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FAAE Rapport du Comité

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Il semblerait aujourd’hui que les événements du 11 septembre ont non seulement dissipé notre sentiment naïf de sécurité, mais nous ont également fait découvrir un monde complexe, dangereux et désavantagé. Il ne serait pas exagéré à mon avis de dire que nous avons davantage appris du monde et des affaires internationales au cours des 27 derniers mois qu’au cours des 27 dernières années 89.

Allan Gregg

Des contextes international et national en évolution

L’étude qu’a menée le Comité des relations qu’entretient le Canada avec les pays du monde musulman a mis en lumière la complexité des relations internationales modernes, pour ce qui est de la dynamique des régions clés et des impératifs en matière d’élaboration et de conduite de la politique étrangère. Les témoins qui se sont adressés au Comité étaient unanimes sur deux points : l’importance du monde musulman pour la politique étrangère canadienne et la nécessité de tenir compte de cet aspect dans l’élaboration de la politique étrangère. Le Comité se rallie à ce point de vue.

Les recommandations sur lesquelles se sont entendus les membres du Comité à la lumière des séjours effectués dans le monde musulman seront présentées dans les chapitres sur les diverses régions. Nous décrivons ci-après certains des principaux éléments qui nous semblent nécessaires à la mise sur pied d’une approche canadienne globale, qui permet de comprendre l’évolution des divers pays du monde musulman, d’améliorer les relations entre le Canada et ces pays et de consolider la politique étrangère canadienne sur le plan de l’élaboration et de la conduite dans ce domaine.

Un certain nombre de thèmes récurrents se sont dessinés clairement au fil des audiences et des voyages du Comité, notamment la nécessité de sensibiliser les populations tant au Canada qu’à l’étranger et de bonifier le dialogue interculturel et interconfessionnel. Les témoins ont aussi mentionné un certain nombre de mécanismes particuliers — qui relèvent bien souvent de la diplomatie ouverte, notamment les liens économiques et culturels, l’aide au développement, l’appui à la société civile, la démocratisation et le respect des droits de la personne, les communications et les médias et les échanges de jeunes et de parlementaires. Aussi valables que soient ces initiatives, le Canada ne profitera pleinement de ces initiatives et des autres qu’en faisant davantage participer les musulmans canadiens à l’élaboration et à l’application de sa — et de leur — politique étrangère.

Les diasporas et la politique étrangère

Même avant les attentats terroristes de septembre 2001, les relations internationales connaissaient une profonde mutation : l’importance des identités multiples était de plus en plus admise et, alors qu’elles existaient auparavant presque exclusivement entre États, les relations internationales en sont venues à inclure plus étroitement la société civile et la population et à servir les intérêts de ces dernières.

Les diasporas jouent un rôle croissant dans les relations internationales modernes, ce qu’un observateur a qualifié de mondialisation par la base90. Le professeur Karim Karim de l’Université Carleton a expliqué au Comité «  qu’une connaissance du rôle des diasporas dans le monde contemporain est essentielle à une meilleure compréhension des relations internationales  ». Selon lui :

Le nombre de diasporas a considérablement augmenté en Occident […]  L’accessibilité des voyages aériens et des modes de communication comme Internet, la télévision par satellite et le téléphone permettent de rester en contact régulier avec leurs groupes à l’échelle planétaire. L’incidence que cette accessibilité et que d’autres aspects de la mondialisation ont eus sur le rôle des frontières nationales renforcent la place qu’occupent les diasporas à l’échelle mondiale.

Si les gouvernements considèrent les personnes comme des sujets d’un pays ou d’un État précis, les membres des diasporas — et j’y ajouterais également ceux qui font partie de l’élite des sociétés transnationales qui sont établies depuis longtemps dans divers pays — se considèrent de plus en plus comme des citoyens cosmopolites. Ils ne résistent pas nécessairement pour autant à l’attachement au pays où ils sont établis, mais se considèrent comme des citoyens du monde.

Des liens transnationaux forment des réseaux complexes qui permettent aux individus de donner et de recevoir un soutien spirituel, social, économique et culturel … 

Dans un commentaire particulièrement important compte tenu de la lutte internationale contre la terreur, il a souligné que : «  Par malheur, les militants et les terroristes exploitent également ces réseaux à des fins destructrices. Il incombe aux pouvoirs publics d’être en mesure de faire la distinction entre les liens légitimes et très constructifs qui caractérisent toutes les diasporas et toutes les activités criminelles d’une minorité91  ». Enfin, il a fait remarquer que la mauvaise information du gouvernement canadien dans les affaires Maher Arar et Zahra Kazemi «  … reflète en partie la perception que ces gouvernements du Moyen-Orient ont de leurs diasporas  ». Il a ajouté : «  Il est évident que le Canada devra s’engager tôt ou tard, la première option étant préférable, dans une discussion internationale sur les implications que la nature des diasporas transnationales et du cosmopolitisme contemporain a sur les politiques étrangères, l’immigration, la citoyenneté et la sécurité92  ».

Selon M. Karim, «  la diaspora est particulièrement importante dans les contextes musulmans93  ». C’est ce qu’a souligné également l’historien de l’Université Columbia Richard Bulliet, rencontré à New York. Étant donné qu’un grand nombre des défis sur le plan des droits démocratiques ou autres que doivent relever les États arabes et autres États musulmans donnent lieu à des affrontements entre réformateurs modérés et partisans de la ligne dure, il y a de bonnes raisons de croire que les diasporas musulmanes au Canada et dans les autres pays occidentaux peuvent contribuer à résoudre ces conflits. Pour M. Bulliet, parce que les diasporas occidentales sont relativement aisées, instruites et habituées à des sociétés pluralistes, elles sont plus à même à long terme de contribuer à la résolution du conflit d’autorité au sein de l’Islam94. M. Bulliet a affirmé aux membres du Comité que, si les problèmes du monde islamique sont les plus frappants au Moyen-Orient, le changement viendra le plus probablement des diasporas instruites et aisées ou de pays comme l’Indonésie, la Malaisie, le Bengladesh ou l’Inde. La théologienne britannique Karen Armstrong a également expliqué aux membres du Comité qui se trouvaient à Londres que le «  Canada […] pourrait être l’un de ces pays qui constitueraient une passerelle entre l’Est et l’Ouest [… et] démontreraient qu’il est possible pour un musulman de mener une vie vibrante, créatrice et dynamique sur le plan intellectuel et spirituel dans un pays occidental, ce qui pourrait amener les pays musulmans à effectuer des réformes.

Les enseignements des expériences européennes

Le Comité a appris lors de ses séjours d’information en France et au Royaume-Uni que l’accroissement récent des populations musulmanes en Europe — l’Islam est désormais la deuxième religion européenne — et les réactions suscitées par ce phénomène se sont répercutés non seulement sur les politiques intérieures mais aussi sur les politiques étrangères des principaux États européens comme la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne. La question s’est également posée à l’Union européenne. Le ministre britannique des Affaires étrangères, M. Jack Straw, nous a en effet indiqué que l’on s’était demandé lors de la Conférence Intergouvernementale si le projet de traité constitutionnel devait contenir un énoncé reconnaissant l’héritage judéo-chrétien de l’Europe95. Un autre débat porte sur les éventuels liens entre la dénonciation des politiques du gouvernement israélien et l’antisémitisme. Comme un expert américain l’a souligné en 2002, les musulmans européens n’ont pas beaucoup cherché jusqu’ici à influencer les politiques étrangères en Europe à l’égard des pays islamiques et des questions intéressant les musulmans. Leur présence a néanmoins influé sur les attitudes et les approches des décideurs européens envers un certain nombre de grandes questions, notamment le conflit arabo-israélien96.

C’est la France qui compte la plus importante population islamique en Europe, avec quatre ou cinq millions de musulmans, descendants de Nord-Africains ou immigrants. La politique étrangère française s’attache toujours aux relations avec le monde arabe plutôt qu’avec le monde musulman. À Paris, les membres du Comité ont vu concrètement le lien entre la politique nationale et la politique étrangère lors de leur visite de l’Institut du monde arabe, projet culturel et politique proposé au départ comme moyen de promouvoir une image constructive de la culture et des pays arabes après les crises du pétrole des années 70.

