AGRI Rapport du Comité
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Les prix du bœuf au Canada et la crise de l’ESB
Suite à la mise en œuvre de l’ALE en 1988, et de l’ALENA en 1994, les marchés canadien, américain et mexicain du bœuf et des bovins ont été entièrement intégrés au sein d’un marché nord-américain. Comme l’a exprimé un intervenant de l’industrie :
Le marché du bétail au Canada est un marché libre compétitif, et avant la fermeture de la frontière internationale, à la suite de la découverte d’un cas d’EBS au Canada, le marché était vraiment tout à fait intégré au marché du bétail, du boeuf et du veau des États-Unis.
Jim Laws, Conseil des viandes du Canada
Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire
Réunion no 4-16:45, 3e session, 37e législature
Ottawa, 23 février 2004
Le Canada a ensuite joui d’un avantage comparatif pour ce qui est des bovins et des autres animaux sur pied et d’un avantage compétitif pour ce qui est du bœuf et des produits du bœuf. Ces avantages économiques se sont reflétés dans les données commerciales, le Canada devenant un important exportateur net de ces deux types de produits. De fait, le Canada vient au troisième rang dans le monde pour ce qui est de l’exportation du bœuf et des bovins.
Un marché nord-américain intégré du bœuf et des bovins comporte toutefois des avantages et des inconvénients. Du côté positif, le Canada a vu sa richesse et sa prospérité augmenter du fait qu’il a concentré et spécialisé ses ressources dans cette industrie, en plus d’attirer un important capital étranger. En outre, les Canadiens profitent de prix semblables à ceux exigés des Américains pour le bœuf et les bovins puisqu’un marché intégré tend à éliminer les écarts à ce chapitre (c.-à-d. que les forces du marché opèrent une stabilisation entre les différentes régions de l’Amérique du Nord). Du côté négatif, les éleveurs, les exploitants de parcs d’engraissement et les abattoirs canadiens deviennent vulnérables si les États-Unis ferment leurs frontières aux exportations de bœuf et de bovins canadiens, ce qui s’est effectivement produit le 20 mai 2003.
Cet événement a entraîné une offre excédentaire de bœuf et de bovins au Canada et à une offre déficitaire aux États-Unis. Ainsi, l’inventaire de bovins aux Etats-Unis totalisait 94,9 million d’animaux au 1er janvier 2004, constituant ainsi le niveau le plus bas depuis 1952. Par la suite, lorsque le marché américain a ouvert ses portes aux morceaux de bœuf désossé provenant d’animaux âgés d’au plus 30 mois, l’offre excédentaire au Canada n’a plus touché que les bovins. L’interdiction américaine à l’égard des bovins canadiens a eu l’impact suivant :
Ceux qui ont été le plus durement frappés sont les exploitants de parcs d’engraissement. Comme il leur est impossible d’exporter leurs animaux sur pied aux États-Unis, le Canada, depuis quelques mois, a un gros excédent de bétail. […] L’offre trop importante de bétail au Canada a provoqué un recul marqué des conséquences dramatiques sur les bénéfices nets des éleveurs. Ce n’est pas compliqué : l’offre de bétail a augmenté sans que la demande en face autant et par conséquent les prix ont chuté.
