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HUMA Rapport du Comité

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Les résultats de l’Enquête internationale sur l’alphabétisation des adultes ont surpris et ont fait prendre conscience à de nombreux pays participants de l’existence d’un grave problème. Convaincus que l’inertie ne saurait qu’aggraver le problème, nombre d’entre eux ont adopté des politiques pour rehausser le niveau d’alphabétisation de leurs populations respectives.

Ainsi, en 1998, les États-Unis ont regroupé au-delà d’une cinquantaine de programmes d’emploi, de formation et d’alphabétisation sous la Workforce Investment Act. Cette loi vise entre autre à faciliter l’investissement dans l’instruction des adultes et l’alphabétisation de la famille, à promouvoir la collaboration entre les intervenants en alphabétisation et d’autres organismes d’éducation et à privilégier les systèmes de prestation à guichet unique qui donnent aux participants l’accès à un large éventail de programmes et de services. La Workforce Investment Act fixe trois objectifs en matière d’éducation et d’alphabétisation des adultes : 1) aider les adultes à s’alphabétiser et à acquérir les connaissances et les compétences nécessaires pour travailler et subvenir à leurs besoins; 2) aider les adultes qui sont aussi des parents à obtenir les compétences en éducation nécessaires pour participer pleinement au développement scolaire de leurs enfants; 3) aider les adultes à terminer leur cours secondaire ou l’équivalent23.

Le Comité a aussi appris que la Norvège a pris des mesures en 1996 pour donner aux adultes le droit à l’instruction primaire, intermédiaire et secondaire. Un plan d’action national visant l’éducation des adultes et l’éducation permanente a été publié en 2000. En 1999, les ministres de l’Éducation de l’Australie ont déclaré que pour assurer l’avenir du pays, chaque citoyen devait avoir les connaissances, la compréhension et les compétences nécessaires pour mener une vie productive et enrichissante. En août 2002, les ministres australiens des États, des territoires et du Commonwealth responsables de l’éducation communautaire des adultes ont avalisé quatre objectifs et un éventail de stratégies visant à guider le développement futur de l’éducation communautaire des adultes en Australie. Les quatre objectifs sont les suivants : élargir et soutenir les modèles d’apprentissage communautaires innovateurs; faire mieux connaître et comprendre l’importance de l’éducation communautaire des adultes; améliorer la qualité des résultats de ce genre d’éducation; augmenter la participation à l’apprentissage communautaire24.

La stratégie d’alphabétisation nationale de l’Angleterre — baptisée Skills for Life — est sans doute l’une des mesures les plus remarquables en matière d’alphabétisation. Consciente de l’impossibilité d’atteindre son plein potentiel quand plus de 7 millions d’adultes présentent des capacités de lecture équivalentes à celles d’un enfant de 11 ans, l’Angleterre a entrepris de se donner l’un des meilleurs taux de littératie et de numératie adulte au monde. Après la publication de son rapport innovateur commandé en 1998 et intitulé A Fresh Start, le Secrétariat d’État à l’Éducation et à l’Emploi a exhorté les organismes gouvernementaux, les employeurs, les syndicats, les responsables de l’éducation et le secteur bénévole à mettre à profit leurs compétences pour aider l’Angleterre à remédier au problème de sous-alphabétisation. Chaque adulte qui accepte de s’alphabétiser jouira d’un soutien et sa formation sera gratuite. Le gouvernement veut, dans un premier temps, affecter 1,5 milliard de livres à l’amélioration des capacités de lecture et d’écriture de 750 000 adultes d’ici 200425.

Le Comité s’est fait dire à plusieurs reprises que le Canada était l’un des seuls pays de l’OCDE dépourvu de stratégie nationale en matière d’alphabétisation. Certains membres du Comité doutent de cette affirmation, étant donné le nombre d’initiatives fédérales mises en œuvre depuis plus de 10 ans, parfois en collaboration avec les provinces et les territoires, afin d’accroître l’alphabétisation au pays. Comme nos témoins, nous pensons néanmoins que l’incidence de la sous-alphabétisation au Canada reste un problème pancanadien. À ce titre, il nécessite une réaction d’envergure nationale qui sera mieux coordonnée et plus efficace que nos efforts actuels et qui exigera davantage de ressources pour que nous soyons plus en mesure de remédier à cet épineux problème.