Pourtant en France, les questions nationales, dont beaucoup ont tourné autour de la laïcité, ont masqué l’incidence de l’augmentation de la population musulmane sur la politique étrangère de ce pays. La communauté musulmane française n’a pas de direction structurée; après plusieurs faux départs, le gouvernement français a aidé les musulmans français à établir en 2003 un nouveau Conseil français du culte musulman, représentatif et autonome, qui jouera un rôle consultatif pour les questions techniques et de principe. Pendant son séjour à Paris, le Comité a rencontré le président du Conseil, M. Dalil Boubaker, qui est également chancelier de la Mosquée de Paris. Le sujet le plus controversé était le port du hijab ou voile islamique. En décembre 2003, le gouvernement français a proposé une loi proscrivant le port ostentatoire de tout symbole religieux, notamment le hijab, dans les établissements scolaires et à la fonction publique. Des protestations se sont élevées à la fois en France et dans un certain nombre d’États à majorité musulmane. Comme l’indiquait The Economist en janvier 2004, le gouvernement français veut corriger les malentendus sur la laïcité et les obligations des groupes religieux. Cette position est claire, —  de même que les dommages qu’elle peut causer dans les relations avec les musulmans tant en France qu’ailleurs97.

Le Royaume-Uni a une population musulmane d’environ deux millions de personnes, la plupart descendants d’immigrants d’Asie du Sud ou eux-mêmes immigrants. Le ministre des Affaires étrangères, M. Jack Straw — dont plus de 25 p. 100 des électeurs sont musulmans — a fait remarquer, dans un discours prononcé en Indonésie l’an dernier, que la taille et l’importance des communautés musulmanes au Royaume-Uni sont telles qu’aucun gouvernement — présent ou futur — ne peut fermer les yeux sur leurs préoccupations nationales ou internationales. Les musulmans se préoccupent des mêmes questions nationales que les autres électeurs : un enseignement de bonne qualité, de solides soins de santé et une économie prospère. Mais, lorsqu’il s’agit de questions internationales, ils s’inquiètent essentiellement de la situation au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ainsi qu’en Asie du Sud et du Sud-Est98.

Même si la majorité des musulmans vivant en Grande-Bretagne sont originaires d’Asie du Sud plutôt que du Moyen-Orient, les plus importants journaux arabes sont désormais publiés à Londres, comme l’a relevé M. Rima Khalaf, de l’UNDP. La Grande-Bretagne est aussi le théâtre de manifestations extrémistes — celle notamment de Abu Hamza Al-Mazri, imam militant de la Mosquée de Finsbury Park, jusqu’à son licenciement début 2003 — ce qui a conduit les mauvaises langues à baptiser la capitale Londonistan99. Les diplomates canadiens en poste à Londres ont indiqué aux membres du Comité que les attentats-suicides menés au Moyen-Orient en 2003 par deux musulmans qui avaient grandi au Royaume-Uni avaient créé une onde de choc. Nombreux ont été les Britanniques, musulmans et autres, qui ont condamné la décision récente du gouvernement de se joindre aux États-Unis pour envahir l’Irak. Le Cheik M. A. Zaki Badawi, président des Imams and Mosques Council of England, lui-même ancien imam de la Mosquée de Finsbury Park, a expliqué que les rares imams qui prêchaient l’intolérance en Grande-Bretagne n’avaient pas les qualifications requises pour occuper cette fonction (Abu Hamza Al-Mazri est électricien). Il a précisé que, faute de formation religieuse en Grande-Bretagne et de normes officielles, n’importe qui peut se prétendre chef religieux. C’est pour cela qu’il a fondé le Muslim College — qui accueille des hommes et des femmes — pour former des imams en Grande-Bretagne même. Ainsi il ne sera plus nécessaire d’en importer du Moyen-Orient ou d’ailleurs et le rôle clé des érudits chargés d’interpréter l’Islam pourrait mieux s’inscrire dans l’Occident.

En octobre 2003, le Ministère britannique des Affaires étrangères et du Commonwealth a lancé une Multi Faith Week, pour célébrer les différentes fois et cultures présentes au Royaume-Uni. Les activités prévues comprenaient un séminaire sur la foi et la politique étrangère. Dans son allocution d’ouverture, le ministre britannique des Affaires étrangères a insisté sur le fait que, si les Britanniques musulmans ont les mêmes préoccupations que les autres à propos des questions d’intérêt national, des différences ressortent lorsqu’il s’agit de politique étrangère. Dans un document d’information sur les groupes confessionnels et la politique étrangère, le ministère a soulevé un certain nombre d’importantes questions sur le sujet, communes avec d’autres pays, et mentionné notamment ce qui suit :

Le ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth est disposé à s’associer avec les groupes confessionnels qui partagent ses valeurs ou son approche. Mais nous devons être conscients des difficultés possibles. Le Royaume-Uni peut ne pas s’intéresser au programme de certains groupes, voire même y être activement opposé. Les priorités de ces derniers peuvent coïncider avec celles du ministère, à certains égards, mais peuvent également ne pas être compatibles avec la politique du Royaume-Uni dans des domaines comme le rôle de la contraception dans la prévention des maladies et le contrôle des naissances dans les pays en développement, le droit des femmes dans les pays à majorité musulmane, l’homosexualité, l’asile politique et la migration et la définition des organisations extrémistes et terroristes.

Les communautés confessionnelles peuvent aider le ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth à comprendre le monde dans toute sa complexité, ce qu’elles ne seront capables de faire efficacement que si elles comprennent la politique étrangère britannique dans toute sa complexité. Aussi galvaudé soit-il, le terme de dialogue sera crucial pour élaborer une relation empreinte de maturité qui puisse résister aux désaccords importants sur le plan moral ou politique100.

Le ministre des Affaires étrangères a constaté que, pour convaincre les communautés confessionnelles que la politique étrangère britannique était équilibrée et accommodante à l’égard des croyances religieuses, le gouvernement devait s’efforcer davantage de joindre ces communautés. Il a ajouté que, tout comme les autres sphères de la politique, des transports au maintien de l’ordre, la politique étrangère a tout à gagner à être exposée sur la place publique et à faire l’objet d’un débat rigoureux101.

L’Allemagne a une population musulmane d’environ trois millions de personnes peut-être, dont près de deux sont des citoyens turcs et sur lesquels plusieurs centaines de milliers sont Kurdes. Cette situation a eu des répercussions importantes sur des dossiers nationaux comme la citoyenneté. Le débat actuel sur l’entrée éventuelle de la Turquie dans l’Union européenne a également mis en lumière les liens entre la politique intérieure et la politique étrangère et les répercussions que ce dossier a sur la politique de l’Union européenne, les relations bilatérales et les enjeux comme la vente d’armement.

Après les attentats de septembre 2001, le gouvernement allemand a pris un certain nombre de mesures pour aborder les relations avec le monde musulman, en nommant notamment un commissaire au dialogue interculturel et au dialogue avec le monde islamique, responsable de la coordination interministérielle des divers aspects des politiques axées sur le dialogue. Le commissaire est épaulé dans son travail par un groupe pour le dialogue avec le monde islamique constitué de hauts fonctionnaires et d’experts indépendants. Ce groupe a également accès à quelque 26 conseillers en dialogue, recrutés essentiellement en dehors du service extérieur allemand pour des raisons de langue et autres, en poste dans les missions allemandes à l’étranger, surtout dans des pays islamiques102.

Obtenir la collaboration des musulmans canadiens

La présence des musulmans au Canada n’est pas nouvelle. La Mosquée Al Rashid d’Edmonton, construite en 1938, est la plus ancienne mosquée d’Amérique du Nord, et l’Institut des études islamiques de l’Université McGill a plus de 50 ans. La population musulmane canadienne a augmenté de façon spectaculaire au cours des dernières décennies, et, contrairement à ce qui se passe en Europe ou aux États-Unis, où le modèle dominant est l’assimilation, le Canada a mis l’accent sur les politiques de multiculturalisme et de pluralisme, ce dont se sont félicités les témoins musulmans et autres, ce qui a permis de mettre sur pied une communauté unique à bien des égards. Entre autres caractéristiques, la communauté musulmane canadienne dispose d’un nombre important de chefs qui sont des femmes et le président du Canadian Islamic Congress a déclaré qu’ils étaient en train de créer une nouvelle culture103. La communauté musulmane canadienne regroupe divers courants d’opinion et constitue une tribune active. Même si l’ouvrage récent de Mme Irshad Manji intitulé The Trouble With Islam: Wake-Up Call For Honesty and Change104 ne reflète certainement pas l’opinion de la majorité des musulmans canadiens, le fait qu’un membre de la communauté se soit senti libre de s’exprimer est de bon augure.