Willie Van Solkema, Cargill Foods
Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire
Réunion no 7-15:35, 3e session, 37e législature
Ottawa, 10 mars 2004
Autrement dit, le marché a réagi comme il le fait toujours en situation d’offre excédentaire. Les participants de l’industrie ont rendu possible ou forcé une chute des prix des bovins afin de stimuler la demande interne et de réduire le nombre de bovins excédentaires. Sans le marché américain des bovins, le maintien des prix aux niveaux d’avant l’ESB aurait préservé l’offre excédentaire, fait augmenter sensiblement le coût des provendes et entraîné la ruine financière de nombreux éleveurs. Sur le marché américain, c’est le contraire qui s’est produit. Les participants de l’industrie ont augmenté les prix des bovins au profit des éleveurs, mais au détriment des abattoirs. La désagrégation du marché nord-américain des bovins signifiait que les prix des bovins au Canada et aux États-Unis ne seraient plus stabilisés; ils allaient diverger sensiblement. Certains de ces effets ont été mesurés dans une lettre présentée comme pièce à l’appui au Comité permanent :
Depuis l’ouverture de la frontière canado-américaine l’automme dernier au bœuf en caisse carton provenant de bovins canadiens de moins de 30 mois qui demeure cependant fermée à l’importation de ces mêmes bovins notre gagne-pain est sérieusement menacé :
| Le volume de transformation des bovins aux États-Unis a diminué de plus de 12% […] la baisse s’est amorcée immédiatement après que la frontière américaine a été ouverte au bœuf en caisse carton [en provenance du Canada] …. |
| Les bovins canadiens se sont vendus en moyenne 275 $ par tête de moins que les bovins américains ce qui a permis aux abattoirs canadiens de vendre moins cher que les abattoirs américains sur notre propre marché. |
Au cours des quatre derniers mois seulement, nous estimons que les pertes financières pour une seule collectivité axée sur la transformation du
bœuf Greeley au Colorado s’élèvent à plus de 100 millions de dollars en raison d’une diminution de l’activité économique attribuable à la baisse des niveaux de production.
John Simons, président-directeur général
Swift & Company
Pièce d’appui du 3 mars 2004
Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire
3e session, 37e législature
De l’avis de la plupart des témoins qui ont comparu devant le Comité, le marché a réagi aux événements. Comme l’a exprimé un témoin :
Le marché fonctionne, même s’il ne joue pas aussi bien son rôle d’arbitre que si la frontière était ouverte pour le bétail vivant.
Garnett Altwasser, Lakeside Packers Ltd.
Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire
Réunion no 7-15:50, 3e session, 37e législature
Ottawa, 10 mars 2004
Le Comité reconnaît que le marché a réagi à la situation d’offre excédentaire, mais que cette réaction fut excessivement inéquitable pour certains des intervenants de l’industrie. Le gouvernement, à l’échelon fédéral ou des provinces, devait intervenir et redistribuer le fardeau infligé par l’embargo américain.
Avantage comparatif pour le prix du bœuf et les marges bénéficiaires brutes des abattoirs
Immédiatement après la découverte du problème d’ESB au Canada, la fermeture des frontières du monde industrialisé au bœuf canadien a eu un effet dévastateur sur les abattoirs canadiens. Selon le Conseil des viandes du Canada, les abattoirs canadiens avaient perdu environ 50 millions de dollars pendant les premières semaines de la crise de l’ESB. Toutefois, après la levée de l’embargo américain sur les produits du bœuf désossé canadien provenant d’animaux âgés d’au plus 30 mois, la situation des abattoirs a connu un revirement. On a décrit de la façon suivante l’évolution de la situation :
Il y a des surplus énormes de bovins. Nous n’avons toutefois pas de problème sur le plan de la viande pour l’instant. Les abattoirs fonctionnent à pleine capacité pour répondre à la demande de leurs marchés d’exportation. Ils transforment autant de vaches qu’ils peuvent, et la viande n’est pas entreposée dans des congélateurs ou ailleurs, elle est consommée.
Scott Zies, Alliance pour le commerce du bœuf équitable
Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire
Réunion no 4-16:15, 3e session, 37e legislature
Ottawa, 23 février 2004
Autrement dit, l’offre excédentaire de bœuf et de bovins s’est transformée essentiellement en un engorgement de bovins. Il n’est donc guère étonnant que les prix de gros et de détail des produits du bœuf, qui ont été en diminuant tout au long de l’été, aient changé de direction et se soient mis à remonter à partir de septembre 2003 jusqu’au 23 décembre, moment où un cas d’ESB a été détecté dans l’état de Washington. Néanmoins, les consommateurs canadiens bénéficient encore aujourd’hui, dans certains cas, d’un très léger avantage au niveau des prix, selon au moins un détaillant :
Les abattoirs nous donnent à peu près les mêmes prix que l’année passée, peut-être un peu plus bas. On en profite, parce qu’il y a beaucoup plus de boeufs cette année, ce qui veut dire que lorsqu’il y a des coupes en promotion, quand les prix sont plus bas, c’est sûr qu’on les utilise pour faire nos promotions. Dans les prix réguliers, les prix sont à peu près les mêmes, juste un peu moins que l’année passée.