En raison de l’absence d’un financement constant et adéquat, d’une vision, d’une stratégie et d’une coordination, les besoins liés à l’alphabétisation ont tendance à «  tomber entre deux chaises  ». Moins de 10 % des Canadiens qui pourraient tirer parti des programmes d’alphabétisation reçoivent de la formation26.

I.          RENFORCER LES PARTENARIATS FÉDÉRAUX-PROVINCIAUX- TERRITORIAUX EN MATIÈRE D’ALPHABÉTISATION : UN ACCORD PANCANADIEN SUR L’ALPHABÉTISATION ET L’ACQUISITION DE CAPACITÉS AU CALCUL

Comme bon nombre de nos témoins, les membres du Comité s’expliquent mal le peu de réaction du secteur public face au problème de sous-alphabétisation au Canada, étant donné la portée du problème et ses coûts connexes. De nos jours, pratiquement tous s’entendent pour dire que l’évolution technologique est en train de changer la façon dont nous vivons et travaillons et que les investissements dans le capital humain sont absolument essentiels pour continuer d’améliorer le bien-être économique et social des Canadiens. Cependant, les discussions publiques sur ces investissements dans le capital humain sont davantage axées sur les études supérieures. S’il est vrai qu’il est absolument essentiel d’investir dans l’enseignement postsecondaire pour favoriser l’économie canadienne, il reste que les investissements en alphabétisation et autres compétences essentielles sont aussi très importants27. Sans ces compétences de base, les gens sont extrêmement limités non seulement du point de vue de leur capacité d’apprendre, mais aussi de leur habileté à fonctionner pleinement en société. De plus, étant donné le coût économique de la faible alphabétisation, la société dans son ensemble est aussi perdante.

Je suis maintenant en mesure de comprendre les modes d’emploi, les directives, les étiquettes et les panneaux indicateurs. Je suis maintenant capable de prendre tous les jours d’importantes décisions qui peuvent toucher grandement à la qualité de ma vie et celle de ma famille. Je peux maintenant participer entièrement à la société. Je me sens davantage comme un citoyen qui fait partie de cette démocratie et des procédures démocratiques auxquelles je ne sentais pas appartenir. Je suis maintenant mieux informé et en mesure de prendre des décisions parmi des choix qui n’existaient pas avant que je sois instruit28.

Au Canada, comme dans de nombreuses autres régions du monde, l’éducation de base est obligatoire jusqu’à un certain âge. L’école au niveau primaire et secondaire est gratuite, en reconnaissance du fait que les capacités de lecture, d’écriture et de calcul acquises de la maternelle à la fin de l’école secondaire sont indispensables à notre bien-être social et économique. Les contribuables acceptent de financer ce système d’enseignement parce que cet investissement a des retombées économiques intéressantes tant pour les apprenants que pour l’ensemble de la société. Plusieurs témoignages entendus pendant nos séances confirment cette conviction. Par exemple, on nous a rappelé les conclusions de 1987 du Groupe d’étude des entreprises canadiennes sur l’alphabétisation qui, bien qu’elles ne datent pas d’hier, soulignent plusieurs domaines où la faible alphabétisation entraîne des coûts considérables, notamment : les accidents du travail; la perte de productivité, de salaire et de profits; le chômage; l’aide sociale; l’incarcération. Même si l’exactitude de ces coûts, tels qu’établis par le Groupe d’étude, est sujette à caution, il reste que le chiffre cité de 2 milliards de dollars est considéré comme raisonnable et pourrait même être plus élevé29. Certains témoins ont aussi parlé du lien entre la sous-alphabétisation et les coûts liés aux soins de santé (p. ex. l’incapacité de bien déchiffrer les posologies de médicament). D’après une étude de l’American Medical Association, on constate que les coûts liés aux soins de santé sont quatre fois plus élevés en moyenne pour les personnes sous-alphabétisées que pour la population générale30. Des témoins nous ont aussi dit que les délinquants qui s’alphabétisent pendant leur séjour dans le système correctionnel canadien ont moins tendance à récidiver. Par exemple, le taux de récidive chez les délinquants ayant terminé la formation de base des adultes de 8e et de 10e année avant d’être mis en liberté conditionnelle totale est inférieur de 7 et de 21 % respectivement comparativement aux membres de la population carcérale générale mis en liberté conditionnelle totale après deux ans31. Bien entendu, ces réductions se traduisent par une baisse des frais judiciaires et du coût des services correctionnels pour la société32. En plus d’accroître les profits des entreprises, l’alphabétisation a aussi pour effet d’augmenter le revenu des apprenants; en effet, il semblerait que chaque année supplémentaire de scolarité accroît les revenus annuels d’une personne de quelque 8,3 %, dont environ le tiers est attribuable à l’accroissement de ses capacités de lecture et d’écriture33.