Le Canada n’a certes pas eu de colonies, mais ce sont aussi ses politiques, comme le multiculturalisme et le pluralisme, qui ont amélioré son image dans le monde musulman. Si les musulmans canadiens jouent un rôle toujours plus grand dans tous les domaines de la vie nationale — les forces canadiennes ont nommé leur premier aumônier musulman en décembre 2003 — il reste encore beaucoup à faire, selon des témoins, pour que les musulmans canadiens contribuent à l’élaboration des politiques publiques dans un certain nombre de domaines comme la politique étrangère.

Mme Wahida Valiante, du Congrès islamique canadien, a déclaré devant le Comité que «  …  bien que les musulmans constituent une minorité importante au Canada, puisqu’ils sont environ 650 000, ils n’ont que très peu d’influence sur la politique intérieure ou étrangère de notre pays105  ». Elle a indiqué que cet état de fait trouvait en partie sa cause dans la communauté musulmane elle-même, ajoutant que les musulmans «  …  ne possèdent pas une compréhension unifiée du système politique et de l’importance d’inciter des représentants politiques à participer activement aux débats sur les enjeux d’importance nationale et internationale. Il s’agit là d’un élément vital pour être un citoyen d’une société démocratique  ».

Mme Valiante a fait remarquer, au sujet de la politique étrangère, que «  dans la communauté musulmane, on entretient une perception selon laquelle les théories socio-politiques, telles que le choc des civilisations, et les a priori anti-islamiques exprimés dans les médias ont une influence sur la politique étrangère du Canada et sur ses relations avec le monde islamique. À l’échelle nationale, de nombreux musulmans considèrent qu’ils ne peuvent pas vraiment influer sur les politiques étrangère et intérieure du Canada, tout particulièrement lorsqu’il s’agit de la Palestine  ». Elle a souligné «  l’absence de toute initiative ou de tout engagement de la part du gouvernement fédéral en vue de favoriser une meilleure compréhension du monde islamique  », indiquant qu’il serait possible remédier à cette situation en créant à Ottawa un portefeuille ou un ministère des affaires musulmanes. Plus simplement, elle a ajouté qu’«  on invite rarement les musulmans du Canada à prendre part à des discussions politiques sur les questions touchant le monde musulman ou à siéger à des comités chargés d’élaborer des stratégies et des programmes s’adressant aux musulmans du Canada et de l’étranger  ». M. Mazen Chouaib a confirmé ce point, soulignant que «  les Canadiens de tout horizon ont un rôle à jouer dans la conception de notre politique étrangère106  ».

Les consultations, en matière d’élaboration de politique étrangère, ne constituent pas une panacée. Il apparaît cependant évident qu’il est nécessaire de prendre des mesures étant donné l’impression qu’ont certains que les vues des musulmans canadiens ne semblent pas être suffisamment considérées et de s’assurer que ceux-ci, comme d’autres, soient pleinement consultés sur l’élaboration de la politique étrangère du Canada. Au-delà d’un simple souci de transparence, des consultations régulières en bonne et due forme permettront de garantir que la politique étrangère du Canada bénéficie des connaissances et de l’expérience qui sont propres aux Canadiens musulmans. Le ministre des Affaires étrangères, l’honorable Bill Graham, a déclaré devant un auditoire américain à l’automne 2003 que «  nos deux nations sont riches d’une population musulmane croissante […] nos pays […] partagent un même souci d’établir, partout dans le monde, un dialogue avec des interlocuteurs musulmans modérés, et les importantes communautés musulmanes établies au sein de nos frontières peuvent nous y aider107  ». Mme Ann Thomson, de la Société asiatique des partenaires Canada, a été plus précise encore, affirmant que «  dans nos relations avec les communautés et les pays musulmans, nous devons nous appuyer sur les connaissances et l’expertise des organisations musulmanes du Canada. Le gouvernement canadien peut collaborer étroitement avec les organisations musulmanes progressistes oeuvrant pour la justice sociale et aider à la création de partenariats solides et concrets entre ces dernières et des organisations oeuvrant dans les pays à majorité ou à minorités musulmanes108  ».

M. Salim Mansur s’est déclaré en accord avec cette déclaration, mais y a ajouté deux mises en garde qui font écho au témoignage du British Foreign and Commonwealth Office :

… il serait bon que le Canada s’engage de façon entière, et avec succès, auprès du monde musulman. Cela signifie la prise d’un engagement constructif et énergique à l’égard des Canadiens de religion musulmane. Cela signifie accepter la diversité d’opinions parmi les musulmans du Canada, reconnaître que, puisque l’Islam est une religion universelle, les musulmans du Canada, qui proviennent des quatre coins du monde, apportent ici des cultures et des langues variées qui contribuent à la richesse de la mosaïque canadienne. Mais il ne faudrait pas pour autant que cette ouverture donne lieu à un changement unidirectionnel ou que la tradition et l’histoire du Canada […] soient diluées de quelque façon pour répondre aux exigences d’une seule composante de la famille multiculturelle canadienne109.

Le Comité convient qu’il est essentiel de s’assurer que les musulmans canadiens, ainsi que d’autres groupes, soient consultés dans le cadre de l’élaboration continue de la politique étrangère canadienne. Au-delà du simple souci de transparence, cette démarche permettra de faire en sorte que la politique étrangère du Canada bénéficie des connaissances et de l’expérience qui leur sont propres, tant dans le cadre de nos relations avec les pays du monde musulman que dans un cadre plus général.

Éléments d’une approche à long terme

Il n’existe à l’heure actuelle que quatre façons pour les populations du monde, et du monde musulman en particulier, d’êtres mises en contact avec le Canada : premièrement, grâce à des efforts politiques tels que notre action à l’ONU ou les missions de maintien de la paix; deuxièmement, grâce aux échanges culturels, dont les séjours de ressortissants étrangers étudiant au Canada; troisièmement, grâce au commerce extérieur, et notamment à l’exportation de produits culturels canadiens et, quatrièmement, grâce à l’aide à l’étranger. Il n’est pas aisé de savoir laquelle de ces formes permet le mieux de promouvoir le Canada et ses valeurs, mais il est clair du moins que les échanges commerciaux constituent la forme la plus lucrative. À longue échéance, toutefois, la façon la plus efficace de promouvoir le Canada est d’accueillir des étudiants étrangers dans les universités canadiennes110.

Mme Sheema Khan Council on American Islamic Relations (Canada)

Outre la nécessité d’une consultation constante et élargie des musulmans et d’autres Canadiens dans le cadre de l’élaboration de notre politique étrangère, un certain nombre d’autres thèmes, présentés ci-après, ont également été abordés aux cours des audiences et des déplacements du Comité. Leur accorder l’attention qu’ils méritent permettra au Canada d’élaborer une approche constructive de ses relations avec les pays du monde musulman. Bien que le mandat du Comité n’inclue pas les questions intérieures, le fait que les témoins aient réclamé, d’une voix quasi unanime, de plus grandes connaissances et une meilleure communication de cette dernière au Canada comme à l’étranger, un dialogue entre musulmans et non-musulmans, ainsi que le réexamen des mesures de sécurité, a bien entendu des conséquences tant sur la politique intérieure que sur la politique étrangère.

Éducation et dialogue

Nous sommes aujourd’hui les témoins d’un conflit né de l’ignorance, d’une ignorance mutuelle qui est déjà ancienne et à laquelle les pays occidentaux et musulmans sont demeurés, à leurs risques et périls, aveugles durant des décennies.

Son Altesse l’Aga Khan

La recommandation la plus fréquemment formulée devant le Comité a porté sans aucun doute sur la nécessité d’une meilleure éducation, au Canada comme à l’étranger, et d’un éventail d’activités de dialogue. Ainsi, d’après le Congrès islamique canadien :

La politique étrangère du Canada envers le monde musulman devrait présenter des orientations claires visant à engager un dialogue avec les intellectuels et les érudits musulmans ici, au Canada, tout comme dans les pays islamiques, et ce, dans le but d’accélérer l’échange d’idées, de compétences, de connaissances et d’expériences favorisant l’instauration ou la reconstruction de sociétés civiles et de démocraties empreintes de diversité, de moralité et d’égalité.

Les Canadiens ont encore beaucoup à apprendre au sujet de l’Islam et des musulmans, et c’est pourquoi il est essentiel d’éduquer le public afin de promouvoir l’harmonie, la paix et les droits de la personne. L’éducation peut permettre de remédier aux inquiétudes du Canada en matière de sécurité en encourageant la justice sociale au Canada comme à l’étranger, et en résolvant les conflits selon les principes et la morale de la justice naturelle, qui constituent la meilleure garantie pour la sécurité mondiale111.