Paul Fortin, The Great Atlantic & Pacific Company of Canada Limited
Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire
Réunion no 9-17:15, 3e session, 37e legislature
Ottawa, 22 mars 2004
Les prix de gros du bœuf approchant ceux d’avant la crise de l’ESB et les prix des bovins demeurant très bas afin d’éliminer le problème de l’offre excédentaire, les abattoirs canadiens ont obtenu sans s’y attendre un avantage comparatif notable par rapport à leurs concurrents américains. Les abattoirs américains versent pour les bovins des prix bien supérieurs aux niveaux d’avant l’ESB depuis le début de la crise, de sorte que les abattoirs canadiens peuvent offrir des conditions plus avantageuses que leurs pendants américains dans leur propre marché du bœuf. Il s’ensuit que les marges bénéficiaires brutes des abattoirs canadiens, et possiblement leurs marges de profit, ont connu une flambée comme jamais auparavant. Le représentant d’un abattoir canadien a décrit la situation de la façon suivante :
Nos pertes en mai et en juin ont été horribles. En juillet et en août, nous avons fait un peu d’argent, et en septembre et en octobre aussi. Ce qu’il faut se demander, c’est comment évaluer l’inventaire. […] En évaluant l’inventaire selon le prix du marché avant la crise de l’ESB, vous faisiez beaucoup d’argent. Mais si vous l’évaluez selon les previsions et que vous retranchez les coûts de transport, ainsi que les coûts liés au fait d’avoir un bureau au Japon, ce qui nous coûte environ 10 000 $ par semaine, c’est une autre paire de manches.
Lorne Goldstein, Better Beef Limited
Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire
Réunion no 4-17:20, 3e session, 37e législature
Ottawa, 23 février 2004
Les données financières de 2003 ne sont pas encore connues. Dans la foulée de la crise de l’ESB, les propriétaires d’abattoirs ont affirmé qu’ils font eux-mêmes face à un certain nombre d’obstacles économiques :
La première variable à prendre en considération est le changement de valeur du dollar canadien. En Amérique du Nord, le prix des bovins est fixé en dollars américains. Le dollar canadien s’est apprécié de 15 %, ce qui équivaut à 13 ¢ la livre. Cela fait de notre 87 ¢, un dollar. À cause de l’ESB, […] nous devons désosser une portion considérable du quartier avant des bovins. Cela ajouterait un coût de 20 à 30 $ par tête, ou de 2 à 2,25 $ par quintal. L’autre facteur majeur est […] que nous ne pouvons profiter de la prime d’exportation et […] cela représente environ 190 $ par animal. L’autre facteur est l’augmentation de la dépense pour l’équarrissage. Pour les grandes entreprises, cette opération était une source de recettes. À l’heure actuelle, c’est plutôt une dépense ou quelque chose qui ne rapporte pas. Il y a aussi un autre facteur […] les abattoirs canadiens qui font aujourd’hui le commerce de produits désossés aux États-Unis perdent de 5 à 10 ¢ la livre sur le triple A, ou la catégorie américaine équivalente (USDA choice), ce qui diminue leurs revenus de 2 à 3 $ le quintal. En additionnant tous ces facteurs, on obtient environ 1,13 $.
Ben Thorlakson, Canada Beef Export Federation
Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire
Réunion no 9-16:30, 3e session, 37e législature
Ottawa, 22 mars 2004
Le représentant d’un abattoir canadien a calculé grosso modo, pour ses activités, l’impact financier découlant de l’ESB de la façon suivante:
La semaine dernière, j’ai fait une comparaison. Le prix de la viande que j’ai vendue la semaine dernière était d’environ 275 $ de moins par animal qu’il y a un an. J’ai ensuite comparé le prix des bouvillons et j’ai constaté que j’avais payé 300 $ de moins. […] En réalité, [à cause de] mes frais d’exploitation […] aujourd’hui, l’abattage de bouvillons me rapporte moins qu’il y a un an.
