SMFJ Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Sous-comité sur le processus de nomination à la magistrature fédérale du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le lundi 31 octobre 2005
¹ | 1535 |
Le président (M. Richard Marceau (Charlesbourg—Haute-Saint-Charles, BQ)) |
M. Pierre Michaud (ancien juge en chef du Québec, témoigne à titre personnel) |
¹ | 1540 |
¹ | 1545 |
Le président |
M. Vic Toews (Provencher, PCC) |
M. Pierre Michaud |
M. Vic Toews |
M. Pierre Michaud |
M. Vic Toews |
M. Pierre Michaud |
¹ | 1550 |
M. Vic Toews |
M. Pierre Michaud |
M. Vic Toews |
M. Pierre Michaud |
M. Vic Toews |
M. Pierre Michaud |
M. Vic Toews |
M. Pierre Michaud |
M. Vic Toews |
M. Pierre Michaud |
M. Vic Toews |
M. Pierre Michaud |
M. Vic Toews |
M. Pierre Michaud |
M. Vic Toews |
Le président |
M. Marc Lemay (Abitibi—Témiscamingue, BQ) |
M. Pierre Michaud |
M. Marc Lemay |
M. Pierre Michaud |
M. Marc Lemay |
¹ | 1555 |
M. Pierre Michaud |
M. Marc Lemay |
M. Pierre Michaud |
M. Marc Lemay |
M. Pierre Michaud |
M. Marc Lemay |
M. Pierre Michaud |
M. Marc Lemay |
M. Pierre Michaud |
º | 1600 |
M. Marc Lemay |
M. Pierre Michaud |
M. Marc Lemay |
M. Pierre Michaud |
Le président |
M. Joe Comartin (Windsor—Tecumseh, NPD) |
M. Pierre Michaud |
M. Joe Comartin |
M. Pierre Michaud |
M. Joe Comartin |
M. Pierre Michaud |
M. Joe Comartin |
M. Pierre Michaud |
M. Joe Comartin |
M. Pierre Michaud |
M. Joe Comartin |
M. Pierre Michaud |
º | 1605 |
M. Joe Comartin |
Le président |
M. David McGuinty (Ottawa-Sud, Lib.) |
M. Pierre Michaud |
M. David McGuinty |
M. Pierre Michaud |
M. David McGuinty |
M. Pierre Michaud |
M. David McGuinty |
M. Pierre Michaud |
M. David McGuinty |
M. Pierre Michaud |
M. David McGuinty |
M. Pierre Michaud |
M. David McGuinty |
M. Pierre Michaud |
M. David McGuinty |
M. Pierre Michaud |
M. David McGuinty |
M. Pierre Michaud |
M. David McGuinty |
Le président |
M. David McGuinty |
M. Pierre Michaud |
M. David McGuinty |
M. Pierre Michaud |
M. David McGuinty |
º | 1610 |
M. Pierre Michaud |
M. David McGuinty |
M. Pierre Michaud |
M. David McGuinty |
M. Pierre Michaud |
M. David McGuinty |
M. Pierre Michaud |
Le président |
M. Pierre Michaud |
Le président |
M. Mark Warawa (Langley, PCC) |
Le président |
M. Mark Warawa |
M. Pierre Michaud |
M. Mark Warawa |
M. Pierre Michaud |
M. Mark Warawa |
M. Pierre Michaud |
º | 1615 |
M. Mark Warawa |
M. Pierre Michaud |
M. Mark Warawa |
M. Pierre Michaud |
M. Mark Warawa |
M. Pierre Michaud |
M. Mark Warawa |
M. Pierre Michaud |
Le président |
M. Marc Lemay |
M. Pierre Michaud |
M. Marc Lemay |
M. Pierre Michaud |
M. Marc Lemay |
M. Pierre Michaud |
M. Marc Lemay |
M. Pierre Michaud |
M. Marc Lemay |
M. Pierre Michaud |
M. Marc Lemay |
M. Pierre Michaud |
M. Marc Lemay |
M. Pierre Michaud |
M. Marc Lemay |
M. Pierre Michaud |
M. Marc Lemay |
Le président |
M. David McGuinty |
º | 1620 |
M. Pierre Michaud |
M. David McGuinty |
M. Pierre Michaud |
Le président |
M. Vic Toews |
M. Pierre Michaud |
M. Vic Toews |
Le président |
º | 1625 |
Le président |
Mme Mary Eberts (avocate, à titre personnel) |
º | 1630 |
º | 1635 |
Le président |
M. Peter Russell (Université de Toronto, à titre personnel) |
º | 1640 |
º | 1645 |
Le président |
M. Peter Russell |
Le président |
M. Vic Toews |
º | 1650 |
Mme Mary Eberts |
M. Vic Toews |
Mme Mary Eberts |
M. Vic Toews |
Mme Mary Eberts |
M. Vic Toews |
Mme Mary Eberts |
M. Peter Russell |
º | 1655 |
M. Vic Toews |
Le président |
M. Vic Toews |
M. Peter Russell |
Le président |
M. Marc Lemay |
Mme Mary Eberts |
» | 1700 |
M. Marc Lemay |
Mme Mary Eberts |
M. Marc Lemay |
Mme Mary Eberts |
M. Marc Lemay |
M. Peter Russell |
M. Marc Lemay |
M. Peter Russell |
M. Marc Lemay |
» | 1705 |
M. Peter Russell |
M. Marc Lemay |
Le président |
M. Peter Russell |
Le président |
L'hon. Ed Broadbent (Ottawa-Centre, NPD) |
M. Peter Russell |
» | 1710 |
L'hon. Ed Broadbent |
M. Peter Russell |
L'hon. Ed Broadbent |
M. Peter Russell |
L'hon. Ed Broadbent |
M. Peter Russell |
L'hon. Ed Broadbent |
M. Peter Russell |
Le président |
L'hon. Ed Broadbent |
Mme Mary Eberts |
Le président |
» | 1715 |
L'hon. Paul Harold Macklin (Northumberland—Quinte West, Lib.) |
M. Peter Russell |
L'hon. Paul Harold Macklin |
M. Peter Russell |
L'hon. Paul Harold Macklin |
M. Peter Russell |
L'hon. Paul Harold Macklin |
» | 1720 |
M. Peter Russell |
L'hon. Paul Harold Macklin |
M. Peter Russell |
L'hon. Paul Harold Macklin |
Le président |
L'hon. Paul Harold Macklin |
M. Peter Russell |
Le président |
M. Garry Breitkreuz (Yorkton—Melville, PCC) |
Le président |
M. Garry Breitkreuz |
Mme Mary Eberts |
» | 1725 |
Le président |
M. Peter Russell |
Mme Mary Eberts |
Le président |
M. Peter Russell |
» | 1730 |
Le président |
CANADA
Sous-comité sur le processus de nomination à la magistrature fédérale du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile |
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TÉMOIGNAGES
Le lundi 31 octobre 2005
[Enregistrement électronique]
* * *
¹ (1535)
[Français]
Le président (M. Richard Marceau (Charlesbourg—Haute-Saint-Charles, BQ)): Bonjour et bienvenue à cette sixième séance du Sous-comité sur le processus de nomination à la magistrature fédérale du Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile. Pierre Michaud, un honorable représentant de la magistrature qui a été juge en chef du Québec, sera avec nous jusqu'à 16 h 30 environ.