Le Comité est convaincu que les coûts personnels et sociaux de la sous-alphabétisation (et du manque d’autres compétences essentielles) sont élevés et continueront de croître si le Canada ne réagit pas pour remédier à ce problème extrêmement important. Nous disposons de l’infrastructure, des ressources et des connaissances nécessaires pour accroître considérablement l’alphabétisation au Canada. Ce qui semble manquer toutefois, c’est la volonté politique d’aborder sérieusement le problème. Nous avons besoin de leadership afin de coordonner et de mettre en œuvre une réaction pancanadienne à cette question, et ce rôle directeur revient au gouvernement.

Bien que l’éducation relève, sur le plan constitutionnel, des provinces et des territoires, l’incidence du faible niveau d’alphabétisation au Canada est un problème national; le gouvernement fédéral a donc un rôle à jouer. Cependant, ce rôle doit respecter les pouvoirs constitutionnels provinciaux et territoriaux et tous les accords pertinents en vigueur. Ces accords comprennent notamment Un cadre visant à améliorer l’union sociale pour les Canadiens, une entente fédérale-provinciale/territoriale visant à promouvoir entre autres la participation entière et active de tous les Canadiens à la vie sociale et économique du Canada. Depuis que cet accord a été conclu en février 1999, les gouvernements fédéral et provinciaux/territoriaux ont travaillé en collaboration et pris des mesures dans divers secteurs, notamment le développement de la petite enfance et le logement. Le Comité fait sien l’avis exprimé par plusieurs témoins que ces ententes constituent un bon modèle pour le renouvellement et l’élargissement des interventions du fédéral, des provinces et des territoires visant l’acquisition de capacités de lecture, d’écriture et de calcul. Étant donné qu’une entente sur l’acquisition de ce type de compétences doit reconnaître la prédominance constitutionnelle des provinces et des territoires, l’application du pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral doit tenir compte de cette réalité.

Chaque région du pays a ses propres besoins en alphabétisation. Il faut donc agir avec souplesse pour répondre aux priorités provinciales/territoriales, et toute entente fédérale-provinciale/territoriale doit composer avec ces différences. Les programmes existants offrent déjà dans une certaine souplesse régionale, et il convient par conséquent de les appuyer. Par exemple, les priorités régionales et l’avis des provinces et des territoires sont déjà largement pris en compte dans le mécanisme de financement fédéral-provincial-territorial adopté par le Secrétariat national à l’alphabétisation. De plus, les Ententes sur le développement du marché du travail s’adaptent aux priorités des marchés du travail dans les provinces et les territoires. À notre avis, ces ententes offrent un excellent potentiel d’accroissement du niveau d’alphabétisation en milieu de travail.