Pour ce qui est de l’éducation, comme l’a souligné M. David Dewitt, «  [celle-ci] vise toujours le progrès, […] elle peut prendre diverses formes et recourir à divers moyens112  ». M. Noah Feldman a déclaré que «  l’éducation est essentielle, parce que la démocratie qui va naître, si jamais elle doit naître dans le monde musulman, ressemblera fort peu à notre démocratie […] L’éducation nécessite tout d’abord l’apprentissage des langues […] Elle nécessite aussi de surmonter la crainte de la religion113  ».

Même si l’on a mentionné la nécessité de collaborer avec les provinces selon les besoins en matière d’éducation et d’activités de dialogue au Canada, la question, plus traditionnelle en matière de politique étrangère, du soutien à l’éducation au-delà de nos frontières a également été fréquemment abordée, tant à Ottawa que durant les déplacements du Comité à l’étranger. M. Nazeer Ladhani a déclaré, après avoir d’abord mis l’accent sur le pluralisme, que la deuxième recommandation de la Fondation Aga Khan Canada était : «  éduquer, éduquer, éduquer  », ajoutant que «  …, et c’est peut-être le plus important de tout, nous devons nous concentrer sur l’amélioration de la qualité de l’éducation et de l’accès à cette dernière à tous les niveaux du monde musulman. Il faut, notamment, améliorer l’éducation afin de favoriser l’esprit de curiosité, d’encourager la réflexion novatrice, et de promouvoir la tolérance. Au bout du compte, remplacer l’ignorance et le désespoir par des connaissances, des compétences et des perspectives pour les hommes, et plus encore pour les femmes, constitue le meilleur moyen de lutter contre la pauvreté et l’isolement qui mènent trop souvent à l’intolérance et à l’extrémisme114  ». La sénatrice Mobina Jaffer a quant à elle déclaré que «  … le domaine où notre pays est le mieux à même de laisser sa marque est celui de l’éducation des filles dans les pays musulmans  ». Puis, en septembre 2003, le Secrétaire d’État pour l’Asie-Pacifique, M. David Kilgour, a parlé du besoin d’«  appuyer les programmes d’études qui fournissent une solution de rechange aux systèmes à courte vue qui perpétuent l’intolérance115 ».

Comme nous le verrons plus loin, l’Université McGill (Montréal) a une longue tradition d’échanges universitaires avec l’Indonésie, qui sont encensés dans toute la région, se sont également révélés avoir des répercussions positives sur des problèmes tels que celui de la pauvreté116. Tariq Ismael a déclaré que «  nos universités ont une réputation internationale qui est quasi identique à celle dont jouissent les universités américaines, mais sans susciter la même méfiance politique, si vous voyez ce que je veux dire117  ». Il a proposé de développer les échanges universitaires, avec l’Irak en particulier, dans le but de créer, à Bagdad, une université internationale. Comme nous l’avons déjà souligné ci-dessus, Mme Sheema Khan a déclaré que, «  à longue échéance […] la façon la plus efficace de promouvoir le Canada est d’accueillir des étudiants étrangers dans les universités canadiennes  ». Elle a ajouté que, «  ces dernières années, en raison des restrictions imposées en matière de visa, le nombre d’étudiants étrangers diplômés cherchant à poursuivre leurs études aux États-Unis a considérablement baissé. C’est l’occasion pour le Canada de prendre le relais, mais il faudrait pour cela investir dans des bourses d’étude. Il est possible de transmettre aux étudiants étrangers les valeurs canadiennes que sont la tolérance, l’équité, le pluralisme et le respect mutuel, et d’édifier ainsi un monde meilleur118  ». De telles mesures ont d’autant plus leur raison d’être dans le contexte d’une population de jeunes, déjà nombreux et dont les rangs ne cessent de croître, dans presque toutes les sociétés musulmanes.

Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international a reconnu la nécessité d’approfondir les relations du Canada avec le monde musulman. Depuis un certain nombre d’années, le Centre canadien pour le développement de la politique étrangère a parrainé une série de tables rondes réunissant des experts sur la question au cours desquelles ont été formulées des recommandations qui ont été par la suite résumées par M. Suman Bhattacharyya. En matière d’éducation et de dialogue, celui-ci écrit que :

pour combattre l’ignorance, des projets éducatifs pourraient, au Canada, s’attaquer aux idées erronées au sujet du monde islamique et faire connaître l’existence de débats au sein de l’Islam […] Le Canada pourrait aussi jouer un rôle important en apportant son soutien à l’éducation au sein des communautés musulmanes, et notamment à la formation des femmes musulmanes sur leurs droits au sein de l’Islam et sur la façon dont ces droits peuvent contribuer à leur donner plus de pouvoir. Les établissements d’enseignement canadiens pourraient être extrêmement utiles à cet égard en continuant de soutenir les échanges éducatifs et culturels 119.

Hormis l’éducation, qui est essentielle, mais qui n’en demeure pas moins une solution à long terme, les témoins ont clairement souligné le besoin d’un dialogue accru à différents niveaux. Selon Raja Khouri, «  il faut établir un pont entre ces deux cultures. Le problème le plus grave qui se pose aujourd’hui est simplement que le fossé ne fait que se creuser. Les choses allaient beaucoup mieux auparavant, mais, désormais, le fossé se creuse. Comme le démontrent les chiffres que vous a présentés Sheema, c’est là le plus grave problème, et il faut absolument combler ce fossé. Cela ne sera possible que grâce au dialogue et à l’éducation, à toujours plus d’éducation120  ».

Le dialogue, à l’instar de l’éducation ainsi que d’une meilleure génération et communication du savoir, peut bien évidemment prendre plusieurs formes. En juin 2003, l’organisation Women Engaging in Bridge Building a tenu sur la colline parlementaire une conférence d’une journée intitulée « Diversity in Islam —  Bridging the Gap ». Les témoins ont suggéré des initiatives telles que des conférences internationales ou la création d’une tournée d’exposés présentés par des experts venus de tout le monde musulman. Le Comité a été très chaleureusement accueilli tout au long de ses déplacements dans le monde musulman, et le Professeur Turgay a souligné que ce dialogue pouvait également prendre la forme d’échanges diplomatiques parlementaires. Ainsi a-t-il déclaré que «  les musulmans eux-mêmes essaient de comprendre le monde islamique d’aujourd’hui. Ce n’est pas très facile, car c’est un monde en permanente mutation. Compte tenu de la diversité du monde musulman, de la vitalité de l’Islam et sachant qu’ils seront encore là dans Dieu sait combien de temps, il nous incombe de faire tout notre possible pour comprendre l’Islam. Cela signifie des audiences, des conférences, et de nombreux voyages pour les membres de ce comité et de la classe politique121  ».

Bien que ces recommandations en faveur d’un dialogue accru semblent porter plus sur la forme que sur le fond, le Comité n’a pu qu’acquiescer lorsque le Secrétaire d’État pour l’Asie-Pacifique, David Kilgour, a déclaré, à l’automne 2003, que «  l’objectif d’un dialogue véritable ne consiste pas nécessairement à s’entendre, mais surtout à promouvoir le respect mutuel122  ». Mme Karen Armstrong s’est contentée de remarquer que toute initiative visant à établir un dialogue créatif dénué de ricanements ou d’insultes devait être encouragée. Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce était l’un des parrains de la conférence internationale qui s’est tenue à l’automne dernier à Montréal sur le thème du Canada et de l’Islam en Asie, et le Comité l’encourage à poursuivre ses initiatives en ce sens.

Les valeurs et la culture canadiennes

Les témoins ont clairement indiqué que, d’après eux, au-delà des valeurs universelles que sont les droits de la personne, les valeurs fondamentales du Canada que sont le pluralisme et le multiculturalisme, qui contribuent grandement à l’image positive du Canada à l’étranger et inspirent un profond respect dans le monde musulman, devraient demeurer au cœur de la diplomatie et des initiatives publiques canadiennes. Mme Sheema Khan convient qu’«  il est clair que notre politique étrangère devrait être distinctivement canadienne, en harmonie avec nos valeurs essentielles que sont la compassion, l’équité et la justice  ». Elle a ajouté, cependant, que «  toute contradiction entre nos paroles et nos actes ne fera que susciter la méfiance123  ».