C'est un honneur de vous recevoir pour entendre votre appréciation du problème auquel nous cherchons des solutions, si problème il y a, selon vous. Vous disposez d'environ 10 minutes pour faire votre présentation, puis les membres auront chacun sept minutes pour vous poser des questions, bien qu'ils en prennent souvent un peu plus. La parole est à vous.
M. Pierre Michaud (ancien juge en chef du Québec, témoigne à titre personnel):
Merci, monsieur le président. Je vous remercie de l'invitation à comparaître devant vous aujourd'hui. Je dois vous le dire, votre invitation m'a un peu surpris. Il y a déjà plus de trois que j'ai pris ma retraite à titre de juge en chef du Québec. Je croyais vraiment être passé dans le clan des oubliés. Le retour à l'anonymat n'est pas facile à vivre, et votre invitation m'a absolument ravi. Comme vos travaux ont débuté il y a déjà un bon moment, je présume que vous connaissez les tenants et aboutissants du système actuel, en particulier le fonctionnement des comités chargés d'étudier les candidatures et de les apprécier.
Nos concitoyens peuvent compter sur une magistrature indépendante et de qualité. Le système actuel fonctionne de façon assez satisfaisante. Toutefois, cela ne veut pas dire qu'il soit parfait. Je crois humblement que certaines modifications sont souhaitables et seraient de nature à favoriser l'atteinte de l'objectif que tout système doit avoir, c'est-à-dire la nomination des candidats les mieux qualifiés. Je vous propose donc cinq changements significatifs au système actuel.
Le premier changement a trait aux types de recommandations.
Comme vous le savez, les membres des comités chargés d'apprécier la qualité des candidatures tire l'une des trois conclusions suivantes: candidature « très recommandée », « recommandée » et « non recommandée ». Ces conclusions, et les motifs les justifiant, sont consignés par le secrétaire du comité et transmis par le bureau du commissaire à la magistrature au ministre de la Justice. Lorsqu'il s'agit d'une candidature émanant d'un juge de nomination provinciale, le comité ne fait qu'émettre des commentaires qui sont consignés par la directrice exécutive et transmis au ministre de la Justice.
Avant de me présenter ici ce matin, j'ai eu l'occasion de discuter avec le président du comité consultatif pour l'Ouest du Québec, l'honorable Pierre Dalphond, qui est juge à la Cour d'appel. Il m'a confirmé qu'au 30 juin 2005, son comité avait fait l'étude de 63 candidatures, 12 ayant été considérées « très recommandées », 16 « recommandées » et 35 « non recommandées ».
En tant qu'observateur intéressé, je suis convaincu que dans le passé, on n'a pas suffisamment tenu compte de la distinction entre « très recommandé » et « recommandé ». Je crois qu'on ne devrait retenir que les candidatures qualifiées de « très recommandées », et ce n'est que dans les cas vraiment exceptionnels d'un besoin particulier d'une cour qu'on pourrait passer outre à cette règle. Si cette distinction sert à quelque chose, c'est qu'elle donne au ministre l'identité des candidats les mieux qualifiés.
Comme premier changement, il faudrait donc absolument qu'on attache plus d'importance qu'on ne l'a fait dans le passé à cette distinction dans les recommandations.
La deuxième recommandation concerne la composition du comité consultatif.
Comme vous le savez, le comité est composé de sept personnes, dont trois sont désignées par le ministre de la Justice du Canada. Mes propos ne devraient pas être interprétés comme une critique du choix des personnes qui sont présentement membres du comité après avoir été désignées par le ministre de la Justice du Canada. Cela dit, je ne vois pas la nécessité pour le ministre de la Justice du Canada d'avoir trois représentants au comité. À mon avis, un seul suffirait. Le fait qu'il y en a trois peut donner l'impression au public que le ministre veut avoir une main-mise sur le comité.
Je suggère que le ministre de la Justice ne désigne qu'une seule personne comme membre du comité consultatif et que les doyens des facultés de droit de la division concernée aient un représentant au comité, ce qui n'est pas le cas actuellement.
La troisième recommandation porte sur la durée du mandat du comité.
Ces comités sont présentement constitués pour une période de deux ans. Je crois que cela n'est pas pratique du tout. La formule actuelle entraîne de substantiels retards dans l'étude des candidatures. Il devrait s'agir d'un comité permanent dont le tiers des membres serait remplacé chaque année. Cela éviterait l'accumulation de dossiers entre les mandats et assurerait une continuité dans les évaluations.
¹ (1540)
[Traduction]
Je ne saurais trop insister sur l'importance des nominations en temps voulu. Rien ne peut justifier un retard dans le processus de nomination à la magistrature car nous savons d'avance lorsqu'il y aura un poste à pourvoir. Nous savons plusieurs mois d'avance qu'il y aura un poste à combler dans un tel tribunal, aussi la constitution d'un comité permanent facilitera-t-il ce que j'appelle des nominations en temps voulu.
[Français]
De plus, je crois que les évaluations devraient être valides trois ans, comme c'était le cas il y a quelques années. Présentement, elles ne le sont que deux ans. Cela réduirait le fardeau des comités et donnerait essentiellement les mêmes résultats.
La quatrième recommandation a trait à la nomination des juges provinciaux aux cours supérieures et à la Cour d'appel.
Pendant trop longtemps, les ministres de la Justice du Canada ont écarté ou évité de nommer des juges provinciaux, soit aux cours supérieures, soit à la Cour d'appel. Je ne m'appuie que sur mon expérience au Québec pour dire cela, parce que je n'ai pas vérifié si c'était le cas dans les autres provinces. Quand un avocat est nommé juge, on pense qu'il donnera des résultats satisfaisants. Toutefois, on ne le sait vraiment qu'une fois qu'il exerce ses fonctions. En nommant une personne déjà juge, on sait exactement ce que le candidat pourra faire.
Je félicite le ministre de la Justice actuel d'avoir nommé juge à la Cour d'appel du Québec François Doyon, qui était juge en chef adjoint à la Cour du Québec. Cette nomination a été applaudie par tous ceux qui s'intéressent à la justice au Québec. C'est un exemple à suivre et à répéter. Il y a dans les cours provinciales partout au Canada des juges de très grande qualité. Je ne vois pas pourquoi on n'examinerait pas davantage la possibilité de nommer certains de ces juges aux cours fédérales.
Si on examine les nominations depuis 10 ans au Québec, on peut compter sur les doigts de la main les nominations des juges d'une cour provinciale à une cour fédérale. Je rappelle que la juge en chef de la Cour suprême du Canada, la très honorable Beverley McLachlin, a débuté sa carrière comme juge d'une cour provinciale. Elle a par la suite été promue jusqu'au sommet. C'est aussi le cas de l'honorable Rosalie Silberman Abella, qui siège également à la Cour suprême. C'est une erreur de ne pas penser à cette banque de talents. J'espère que la nomination du juge Doyon annonce une nouvelle ère.
La cinquième et dernière recommandation est à mon avis la plus importante.
Le système actuel nous assure d'une nomination de qualité. À ma connaissance, depuis la création des comités consultatifs, personne n'a été nommé sans leur recommandation. Cependant, cela ne veut pas dire que l'on nomme toujours les candidats les plus qualifiés. À la division d'appel de Montréal, celle que je connais le mieux, il doit y avoir plus de 60 noms de personnes qui ont déjà fait l'objet d'une recommandation favorable. Lorsque vient le temps de combler une vacance, le ministre peut choisir entre 60 candidatures déjà recommandées. Le système actuel ne nous assure pas que le meilleur candidat soit nommé. En d'autres termes, si on faisait le classement des 60 noms de cette banque, il pourrait y avoir une différence considérable entre le meilleur des candidats et le 60e.
