande part d'investissements étrangers, alors que les Canadiens devraient participer majoritairement aux opérations de radiodiffusion et les contrôler. Je suis d'avis que cette division est logique. Peu importe qui a le pouvoir et comment l'émission est distribuée, ce qui compte, c'est la nature de l'émission. Cependant, nous devons nous assurer qu'ils ne s'approprient pas du contenu de quelque façon que ce soit. Aussi longtemps que le contenu reste de notre côté, tout ira pour le mieux54.
Cependant, les Entreprises Bell Canada (BCE), qui sont propriétaires des radiodiffuseurs conventionnels, de chaînes spécialisées et du diffuseur par satellite Bell ExpressVu, étaient en désaccord, et ont préconisé le maintien des restrictions relatives à la propriété étrangère pour les deux parties de l'industrie canadienne de la radiodiffusion :
BCE croit qu'il demeure nécessaire que ce soit des Canadiens qui contrôlent les entreprises de radiodiffusion, tant au niveau de la programmation que de la distribution. Il est une politique fondamentale et de longue date au Canada que la propriété et le contrôle du système canadien de radiodiffusion soient entre les mains des Canadiens. ...
BCE croit aussi que les entreprises de câblodistribution, tout comme celles de radiodiffusion par satellite, sont correctement définies comme étant des « entreprises de radiodiffusion » en vertu de la Loi sur la radiodiffusion, plutôt que des "entreprises de télécommunications". Il y a une différence fondamentale entre les deux activités. ...
... nous exploitons des entreprises de distribution de radiodiffusion, qui font concurrence aux services de câblodistribution et services câblés. [...] nous prenons des décisions différentes de celles des entreprises de télécommunications du genre "common carrier". Nous faisons des choix qui influent considérablement sur ce que les Canadiens peuvent voir et entendre.
Nous estimons aussi que si des gens de New York ou de Los Angeles les faisaient à notre place, ils feraient probablement affaire avec des gens qu'ils connaissent sur les plans professionnel et personnel. Entre connaissances, les gens se rendent service et se renvoient l'ascenseur et préfèrent rester entre eux pour faire des affaires. On imagine sans peine qu'un Canadien de St. John's, Toronto ou Vancouver ne serait même pas reçu pour présenter une proposition à une chaîne spécialisée55.
Une des questions importantes dans le débat sur la propriété étrangère est celle de savoir si les politiques canadiennes sur la radiodiffusion, en particulier les exigences relatives au contenu canadien, pourraient être conservées et appliquées dans un système canadien dominé par des investisseurs étrangers. L'Association canadienne de télévision par câble (ACTC) a fait valoir que toute loi ou tout règlement canadien, serait quand même pleinement en vigueur. La présidente de l'ACTC, Mme Janet Yale, a indiqué qu'il était alarmiste de suggérer que des entreprises sous contrôle étranger ignoreraient les politiques canadiennes :
J'aimerais faire l'analogie avec différents types de multinationales qui décident d'exercer des activités au Canada ou ailleurs dans le monde. Personne ne laisse entendre que, lorsque General Motors établit une fabrique de voitures au Canada, il est moins probable que l'entreprise se conforme aux lois nationales, qu'il s'agisse de fiscalité, d'emploi, d'environnement, peu importe. C'est un fait que la condition pour faire des affaires au pays est la conformité aux lois nationales.
Je crois que cela est aussi vrai des entreprises de câblodistribution. Nos sociétés acheminent une programmation, et c'est le CRTC qui détermine les chaînes que nous sommes obligés de diffuser. Pourquoi croirait-on qu'une entreprise de câblodistribution dont les propriétaires ne sont pas Canadiens ne se conformerait pas aux lois du Canada en matière d'obligation de diffusion, de la même façon qu'il se conforme aux autres types de lois? Lorsque l'on parle de contenu canadien, il faut se dire que les câblodistributeurs sont des fournisseurs de programmation, et les propriétaires d'une entreprise de câblodistribution, quels qu'ils soient, sont tenus de se conformer aux lois du pays en matière d'exigences de diffusion.