Se prononçant en faveur d’une définition élargie du «  pluralisme  », M. Nazeer Ladhani de la Fondation Aga Khan Canada a recommandé au gouvernement canadien «  de voir dans le pluralisme une ressource stratégique clé pour les relations étrangères du Canada. Une politique étrangère axée davantage sur le pluralisme — valeur fondamentale et élément déterminant de la culture canadienne — bonifierait les relations entre le Canada et le monde musulman et, d’une manière plus générale, accroîtrait la sécurité et la prospérité au Canada et dans le monde124  ». Il a par la suite ajouté que «  nous devons identifier et appuyer les institutions et les initiatives qui contribuent à faire connaître les valeurs, les intérêts et les expériences du Canada au monde musulman […]. Il existe de nombreux et solides partenaires potentiels, au Canada comme dans les institutions de la société civile du monde musulman, pour établir un lien et communiquer avec les peuples musulmans125  ».

M. Mazen Chouaib a souligné que «  la promotion de la culture et des valeurs canadiennes est un élément clé de la politique étrangère du Canada, et pourtant peu de progrès importants ont été faits dans ce domaine en dépit de toutes les occasions qui sont offertes  ». Il a en particulier souligné que des pays tels que la France ou le Royaume-Uni disposent, au Moyen-Orient, de nombreux centres culturels constituant «  un outil pragmatique qui permet d’améliorer les relations et la compréhension mutuelle126  ». Lors de leur séjour à Paris, les membres du Comité ont tenu séance au Centre culturel canadien et, comme nous le verrons plus loin, une suggestion leur y a été faite en vue de créer un tel centre au Moyen-Orient.

Soutenir la société civile et la démocratisation

La politique étrangère canadienne reconnaît depuis longtemps l’importance de soutenir à l’étranger les sociétés civiles, tout particulièrement en tant que facteur clé du processus de démocratisation. Il s’agit bien entendu d’une démarche à long terme et M. Nazeer Ladhani nous a avertis qu’il ne faut pas se contenter simplement de la tenue d’élections. M. David Dewitt a indiqué que ce soutien peut prendre plusieurs formes : «  Lorsque des occasions d’aider les peuples de ces pays à mettre en place un programme de réforme axé sur une politique démocratique se présentent, nous devons être prêts à investir à divers niveaux […] Il peut s’agir de réformer le secteur de la sécurité, de libéraliser des échanges commerciaux, de développer l’éducation ou, plus particulièrement, de renforcer les capacités des institutions civiques de ces pays. Notre action devrait traduire notre intérêt pour la bonne gouvernance, pour la transparence et pour le recul de la violence, qui figuraient naguère au programme de l’ACDI127  ».

À Londres, M. Gwynne Dyer a déclaré aux membres du Comité que l’Occident n’a pas à exporter la démocratie où que ce soit, et que la meilleure contribution que le Canada puisse faire au regard des «  valeurs humaines communes  » est d’appuyer les initiatives musulmanes en matière de défense des droits de la personne et de société civile. M. Raja Khouri a déclaré que «  le Canada devrait lancer en Occident une initiative, en matière d’économie, de commerce et de développement, visant à encourager chez les gouvernements du monde musulman la réforme, la démocratisation ainsi que l’ouverture de leurs systèmes et de leurs institutions. Inversement, les gouvernements qui ne procèderaient pas à de telles réformes ne devraient recevoir ni armes ni aide économique128  ». Mme Ann Thomson a quant à elle déclaré que «  les sociétés civiles actives et démocratiques favorisent le pluralisme, la tolérance et la coopération. Le Canada doit soutenir la structure humaine davantage que l’infrastructure129  ».

De l’avis de nombreux témoins, le Canada devrait accorder un appui solide aux sociétés civiles des pays du monde musulman. Plusieurs autres, par ailleurs, ont fait valoir qu’il fallait éviter de donner l’impression de chercher à influencer ce qu’ils considèrent comme un débat essentiellement interne. Selon M. Uner Turgay, «  Le monde musulman est très avide de l’exemple de société civile du Canada. On peut apporter cela par le biais de programmes d’échanges. […] Et les syndicats sont importants. Ils peuvent former les syndicalistes. Nous pouvons éduquer les membres d’organisations en les invitant ici pour des séjours de courte durée ou en envoyant des personnes d’ici là-bas. Je crois que c’est très important130.  » Il a toutefois précisé :

… qu’il serait risqué de soutenir ouvertement les organisations islamiques libérales. Par contre, il est vrai que le Canada se débrouille bien pour ce qui est des petits projets qui permettent de rapprocher la population locale de l’Occident et de montrer que nous sommes sensibles aux questions islamiques. C’est une question à laquelle il n’y a pas de réponse évidente ...

Par contre, si un groupe civique lutte contre la peine capitale là-bas, je pense qu’on peut le soutenir. Je ne vois pas pourquoi ce serait problématique. Il ne faut pas donner l’impression qu’on intervient, mais il faut qu’on défende nos principes. Il le faut131.

Le terrorisme et la sécurité

Tous les témoins ont convenu qu’il fallait condamner le terrorisme et la mort de civils innocents, mais M. Raja Khouri de la Fédération canado-arabe et d’autres ont soutenu que le Canada devrait considérer même les attentats suicides dans le contexte politique plus général. Même si au Canada certains musulmans et d’autres défendent le terrorisme, le Comité souscrit à l’opinion de la vaste majorité des témoins selon laquelle ces personnes représentent une infime minorité. Il donne toutefois raison à l’ancien directeur du SCRS, M. Reid Morden, et à M. Salim Mansur, qui ont affirmé qu’il fallait éviter, dans le premier cas, la complaisance et, dans le second, la rectitude politique.

En plus de suggérer que le gouvernement doit faire plus pour mieux représenter et protéger ses citoyens musulmans, plusieurs témoins estiment qu’il doit également faire preuve de modération à certains égards, particulièrement en matière de sécurité et d’immigration. Selon M. Raja Khouri, «  L’attentat du 11 septembre et le programme sécuritaire qui s’est imposé depuis nous ont essentiellement distingués des autres Canadiens, d’abord parce qu’on nous a taxés de culpabilité par association, à cause de la suspicion envers les Arabes et les musulmans après les événements du 11 septembre, puis à cause du projet de loi C-36 et l’actuel projet de loi C-18, l’accès légal, etc., et des actions gouvernementales qui ont placé la sécurité au-dessus des droits humains et civils dans notre pays132.  » Il a fait remarquer que :

… le Canada doit sensibiliser ses propres institutions et sa population au monde musulman, à sa culture et à sa politique. Des institutions politiques canadiennes ont montré une compréhension superficielle et stéréotypée des arabes et des musulmans canadiens, ce qui est manifeste dans la manière empreinte d’ignorance et de gaucherie, et souvent aussi blessante, avec laquelle les organismes de sécurité les ont traités depuis le 11 septembre 2001. D’ailleurs, les mesures prises par le ministère de l’Immigration et le Solliciteur général envers nos communautés ont souvent été perçues comme hostiles, et l’attitude du ministère de la Justice a souvent été pour le moins indifférente …

Pour que le Canada améliore ses relations avec les pays musulmans, il doit tout d’abord mettre de l’ordre chez lui en comprenant les Arabes et les musulmans qui y vivent, en les écoutant et en protégeant leurs droits. Il faut mettre fin à tout profilage racial et l’agenda de la sécurité ne doit pas primer sur l’engagement du Canada envers le multiculturalisme et le respect des droits de l’homme133.

Tous les Canadiens sont d’accord pour poursuivre la lutte internationale contre le terrorisme, et la majorité conviendrait sans doute que le meilleur moyen serait de resserrer la collaboration internationale dans les domaines du renseignement, de la sécurité et d’autres. Compte tenu des critiques justifiées concernant certains aspects de la lutte contre le terrorisme, toutefois, le Comité croit qu’il ne fait pas preuve de servilité ou de rectitude politique en convenant avec l’ancien diplomate canadien, M. Ferry de Kerckhove, ancien haut-commissaire au Pakistan et ambassadeur en Indonésie, qui, en son nom personnel à l’automne 2003, a soutenu qu’il est manifestement nécessaire d’établir un nouveau paradigme en matière de sécurité pour lutter contre le terrorisme. Les communautés musulmanes en Occident devraient participer à son élaboration ou, à tout le moins, être invitées à la table de discussion de ses grandes lignes, à la fois pour les rassurer qu’il ne s’agit pas d’un paradigme anti-islamiste et pour connaître leur point de vue sur les mesures à prendre pour lutter contre le terrorisme islamiste134  ». Par conséquent, le Comité se réjouit de la création imminente d’un comité parlementaire permanent sur la sécurité nationale, comme il l’a recommandé en décembre 2002, et de l’enquête publique sur l’affaire Maher Arar. Ces deux initiatives devraient contribuer à affermir la politique officielle dans ce domaine, notamment les relations entre les services consulaires à l’étranger et les organismes de sécurité au pays.