Or, il peut arriver que le ministre nomme le 60e ou le 58e, de préférence à ceux qui se classeraient dans les premiers. C'est ce que l'on doit éviter. Pour réussir, il faut une transformation importante du système actuel, transformation qui n'est pas facile à concevoir et à mettre en place. En définitive, il faudrait, pour chaque vacance à combler, que le comité soit chargé de proposer une courte liste. Cela limiterait considérablement la discrétion du ministre, qui, au lieu d'avoir à choisir entre 60 candidats, se verrait offrir une liste de cinq, six, sept ou huit candidats. Cela pourrait entraîner un travail additionnel considérable du comité consultatif. Je vous signale qu'un tel système fonctionne de façon satisfaisante au niveau provincial, et je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas fonctionner au niveau fédéral. Je crois que cet aspect mérite d'être analysé en profondeur avec les présidents des comités chargés d'apprécier les candidatures.
Voilà, monsieur le président, les 10 minutes dont je disposais pour ma présentation.
¹ (1545)
[Traduction]
Je n'ai pas disposé de beaucoup de temps pour la préparation de cette présentation, alors je m'en suis tenu aux recommandations essentielles. Toutefois, je serai heureux de répondre à vos éventuelles questions.
[Français]
Le président: Merci beaucoup. Nous allons passer à M. Toews, qui dispose de sept minutes.
[Traduction]
M. Vic Toews (Provencher, PCC): Je vous remercie d'avoir accepté l'invitation du président à comparaître devant ce comité. Nous vous sommes très reconnaissants de votre présence.
J'ai cru comprendre que vous êtes préoccupé par le peu d'attention qui est accordé à la distinction entre une candidature recommandée et très recommandée, et j'en prends bonne note. Je me demandais, par contre, si une étude quelconque a mis en corrélation le rendement et le classement d'un candidat?
M. Pierre Michaud: À ma connaissance, il n'y en a pas; or je sais pertinemment que les comités font une telle distinction, dont l'importance n'est pas négligeable. Si vous êtes hautement qualifié, c'est déjà mieux que d'être simplement qualifié. Je sais pertinemment que certains candidats de très grande valeur, qui sont sans doute très qualifiés, ne seront pas nommés, tandis que d'autres, qui ne méritent pas une telle distinction, le sont. Comment cela se fait-il? Ce n'est pas moi qui fais les nominations et je ne sais pas non plus en quoi le processus consiste, mais j'ai beaucoup de mal à accepter le fait qu'un candidat très qualifié ne soit pas nommé devant tout autre.
Je comprends qu'il peut y avoir des circonstances particulières. Comme dans le cas d'une cour par exemple qui a surtout besoin d'un avocat spécialiste en droit pénal ou en environnement, entre autres. Il s'agit, en l'occurrence, d'un besoin qu'il faut combler, qui constituerait simplement une exception à la règle, ce qui ne me pose pas problème.
Cela fait 45 ans que je travaille dans ce domaine, alors je peux vous dire que j'en ai vu des candidats. Je connais de nombreuses personnes très qualifiées qui attendent depuis des années et qui n'ont jamais été nommées. Je n'en connais pas la raison.
M. Vic Toews: Je me demande si nous ne ferions pas mieux de simplement hausser la barre des compétences plutôt que de passer notre temps à déterminer qui est hautement qualifié et qui est qualifié mais pas au même degré? Nous pourrions simplement dire au ministre que les candidats qui satisfont à ces exigences ont les qualités pour être nommés juges et qu'il peut en choisir dans cette banque. J'ai de la difficulté à comprendre cette distinction un peu artificielle entre qualifié et hautement qualifié ou recommandé et chaudement recommandé.
M. Pierre Michaud: Si l'on n'en tient pas compte, cette distinction est futile; vous avez raison. Tout dépend du nombre de candidats. Les circonstances ou les exigences peuvent varier d'une région à une autre, mais dans le fond, si vous tenez à faire cette distinction, faites-la. C'est ce que j'essayais de vous dire.
M. Vic Toews: Je me base sur mes constatations personnelles. J'ai vu des avocats en droit immobilier qui ont été nommés juges au tribunal pénal et qui ont fait de l'excellent travail malgré leur manque d'expérience. En général, notre système ne tient pas compte de la formation de juge au moment où il faisait partie du Barreau, mais une fois nommé juge, on s'attend à ce que le juge soit un généraliste.
Voilà un autre élément sur lequel nous devrions peut-être nous pencher, c'est-à-dire le genre de formation offerte au juge après sa nomination. Cela pourrait nous permettre de ne pas avoir à faire cette distinction entre recommandé et chaudement recommandé.
M. Pierre Michaud: Peut-être, mais prenons le système tel qu'il existe actuellement. La bonne nouvelle pour tout le monde, c'est que la formation permanente des juges au Canada au niveau fédéral et provincial s'améliore constamment. Les juges sont maintenant invités à des colloques spéciaux prévus au cours de l'année et il est toujours possible d'approfondir leurs connaissances.
¹ (1550)
M. Vic Toews: Vous avez également dit que le ministre ne devrait avoir qu'un seul représentant. Pourriez-vous nous dire d'où ces autres représentants devraient venir ou seriez-vous...
M. Pierre Michaud: Non, je ne vais pas dire au ministre qui nommer. Par contre, je propose qu'on donne aux doyens des universités de la région la possibilité de nommer un représentant. Le ministre aurait donc un et non pas trois représentants; c'était ma suggestion.
M. Vic Toews: Encore une fois, vous dites que le ministre devrait nommer un seul représentant, parce qu'on a l'impression qu'il peut en nommer trois à l'heure actuelle.
M. Pierre Michaud: Pourquoi devrait-il pouvoir en nommer trois? Est-il important qu'il puisse en nommer trois?
M. Vic Toews: Je me demande pourquoi un juge devrait faire partie de ces comités...
M. Pierre Michaud: Voyons donc!
M. Vic Toews: ...étant donné la très nette distinction entre les pouvoirs judiciaire et exécutif. Nous avons une décision de la Cour suprême du Canada qui stipule très clairement qu'il ne serait pas correct de demander au pouvoir exécutif de fixer les salaires. Très clairement, notre Constitution stipule qu'il incombe au pouvoir exécutif de nommer les juges.
Je me demande si cette distinction vaut dans les deux sens, c'est-à-dire pourquoi est-ce que les juges interviennent dans le processus de nomination — et je dis ça un peu sévèrement — lorsqu'on voit cette distinction disant que le pouvoir exécutif, par exemple, ne devrait pas fixer les salaires des juges?
M. Pierre Michaud: Je suis certain que le professeur Russell va pouvoir vous répondre plus tard, mais en ce qui me concerne, les juges sont les meilleurs à pouvoir juger de la qualité des avocats comparaissant devant le tribunal.
M. Vic Toews: Mais cela ne signifie-t-il pas qu'on pourrait, bien sûr, consulter les juges mais qu'ils ne devraient pas être les décideurs? Les auteurs de la Constitution ont clairement dit que ce rôle relevait du pouvoir exécutif et non pas du pouvoir judiciaire, et mêler ces deux choses peut soulever des préoccupations. Parce que, d'un côté...