De nombreux témoins ont signalé que pour réussir à hausser le niveau d’alphabétisation au Canada, il faut absolument fixer des objectifs et établir des mécanismes de responsabilité. Le Comité est entièrement d’accord. Toutefois, avant de fixer des objectifs, nous devons déterminer ce qui peut être fait avec un budget donné. Le Comité n’appuie pas l’approche adoptée récemment dans le document de discussion fédéral intitulé Le savoir, clé de notre avenir — Le perfectionnement des compétences au Canada. Celui-ci propose — parmi les jalons servant à mesurer les progrès réalisés par le Canada afin de se doter, dès maintenant et pour l’avenir, d’une main-d’œuvre plus compétente et plus adaptable — de faire diminuer de 25 %, durant la prochaine décennie, le nombre d’adultes canadiens faiblement alphabétisés. D’après ce que nous avons pu voir, le coût de la réalisation de cet objectif n’a pas été calculé et, de l’avis de certains membres, il s’agit là d’une politique douteuse. Une entente sur les capacités de lecture et de calcul doit établir des objectifs réalistes, et nous devons pouvoir déterminer si ces objectifs ont été réalisés dans des délais précis. En d’autres mots, nous devons disposer d’un moyen réel de mesurer le rendement. La responsabilité et la transparence étant des éléments essentiels d’Un cadre visant à améliorer l’union sociale pour les Canadiens, nous encourageons la tenue de consultations aussi vastes que possible avec les intervenants en alphabétisation afin de cerner les objectifs et les mesures du rendement.

Enfin, compte tenu de l’ampleur du problème de sous-alphabétisation au Canada, nous reconnaissons qu’il faudra des sommes considérables et de nombreuses années d’effort pour y remédier. Nous suggérons que le gouvernement fédéral augmente considérablement les investissements déjà consentis à ce chapitre, surtout dans certains secteurs où des investissements plus importants s’imposent d’après l’EIAA, qu’une partie des dépenses supplémentaires soit subordonnée à des investissements progressifs de la part des provinces et des territoires quand c’est possible, et que le financement fédéral soit maintenu pendant au moins 10 ans. Une éventuelle entente fédérale-provinciale/territoriale sur l’acquisition de capacités de lecture et de calcul devra être revue tous les cinq ans.

Recommandation 1

Le Comité recommande que la ministre de Développement des ressources humaines Canada rencontre les ministres provinciaux et territoriaux de l’éducation et ceux responsables du marché du travail afin d’élaborer un accord pancanadien sur l’alphabétisation et l’acquisition de capacités au calcul. Cet accord devra prévoir les éléments clés suivants : reconnaître aux provinces et aux territoires la responsabilité première de l’éducation et de la formation liée au marché du travail, établir conjointement les niveaux et la durée de financement, déterminer les modes de prestation, fixer des objectifs, préciser la nécessité de souplesse dans l’établissement des priorités d’alphabétisation et arrêter les méthodes d’évaluation des résultats. Si un accord pancanadien n’est pas possible, le gouvernement du Canada devra négocier des accords d’alphabétisation bilatéraux avec tous les gouvernements provinciaux et territoriaux intéressés. [Nota : Un accord pancanadien est suggéré parce que le gouvernement fédéral doit chercher à conclure une entente unanime avec les provinces et les territoires afin de régler le grave problème de sous-alphabétisation du Canada. S’il est impossible de dégager un consensus, le Comité invite le gouvernement fédéral à travailler avec les provinces et les territoires individuellement afin d’obtenir le même résultat. Dans un cas comme dans l’autre, une entente s’impose afin d’officialiser le soutien fédéral puisque, sur le plan constitutionnel, la question relève des provinces et des territoires.]

II.         DONNER PLUS DE COHÉRENCE À LA POLITIQUE FÉDÉRALE EN MATIÈRE D’ALPHABÉTISATION

Le Comité s’est sans cesse fait rappeler que l’alphabétisation fait partie du mandat de nombreux ministères fédéraux, par exemple, Patrimoine canadien, Citoyenneté et Immigration, Communication Canada, le Service correctionnel du Canada, Santé Canada, Industrie Canada, Justice Canada, Affaires indiennes et du Nord canadien et, bien entendu, Développement des ressources humaines Canada (DRHC). Bien que tous les ministères et organismes fédéraux participent à l’alphabétisation directement ou indirectement à titre de fournisseurs de services gouvernementaux, il ne semble pas exister à ce sujet de politique applicable à l’ensemble de l’administration fédérale. Il ne semble pas non plus y avoir de répertoire gouvernemental complet des programmes et des dépenses liés à l’alphabétisation, sans parler d’une idée générale de l’efficacité de ces mesures.