Les droits de la personne

Les témoins — particulièrement les musulmans canadiens — ont clairement exigé que le gouvernement canadien se prononce fermement contre toutes les violations des droits de la personne, notamment celles commises par les États à majorité musulmane. Comme l’a affirmé M. Raja Khouri :

… nous devons défendre les droits de la personne pour tous les peuples dans tous les pays. Les droits de la personne sont universels et indivisibles et plus qu’un slogan à brandir lors de conférences et de forums internationaux. Nous devons prôner le respect des droits de la personne dans des pays comme la Tchétchénie, la Chine, l’Arabie saoudite, la Jordanie et l’Égypte. Il faudra peut-être que nos intérêts en souffrent à court terme si nous refusons de composer avec certains régimes «  alliés  », afin d’aider à long terme la démocratie et la stabilité à s’enraciner135.

Mme Sheema Khan, du Council on American-Islamic Relations Canada, a souscrit à ces propos et a ajouté que : «  Il faut élever la voix lorsque sont menacés ceux qui défendent les valeurs humaines fondamentales, qui sont universelles. Je pense qu’il faut être plus vigoureux sur ce point136.  » Comme l’a soutenu le professeur Uner Turgay, cité antérieurement, certains gouvernements musulmans se cachent derrière l’Islam et derrière le relativisme culturel, et il ajoute : «  … Par exemple le fait que l’Arabie Saoudite soutienne les châtiments corporels — on y coupe les mains et on y tranche les têtes. Il faut qu’on s’oppose à ce genre de chose, peu importe le prix. Il s’agit de nos valeurs fondamentales137.  » Le Comité convient que le Canada doit continuer de dénoncer vigoureusement toutes les violations des droits de la personne, y compris celles commises par des États à majorité musulmane.

Mettre l’accent sur les droits des femmes et des minorités

Au-delà de la nécessité de défendre des droits de la personne universels, bon nombre de témoins et de groupes que le Comité a entendus au Canada et partout dans le monde musulman ont parlé des difficultés particulières auxquelles les femmes et les minorités sont aux prises. Selon M. Noah Feldman, même si le fait que l’on traite les femmes et les membres des minorités comme des citoyens de deuxième classe dans les pays musulmans est difficilement justifiable au nom de l’islam, c’est un fait, bien que cela soit aussi vrai dans de nombreux États non islamiques138. Dans son témoignage devant le Comité, la sénatrice Mobina Jaffer a souligné l’importance des droits des femmes et des minorités — particulièrement l’importance de l’éducation. Elle a proposé que le Comité, au cours de ses déplacements dans le monde musulman, pose «  les mêmes questions aux femmes et aux minorités de ces pays, de façon à aider notre pays et d’autres pays à élaborer des politiques étrangères qui assureront des partenariats durables  »139.

La question des droits des femmes a fait l’objet de discussions très approfondies durant les réunions au Moyen-Orient et en Asie où les membres ont rencontré des femmes parlementaires, des militantes reconnues, des représentantes d’organisations de défense des droits des femmes, des universitaires, des journalistes, etc. Comme nous l’avons mentionné plus haut, la sénatrice Jaffer a insisté sur l’importance des droits des femmes — plus particulièrement l’importance de l’éducation pour la libération des femmes — en faisant valoir que le Canada devrait continuer d’intervenir à cet égard par l’intermédiaire de l’ACDI et de divers programmes. Comme nous l’avons vu à la Partie I, les porte-parole du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique (CIDPDD) ont également entretenu le Comité du travail accompli par le Centre en faveur des droits des femmes en Afghanistan et ailleurs, et il existe des façons concrètes et économiques qui permettraient au Canada de continuer d’œuvrer en vue de faire progresser les droits des femmes.

Quant aux minorités, Mme Iris Almeida du CIDPDD a dit au Comité que «  le problème des minorités […] devient une des questions-clé pour comprendre et gérer la diversité et le pluralisme démocratique dans plusieurs pays140  ». Alors que les problèmes des minorités ont été soulevés dans de nombreux pays, comme nous l’avons vu plus haut et comme nous le verrons plus loin, ils ont pris une importance particulière pour le Comité lorsque celui-ci s’est rendu en Inde, car la population musulmane minoritaire y est l’une des plus importantes au monde.

Il faut également protéger les droits des minorités au Canada, et, comme nous l’avons déjà indiqué, de nombreux musulmans canadiens ont fait valoir au Comité que les politiques gouvernementales en matière de sécurité sont discriminatoires à leur égard depuis le 11 septembre 2001. La sénatrice Jaffer a fait la même remarque dans un discours qu’elle a prononcé au Sénat en février 2004 lors de la deuxième lecture de la Loi sur la sécurité publique de 2002. En parlant de la nécessité de protéger «  quelqu’un qui me ressemble » elle a ajouté que :

les événements du 11 septembre ont été tragiques. Ils ont changé notre pays et le monde tel que nous les connaissions. Nous devions réagir. Je ne le conteste pas. Nous devions veiller à ce que notre gouvernement ait les pouvoirs nécessaires pour intervenir advenant une autre attaque. Je ne le conteste pas. Il était de notre devoir de prendre les mesures qui s’imposaient, et c’est ce que nous avons fait. Toutefois, […] n’oublions jamais que nous avons […] le devoir de garantir le respect des droits et des libertés civiles de tous les citoyens, et de veiller à leur protection. Il s’agit là d’un élément fondamental du système canadien et de la sécurité de notre pays141.

Protéger les Canadiens et accroître la défense des intérêts diplomatiques

Des milliers de Canadiens ont malheureusement été incarcérés à l’étranger au fil des années, et presque trois quarts des quelque 3 000 Canadiens actuellement en prison se trouvent aux États-Unis, condamnés pour des infractions reliées à la drogue. Au cours de la dernière année, toutefois, des affaires ayant eu beaucoup de retentissement comme les affaires Maher Arar, Zahra Kazemi et William Sampson, ont enseigné aux Canadiens qu’il faut non seulement condamner les violations des droits de la personne en général, mais prendre des mesures plus énergiques pour protéger les Canadiens incarcérés illégalement, torturés, voire assassinés à l’étranger. À l’automne 2003, à la suite de plusieurs audiences consacrées à la question plus générale de l’emprisonnement à l’étranger de ressortissants canadiens et plus particulièrement à l’affaire Maher Arar, le Comité a adopté à la majorité une résolution demandant une enquête publique dans cette affaire142. Il se réjouit par conséquent de l’annonce faite par le gouvernement au début de 2004 de tenir cette enquête qu’il considère comme une étape importante en vue de tirer des leçons pour l’avenir. Nous reviendrons sur l’affaire Zahra Kazemi en Iran et l’affaire William Sampson en Arabie Saoudite plus loin dans les sections consacrées à ces pays.

Après avoir entendu les témoignages du ministre des Affaires étrangères et des hauts fonctionnaires sur cette question l’année dernière, le Comité convient qu’il faut adopter une stratégie plus agressive en pratiquant une diplomatie efficace plutôt que «  douce  » ou «  ferme  » afin de protéger tous les Canadiens. Avant sa nomination au conseil des ministres, l’honorable Irwin Cotler, ancien membre du Comité, a publié ce qu’il a appelé les dix règles de défense des intérêts diplomatiques qu’il recommande au gouvernement canadien de mettre en pratique afin de mieux protéger les Canadiens détenus à l’étranger. Il a fait valoir «  qu’il est temps que le Canada fasse clairement comprendre qu’il ne restera pas impassible pendant que ses citoyens sont illégalement détenus, incarcérés, maltraités et torturés143  ». Le Comité se réjouit également de la nomination par le gouvernement en décembre 2003 d’un nouveau secrétaire parlementaire auprès du ministre des Affaires étrangères qui a pour tâche de s’occuper plus particulièrement du sort des Canadiens à l’étranger. La dixième recommandation de M. Cotler était que le «  Parlement doit intervenir davantage dans la défense et la protection des citoyens canadiens illégalement détenus à l’étranger  ». Le Comité est d’accord et, outre les audiences qu’il a déjà tenues, il continuera de mettre l’accent sur ces questions importantes.