Brian Nilsson, XL Beef
Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire
Réunion no 7-16:45, 3e session, 37e législature
Ottawa, 10 mars 2004
Un détaillant canadien a soutenu que la baisse des prix des bovins au Canada était le résultat direct de la perte de marchés étrangers pour les sous-produits :
Dans un animal qui pèse environ 1 200 livres, après que vous avez enlevé la peau et les os, il reste environ 450 livres, mais il y a beaucoup de produits qui sont vendus à l’exportation, comme les langues, les cœurs, des coupes de viande qu’on appelle try-tips … Mais aujourd’hui c’est cela qu’ils ne peuvent plus envoyer ailleurs, qu’ils ne peuvent plus vendre à l’extérieur. C’est aujourd’hui pour ça que maintenant les fermiers n’ont peut-être pas le prix qu’ils devraient avoir pour leurs animaux.
Paul Fortin, The Great Atlantic & Pacific Company of Canada Limited
Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire
Réunion no 9-16:00, 3e session, 37e legislature
Ottawa, 22 mars 2004
Le Comité souligne toutefois que la production des abattoirs canadiens se situait toujours tout près de leur capacité ou la dépassait même parfois pendant un certain nombre de semaines l’automne dernier. De plus, en novembre 2003, les abattoirs canadiens ont exporté autant de produits de bœuf désossé aux États-Unis qu’ils ne l’avaient fait en novembre 2002, malgré une appréciation de 20 % du dollar canadien vis-à-vis la devise américaine. Étant donné la concentration, décrite dans le chapitre 2, de la propriété dans le secteur de l’abattage, le Comité se préoccupe que non seulement les abattoirs puissent indûment profiter de l’offre excédentaire de bovins au Canada, mais aussi qu’ils puissent en fait profiter de leur emprise sur le marché (en tant qu’acheteur) au détriment des éleveurs canadiens.
C’est pourquoi le Comité a entrepris ses audiences sur la formation des prix du bœuf en entendant le témoignage de la commissaire de la concurrence, Mme Sheridan Scott. Durant cette réunion, la commissaire a exposé les paramètres et limites de la Loi sur la concurrence. Elle a ensuite expliqué pourquoi les audiences du Comité de l’an dernier ainsi que son rapport de novembre 2003 n’avaient pas convaincu le Bureau de la concurrence d’entreprendre une enquête sur la formation des prix du bœuf. Le Comité comprend que la Loi ne traite pas directement des questions de justice ou d’injustice. La Loi s’intéresse principalement au comportement et aux pratiques commerciales des divers intervenants sur le marché, notamment aux complots en vue de la fixation des prix et aux abus de position dominante. Malgré ces limites, la commissaire a également reconnu que la crise de l’ESB avait créé une situation très difficile sur le marché des bestiaux :
Je ne sous-estime pas les énormes conséquences. … Je saisis l’ampleur des changements qui se produisent sur ce marché et les effets épouvantables qu’ils ont sur beaucoup de gens. Il m’est donc difficile de venir vous dire aujourd’hui que mes interventions sont limitées par la loi, mais le fait est qu’elles le sont. J’essaie d’être le plus utile possible en trouvant des dispositions que nous pouvons invoquer pour améliorer la situation …
Sheridan Scott, commissaire de la concurrence
Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire
Réunion no 2-16:10, 3e session, 37e législature
Ottawa, 16 février 2004
Le Comité croit que tous les aspects du marché des bestiaux doivent être attentivement surveillés dans le contexte de la présente crise. Le Comité a donc exercé l’un de ses privilèges et demandé au ministre de l’Industrie d’entreprendre une enquête en approuvant la motion suivante :
Que le Comité demande au ministre de l’Industrie d’ordonner au Bureau de la concurrence de tenir une enquête en vertu de l’article 45 de la Loi sur la concurrence sur la formation des prix du bœuf aux niveaux de l’abattage, de la vente aux grossistes et au détail, dans le contexte de la crise de l’ESB au Canada.
Le Comité souligne que le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire a également demandé que la ministre de l’Industrie donne instruction à la commissaire de la concurrence d’entreprendre une telle enquête. Toutefois, la ministre de l’Industrie n’a pas encore formulé cette demande à la commissaire. Considérant l’information contenue dans le présent rapport et dans la lettre à la ministre de l’Industrie, le Comité recommande :
RECOMMANDATION 1
Que la ministre de l’Industrie donne consigne à la commissaire de la concurrence, comme le prévoit l’article 10 de la Loi sur la concurrence, de mener immédiatement une enquête sur la formation des prix du bœuf aux niveaux de l’abattage et de la vente aux grossistes.