M. Pierre Michaud: Où voyez-vous le problème?
M. Vic Toews: Eh bien, je pourrais vous dire exactement ce que cela m'a posé comme problème quand j'étais procureur général du Manitoba.
On peut avoir l'impression que ce sont les représentants des ministres qui dominent, mais ma préoccupation porte sur l'autre côté de la médaille, c'est-à-dire lorsque le juge en chef de la province, par exemple, recommande qu'on nomme un autre juge au comité et on se trouve dans une situation où ces deux juges plus un autre membre du Barreau siègent. C'est la profession juridique qui domine et, naturellement, les avocats font des courbettes — et je dis ça de façon polie — pour plaire au juge. Donc nous avons toujours...
M. Pierre Michaud: Vous serez étonné, mais je comprends ce que vous dites.
Je crois que nous avons ce système depuis 12 ou 15 ans déjà? Le système a vu le jour en 1988 ou quelque chose du genre, et un juge a toujours siégé à ces comités. Je ne me suis jamais posé la question de savoir si cela posait un problème. Peut-être que je n'ai pas suivi la question d'assez près, mais je ne vois pas le problème. Peut-être que le professeur Russell aura un autre point de vue sur cette question.
M. Vic Toews: Eh bien, nous savons qu'il n'est pas timide lorsqu'il s'agit d'exprimer son point de vue.
Des voix: Oh, oh!
M. Pierre Michaud: Ce n'est pas une question de timidité, mais je suis plutôt satisfait du rôle joué par les juges en ce moment.
M. Vic Toews: Merci.
[Français]
Le président: Merci, maître Toews.
Maître Lemay, vous avez sept minutes.
M. Marc Lemay (Abitibi—Témiscamingue, BQ): Bonjour, monsieur le juge. Vous me permettrez de vous appeler encore monsieur le juge.
M. Pierre Michaud: Cela ne m'insulte pas. En fait, cela me rappelle de bons souvenirs.
M. Marc Lemay: Ayant plaidé devant vous à la Cour d'appel, je suis honoré que vous ayez accepté l'invitation du Sous-comité sur le processus de nomination à la magistrature fédérale. Vous êtes probablement un de ceux qui ont le plus d'expérience dans ce domaine.
J'ai bien écouté votre exposé et j'en ai pris bonne note. Par contre, je ferais une distinction entre deux choses. Je ne sais pas si vous allez me suivre...
M. Pierre Michaud: Je vous suis jusqu'à maintenant.
M. Marc Lemay: Je fais la distinction entre la désignation des juges de la Cour supérieure et celle des juges des tribunaux d'appel.
Dans vos cinq recommandations — peut-être ai-je mal compris —, il n'est question nulle part d'entrevue avec les candidats. Il y en a avec les candidats lors des nominations à la Cour du Québec. Je trouve que nous devrions avoir le même genre d'entrevue avec les candidats lors des nominations à la Cour supérieure. Cependant, je ne crois pas que ce soit nécessaire pour les cours d'appel fédérale et québécoise, et je ne parle même pas de la Cour suprême.
Êtes-vous d'accord avec moi? Qu'en pensez-vous?
¹ (1555)
M. Pierre Michaud: Il est vrai que les nominations à la Cour d'appel ne présentent pas les mêmes difficultés que celles aux tribunaux de première instance. J'ai été juge en chef pendant huit ans, et les nominations ont toujours été faites assez rapidement. Dans la majorité des cas, des juges qui étaient déjà à la Cour supérieure étaient nommés à la Cour d'appel. Parfois, des avocats qui pratiquaient étaient nommés directement. Par exemple, ce n'est un secret pour personne que nous avons nommé directement à la Cour d'appel, il y a quelques années, les juges Fish et Proulx, deux criminalistes de grand renom, parce qu'on avait besoin de renfort dans ce secteur.
M. Marc Lemay: Je me rappelle.
M. Pierre Michaud: Les problèmes que j'ai signalés ont trait aux nominations de juges de première instance, puisqu'il n'y a pas de problème à la Cour d'appel.
M. Marc Lemay: D'accord. Par contre, seriez-vous d'accord pour qu'il y ait des entrevues à la Cour supérieure? Le comité — je vais peser mes mots — est un peu secret. Nous proposons notre nom si on a envie d'être nommé juge à la Cour supérieure. Nous recevons un avis ou un appel nous apprenant qu'on est nommé — ou on n'en reçoit pas —, mais il n'y a pas d'entrevue avec le candidat.
Que pensez-vous de cela?
M. Pierre Michaud: C'est exact. Au niveau provincial, on rencontre obligatoirement le candidat en entrevue. Ce qui a empêché les comités de le faire jusqu'à maintenant, c'est, à mon avis, le manque de temps. Le retard accumulé était considérable. Par exemple, pendant une période de six mois, il n'y a pas eu de comité, de sorte qu'au moment où on en a constitué un, l'étude des candidatures accusait un retard de six mois. Or, maintenant, ils ont 60 candidatures à examiner et ils doivent le faire assez rapidement.
Le problème est avant tout une question de temps, mais, sauf erreur de ma part, il est prévu qu'ils tiennent des entrevues s'ils le souhaitent.
M. Marc Lemay: Si le candidat le souhaite.
M. Pierre Michaud: Non. Ce sont les membres du comité qui peuvent décider de rencontrer le candidat s'ils le souhaitent. Sauf erreur, je crois que rien ne les empêche de le faire. J'en suis même assez certain. Cependant, en pratique, ils ne le font pas; à ce sujet, vous avez raison.
Bien sûr, on n'a rien à perdre à tenir une entrevue. En fait, on ne peut qu'y gagner.
M. Marc Lemay: Vous avez dit plus tôt que deux ans, c'était trop long, et qu'il devrait y avoir une rotation au sein de ce comité. Vous avez également affirmé que l'évaluation devrait être valide pour trois ans plutôt que deux.
M. Pierre Michaud: Présentement, le comité est constitué pour deux ans, et l'évaluation est valide pour deux ans également. Deux ans, c'est parfois vite passé. Lorsqu'un nouveau comité est créé, il doit étudier de nouveau la demande d'un candidat qui a déjà été interviewé. Je suis convaincu que le fait de prolonger la période d'une année ne changera rien. En fait, vous éviteriez une étude aux membres du comité. Ceux-ci devraient travailler plus fort si vous poussiez plus loin la recommandation voulant que les listes soient courtes. Ils doivent désigner les meilleurs candidats possibles.
À mon avis, l'idée de la permanence est pertinente. Elle assurerait la continuité et le maintien des normes. Je ne me suis pas penché précisément sur les questions de logistique, à savoir qui partirait et pour combien de temps, mais il me semble que la mise sur pied d'un comité permanent composé de gens qui suivraient une forme de rotation serait une bonne idée.
º (1600)
M. Marc Lemay: Pour ce qui est de la composition du comité, vous avez dit souhaiter que le nombre de membres nommés par le ministre passe de trois à un.
Doit-on comprendre que, selon vous, le comité d'évaluation devrait être composé de cinq membres?
M. Pierre Michaud: Oui, probablement. Sept membres, c'est beaucoup. Cela risque d'être assez lourd.
M. Marc Lemay: En vous fondant sur votre expérience, mais sans toutefois nommer qui que ce soit, dites-moi qui serait à votre avis le plus en mesure de remplir ces fonctions.