Cela dit, nous établissons une distinction bien précise entre les entreprises de distribution et les entreprises créatrices de contenu. Du côté du contenu, nous appuyons l'idée que ces entreprises devraient être sous le contrôle intégral ou majoritaire de Canadiens56.
M. Peter Murdoch, Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, a toutefois avisé le Comité que le fait de déplacer les responsabilités de l'administration centrale à l'extérieur du Canada mènerait tôt ou tard à un affaiblissement des politiques canadiennes en radiodiffusion.
Le simple fait de déménager des administrations centrales à l'extérieur de notre frontière nationale nous ferait perdre diverses fonctions relevant de ces administrations centrales, entre autres les décisions, la recherche, la réaction aux politiques culturelles, les compétences en gestion de la radiodiffusion, etc.57
Un fonctionnaire du ministère du Patrimoine canadien a également reconnu que des problèmes pourraient résulter de la propriété étrangère en radiodiffusion, mais il les percevait plutôt comme des défis et, à l'instar de son ministre, il demeurait ouvert à cette question :
Il existe toutes sortes de réglementations sur la distribution conçues pour gérer l'incidence d'une politique culturelle. Par exemple, les diffuseurs doivent inclure une chaîne autochtone dans leur attribution de canaux. Ils doivent inclure des chaînes dans la langue officielle minoritaire, et il y a d'autres règles. Il est déjà suffisamment difficile de réglementer les radiodiffuseurs canadiens. Le fait de réglementer des radiodiffuseurs étrangers et de leur imposer les mêmes conditions, présentera fort probablement un tout nouveau défi, mais comme l'a dit la ministre, ce qui compte au bout du compte c'est la façon d'agir de ces diffuseurs. Que font-ils vraiment? Je crois qu'elle a dit que s'il y avait d'autres modèles disponibles ou d'autres façons de faire les choses, nous serions évidemment responsables de leur analyse58.
Solutions proposées
Même si des conglomérats américains comme AOL-Time-Warner et d'importantes entreprises de câblodistribution et de télécommunications telles que Rogers souhaitent que les plafonds imposés à la propriété étrangère soient relevés voire levés complètement, le Comité estime qu'un faux pas à cet égard causerait un tort irréparable au système canadien. Une fois ce pas franchi, il ne pourra y avoir de retour en arrière. Pour cette raison, le Comité est d'avis que l'on se trompe lourdement si l'on croit que les restrictions imposées à la propriété peuvent être levées dans le secteur des télécommunications sans vraiment nuire au contenu de la radiodiffusion.
De plus, à l'exception des grandes entreprises de distribution et de quelques témoins qui ont pris la parole à titre personnel, les témoignages sur cette question étaient pratiquement tous en faveur du maintien du contrôle canadien. Il importe de souligner que le Canada se trouve dans une position tout à fait unique du fait de sa proximité, à la fois culturelle et géographique, avec les principaux producteurs de radiodiffusion du monde. On peut raisonnablement supposer que les radiodiffuseurs canadiens représenteraient une cible de choix pour la mainmise et l'intégration au marché médiatique nord-américain et que la politique mise en place pour assurer une présence canadienne sur les ondes serait peu de temps après la cible d'attaques.
Le Comité est donc convaincu que les règles actuelles visant la propriété étrangère devraient être maintenues étant donné que les plafonds sont suffisamment élevés pour favoriser une entrée de capitaux étrangers sans pour autant céder de contrôle canadien. Ce que veulent les investisseurs, c'est de placer leurs fonds dans des entreprises viables, pas forcément d'exploiter celles-ci. Les règles actuelles permettent une propriété étrangère pouvant atteindre 46,7 % dans le cas d'une société de portefeuille propriétaire d'entreprises de radiodiffusion ou de télécommunication (comme Rogers ou BCE). Cette limite n'a jamais été atteinte jusqu'ici. Bref, il y a déjà de la place pour accepter de nouveaux investissements étrangers tout en maintenant le cap en ce qui concerne la propriété et le contrôle majoritaires canadiens.
