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PACP Rapport du Comité

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LA GOUVERNANCE DANS LA FONCTION PUBLIQUE
DU CANADA : OBLIGATION MINISTÉRIELLE DE RENDRE
DES COMPTES

Sous-ministres canadiens en tant qu’agents comptables

Au cours de ses audiences sur le Programme des commandites, le Comité a demandé à M. Quail quel recours s’offrait à un sous-ministre qui est en désaccord avec son ministre. M. Quail a répondu que, dans ces circonstances, un sous-ministre peut s’adresser au greffier du Conseil privé (7:1200) [*] — démarche qu’il a admis par la suite n’avoir pas entreprise (42:1650) [*]. Lorsqu’on lui a demandé s’il n’avait jamais reçu de lettres d’instructions de son ministre quand on lui demandait de faire quelque chose qui le gênait, M. Quail a répondu par la négative (7:1325) [*]. Devant le Comité, Arthur Kroeger a aussi mentionné la possibilité pour un sous ministre de régler ses désaccords avec un ministre en s’adressant au greffier du Conseil privé qui, à son tour, peut communiquer le dossier au premier ministre (21:1600) [*].

Le Comité a critiqué la conduite du sous-ministre dans le Programme des commandites, mais il reconnaît que les possibilités sont limitées lorsqu’un sous ministre est en désaccord avec un ministre concernant des décisions opérationnelles et administratives.

Les sous-ministres évoluent dans une culture qui attache une grande valeur à la loyauté envers les ministres et les incite à être sensibles à une orientation politique. C'est dans l’ordre des choses, mais des problèmes peuvent se poser lorsqu’un ministre donne instruction à sous-ministre d’agir à l’encontre des règles et des procédures administratives du gouvernement ou s’arroge les compétences dévolues spécifiquement au sous-ministre par la loi. Un sous-ministre peut faire part au greffier du Conseil privé de ses désaccords avec son ministre sur ces questions, mais cette attitude semble aller à l’encontre de la culture qui prévaut.

De plus, si un sous-ministre s’adresse au greffier, il ne peut être assuré que le différend sera résolu à sa satisfaction. Ce manque de certitude tient en partie à deux fonctions au moins qu’exerce le greffier : sa fonction de sous-ministre du premier ministre et sa fonction de dirigeant de la fonction publique — ce qui peut donner lieu à des conflits lorsque les intérêts en jeu diffèrent. Comme l’a fait remarquer le Pr Franks, il semble que, dans un passé récent, c'est le deuxième rôle du greffier « de représentant du pouvoir politique auprès de l’appareil administratif qui a supplanté son premier rôle » (43:1300) [*].

Comme nous l’avons mentionné, un sous-ministre qui se préoccupe des orientations ministérielles peut demander à un ministre des instructions écrites. Mais cette solution comporte aussi des inconvénients. Comme Donald Savoie l’a fait observer récemment :

Rien dans le passé n’empêchait des sous-ministres de demander à leurs ministres de leur donner par écrit des instructions quand ils doutaient du bien-fondé d’une ligne de conduite, mais cette responsabilité n’a jamais été reconnue officiellement [21].

M. Savoie ajoute qu’une telle reconnaissance aurait très bien pu renforcer les pouvoirs du sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux [22], dans le cas du Programme des commandites.

Le Comité a demandé au Pr Franks ce qui aurait pu se produire si la fonction d’agent comptable avait existé lorsque le Programme des commandites était en vigueur. Le Pr Franks a répondu que si le Canada avait adopté un système d’agents comptables,

Le sous-ministre se serait objecté à la façon dont les ministres proposaient de gérer le programme des commandites. Si les ministres avaient insisté, le sous-ministre aurait envoyé une lettre exprimant son désaccord et son refus d’obtempérer. Des ministres auraient dû passer outre et cette lettre aurait immédiatement été transmise au Conseil du Trésor et à la vérificatrice générale. (13:1610)

Cette réponse tient de la spéculation, mais le Comité a tendance à être d'accord avec le Pr Franks. Si le sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada avait été désigné agent comptable comme en Grande Bretagne, celui-ci aurait pu :

  1. Discuter avec son ministre de ses réserves sur la ligne de conduite imposée par ce dernier au sujet du Programme des commandites.
  2. Écrire une lettre au ministre, si celui ci maintient la ligne de conduite, pour lui expliquer les motifs de ses objections et l’informer de son obligation, à titre d’agent comptable, d’informer le greffier et la vérificatrice générale si le ministre ne suit pas ses conseils.
  3. Recevoir une lettre du ministre lui donnant instruction de suivre la ligne de conduite.
  4. Transmettre la correspondance pertinente au vérificateur général [23].