M. Pierre Michaud: M. Toews ne sera pas content de m'entendre de dire ce qui suit, mais j'ai toujours cru que les gens appartenant déjà à ce milieu étaient le plus en mesure de faire ce genre d'évaluation. Il pourrait s'agir, par exemple, d'un représentant du Barreau de la division, d'un représentant du Barreau canadien, du ministre de la Justice du Québec, du ministre de la Justice du Canada et de la magistrature. J'ai aussi parlé plus tôt d'un représentant des doyens. Dans le cas de la Cour d'appel du Québec, il s'agirait du doyen de la Faculté de droit de l'Université Laval. À Montréal, on pourrait désigner quelqu'un.
Le président: Merci, monsieur Lemay.
Monsieur Comartin, vous disposez de sept minutes.
M. Joe Comartin (Windsor—Tecumseh, NPD): Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur le juge, d'être présent parmi nous.
Pouvez-vous nous dire pourquoi les juges ayant déjà siégé à une cour provinciale ne sont pas promus à ce poste?
M. Pierre Michaud: Non. Remarquez que mes propos ont trait à la situation du Québec. Je n'ai pas étudié celle de l'Ontario ou des autres provinces. Monsieur Toews, il est possible que cette particularité n'existe pas au Manitoba. En revanche, la chose est vraiment frappante au Québec. Comme je l'ai dit plus tôt, on a nommé le juge Doyon à la Cour d'appel récemment. Or, c'était la première fois qu'un juge de la Cour provinciale y était nommé.
Je dois vous dire qu'il me serait difficile de nommer plus de cinq juges de la Cour provinciale ayant été promus au cours des dix dernières années. C'est d'autant plus difficile à comprendre qu'à la Chambre criminelle et pénale de la Cour du Québec, on est terriblement occupé. Il y a là des gens remarquablement compétents en la matière. Ce serait une banque de candidats dans laquelle on devrait naturellement pouvoir puiser. Je suis donc étonné qu'on ne le fasse pas. J'ai interprété la nomination du juge Doyon à la Cour d'appel comme l'annonce d'une nouvelle approche à cet égard. C'est du moins ce que je souhaite.
M. Joe Comartin: Il arrive souvent que le parti au pouvoir ne soit pas le même au fédéral et au provincial.
M. Pierre Michaud: Est-ce qu'on se préoccupe de politique dans le cadre des nominations?
M. Joe Comartin: Je crois que c'est la raison d'être de ce comité, monsieur le juge. Je ne sais pas si vous avez un commentaire à faire à ce sujet.
M. Pierre Michaud: Je n'en ai pas. J'ai beaucoup de difficulté à imaginer pourquoi on procède de cette façon. Présentement, autant au Québec qu'à Ottawa, il s'agit d'un gouvernement libéral. Pourtant, ça ne change rien à cet état de chose.
M. Joe Comartin: Savez-vous si les juges des cours provinciales sont encouragés à poser leur candidature?
M. Pierre Michaud: Je crois qu'ils le seraient si ce genre d'occasion se présentait de temps à autre. J'en connais plusieurs dont les compétences auraient sans aucun doute été un atout pour la cour. Ces juges auraient été absolument ravis à l'idée d'exercer une compétence différente de celle qu'ils exerçaient. On a nommé le juge Doyon à la Cour d'appel. Or, depuis un an, tous les rapports indiquent qu'il est grandement apprécié partout. Je ne comprends pas pourquoi ces gens ne sont pas considérés.
M. Joe Comartin: M. Lemay a posé une question concernant l'entrevue. Avez-vous un commentaire à faire concernant la possibilité que certains candidats soient découragés de poser leur candidature si on leur demande de rencontrer le comité en entrevue?
M. Pierre Michaud: Une personne qui veut devenir juge mais qui a peur de passer une entrevue a intérêt à ne pas soumettre sa candidature. Je ne suis absolument pas inquiet à cet égard. Ce n'est pas une entrevue qui découragerait un candidat. J'en suis certain.
M. Joe Comartin: Est-il nécessaire que l'entrevue se fasse à huis clos, ou peut-elle être publique?
M. Pierre Michaud: Il faut préserver la confidentialité des candidatures. Un avocat ayant posé sa candidature pour devenir juge dont l'entrevue serait publique perdrait d'office sa clientèle. Cela équivaudrait à annoncer au public qu'il n'est plus intéressé à maintenir sa pratique privée, et à ses associés qu'il ne restera peut-être pas longtemps parmi eux. En définitive, cette façon de procéder serait pratiquement impossible.
º (1605)
M. Joe Comartin: Merci.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Comartin.
Monsieur McGuinty, vous disposez de sept minutes.
M. David McGuinty (Ottawa-Sud, Lib.): Merci, monsieur le président.
Bonjour, monsieur Michaud. Ma première question porte précisément sur les commentaires du juge Robert. Avez-vous entendu ou lu ce qu'il a dit au sujet de la nomination des juges au Québec?
M. Pierre Michaud: Je ne sais pas à quels cas particuliers vous faites allusion. S'agit-il de ceux qui ont fait l'objet d'une plainte?
M. David McGuinty: Oui.
M. Pierre Michaud: Je crois que d'une certaine façon, ils ont donné lieu à la création de ce comité.
M. David McGuinty: En effet.
M. Pierre Michaud: Je n'ai pas particulièrement envie de répondre à cela, mais posez tout de même votre question.
M. David McGuinty: Je crois, monsieur le président, que c'est une des raisons pour lesquelles nous avons décidé d'avoir recours à des juges à la retraite plutôt qu'à des juges...
M. Pierre Michaud: Posez d'abord votre question.
M. David McGuinty: Je veux simplement savoir si vous avez entendu des commentaires à ce sujet et, le cas échéant, ce que vous en pensez.
M. Pierre Michaud: Je vais être franc avec vous. Lorsque les commentaires qui ont donné lieu à cette affaire ont été émis, j'étais en Italie. Lorsque je suis revenu, on en parlait dans les journaux. Je n'ai jamais entendu de compte rendu mot à mot. Je sais cependant que ce juge a donné des explications au Conseil de la magistrature et que celles-ci ont amené le conseil à rejeter la plainte qui avait été formulée. Je n'ai pas lu la lettre qu'il a adressée au Conseil.
Ses commentaires me portent à croire qu'il est toujours d'avis que le passé politique d'un candidat ne devrait être ni un prérequis ni un empêchement dans le cas d'une nomination. Je crois que c'est là sa position finale. C'est aussi la mienne. Qu'on ait fait de la politique, peu importe le parti, ne devrait pas empêcher un individu d'être candidat à la magistrature. Une fois nommé juge, on s'engage sous serment à appliquer la loi telle qu'elle existe. On peut souhaiter intérieurement qu'elle soit changée, mais tant qu'elle ne l'est pas, on doit l'appliquer telle quelle. C'est peut-être ce que le juge Robert voulait dire. Je ne sais pas si cela répond à votre question. Reformulez-la plus précisément si vous considérez que je n'y ai pas répondu.