Le Comité fait remarquer que, parallèlement à son étude, le Comité permanent de l'industrie a déposé une étude sur la question de la propriété étrangère dans les télécommunications canadiennes le 28 avril 2003. La principale recommandation énoncée dans le rapport à cet égard est la suivante :
Que le gouvernement canadien élabore toutes les modifications législatives nécessaires afin d'éliminer complètement les exigences minimales actuelles en matière de propriété canadienne, y compris l'exigence à laquelle sont assujetties les entreprises de télécommunication au chapitre du contrôle canadien59.
Le Comité de l'industrie recommande également que les « entreprises de distribution de radiodiffusion soient assujetties aux mêmes exigences » que les entreprises de télécommunication60.
Le Comité du patrimoine est en profond désaccord avec ces recommandations du Comité de l'industrie concernant la propriété étrangère. Les principaux arguments du Comité de l'industrie sont d'ordre économique. Celui-ci soutient qu'un accès plus large à l'investissement étranger stimulera la concurrence dans les télécommunications, ce qui servira les intérêts des consommateurs. Comme M. Michael MacMillan, président et directeur général, Alliance Atlantis Communications Inc., l'a déclaré au Comité permanent du patrimoine canadien au sujet de la propriété dans le domaine de la radiodiffusion :
[Elle] a une importance qui dépasse celle de la plupart des autres produits. C'est plus qu'un produit, c'est une influence culturelle, et c'est la raison pour laquelle nous en parlons aujourd'hui et que nous ne parlons pas de tasses ou de soucoupes, de plumes ou de crayons. L'identité du propriétaire a une influence considérable, à mon avis, sur ce qui est produit et pourquoi61.
Le Comité abonde dans ce sens et il considère que les recommandations du Comité de l'industrie représentent une solution simpliste à un ensemble d'enjeux complexes. Dans son rapport, le Comité de l'industrie oublie notamment que plusieurs politiques et enjeux culturels sont au cœur de cette question. Comme on l'a vu dans la première partie de ce chapitre, la concentration des médias au Canada comporte des enjeux importants qu'on ne saurait écarter du revers de la main. Par exemple, lors d'une discussion sur l'incidence de l'intégration verticale sur le journalisme, M. Marc-François Bernier a déclaré :
La culture journalistique a aussi beaucoup de tares et de défauts, notamment dans son manque de rigueur ou son manque d'équité [...] Donc, il ne faut pas tout mettre sur le dos de la convergence et de la concentration, mais ces phénomènes-là ajoutent au risque qui existe déjà ou qui pèse sur la qualité de l'information62.
Par conséquent, « une des hypothèses à envisager, c'est qu'à long terme, cela va nuire à la légitimité sociale du journalisme et à sa crédibilité »63.
Quant à l'assouplissement des règles relatives à la propriété étrangère, le Comité a plusieurs réserves. Par exemple, si l'on s'inquiète de la concentration des médias appartenant à des Canadiens, il nous paraît logique de s'inquiéter de toute concentration excessive de médias canadiens appartenant à des sociétés étrangères. À ce sujet, Mme Anne-Marie Des Roches a déclaré au Comité :
Il y a, à cet égard, un danger flagrant de glissement. Si on ouvre le domaine de la téléphonie, à mon avis, d'ici sept ans environ, soit la durée d'une licence du CRTC, tout va nous échapper. Il faut dire que la pression n'est pas engendrée seulement par les capitaux étrangers; elle vient aussi de tous les accords de libre-échange et, à ce sujet, aucun engagement ferme n'a encore été pris64.