Le gouvernement fédéral peut procéder à une vérification dans ses ministères et dresser un inventaire des programmes et des politiques qui touchent actuellement l’alphabétisation. Il en existe un très grand nombre. Des fonds sont dépensés dans d’autres programmes, outre le Secrétariat national à l’alphabétisation, qui concernent indirectement l’alphabétisation, mais personne ne possède d’inventaire ou ne connaît la nature de ces programmes, et il serait donc utile de procéder à une telle vérification. C’est une question horizontale qui recoupe tous les ministères du gouvernement, mais personne ne peut à l’heure actuelle indiquer tous les programmes où l’alphabétisation est intégrée à des politiques, sans parler des programmes où cela devrait être le cas à l’avenir. (Linda Shohet, directrice exécutive, Centre d’alphabétisation du Québec)34

De nombreux témoins estiment que le gouvernement fédéral devra prendre l’habitude d’évaluer ses principaux programmes et politiques afin de veiller à ce qu’ils respectent une politique d’alphabétisation applicable à l’échelle de l’administration fédérale, quand cette politique sera établie. En d’autres mots, les politiques et les programmes fédéraux devront dorénavant être examinés dans l’optique de l’alphabétisation afin de s’assurer de leur conformité avec la politique adoptée.

Le Comité devrait recommander que les politiques et les ministères fédéraux clés soient revus dans l’optique de l’alphabétisation. Ce que je veux dire, c’est que tous les ministères, les programmes et les politiques fédéraux devraient être remaniés de façon à appuyer l’alphabétisation. […] Par exemple, l’alphabétisation familiale ne faisait pas explicitement partie des objectifs du plan d’action national pour les enfants alors qu’elle aurait pu. (Cate Sills, directrice exécutive, Northwest Territories Literacy Council)35

Un des aspects de l’évaluation de l’alphabétisation qui a suscité beaucoup d’intérêt lors de nos audiences est le manque de langage clair et simple dans les lois, les communications et les services fédéraux. Cette lacune, qui nuit aux personnes peu alphabétisées, est particulièrement frappante dans l’appareil de justice pénale. En effet, les poursuites judiciaires sont, de façon générale, menées sans tenir compte du peu de scolarisation de bon nombre de victimes, de témoins et d’accusés. En effet, l’appareil judiciaire est fondé sur la présomption d’innocence et d’un niveau d’alphabétisation élevé, présomption qui dans ce dernier cas est manifestement erronée, comme nous le verrons un peu plus loin dans le rapport.

L’infraction criminelle la plus courante chez les jeunes contrevenants est le «  défaut de se conformer  ». Ils omettent de se présenter aux audiences, aux rendez-vous avec les agents de probation ou au tribunal. Chez ceux qui ne peuvent lire leur ordonnance ou lire l’heure sur une horloge, cette non-conformité est presque inévitable. Ils cachent leur difficulté derrière un masque d’indifférence. […] Ce qui, au départ, était un problème d’alphabétisation en vient à être perçu comme l’attitude d’une personne non coopérative et antisociale. Ces jeunes risquent de s’enfoncer davantage dans le système et le spectre de l’emprisonnement ne tarde pas à se profiler36.

Un autre exemple d’un problème découlant du manque de langage clair et simple, qui a d’ailleurs fait l’objet d’un récent rapport du Comité (Le Supplément de revenu à la portée de tous : Un devoir) est le problème de sous-inscription au Supplément de revenu garanti (SRG). Quand il a étudié la question, le Comité a appris qu’environ 275 000 personnes admissibles au SRG ne reçoivent pas ces prestations. Comme ce chiffre est calculé en tenant compte seulement des personnes qui remplissent une déclaration d’impôt, le nombre réel de personnes non inscrites est en fait inconnu. Une des raisons qui explique ce problème de sous-inscription est l’incapacité de nombreuses personnes âgées de lire et de bien comprendre la documentation et le formulaire de demande de DRHC concernant ce programme de soutien du revenu. Le Comité est heureux de constater que DRHC prend des mesures pour améliorer la situation, mais remarque aussi que de nombreux programmes et services fédéraux omettent ou oublient le problème de faible alphabétisation dans la société canadienne, malgré toute la place qu’il occupe comme en témoigne le chapitre précédent du rapport.