M. David McGuinty: Il y a donc eu une plainte au sujet de certains commentaires du juge Robert, et elle a été entendue.
M. Pierre Michaud: Oui, par le Conseil canadien de la magistrature.
M. David McGuinty: Qu'a-t-il trouvé au juste?
M. Pierre Michaud: Il a rejeté la plainte.
M. David McGuinty: Il a rejeté la plainte?
M. Pierre Michaud: Oui.
M. David McGuinty: Tout à fait?
M. Pierre Michaud: Oui, c'est ce que j'ai compris.
M. David McGuinty: D'accord.
Monsieur le président, l'Association du Barreau canadien doit-elle comparaître demain, ou la semaine prochaine?
Le président: L'Association du Barreau canadien va comparaître demain, le 1er novembre.
M. David McGuinty: Un article paru dans un des journaux du jour donne, apparemment, la position de l'association sur cette grande question. Elle recommande une période d'attente — a cooling off period — de deux ans. N'importe qui dont la candidature est considérée pour un poste de juge doit respecter un délai minimal de deux ans.
Que pensez-vous de cette recommandation?
M. Pierre Michaud: Vous parlez de deux ans de purgatoire, en somme, mais pour qui? Cela s'applique-t-il à un député élu, à quelqu'un qui milite?
M. David McGuinty: Si je comprends bien ce que j'ai lu, cela s'appliquerait à toute personne impliquée dans n'importe quel domaine politique, peu importent le parti et le niveau.
M. Pierre Michaud: J'ai toujours dit qu'il fallait lire un contrat avant de dire ce qu'on en pense. Je n'ai pas lu cette déclaration et elle me gêne parce qu'elle est sans nuance. Il y a probablement des nuances à apporter, et j'ignore lesquelles, ainsi que les termes utilisés. Toutefois, je crois l'avoir dit plus tôt, l'appartenance antérieure à un parti politique ne devrait être ni un prérequis ni un empêchement à la magistrature. Je crois que ce principe est assez universellement reconnu.
Je ne conteste pas la déclaration de l'Association du Barreau canadien, parce que je ne la connais pas et je ne l'ai pas vue.
[Traduction]
M. David McGuinty: Monsieur Michaud, je vous poserai une troisième question.
La semaine dernière, j'ai demandé à deux témoins ce qu'ils pensaient de la possibilité d'examiner le mandat des juges; on pourrait, par exemple, limiter à 10 ans la période pendant laquelle quelqu'un pourrait occuper les fonctions de juge dans ce pays aux tribunaux supérieurs. Un témoin m'a répondu en disant qu'une telle mesure constituerait une violation des dispositions constitutionnelles. Un autre témoin, un professeur, n'était pas d'accord.
Compte tenu de votre expérience de plus de 40 ans comme juge, j'avais compris...
º (1610)
M. Pierre Michaud: Non, j'ai fait partie de la profession juridique pendant 45 ans, mais j'ai été juge pendant 19 ans.
M. David McGuinty: D'accord, 19 ans comme juge.
M. Pierre Michaud: Un mandat de dix ans m'aurait beaucoup attristé, parce que j'ai été juge pendant 19 ans et je crois que j'ai bien travaillé jusqu'à la fin.
M. David McGuinty: J'en suis tout à fait convaincu.
Mais avez-vous un point de vue en ce qui concerne cette question ou avez-vous entendu des preuves à cet effet? Est-ce qu'il y a un débat en ce qui concerne ce plafond de dix ans?
M. Pierre Michaud: Non, à vrai dire, c'est la première fois que j'en entends parler ces derniers temps.
Personnellement, je crois que l'un des plus importants aspects de cette question, c'est l'indépendance. Un juge doit se sentir totalement à l'aise pour décider des cas, et s'il n'a que dix ans... Disons qu'il est nommé à l'âge de 45 ans pour un mandat de seulement dix ans. Qu'est-ce qu'il va faire à l'âge de 55 ans? Il doit envisager une autre carrière, et cela veut dire qu'il doit déjà commencer à planifier la prochaine étape. Une telle situation ne serait pas cohérente avec l'indépendance totale que doit avoir un juge pour prendre une décision. À mon avis, un mandat de dix ans posera un problème.
Je ne fais pas allusion à la Cour suprême. Ils peuvent rester en poste jusqu'à ce qu'ils aient 75 ans, mais ils peuvent partir après dix ans. Normalement, ces juges sont nommés après avoir acquis plusieurs années d'expérience comme juges ailleurs — la plupart du temps, c'est le cas, mais pas toujours.
Mais j'ai une difficulté avec cette situation; je ne suis pas d'accord avec le principe général. Vous pourrez peut-être me poser des questions plus précises, mais de façon générale, je ne pourrai pas être d'accord.
M. David McGuinty: Pour terminer, monsieur le président, à votre connaissance, il n'y a pas de restriction constitutionnelle en ce qui concerne...
M. Pierre Michaud: Ce n'est pas ce que je dis. Effectivement, il pourrait y en avoir une. On pourrait interpréter... Aux termes de l'article 96, un juge est nommé jusqu'à ce qu'il prenne sa retraite, ce qui est prévu à l'âge de 75 pour une cour fédérale. Je crois que vous auriez sans doute un problème d'ordre constitutionnel. Mais vous pouvez poser la question à M. Russell, qui a des connaissances beaucoup plus approfondies...
Le président: Oui, il parlera également de cette question.
M. Pierre Michaud: Il connaît cette question beaucoup mieux que moi. Je ne me suis vraiment pas penché là-dessus, mais il se peut qu'il y ait un problème. M. Russell vous le dira.
Le président: Je sais.
[Français]
Monsieur Warawa, vous disposez de sept minutes.
[Traduction]
M. Mark Warawa (Langley, PCC): Merci, monsieur le président.
Merci d'être venu aujourd'hui.
Le président: Tout le plaisir est pour moi.
M. Mark Warawa: J'aimerais vous poser une question sur l'évaluation des candidats. Vous avez d'abord dit que l'on devrait nommer seulement des candidats qui sont chaudement recommandés.
M. Pierre Michaud: J'ai dit que si vous distinguez entre les candidats qui sont mieux qualifiés que les autres, alors pourquoi ne pas les nommer?
M. Mark Warawa: Bon nombre des témoins de la semaine dernière étaient d'accord là-dessus et ont exprimé des commentaires semblables. Ils nous ont demandé pourquoi on choisirait un candidat classé B plutôt qu'un candidat classé A.
M. Pierre Michaud: Exactement.
M. Mark Warawa: Et vous avez parlé de la composition du comité.
J'aimerais vous poser des questions à propos de l'évaluation. Comment détermine-t-on si un candidat est chaudement recommandé ou recommandé, et le comité est-il suffisamment outillé pour effectuer cette évaluation? La semaine dernière, un témoin nous a dit que dans certains pays on se sert de l'évaluation psychologique et que ce serait peut-être un outil intéressant. De quels outils le comité devrait-il se munir afin d'effectuer une meilleure évaluation?
M. Pierre Michaud: Vous voulez dire des outils en plus de ceux qu'il possède déjà?
º (1615)
M. Mark Warawa: Oui.
M. Pierre Michaud: Je ne sais pas à quoi les autres témoins faisaient allusion. Je n'ai pas vu sous quelle forme ils ont présenté cette idée. Songez-vous à une sorte d'examen médical?