En outre, si les règles de propriété devaient être changées, les créateurs canadiens seraient-ils assurés d'avoir le même accès aux marchés canadiens qu'aujourd'hui? Enfin, qu'arriverait-il des programmes de subventions si les entreprises à propriété canadienne n'exploitaient plus de réseaux nationaux au Canada? Les succès actuels de la programmation française, par exemple, se poursuivraient-ils? Comme M. Alain Gourd l'a dit au Comité :
Pour ce qui est de la programmation télévisuelle [...], si la politique d'acquisition des contenus se décide à Los Angeles, est-il plus facile de vendre des contenus canadiens-français à Los Angeles ou à Montréal? Certains peuvent dire qu'il y a une réglementation du CRTC qui dit qu'il faut qu'il y ait un minimum de 60 % dans l'ensemble de la grille et de 50 % en temps primé [...] Si, soudainement, TVA et TQS étaient contrôlées par des intérêts étrangers anglophones, comme des intérêts américains, n'y aurait-il pas une tentation, de la part des propriétaires américains, de réduire la quantité du contenu québécois au strict minimum pour insérer des produits américains traduits en français? Personnellement, je crois qu'oui65.
Quant au marché de langue anglaise, M. Bernard Courtois a évoqué le scénario suivant :
Prenons la diversité des points de vue exprimés au Canada quand il est question de contenu et de marchés. Si Time Warner ou AT&T Broadband achète des compagnies de câblodiffusion canadienne, ou si CBS, NBC et ABC s'implantent au Canada, on aura un marché nord-américain. Ce secteur d'activité permet d'importantes économies d'échelle, et le nombre des sources d'information va diminuer. Quand on parle de diversité de points de vue, on parle de diversité des sources66.
De même, Mme Megan Williams, directrice nationale de la Conférence canadienne des arts a déclaré au Comité :
... certains soutiennent que l'auteur ou le diffuseur d'une émission importe peu tant qu'il respecte le contenu canadien, mais nous ne partageons pas cet avis. [...] Les choix artistiques dans la création d'un disque, d'un long métrage, d'une émission de radio, d'un documentaire télévisé ou d'un drame subissent évidemment des influences mondiales, mais ces influences sont filtrées grâce aux sensibilités des artistes et des producteurs canadiens. De même, la programmation devrait être fonction de ce qui attire les spectateurs canadiens et non pas en fonction d'un auditoire international. Le téléspectateur canadien doit être le souci principal de la programmation67.
Autre problème, si les règles de la propriété sont assouplies pour permettre tout investissement étranger, cela impliquera une réforme des organismes de réglementation et des mesures de soutien du gouvernement, car comme le professeur Matthew Fraser l'a rappelé au Comité, contrairement aux États-Unis où :
le ministère de la Justice et les responsables de la législation anti-trust s'emploient avec beaucoup de ferveur à surveiller les déficiences du marché, comme l'intégration verticale ou la domination excessive. Au Canada [...] nous n'avons pas cette tradition. Nous n'avons pas cette même ardeur institutionnelle. Nous n'avons pas de lois qui donnent à nos institutions le pouvoir de véritablement s'attaquer aux déficiences du marché68.
Par conséquent, compte tenu des témoignages entendus dans le cadre de l'étude du Comité sur le système canadien de radiodiffusion au sujet de la convergence des entreprises et de la technologie, il est convaincu que tout assouplissement des règles actuelles concernant la propriété étrangère dans le secteur des télécommunications pourrait avoir une incidence négative sur le système canadien de radiodiffusion. Pour cette raison :
RECOMMANDATION 11.5 :
Le Comité recommande que les restrictions actuelles relatives à la propriété étrangère dans le secteur de la radiodiffusion et des télécommunications soient maintenues aux niveaux actuels. |
Notes en fin de chapitre
1 | Dans le cadre de son étude du système canadien de radiodiffusion, le Comité a tenu une série de réunions d'experts concernant la propriété croisée et étrangère à l'automne 2002. Pour prendre connaissance des paramètres de ces audiences, voir l'annexe 12. |
2 | Rapport du Groupe de travail sur la politique de la radiodiffusion (Caplan-Sauvageau). Ministre des Approvisionnements et Services Canada, Ottawa, 1986, p. 697. |
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