Si le sous-ministre avait pu se prévaloir de cette procédure et ne l’avait pas suivie dans le cas du Programme des commandites, il aurait été tenu responsable d’avoir contrevenu gravement aux règles du gouvernement et ignoré des chapitres importants de la LGFP, et il aurait été obligé de rendre des comptes devant le Comité des comptes publics. Toutefois, s’il avait pu suivre les étapes de la liste susmentionnée, cette responsabilité aurait incombé au ministre — ou il est tout à fait concevable que le ministre n’aurait pas proposé des lignes de conduite douteuses et que bien des abus maintenant associés au Programme des commandites n’auraient jamais été commis. Dans un cas comme dans l’autre, le Comité des comptes publics aurait été en mesure de déterminer avec certitude qui était responsable des dérapages du Programme des commandites et de lui demander de rendre des comptes.

Enfin, si le sous-ministre de l’époque avait été agent comptable, il aurait été en meilleure position pour gérer le ministère avec prudence et économie. Dans un sens plus large, cela aurait permis à tous les sous-ministres d’exercer leurs compétences professionnelles en gestion au meilleur de leurs capacités tout en continuant de servir leur ministre. Comme Donald Savoie l’affirmait, la notion d’agent comptable est prometteuse en ce sens qu’elle permet de créer un espace administratif pour les fonctionnaires de carrière tout en respectant la doctrine de l’obligation ministérielle de rendre des comptes [24]. Du point de vue de la fonction publique dans son ensemble, cela permettrait d’attirer et de retenir davantage les hommes et les femmes les plus compétents au sein de la fonction publique et de leur donner la latitude dont ils ont besoin pour faire le meilleur usage possible de leurs compétences.

Certains s’objectent à l’adoption du modèle des agents comptables au Canada, notamment le Bureau du Conseil privé. Mais, comme le Pr Franks l’a dit dans son témoignage, cette objection se fonde sur une mauvaise interprétation de ce que la commission Lambert, le comité McGrath et une panoplie d’autres groupes ont proposé.

En réponse aux recommandations de la commission Lambert, le Bureau du Conseil privé a conclu que :

…responsabilité partagée est responsabilité évitée. L’obligation officielle et directe qui incombe aux fonctionnaires de rendre compte au Parlement des questions administratives aurait pour effet de diviser la responsabilité des ministres. …L’expérience montre que de telles distinctions [entre les responsabilités politiques des ministres et les responsabilités administratives des sous-ministres] sont artificielles et que le Parlement tend à ne pas reconnaître cette séparation officieuse entre l’obligation de rendre compte des fonctionnaires et celle des ministres…

Néanmoins, tout effort visant à définir les secteurs qui doivent relever spécifiquement de la responsabilité des fonctionnaires aurait pour effet d’effacer davantage les limites de responsabilité et d’affaiblir le cas échéant l’aptitude de la Chambre à tenir le ministre responsable des questions qui sont de sa compétence [25].

La mauvaise interprétation du Conseil privé a eu un effet durable, comme en a témoigné M. Kroeger :

Un sous-ministre a l’obligation de rendre compte au ministre. Mais si vous dites que les fonctionnaires devraient rendre des comptes à un comité parlementaire, il y a un conflit. Est ce le ministre ou le comité parlementaire qui est le patron? Je ne pense pas que bien des gens diraient sérieusement qu’un comité parlementaire puisse donner des directives aux fonctionnaires, mais c’est ce qu’ont laissé entendre certains vérificateurs généraux par le passé, et la commission Lambert également [26]. (21:1545)

Dans le régime des agents comptables de la Grande-Bretagne, la responsabilité des questions administratives n'est toutefois pas partagée; elle appartient aux sous-ministres à moins qu’un ministre souhaite se l’approprier, auquel cas la responsabilité ultime appartient au ministre.

Les secrétaires permanents ne sont ni directement ni officiellement obligés de rendre des comptes au Parlement, pas plus que les tenants de l’adoption du modèle des agents comptables au Canada n’ont proposé que les sous-ministres le soient. À titre d’agents comptables, les secrétaires permanents ont l’obligation de rendre des comptes et de s’expliquer devant le Comité des comptes publics uniquement, et le pouvoir de sanctionner qui est implicite pour quiconque a l’obligation de rendre des comptes à quelqu'un ne s’applique que dans la relation qui existe entre les secrétaires permanents et leur ministre. Enfin, personne n’a proposé que les comités parlementaires donnent des instructions aux fonctionnaires, pas plus que ce lien n’existe entre les agents comptables britanniques et le Comité des comptes publics. En fin de compte, les objections de M. Kroeger semblent avoir été fondées essentiellement sur son interprétation des recommandations de la commission Lambert, et il a indiqué qu’il n’avait aucune réserve particulière concernant le modèle britannique des agents comptables (21:1620).

CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS

Dans le mémoire qui accompagnait son témoignage, M. Kroeger a écrit :

Le but de la convention de la responsabilité ministérielle est de sauvegarder l'autorité des ministres. Cette convention rappelle constamment aux fonctionnaires qui est celui qui exerce le contrôle. Elle rappelle aussi qu’il faut éviter de ne pas en tenir compte [27].

Le Comité est entièrement d'accord avec M. Kroeger et est convaincu que la responsabilité ministérielle et la doctrine de l’obligation ministérielle de rendre des comptes doivent être retenues. Ce sont les pierres d’angle de notre gouvernement parlementaire et, à maints égards, elles ont très bien servi le Canada. Il est utile de rappeler que la lutte pour un gouvernement démocratique au Canada en a été essentiellement une d’aspiration à un gouvernement responsable et que ce gouvernement responsable (dont la responsabilité ministérielle et l’obligation de rendre des comptes font parties intégrantes) est ce qui permet au Parlement — et, en dernier ressort, aux citoyens — d’obliger le gouvernement de rendre compte de ses actions.

Or, l’interprétation actuelle de la doctrine de l'obligation ministérielle de rendre des comptes remonte à une époque où l’appareil gouvernemental était petit et où les ministres connaissaient (ou auraient dû connaître) leur ministère de près. Les circonstances ont changé, comme la commission royale Lambert et les auteurs du rapport McGrath l’ont reconnu, et, même si la doctrine demeure toujours aussi valide qu’avant, son interprétation et son application ne correspondent plus aux réalités du Parlement et du gouvernement d'aujourd'hui.Les ambiguïtés dans la doctrine, qui étaient peut-être tolérables dans le passé, incitent maintenant les responsables à se soustraire à leur obligation de rendre des comptes, comme le Programme des commandites en témoigne si clairement et si tristement. Il est donc question, non pas d’abandonner la doctrine de l'obligation ministérielle de rendre des comptes dans son ensemble, mais plutôt de la réaffirmer et de préciser et de clarifier son interprétation et son application pour qu’elle continue d'être pertinente et utile à notre système de gouvernement. L’adoption du modèle britannique des agents comptables permettrait d’atteindre ces objectifs.

Lorsque la loi ou la réglementation ne s’applique pas, il est parfois nécessaire et souhaitable d’exercer un pouvoir discrétionnaire. Les ministres et les premiers ministres doivent être en mesure de le faire, mais seulement lorsque ni la loi ni la réglementation n’impose des lignes directrices ou des limites. Comme Arthur Kroeger l’affirmait :

… s’il existe une façon habituelle de procéder mais qu’un ministre ou un premier ministre décide, compte tenu de la situation, d’agir différemment, il a au bout du compte le droit de le faire. L'exercice du pouvoir discrétionnaire n'est pas toujours une mauvaise chose. (21:1620)

Dans un modèle comme celui de la Grande-Bretagne, la capacité d’un ministre d’exercer un pouvoir discrétionnaire politique n'est pas diminuée. En effet, l’attribution des responsabilités est claire : un ministre a le droit légitime de le faire.

Le Comité est donc convaincu qu’attribuer aux sous-ministres canadiens la fonction d’agent comptable renforcerait — au lieu de diluer — la doctrine de l'obligation ministérielle de rendre des comptes et ne compromettrait pas l'autorité ou la capacité d’agir du ministre. Introduire la notion selon laquelle des sous ministres seraient désignés comme agents comptables, selon Donald Savoie,

ne pose aucune difficulté pourvu que les agents comptables ne débordent pas du cadre général de l'obligation ministérielle de rendre des comptes au Parlement, concernant les politiques et les actions de leurs ministères [28].

Par conséquent, le Comité affirme l’importance absolue de la doctrine de l'obligation ministérielle de rendre des comptes et recommande qu’elle soit clarifiée et renforcée par l’adoption d’un régime semblable à celui qui s’applique au Royaume-Uni aux secrétaires permanents (sous ministres).