La diplomatie ouverte et les médias

Plusieurs suggestions avancées durant l’étude du Comité pourraient être considérées comme des éléments d’une «  diplomatie ouverte  ». M. Reid Morden, qui est non seulement un ancien directeur du SCRS mais également un ancien sous-ministre des Affaires étrangères, a employé les mots suivants pour expliquer ce terme : «  il ne s’agit pas simplement d’agir, mais de faire savoir qu’on agit144  ». De manière plus officielle, le Advisory Committee on Public Diplomacy nommé par le Congrès américain a soutenu dans son rapport de 2003, Changing Minds, Winning Peace: A New Strategic Direction for U.S. Public Diplomacy in the Arab and Muslim World, que «  la diplomatie ouverte est la promotion de l’intérêt national en informant, convainquant et influençant des gens partout dans le monde145  ».

Au cours des dernières années, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international a reconnu la nécessité accrue d’une diplomatie ouverte, laquelle, selon M. Jean-Phillipe Tachdjian de l’ambassade canadienne en Égypte dans un mémoire personnel remis au Comité, «  est un vaste champ d’action aux multiples facettes : défense des droits, relations avec les médias, promotion de l’enseignement, et affaires culturelles en général  ». Faisant remarquer que cela signifie entre autres expliquer aux gens «  … ce que sont les Canadiens (notre identité propre et spécifique) et de qu’ils ne sont pas (ni américains ni européens)  », il a fait valoir que les ressources actuellement consacrées à ces fonctions en Égypte et ailleurs sont insuffisantes146. De même, le politologue Denis Stairs a déclaré récemment qu’il «  est impossible de satisfaire les besoins accrus de la ‘diplomatie ouverte’ sans augmenter les effectifs147  ».

Plusieurs témoins en Asie ont affirmé que le Canada devrait songer à établir une présence télévisuelle par satellite afin de diffuser des nouvelles canadiennes ou d’autre contenu canadien. De plus, dans un survol des relations du Canada avec la région de l’Asie et du Pacifique, M. Daryl Copeland, diplomate chevronné, a suggéré au gouvernement «  d’assurer une présence télévisuelle par satellite — l’absence du Canada a un effet paralysant148  ». Interrogé sur la question par un membre du Comité à l’automne 2003, le président et directeur général de la Société Radio-Canada, M. Robert Rabinovich, a répondu : «  Il ne fait donc pas de doute qu’il existe une demande pour ce service. Nous aimerions beaucoup envisager l’expansion et la mise sur pied d’une chaîne de télévision étrangère partout dans le monde parce que RCI [Radio Canada International] n’est que la radio.  » À une question sur les coûts, il a répondu : «  C’est relativement faisable, surtout si nous pouvions attirer quelques radiodiffuseurs publics comme les Australiens et d’autres. […] Ce n’est pas que c’est très cher, mais ce n’est pas donné, et il faudrait que le gouvernement engage des fonds et exprime le souhait de le faire pour nous engager dans cette voie149.  »

Renforcer les instruments de politique étrangère

Alors que les principes précédents permettront au Canada de revoir et de renforcer les éléments clés de sa politique étrangère concernant les relations qu’il entretient avec les pays du monde musulman, le professeur Syed Serajul Islam a recommandé au gouvernement de «  créer un conseil interministériel ayant pour mandat d’examiner les relations du Canada avec le monde musulman et de recommander les mesures à prendre à cet égard150  ».

De façon plus générale, les audiences du Comité ont encore une fois mis en lumière différents secteurs pour lesquels le Canada doit réexaminer les outils à l’aide desquels il appliquera sa politique des «  trois D et C  » (défense, développement, diplomatie et commerce)151  ». Comme l’a défendu M. David Dewitt : «  … nous devons reconsidérer nos capacités, notamment en matière de défense et à l’égard de l’ACDI et de nos politiques de développement. Il faut renforcer et réorienter les capacités de ces trois secteurs. Si nous ne pouvons pas tout faire, il faut choisir quoi, quand, où et comment nous souhaitons investir nos ressources limitées en les exploitant au mieux, et poursuivre une diplomatie secondaire dans ce domaine lorsque nous pouvons apporter quelque chose152  ». Plusieurs témoins ont parlé des programmes et des ressources de l’ACDI, et, dans le cas d’Israël et de la Palestine, l’ancien ambassadeur, M. Michael Bell, a fait remarquer que le Fonds pour la sécurité humaine du MAÉCI a été «  très efficace  ». M. Uner Turgay a ajouté que : «  … les missions ont des fonds pour des programmes d’échanges, qui sont d’ailleurs très limités, elles ont désespérément besoin de plus de fonds, aussi bien de fonds d’origine locale que de fonds d’échanges153  ». Alors que les ressources ne sont qu’un aspect du réexamen des instruments de la politique étrangère canadienne, comme toujours elles occuperont une place importante; comme l’a fait remarquer le Comité l’année dernière dans sa contribution au dialogue sur la politique étrangère : «  Aucune ressource ne remplacera jamais une politique, mais sans les ressources nécessaires, il ne sera pas possible de réaliser ni les objectifs, ni le potentiel de la politique154  ».

Les diplomates canadiens demeurent au premier plan pour ce qui est de conduire la politique étrangère du Canada, et le Comité réitère qu’il faut les rémunérer convenablement pour la tâche qu’ils accomplissent. La diversité du monde musulman accentue également l’importance d’augmenter le nombre d’agents du service extérieur capables de parler des langues comme l’arabe, en recrutant des personnes de la langue maternelle arabe et en donnant une formation linguistique plus poussée.

Alors qu’il est indispensable de s’assurer que le bureau central du MAÉCI dispose de suffisamment de ressources, ce sont les missions canadiennes dans le monde musulman et ailleurs qui, sur une base quotidienne, doivent expliquer le monde à Ottawa et Ottawa au monde. Sensible à l’importance d’une représentation diplomatique convenable, le gouvernement canadien a récemment accepté la recommandation du Comité d’augmenter la représentation canadienne aux États-Unis. De même, en élaborant une approche globale en matière de relations avec les pays du monde musulman, le gouvernement canadien devra sans doute augmenter ses ressources diplomatiques dans les régions et les pays clés.

Les attaques de septembre 2001 et les deux premières années de la guerre au terrorisme ont exposé les faiblesses communes des pays occidentaux en matière de renseignement en général et de capacités linguistiques en particulier. Le gouvernement canadien a augmenté les ressources du milieu du renseignement dans le budget fédéral de 2002, ce qui a permis d’améliorer ces capacités à cet égard. Au moins un observateur canadien d’expérience en Asie du Sud-Est, toutefois, a fait valoir que les nouvelles réalités géopolitiques dans cette région et ailleurs dans le monde exigeaient la création d’un service canadien du renseignement étranger. Alors que la majorité des témoins n’iraient sans doute pas aussi loin, leurs descriptions cumulatives de la complexité du monde musulman nous amènent à conclure que le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international doit adopter une approche proactive et s’assurer d’avoir une capacité d’évaluation indépendante à Ottawa pour traiter efficacement l’information qu’il reçoit de multiples sources[155.

RECOMMANDATION 3

Le gouvernement du Canada doit s’assurer de bien comprendre les particularités des pays très différents qui composent le monde musulman et adopter une approche à long terme constructive à leur égard. En particulier, le Comité est convaincu qu’il ne peut y avoir de progrès réel de la démocratie sans un processus sérieux d’accès à l’égalité pour les femmes — égalité économique, sociale et politique — en droit et en fait.

Dans le cadre d’une telle approche, le gouvernement devrait :

  tenir des consultations approfondies avec un vaste éventail de groupes, notamment des groupes musulmans dans le cadre de l’élaboration continue de sa politique étrangère;
  attacher plus d’importance à la production et à la communication des connaissances au Canada comme à l’étranger; appuyer à l’étranger les projets éducatifs laïcs favorisant les droits de la personne et les libertés individuelles et, prenant en exemple le succès du programme de l’Université McGill en Indonésie, encourager d’autres établissements d’enseignement canadiens à mettre en place des programmes similaires dans les pays musulmans, et ce en collaboration avec les provinces au besoin;
  continuer d’appuyer le dialogue interculturel et interconfessionnel;
  élargir les programmes d’échanges d’étudiants et les autres programmes d’échanges en collaboration avec les provinces au besoin;
  souligner l’importance des valeurs comme le pluralisme et le multiculturalisme, et encourager l’adoption de valeurs universelles en matière de droits de la personne et de libertés fondamentales, comme la liberté d’expression, de religion, d’association, d’entreprise et de propriété;
  continuer d’appuyer la société civile et la démocratisation partout dans le monde musulman et ailleurs;
  continuer de condamner vigoureusement toutes les violations des droits de la personne;
  faire une plus large place encore à la nécessité de défendre l’égalité des sexes et les droits des femmes;
  se prononcer vigoureusement en faveur de la défense des droits des minorités, y compris des groupes religieux minoritaires, et préconiser leur participation entière aux affaires nationales de leur pays;
  appliquer une stratégie plus vigoureuse de protection des Canadiens détenus à l’étranger;
  envisager sérieusement d’appuyer l’idée d’établir un service canadien d’information télévisée par satellite; et
  veiller à ce qu’il y ait suffisamment de ressources pour améliorer les capacités linguistiques et les capacités d’analyse, au sein du gouvernement canadien, et examiner la possibilité de doter le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international d’un mécanisme lui permettant de coordonner des activités de dialogue avec les pays du monde musulman.