Entre-temps, le Comité recommande :
RECOMMANDATION 2
Que le Bureau de la concurrence surveille l’établissement des prix de gros et de détail du bœuf ainsi que les prix des bovins engraissés et des bovins d’embouche, et que la commissaire de la concurrence fasse rapport périodiquement, ou à l’appel de la présidence, au Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes.
Le Bureau de la concurrence, en tant qu’organisme d’enquête sur des questions criminelles et civiles, n’a pas le mandat d’entreprendre une étude sur les aspects concurrentiels d’une industrie. Le Parlement n’a pas jugé bon de lui accorder ces pouvoirs. Cependant, le Comité recommande qu’une telle étude soit menée afin de rendre plus transparentes les pratiques commerciales de l’industrie des bovins et des produits du bœuf. Lorsqu’une situation similaire s’est présentée à l’égard de l’industrie du pétrole et de l’essence en 2000, le gouvernement a décidé de demander au Conference Board du Canada de réaliser une étude détaillée et exhaustive sur cette industrie. Le Comité demande qu’on procède de la même façon pour l’industrie du bœuf et recommande donc :
RECOMMANDATION 3
Que le gouvernement du Canada demande à un groupe indépendant de réaliser une étude exhaustive sur la concurrence dans l’industrie des bovins et des produits du bœuf au Canada.
Retour sur le programme d’aide financière du gouvernement
Étant donné la surabondance de bovins au Canada et le grand nombre de producteurs de bétail aux prises avec des difficultés financières, l’intervention gouvernementale a été perçue comme nécessaire pour remettre rapidement l’industrie sur pied. Voici comment on a expliqué au Comité le cœur du problème :
Le fait est qu’avant l’annonce du programme, l’industrie était dans une impasse. Il fallait que nous achetions le bétail moins cher parce que nous avions été évincés du marché américain. Le producteur avait investi dans le bétail et ne vendait pas. Si vous regardez les statistiques sur l’abattage, vous verrez que pendant six semaines, le nombre de bêtes abattues était très petit; c’était environ la moitié.
Faut-il le rappeler, l’argent du gouvernement n’a pas fait augmenter ni fait diminuer le nombre de bovins existants. La loi de l’offre et de la demande a continué à jouer, sans égard à l’argent injecté dans le secteur par le gouvernement. Les subventions gouvernementales ont donné aux producteurs l’assurance que s’ils vendaient leurs bêtes comme ils allaient le faire de toute façon, ils obtiendraient une partie de cet argent pour compenser leurs pertes. Ils ont donc commencé à vendre leurs bêtes et les affaires ont repris.
Garnett Altwasser, Lakeside Packers Ltd.
Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire
Réunion no 7-16:35, 3e session, 37e législature
Ottawa, 10 mars 2004
Le Programme fédéral-provincial de redressement de l’industrie dans le sillage de l’ESB a atteint certains de ses objectifs. Ce programme de 500 millions de dollars a ainsi permis aux abattoirs canadiens de reprendre leur production à un niveau quasi maximal et a aidé à réduire l’offre excédentaire de bovins. Le Programme n’a toutefois pas fait augmenter les prix du marché du bétail, ce qui aurait pu aider les éleveurs de bétail canadiens aux prises avec des difficultés financières.
Le Comité est également conscient qu’un autre programme gouvernemental, le Programme relatif aux animaux de réforme doté d’un budget de 200 millions de dollars, ne rencontre pas les cibles des producteurs en matière de réduction de l’offre excédentaire. Dans leur lettre du 9 mars 2004 qu’ils ont fait parvenir au Comité, les Producteurs laitiers du Canada ont fait valoir que le taux de réforme des troupeaux laitiers « tel que reconnu par Agriculture et Agroalimentaire Canada est de 25 % » alors que le programme ne reconnaît qu’un taux de réforme de 16 %. Bien que ce programme puisse alléger le fardeau financier des producteurs, il n’est pas perçu pas le Comité comme une solution au surplus d’animaux de réforme laitiers et aux bas prix versés aux producteurs.