La modernisation de la prestation des programmes et des services fédéraux, particulièrement les projets de gouvernement en ligne, est une autre question qui a été abordée lors de nos audiences. Dans ce domaine, les enjeux dépassent le contexte habituel de l’alphabétisation pour englober la culture informatique ainsi que l’accès à cette technologie (c.-à-d. le fossé numérique). Néanmoins, comme le gouvernement du Canada s’est engagé à devenir le gouvernement le plus branché au monde d’ici 2005, nous devons faire en sorte que la plupart des citoyens canadiens aient accès à un ordinateur et aient les compétences de lecture nécessaires pour exploiter cette technologie. Il sera question de cet élément plus loin dans notre rapport.

En février 2003, le gouvernement a déposé des mesures législatives visant à moderniser la fonction publique canadienne. Ces dispositions prévoient notamment une plus grande cohérence de la formation et de l’apprentissage offerts aux employés afin que ceux-ci poursuivent leur perfectionnement professionnel et afin de répondre aux besoins collectifs de la fonction publique. Malheureusement, cette série de mesures soi-disant cohérentes de mise en valeur du capital humain ne fait aucune place à l’acquisition de capacités de lecture, d’écriture et de calcul. Parallèlement à cette proposition, le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada a publié récemment Une politique pour l’apprentissage continu de la fonction publique du Canada37. Cette politique aussi est muette au sujet des compétences de lecture, d’écriture et de calcul. À notre avis, l’établissement d’une culture d’apprentissage à l’échelle de la fonction publique sera nécessairement tributaire des capacités et des besoins d’apprentissage des individus.

Nous savons que les pratiques d’embauche actuelles de la fonction publique fédérale ont tendance à favoriser les personnes très scolarisées; cependant, il reste que l’ensemble de la main-d’œuvre compte de nombreux fonctionnaires fédéraux qui ont quitté l’école il y a de nombreuses années et qui sont par conséquent peu scolarisés et occupent des postes n’exigeant pas une très forte alphabétisation. Ces travailleurs, comme tous les autres, subissent les mêmes effets d’étiolement de leurs compétences qui font que l’on perd les capacités que l’on n’utilise pas. Et, les fonctionnaires peu alphabétisés devraient, tout comme les fonctionnaires fédéraux hautement scolarisés, être pris en considération dans la politique du Secrétariat du Conseil du Trésor sur l’apprentissage continu.

Le Secrétariat national à l’alphabétisation semble incarner la voix de l’alphabétisation au gouvernement fédéral mais aucune entité fédérale n’est responsable au premier chef de surveiller, de conseiller et d’informer sur les questions d’alphabétisation à l’échelle du gouvernement. Le Comité estime d’ailleurs que pour que le gouvernement fédéral assume un rôle de chef de file dans le domaine, l’alphabétisation doit occuper le devant de la scène au niveau fédéral. Nous devons, par exemple, approfondir notre connaissance des liens entre l’alphabétisation et les questions de santé. Santé Canada et tous les autres ministères fédéraux doivent accorder aux questions liées à l’alphabétisation toute l’importance qu’elles méritent. Une façon d’y arriver serait de publier chaque année un rapport fédéral sur l’alphabétisation.

Recommandation 2

Le Comité recommande :

que le gouvernement fédéral formule, en matière d’alphabétisation, une politique applicable à tous les ministères et organismes fédéraux, qu’il établisse des objectifs de programme clairs, qu’il fasse un inventaire et un examen des programmes visant l’alphabétisation à l’échelle du gouvernement afin d’assurer la réalisation des objectifs de ces programmes;
que le gouvernement fédéral évalue tous les programmes et les services publics afin de s’assurer que la politique et les objectifs du gouvernement en matière d’alphabétisation sont respectés (c’est-à-dire dans l’optique de l’alphabétisation) et que les programmes et les services sont accessibles aux personnes faiblement alphabétisées;
que le Conseil du Trésor incorpore expressément l’acquisition des capacités de lecture et de calcul dans sa Politique pour l’apprentissage continu de la fonction publique du Canada. De plus, que tous les employés peu alphabétisés, quelle que soit leur situation d’emploi, soient aidés et encouragés à soumettre un plan d’apprentissage personnel afin d’accroître leurs capacités. En outre, les possibilités d’apprentissage devront être offertes pendant les heures de travail;
que le gouvernement fédéral confie au Secrétariat national à l’alphabétisation la responsabilité première en matière de coordination, de contrôle et de rapports concernant les mesures fédérales d’alphabétisation et leurs résultats.