89Allan Gregg, Bumpy Ride, Maclean’s, décembre 2003, p. 30.
90Karim Karim, «  Les relations du Canada avec les pays du monde musulman  », mémoire du 2 octobre 2003, citant Richard Falk.
91Témoignages, réunion n49, (1105).
92Ibid. (1110).
93Ibid. (1105).
94Richard Bulliet, Islamo-Christian Civilization, Columbia University Press, chapitre 4, sous presse.
95Ministère britannique des Affaires étrangères et du Commonwealth, remarques liminaires du ministre lors du Séminaire Faith and Foreign Policy, Londres, 8 octobre 2003.
96Voir Shireen T. Hunter, «  Conclusions and Outlook for European Islam  », Shireen T. Hunter éd., Islam, Europe’s Second Religion: The New Social, Cultural and Political Landscape, Center for Strategic and International Studies, Washington, 2002, p. 275.
97«  Veil of Tears  », The Economist, 17 janvier 2004, p. 44.
98Jack Straw, «  The United Kingdom and the Muslim World  », Djakarta, 9 janvier 2003.
99Voir Gordon Corera, «  How Militant Islam Found a Home in London  », Jane’s Intelligence Review, Août 2002.
100Ministère britannique des Affaires étrangères et du Commonwealth, «  Working With Faith Groups  ».
101Ministère britannique des Affaires étrangères et du Commonwealth, «  Faith and Foreign Policy  », commentaires du ministre des Affaires étrangères au séminaire sur la foi et la politique étrangère, 8 octobre 2003.
102Le Comité remercie l’ambassade de l’Allemagne à Ottawa de lui avoir fourni ces renseignements.
103Bob Harvey, «  Canadian Muslims ‘Creating a New Culture  », Ottawa Citizen, 12 juillet 2003.
104Irshad Manji, The Trouble With Islam: Wake-Up Call For Honesty and Change, Toronto, Random House Canada, 2003.
105Témoignages, réunion no 34 (0930).
106Témoignages, réunion no 35 (1610).
107Notes de l’allocution prononcée par l’honorable Bill Graham, ministre des Affaires étrangères, devant le Chicago Council on Foreign Relations, à Chicago, le 20 novembre 2003, p. 6.
108Témoignages, réunion no 49 (1125).
109Témoignages, réunion no 31 (0920).
110Témoignages, réunion no 53 (1135-1140).
111Témoignages, réunion no 34 (0940).
112Témoignages, réunion no 45 (1120).
113Témoignages, réunion no 57 (1205).
114Témoignages, réunion no 35(1625).
115« De la tolérance à la compréhension : le renforcement des relations du Canada avec les communautés musulmanes de l’Asie-Pacifique », allocution prononcée par l’honorable David Kilgour, secrétaire d’État pour l’Asie-Pacifique lors de la conférence «  Le Canada et l’islam en Asie au XXIe siècle  » qui s’est tenue à Montréal le 24 septembre 2003.
116Voir «  Impact Study Cooperation Between IAIN and McGill University, Impact on the Development and Modernization of Islam in Indonesia  », IAIN, Djakarta, 17 mai 2000, disponible sur le site Web du McGill Centre for Islamic Studies.
117Témoignages, réunion no 47 (1110).
118Témoignages, réunion no 53 (1140).
119Centre canadien pour le développement de la politique étrangère, Canada et le monde musulman, un résumé des rencontres d’experts, Ottawa, 2003, p. 12.
120Témoignages, réunion no 53 (1210).
121Témoignages, réunion no 35 (1655).
122Notes de l’allocution prononcée par David Kilgour lors d’un dîner avec la communauté malaisienne d’Edmonton, le 17 octobre 2003.
123Témoignages, réunion no 53 (1135).
124Fondation Aga Khan Canada, «  Présentation au Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes  », Étude sur les relations du Canada avec les pays du monde musulman, 7 mai 2003, p. 10. En octobre 2002, Son Altesse l’Aga Khan a annoncé son intention de créer à Ottawa, en collaboration avec le gouvernement canadien, un centre du pluralisme mondial, laïc, non confessionnel et bilingue, à vocation internationale et ayant pour but de promouvoir le pluralisme en tant qu’éthique et que pratique mondiales. Voir Global Centre for Pluralism — Update, Fondation Aga Khan Canada, 9 mars 2004.
125Témoignages, réunion no 35 (1625).
126Ibid. (1555).
127Témoignages, réunion no 45 (1115).
128Témoignages, réunion no 53 (1120).
129Témoignages, réunion no 49 (1125).
130Témoignages, réunion no 35 (1705).
131Témoignages, réunion no 47 (1250).
132Témoignages, réunion no 53 (1155).
133Ibid. (1125).
134Voir Ferry de Kerckhove, «  Islam and multiculturalism: The challenge of successful integration  », version révisée d’un document présenté à la conférence sur le Canada et l’Islam en Asie au 21e siècle, Montréal, 24-26 septembre 2003.
135Témoignages, réunion no 53 (1120).
136Ibid. (1150).
137Témoignages, réunion no 47 (1250).
138Noel Feldman, After Jihad: America and the Struggle for Islamic Democracy, Farrar, Strauss and Giroux, 2003, p. 62-68.
139Témoignages, réunion no 47 (1140).
140Témoignages, réunion no 3, le 5 février 2004.
141Débats du Sénat, 3e session, 37e législature, volume 141, numéro 17, le 26 février 2004 (1450).
142Dans l’ensemble, le Comité a consacré au moins quatre réunions à ces affaires, soit avec le ministre des Affaires étrangères (réunion n54, le 4 novembre 2003); le solliciteur général du Canada (réunion n50, le 7 octobre 2003); des hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international ainsi que du ministère du Solliciteur général/GRC (réunion n46, le 25 septembre 2003 et accompagnant leur ministre); Monia Mazigh (la femme de M. Maher Arar) (réunion n46, le 25 septembre 2003); et William Sampson (réunion n57, le 6 novembre 2003)
143Irwin Cotler, «  The 10 Rules of Diplomatic Advocacy  », The National Post, 19 août 2003.
144Témoignages, réunion no 31 (1040).
145Changing Minds, Winning Peace: A New Strategic Direction for US Public Diplomacy in the Arab and Muslim World, Report of the Advisory Group on Public Diplomacy for the Arab and Muslim World, Washington, octobre 2003, p. 13.
146Jean-Phillipe Tachdjian, «  La mise en relief de la culture et des valeurs canadiennes dans le monde arabe : Document de stratégie  ».
147Denis Stairs, «  Challenges and Opportunities for Canadian Foreign Policy in the Paul Martin Era  », International Journal, Volume LVIII, no4, 2003, p. 501 (note 9).
148Daryl Copeland, «  Diversifying Canada’s Dependence: Look East  », Asian Perspective, volume 27, no 4, 2003, p. 289).
149Témoignages, Comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes, 28 octobre 2003 (1140-45). M. Rabinovich a tenu essentiellement les mêmes propos devant le Comité sénatorial permanent du transport et des communications le 23 octobre 2003.
150Syed Serajul Islam, mémoire.
151Denis Stairs, p. 499.
152Témoignages, réunion no 45 (1120).
153Témoignages, réunion no 35 (1705).
154Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international, Une contribution au dialogue sur la politique étrangère, mai 2003, p. 4
155Selon M. Denis Stairs, «  une des vulnérabilités les plus dangereuses du Canada dans le domaine de la sécurité politique internationale est le fait qu’il dépende tellement des États-Unis comme source de renseignement au sujet des questions qui se présentent, par exemple dans des régions comme le Moyen-Orient. Faire confiance à notre propre jugement exige que nous ayons confiance de savoir ce qui se passe vraiment.  » Voir Stairs, p. 501 (note 10).