Le Comité conclut que le Programme de redressement de l’industrie dans le sillage de l’ESB présentait globalement des défauts, tant sur le plan de sa conception qu’à propos d’un de ses objectifs. Compte tenu des deux objectifs énoncés, les deux paliers de gouvernement ont eu raison de spécifier une date pour la conclusion du programme. Ce délai a favorisé un retour à la normale pour les secteurs de l’abattage et de la transformation, mais ce ne fut pas le cas pour les éleveurs de bétail. Le Comité croit toutefois que le programme aurait dû chercher davantage à atténuer l’impact qu’a eu l’offre excédentaire de bovins pour les éleveurs qu’à accroître la production dans les abattoirs (la deuxième priorité du programme). Si on avait choisi cette option, il aurait été préférable de ne pas prévoir de date pour la conclusion du programme. L’inclusion d’une date précise ne pouvait qu’encourager les propriétaires de bovins à vendre leurs bêtes avant cette date plutôt que d’attendre le meilleur moment de manière à profiter des subventions gouvernementales. Seule cette date limite pourrait expliquer la diminution de près de 20 % du prix des bovins gras d’Alberta en seulement une semaine (la semaine de l’annonce du programme, c’est-à-dire du 18 au 25 juin 2003) et le relèvement de ce prix immédiatement après la fin du programme. Selon le Comité, l’aide gouvernementale aurait dû être versée directement aux éleveurs et le programme aurait dû se terminer à la levée de l’embargo américain sur le bétail canadien visé par celui-ci. Ainsi, il n’aurait eu aucune incidence sur le moment choisi pour envoyer les bovins à l’abattage, et il aurait surtout visé les éleveurs. Les avantages du programme n’auraient pas été autant accaparés par les abattoirs qui ont profité des baisses des prix tout au long de l’été.
Le 22 mars 2004, le gouvernement du Canada a annoncé son Programme transitoire de soutien à l’industrie dans le cadre duquel la somme de 680 millions de dollars sera accordée aux éleveurs de bovins qui subissent les effets négatifs de la fermeture prolongée de la frontière canado-américaine. Ces fonds seront versés aux éleveurs de bovins sous forme de paiements directs pouvant aller jusqu’à 80 $ par bovin admissible faisant partie de leur troupeau au 23 décembre 2003. Tous les bovins sont admissibles, à l’exception des taureaux et des vaches en pleine maturité (vaches qui ont vêlé et taureaux non castrés âgés de plus d’un an). Les éleveurs d’autres ruminants qui ont perdu accès au marché américain bénéficieront de mesures similaires.
Le Comité a aussi évalué la possibilité d’adopter une politique de fixation d’un prix minimal pour les bovins, mais il n’a reçu aucun appui en ce sens de l’industrie. Certains témoins ont mentionné qu’une telle politique ne servirait pas les intérêts de l’industrie canadienne du bœuf et des bovins, ni ceux des consommateurs canadiens.
Capacité d’abattage et de transformation de produits à valeur ajoutée
Aux audiences du Comité, il est apparu évident que de nombreux intervenants de l’industrie croient qu’il serait préférable pour le Canada d’avoir une plus grande capacité intérieure d’abattage et de transformation. Comme il est indiqué au chapitre 2, l’industrie de la transformation a été témoin de nombreux fusionnements au cours de la dernière année, les usines et les emplois disparaissant à un point tel qu’il n’y a plus que trois grands joueurs dans l’Ouest du Canada, et un seul dans l’Est du Canada. Ces fusionnements ont entraîné l’exportation d’un nombre croissant de bovins sur pied aux États-Unis alors que, paradoxalement, le Canada a importé plus de morceaux désossés.
L’année d’avant, nous avions importé 130 000 tonnes de coupes désossées contre 760 000 tonnes exportées aux États-Unis. Si on compare les populations des deux pays, nous avons importé deux fois plus par habitant. Par contre, sous l’angle de la production, si on songe que nous devons exporter de 60 à 70 p. 100 de ce que nous produisons, et donc qu’il nous faut beaucoup plus impérieusement exporter que les Américains, nous importons deux fois plus que ceux-ci.