M. Mark Warawa: Un exemple qu'on a donné était celui d'une évaluation psychologique.
M. Pierre Michaud: Si le comité fait bien ses devoirs, il devrait pouvoir déterminer si l'individu possède oui ou non ce que l'on appelle un « tempérament judiciaire ». Parfois les individus connaissent très bien la loi, mais ils sont moins habiles avec les gens. Je suis d'avis qu'une des plus importantes qualités qu'un juge puisse posséder est l'empathie, afin que les gens se sentent à l'aise en sa présence, moins nerveux, plus en possession de leurs moyens, pour pouvoir donner un meilleur témoignage. Je crois qu'il est très important qu'un juge ait un comportement qui rende les gens à l'aise et qui rende le tribunal plus humain.
La plupart du temps, nous pouvons déduire si oui ou non l'individu possède cette qualité, d'après ses activités au cours des années.
M. Mark Warawa: Voici ma deuxième question. Si les candidats proviennent des cours provinciales, ils font déjà partie de la magistrature provinciale et donc on peut déjà se faire une idée de leur capacité au niveau fédéral.
M. Pierre Michaud: Exactement. C'est exactement l'argument que j'ai fait valoir. J'ai dit que lorsqu'on nomme un avocat ou un juge, on peut penser avoir fait une bonne nomination, on peut penser avoir nommé quelqu'un avec toutes les qualités requises. Mais on ne le saura vraiment seulement une fois que cette personne exercera ses fonctions. Par contre, lorsqu'on nomme un juge d'une cour provinciale à une cour fédérale, on sait déjà à qui on a affaire parce que cette personne a déjà de l'expérience dans les jugements et avec des gens qui se présentent devant la cour. Donc on sait exactement à qui on a affaire et comment cet individu se comportera. Voilà un avantage important.
M. Mark Warawa: Comment pouvons-nous inciter...
M. Pierre Michaud: Les inciter à poser leur candidature ne pose aucun problème à la condition que vous leur donniez un peu d'espoir quant à leur nomination. Je suis certain que vous n'aurez aucun problème à intéresser les gens à poser leur candidature.
[Français]
Le président: Monsieur Lemay.
M. Marc Lemay: Je veux m'assurer de vous avoir bien entendu. À votre avis, il ne devrait y avoir que deux catégories: « recommandé » et « non recommandé ».
M. Pierre Michaud: Je dis qu'en ce moment, le système comporte ces deux catégories.
M. Marc Lemay: Non, il y a trois catégories.
M. Pierre Michaud: Il y a « non recommandé », c'est certain.
M. Marc Lemay: Actuellement, il y a « très recommandé », « recommandé » et « non recommandé ». Vous croyez qu'il serait préférable de dire...
M. Pierre Michaud: Ce n'est pas cela, maître Lemay. Avec tout le respect que je vous dois, ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai dit que si on doit maintenir ce système, il faut faire la distinction entre « très recommandé » et « recommandé ». Ces catégories n'existent pas toutes les deux pour rien. Alors, nommons les meilleurs, donc les « très recommandés ».
M. Marc Lemay: D'accord. Vous recommandez que les juges de la Cour du Québec ou du moins de la cour...
M. Pierre Michaud: ... les cours provinciales...
M. Marc Lemay: Il y a des candidats de valeur.
M. Pierre Michaud: Bien sûr, il y a des candidats de valeur. Il y en a beaucoup, et je ne vois pas pourquoi on les ignore.
M. Marc Lemay: Vous dites que vous ne voyez pas pourquoi, mais n'en avez-vous pas une idée? Après avoir passé 15 ans à la Cour d'appel, vous devez sûrement avoir une opinion à ce sujet.
M. Pierre Michaud: Oui, j'ai une opinion. Je vous l'ai dit, je ne sais pas pourquoi ils ne le font pas. Tout à l'heure, M. Comartin a suggéré que c'était peut-être parce qu'il y avait des gouvernements d'allégeance différente. Toutefois, pendant des années, il en allait de même au Québec.
M. Marc Lemay: Mais quand une personne est nommée juge à la cour provinciale et qu'elle est là pendant 10 ans, rien ne l'empêche d'être nommée à la Cour supérieure et même à la Cour d'appel.
M. Pierre Michaud: Absolument pas.
M. Marc Lemay: Il y a le cas de François Doyon.
M. Pierre Michaud: C'est ce que je dis.
M. Marc Lemay: Parfait. Merci.
Le président: Merci.
David, vous avez le temps de poser une dernière question, si elle est brève.
M. David McGuinty: Monsieur Michaud, au cours de votre carrière juridique, vous avez eu l'occasion d'analyser la situation québécoise. Parmi les gens nommés aux tribunaux de la province, y en avait-il davantage d'une appartenance politique en particulier, que ce soit le Parti québécois, libéral, communiste, animiste, républicain, etc.?
º (1620)
M. Pierre Michaud: Je n'ai pas analysé cela du tout. Je soupçonne que cela s'est passé comme ailleurs. Je n'ai jamais fait d'étude et je n'ai pas d'idée à ce sujet.
M. David McGuinty: Connaissez-vous la situation dans d'autres provinces? Avez-vous vu ou lu des preuves ou des rapports à ce sujet? Par exemple, en Alberta, où le gouvernement est conservateur depuis presque 50 ans, y a-t-il plus de juges liés au Parti conservateur? Le sait-on?
M. Pierre Michaud: Je n'en ai aucune idée.
Le président: Monsieur le juge Michaud, merci beaucoup d'être venu nous voir.
Excusez-moi, M. Toews a encore une question.
[Traduction]
M. Vic Toews: Nous nous sommes interrogés sur la raison pour laquelle un juge provincial n'avance pas au niveau du Banc de la Reine ou de la cour d'appel. Ma théorie est la suivante. Une fois qu'un individu devient juge provincial, il n'a plus l'influence politique requise pour passer au prochain échelon. Le juge provincial se trouve coupé des voies menant à une nomination fédérale. Un juge fédéral qui passe du Banc de la Reine à la cour d'appel et ensuite à la Cour suprême peut avancer justement parce qu'il fait partie du milieu fédéral qui lui permet de monter. Le problème — c'est ma théorie personnelle, qui est peut-être sans fondement — d'après mon expérience, est celui d'être coupé du cercle politique qui fournit cet accès au niveau fédéral.
M. Pierre Michaud: Votre théorie est intéressante, monsieur Toews, mais j'espère que ce ne sera pas le cas à l'avenir.
M. Vic Toews: Bien, merci beaucoup.
[Français]
Le président: Merci beaucoup. Nous allons faire une pause de deux minutes, pour permettre aux autres témoins de prendre place.
º (1625)
Le président: Nous sommes de retour pour entendre les témoignages de Mary Eberts et du professeur Peter Russell.
[Traduction]
Je crois que vous connaissez bien tous les deux ce comité. Vous disposez de 10 minutes pour faire votre exposé et, comme vous l'avez constaté tout à l'heure, nous passerons ensuite à une ronde de questions et de réponses de sept minutes.
Madame Eberts, nous allons commencer avec vous.
Mme Mary Eberts (avocate, à titre personnel): Merci beaucoup de m'avoir invitée à comparaître aujourd'hui.
Ce que vous êtes en train de faire est vraiment essentiel à la primauté du droit au Canada. Bien que la sélection des juges pour la Cour suprême ici au Canada ou aux États-Unis suscite parfois beaucoup d'intérêt dans les médias, il y a toujours des postes vacants pour des juges que le gouvernement fédéral doit nommer en vertu de l'article 96. Les cours supérieures de chaque province et territoire sont les cours importantes pour l'administration de la justice en ce pays au jour le jour. Vos recommandations sur le processus de nomination laisseront une empreinte durable sur le droit et la justice au Canada.