 


23National Institute for Literacy (http://www.nifl.gov/nifl/policy/updates/98-09-23.html).
24 Ministerial Council on Education, Employment, Training and Youth Affairs, Ministerial Declaration on Adult Community Education, août 2002, p. 4.
25Department of Education and Skills, Skills for Life: The National Literacy Strategy for Improving Adult Literacy and Numeracy Skills (http://www.dfes.gov.uk/readwriteplus/bank/ABS_Strategy_Doc_Final.pdf).
26Movement for Canadian Literacy, L’alphabétisation — renforcer nos fondations pour bâtir l’avenir du Canada, mémoire, avril 2003, p. 9.
27Les compétences essentielles sont celles qui aident une personne à effectuer les tâches nécessaires au travail ou dans la vie quotidienne. Il s’agit des compétences de base nécessaires pour acquérir des compétences plus poussées et ainsi améliorer la capacité du travailleur de s’adapter au changement en milieu de travail. Notre rapport porte principalement sur les catégories d’alphabétisation — soit la compréhension des textes suivis, des textes schématiques et des textes à contenu quantitatif. À celles-ci s’ajoutent comme autres compétences essentielles la capacité d’écrire, de communiquer de vive voix, de réfléchir, de travailler avec d’autres, d’utiliser un ordinateur et de poursuivre son apprentissage. Développement des ressources humaines Canada a établi le profil des compétences essentielles nécessaires pour quelque 180 emplois, dont 150 exigent des études secondaires ou moins.
28Learners Advisory Network for the Movement for Canadian Literacy, mémoire présenté au Comité permanent du développement des ressources humaines et de la condition personnes handicapées, avril 2003.
29Groupe d’étude des entreprises canadiennes sur l’alphabétisation, The Cost of Illiteracy to Business in Canada, préparé par Woods Gordon Management Consultants, octobre 1987, p. 2.
30DRHCPH, Témoignages (15:45), séance n° 12, le 11 février 2003.
31Le témoignage présenté au Comité s’inspire d’un rapport de recherche intitulé Étude de suivi après deux ans de liberté de délinquants sous responsabilité fédérale qui ont participé au programme de formation de base des adultes (FBA) de Roger Boe du Service correctionnel du Canada (SCC); Boe a comparé un échantillon de délinquants à un échantillon utilisé dans une étude antérieure intitulée Les délinquants dont le cas est renvoyé en vue d’un examen de maintien en incarcération (1989-1990 à 1993-1994) par Brian A. Grant, aussi du SCC. Les deux études peuvent être consultées sur le site Web du SCC à :
http://www.csc-scc.gc.ca/text/rsrch/reports/reports_f.shtml. La question de l’alphabétisation des délinquants est examinée de plus près au chapitre 3 du rapport.
32DRHCPH, Témoignages (15:25), séance n° 25, le 29 avril 2003.
33DRHCPH, Témoignages (15:30), séance n° 26, le 1er mai 2003.
34DRHCPH, Témoignages (15:45), séance n° 11, le 6 février 2003.
35DRHCPH, Témoignages (15:35), séance n° 18, le 20 mars 2003.
36Graham Stewart, la Société John Howard du Canada, Présentation au Comité permanent du développement des ressources humaines et de la condition des personnes handicapées sur les thèmes alphabétisation en milieu de travail, justice et alphabétisation, avril 2003, p. 3.
37Voir http://www.tbs-sct.gc.ca/pubs-pol/hrpubs/TB_856/pclpsc-pacfpc_f.asp.