Ainsi, le Comité recommande :

RECOMMANDATION 1

Que les sous-ministres soient désignés agents comptables chargés de responsabilités semblables à celles qui incombent aux agents comptables en Grande-Bretagne. Les éléments de ce régime comprennent, sans s’y limiter :
  • Le devoir personnel de signer les comptes financiers décrits dans sa lettre de nomination;

  • La responsabilité personnelle de l’ensemble de l’organisation, de la gestion et de la dotation du ministère, et des procédures financières et autres qui y ont cours;

  • L’obligation de veiller à ce que la gestion financière dans l’ensemble du ministère soit de haut calibre;

  • La responsabilité personnelle pour l’ensemble des pouvoirs délégués ou exercés directement;

  • L’obligation de veiller à ce que les systèmes et procédures financiers favorisent une conduite efficace et économique des activités et protègent la rectitude et la régularité financières dans l’ensemble du ministère;

  • L’obligation de veiller à ce que le ministère respecte les exigences du Parlement en matière de contrôle des dépenses et, en particulier, de veiller à ce que les fonds soient dépensés dans la seule mesure et aux seules fins autorisées par le Parlement [29].

  • À titre d’agents comptables, les sous-ministres demeurent toujours responsables de toute négligence et de tout acte répréhensible.

RECOMMANDATION 2

Qu’à titre d’agents comptables, les sous-ministres soient tenus de rendre des comptes sur leur rendement, dans l'exercice de leurs fonctions et des pouvoirs qui leur sont conférés par la loi, devant le Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes;

RECOMMANDATION 3

Que les procédures suivantes s’appliquent lorsque les sous ministres (à titre d’agents comptables) sont en désaccord avec leur ministre concernant l'administration et le fonctionnement de leur ministère.
  1. Le sous-ministre doit informer le ministre de son désaccord concernant une décision qu’entend prendre le ministre.

  2. Si le ministre maintient sa décision, le sous ministre doit signifier son désaccord au ministre dans une lettre qui précise les motifs du désaccord et rappelle leur obligation d’en informer le vérificateur général et le contrôleur général.

  3. Si le ministre maintient sa décision, il doit en donner instruction au sous ministre par écrit.

  4. S’il en a reçu instruction par écrit, le sous-ministre doit faire parvenir des copies de la correspondance pertinente et au vérificateur général et au contrôleur général [30].

Le Comité fait aussi remarquer que le taux de roulement dans la dotation des postes de sous ministres a tendance à être élevé, un facteur qui rend difficile pour les titulaires la maîtrise des complexités de leurs ministères et qui complique donc leur capacité de rendre des comptes sur leur rendement. Le comité recommande donc :

RECOMMANDATION 4

Que le gouvernement s’efforce de maintenir les sous ministres en poste pendant trois ans au moins, ceux-ci demeurant toujours responsables de toute négligence et de tout acte répréhensible si leur mandat dure moins des trois ans prévus.

Depuis la fin des années 1970 au moins, selon plusieurs observateurs, la doctrine de l'obligation ministérielle de rendre des comptes, telle qu’interprétée et appliquée au Canada, n’a pas évolué au rythme des changements dans la taille et la structure du gouvernement moderne. À mesure que l’appareil gouvernemental est devenu complexe, la doctrine n’a plus été en mesure, à cause des ambiguïtés qu’elle comporte, de tenir compte des nouvelles pressions exercées sur le système. Ces prévisions se sont entièrement réalisées et les lacunes de la doctrine ont été confirmées par les événements entourant le Programme des commandites.

Le Comité permanent des comptes publics n’a pu établir avec certitude qui étaient exactement les responsables ultimes de la mauvaise gestion du programme — et qui, par conséquent, auraient dû être tenu de rendre des comptes.

L’adoption du modèle des agents comptables permettra à l’avenir de dissiper toutes ces ambiguïtés et de diminuer considérablement le risque que se reproduisent les écarts de conduite qui ont marqué le Programme des commandites. Les Canadiens ont besoin de cette assurance et le Parlement a besoin des outils pour leur donner.


* Témoignages 37e législature, 3e session.

[21] Donald J. Savoie, Breaking the Bargain: Public Servants, Ministers, and Parliament, University of Toronto Press, Toronto, 2003, p. 259.

[22] Ibid., p. 259.

[23] C.E.S. Franks, Procédures pour traiter les différends entre un ministre et un agent comptable en Grande-Bretagne, 24 février 2005. Document produit pour le Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes. La liste d’éléments contenue du rapport du Comité a été légèrement modifiée.

[24] Savoie, 2003, p. 259.

[25] Bureau du Conseil privé, La responsabilité constitutionnelle et l’obligation de rendre compte, Ottawa, 1993, p. 78 79. Les italiques proviennent du texte original.

[26] Les italiques sont de nous.

[27] Arthur Kroeger, La responsabilité et la responsabilisation au gouvernement, déclaration faite devant le Comité des comptes publics de la Chambre des communes le 21 février 2005.

[28] Savoie, 2003, p. 258.

[29] Adapté de Her Majesty’s Treasury, The Responsabilities of an Accounting Officer, Londres, R.-U.

[30] Adapté de Ibid.