Garnett Altwasser, Lakeside Packers Ltd.
Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire
Réunion no 7-16, 3e session, 37e législature
Ottawa, 10 mars 2004
Au cours des trois dernières décennies, l’industrie a forgé un nouvel équilibre fondé sur une capacité d’abattage hebdomadaire d’environ 65 000 têtes, un marché des exportations d’animaux sur pied de 25 000 têtes et des importations supplémentaires de produits du bœuf, dont les États-Unis sont de loin le principal fournisseur. Puis, un jour de mai 2003, ce marché nord-américain bien rodé a cessé de fonctionner. Un cas unique d’ESB au Canada a rompu l’équilibre. Une industrie lucrative qui a par le passé régulièrement refusé l’aide directe du gouvernement s’est mise à perdre plusieurs millions de dollars par jour. Les pertes totales pour le Canada ont tourné autour de 1,8 milliard de dollars en 2003, mais ce total augmente chaque jour que la frontière américaine demeure fermée aux animaux sur pied.
Les événements qu’a déclenchés la découverte de l’ESB au Canada ont sensibilisé les intervenants (surtout les éleveurs) à l’importance du marché d’exportation des animaux vivants pour leur gagne-pain. Ils ont aussi fait ressortir la vulnérabilité du marché nord-américain intégré. Les systèmes distincts de salubrité et de sécurité des aliments des deux pays constituent le maillon faible de la chaîne. Les affaires sont presque revenues à la normale pour le secteur canadien de la transformation, parce que de nombreux produits du bœuf peuvent à nouveau être exportés, mais les producteurs de détail ont besoin de l’aide des gouvernements fédéral et provinciaux pour survivre.
Des producteurs de bétail de partout au Canada cherchent néanmoins des possibilités d’investissement dans des activités à valeur ajoutée. Dans certaines régions, ils n’ont accès qu’à une seule grande usine de transformation. Dans leur optique, le marché est trop concentré. Dans d’autres régions, il n’y a tout simplement pas d’abattoir ou d’usine de transformation. C’est pourquoi certains des intervenants entendus par le Comité ont donné à entendre qu’il existait peut-être des possibilités d’investissement pour les agriculteurs dans le secteur de la transformation du bœuf.
Pourquoi ne pas s’occuper de notre destin nous-mêmes. Établissons une autre usine ou agrandissons celles déjà existantes ici au Canada et, ensuite, vendons nos coupes [de viande à l’étranger] et conservons les emplois au Canada. Je crois que c’est là où nous devrions concentrer nos efforts. C’est ce que nous devrions faire au lieu d’attendre que les États-Unis ouvrent leur frontière.
Paul Fortin, The Great Atlantic & Pacific Company of Canada Limited
Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire
Réunion no 9-17:00, 3e session, 37e législature
Ottawa, 22 mars 2004
Toutefois, compte tenu des témoignages contradictoires que le Comité a entendus, nul ne sait s’il conviendrait pour le moment d’accroître la capacité d’abattage au Canada
Dans son rapport de novembre 2003, le Comité avait recommandé au gouvernement d’appuyer le développement de nouveaux débouchés dans l’industrie du bétail. Dans son plan budgétaire 2004, le gouvernement a annoncé son intention d’injecter la somme supplémentaire de 270 millions de dollars aux fins de nouveaux investissements de capital de risque par la Banque de développement du Canada et Financement agricole Canada. Le Comité recommande une fois de plus :
RECOMMANDATION 4
Que le gouvernement du Canada et les organismes responsables du secteur agroalimentaire cherchent, en collaboration avec les producteurs de bétail et les transformateurs, à trouver de nouveaux débouchés commerciaux dans le secteur de la transformation du bétail en mettant particulièrement l’accent sur l’augmentation de la capacité d’abattage et de transformation de produits à valeur ajoutée.
Des marchés d’exportation complètement libres et des règles claires
L’industrie canadienne des bovins et du bœuf est complètement intégrée à l’intérieur d’un marché nord-américain, mais il reste aux pays de l’ALENA à élaborer et à mettre en œuvre des politiques et des règles d’importation et d’exportation conformes aux normes internationales des normes qui empêcheraient l’utilisation de mesures sanitaires pour faire obstacle au commerce. Les cas d’ESB au Canada et aux États-Unis ont mis en lumière la vulnérabilité de l’industrie des bovins et des produits du bœuf, surtout des producteurs primaires. Il faut mettre un terme à de tels gestes, qui ne sont fondés ni sur des principes scientifiques ni sur l’évaluation des risques, si l’on veut que l’industrie canadienne des bovins demeure économiquement viable à plus long terme. Le Canada et les États-Unis ne retirent aucun avantage à s’imposer mutuellement des embargos.
Les consultations entre les partenaires commerciaux nord-américains se poursuivent, mais ces partenaires sont aussi des concurrents sur de nombreux marchés, une réalité qu’il ne faudrait pas sous-estimer au moment de la négociation de l’harmonisation des systèmes nationaux de salubrité et de sécurité des aliments. L’année dernière, dans le contexte de ses audiences sur la crise de l’ESB, le Comité a écrit au directeur général de l’Office international des épizooties (OIE) pour savoir si les pays peuvent ou non protéger légitimement leur marché lorsqu’un autre pays signale un cas unique d’ESB. Voici ce que le directeur général a répondu dans sa lettre au Comité :
Lors de leur dernière rencontre, en septembre 2003, les spécialistes en sont arrivés à la conclusion que le fondement scientifique du Code était toujours valide. En outre, ils ont jugé que les restrictions commerciales en cours résultaient du fait que les pays n’appliquent pas le Code tel qu’il est écrit. En effet, de nombreux pays imposent des embargos commerciaux totaux dès qu’un pays exportateur rapporte son premier cas d’ESB, sans toutefois mener d’évaluation du risque, comme le recommande pourtant le Code. Quel qu’il en soit, ce Code ne recommande pas l’imposition d’un embargo total pour les animaux et les produits d’animaux provenant d’un pays infecté par l’ESB. Il préconise plutôt d’accroître les niveaux de restriction en fonction de la catégorie du pays exportateur. Cela dit, je crois que vous devriez canaliser vos énergies à aider l’OIE à encourager ses membres, le Canada y compris, à respecter le Code dans l’application de leurs mesures d’importation.
Dr Bernard Vallat, directeur général, OIE
Lettre au Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire
2e session, 37e législature
Ottawa, 3 novembre 2003
De plus, le groupe d’experts international sur l’ESB, dans son rapport sur les mesures qui concernent l’ESB aux États-Unis, a déclaré :
| Le sous-comité est heureux que le gouvernement américain ait l’intention d’adopter une approche scientifique pour l’établissement de ses politiques. |
| Les cas nord-américains démontrent encore une fois que les pays exportateurs subissent des répercussions sociales et financières importantes quand les pays importateurs ne respectent pas les règles internationales en matière de commerce. |
| Par conséquent, le sous-comité recommande que les É.-U. fassent preuve de leadership en matière de commerce en adoptant des politiques d’importation/d’exportation conformes aux normes internationales et encouragent donc l’abandon des barrières commerciales irrationnelles quand des pays découvrent un premier cas d’ESB. |
Le Comité croit que l’harmonisation des règles commerciales doit se faire correctement et sans tarder. Sinon, toute nouvelle désorganisation du marché des produits agricoles et agroalimentaires risque d’être plus coûteuse et durer plus longtemps encore. Si les pays de l’ALENA croient vraiment à un marché nord-américain intégré pour les bovins et les produits du bœuf, ils doivent respecter à la lettre les codes internationaux. Le Comité reconnaît les efforts déployés des deux côtés de la frontière pour rétablir les exportations de bétail et d’autres produits connexes, mais il est préoccupé par l’incidence négative qu’ont eue sur le marché canadien du bétail les longues négociations politiques. Les producteurs primaires de pays concurrents sont en train de se tailler une place sur les marchés traditionnels d’exportation du Canada. Le Comité recommande :
RECOMMANDATION 5
Que les gouvernements du Canada et des États-Unis mettent immédiatement en application le code de l’Organisation internationale des épizooties et lèvent leurs embargos tout en continuant à négocier les modalités d’un plan de mise en œuvre qui améliorerait la libre circulation du bétail et des autres produits carnés.