Je vous ai soumis, par l'entremise de votre greffière, deux articles d'information générale. Le premier a été publié le 30 septembre dans The Lawyers Weekly et s'intitulait « The rea,judicial appointment process ». C'est un article que j'ai rédigé en me fondant sur mon expérience de plus de 30 ans dans le domaine du droit et après avoir vu des amis, des relations et des collègues passer par ce processus et s'en tirer avec plus ou moins de succès. Je dois dire également que j'ai moi-même fait l'expérience de ce processus et je vous en reparlerai dans un moment.
Le deuxième document que j'ai remis à la greffière est à l'étape de la révision et paraîtra également dans The Lawyers Weekly. Il souligne l'importance d'avoir un bon processus de nomination, car une fois qu'un juge est installé, il est à toutes fins pratiques au-dessus des lois. Voici en gros les arguments que je développe dans ces articles.
Qu'on soit tenté ou non de dire le contraire, le processus de nomination à la magistrature fédérale est foncièrement politique. Le caractère politique du processus va bien au-delà des contributions qu'un candidat peut avoir versées au Parti libéral ou à un autre parti. Le caractère politique du processus tient surtout au fait qu'on ne peut pas s'engager dans le processus sans un mentor politique ou une équipe de mentors.
Même pour se rendre au premier comité, qui est ostensiblement apolitique, et surtout après ce comité, le candidat a besoin d'un guide politique averti qui veillera à ce que son nom soit mentionné devant le « patron » — et j'utilise ce terme entre guillemets — politique provincial ou régional, les différents caucus ou comités et même le ministre. Même pour savoir quand ces réunions ont lieu et quelles candidatures y seront examinées, un guide est essentiel. Cette personne peut être quelqu'un qui fait de la politique active, au niveau provincial ou fédéral, un politicien à la retraite, ou simplement un parrain juridique qui a beaucoup d'influence en raison de ses relations personnelles ou politiques.
À défaut de cette aide, le nom du candidat restera sur la liste jusqu'à ce que celle-ci expire. J'ai connu de nombreux avocats de talent qui ont franchi la première partie du processus et qui ont ensuite attendu en vain une nomination parce qu'ils n'avaient pas de mentor politique.
Le processus d'obtention d'une nomination à la magistrature serait condamné pour son manque de transparence, le risque de parti pris et l'absence de procédure établie s'il s'agissait d'un processus de recrutement dans n'importe quel autre secteur, et tout juge qui administre les lois relatives à l'application régulière de la loi, à la partialité et à l'accès à l'information a franchi ce processus. Je crois qu'il y a une hypocrisie sans bornes au coeur de notre système judiciaire à cause du caractère politique de ce processus.
J'ai déjà présenté ma candidature. Je n'ai pas été informée officiellement des résultats de l'examen du comité, mais j'ai appris par le téléphone arabe que ma candidature était « non recommandée ». Je ne sais pas à qui les membres du comité ont parlé pour en arriver à cette conclusion, et on ne m'a jamais fourni d'explication ni l'occasion de confronter mes détracteurs — la base de l'application régulière de la loi dans n'importe quel tribunal du pays.
º (1630)
À l'époque, j'y ai vu un jugement dévastateur de la part de mes pairs au sujet de ma carrière juridique. Maintenant, j'y vois plutôt une raison de condamner le processus. Mais c'est ce qui arrive quand on a un processus secret et que personne n'a de comptes à rendre. On vous donne — comme dans mon cas — la médaille du Barreau, le prix de distinction professionnelle de l'Association du Barreau canadien, des diplômes honorifiques de diverses écoles de droit et, suite à ma nomination par des avocats, la médaille d'or du Gouverneur général pour mon travail en matière d'égalité des femmes. Mais derrière notre dos, ils nous effacent.
L'autre document que je vous ai remis explique pourquoi il est essentiel d'avoir un bon processus de nomination. Les juges, une fois nommés, sont à toutes fins pratiques au-dessus des lois. S'ils interprètent mal la loi, leurs décisions peuvent être renversées sur appel — si le plaideur déçu dispose de l'importante somme requise pour interjeter appel et si l'erreur du juge est assez flagrante. Le juge doit avoir commis une erreur manifeste et dominante dans son traitement de la preuve ou des faits. La plupart des jugements ne font pas l'objet d'un appel.
Un juge accusé d'un acte criminel peut continuer à siéger, à la discrétion de son superviseur. Lorsque la police enquête sur un juge saisi, elle fait preuve de prudence tout comme la Couronne qui aura à décider si des accusations doivent être portées. Le plaignant découvrira qu'il y a une loi pour le juge et une loi pour tous les autres.
Lorsqu'un juge commet une grave erreur d'attitude sociale ou de comportement — invoquant des stéréotypes odieux à l'égard des femmes ou des minorités raciales en pleine cour — il n'y a habituellement aucune conséquence et aucun processus de discipline. L'un des articles que je vous ai remis raconte que la Banque Canadienne Impériale de Commerce a envoyé un de ses dirigeants, qui avait fait des commentaires racistes pendant une émission, à une séance de perfectionnement psychosocial. Cela n'arrive pas aux juges. Cela arrive dans toutes les autres professions.
L'indépendance de la magistrature est jalousement gardée. Seuls les juges peuvent discipliner les juges. Au début du processus disciplinaire, on suppose que le juge est juste, impartial et intègre dans l'exécution de sa fonction judiciaire.
Étant donné toutes ces hypothèses, le processus de nomination devient absolument critique. C'est un sens unique. Quiconque essaierait de renverser cette hypothèse d'équité, d'impartialité et d'intégrité aura une lourde tâche.
Le Conseil de la magistrature ne prendra aucune mesure à l'encontre d'un juge à moins que celui-ci ne menace l'intégrité de l'ensemble de la magistrature et que le processus d'appel ne soit d'aucun secours. Même si le Conseil de la magistrature était prêt à prendre des mesures, il n'existe aucune structure de discipline autre qu'une courte adresse au Sénat et à la Chambre des communes. Il n'y a aucune suspension possible, aucune perte de rémunération ou d'avantages, aucune obligation de mieux s'informer. Si le comportement du juge n'est pas assez grave pour justifier sa destitution, il n'a aucune conséquence.
Qu'est-ce que je recommande? J'aime bien l'approche élaborée par le professeur Russell de l'Ontario, mais j'aimerais que les autorités politiques soient davantage responsables envers le Parlement.
Je termine sur cette note. Je suis en train de rédiger un livre sur l'article 15 de la Charte, ses origines et son traitement par les tribunaux au cours des 20 dernières années. J'ai été très frappée de constater qu'entre 1980 et 1985, les comités parlementaires qui sillonnaient le pays pour écouter les Canadiens ordinaires comprenaient parfaitement bien ce qui était nécessaire pour assurer et promouvoir l'égalité dans ce pays, alors que les cabinets de deux gouvernements successifs ne le savaient pas.
J'ai une grande confiance dans le processus parlementaire, et je vous demande vivement de recommander une plus grande participation du Parlement dans le processus de sélection de la magistrature fédérale à tous les niveaux.
º (1635)
Le président: Merci beaucoup.
Vous avez pris 9 minutes 45 secondes.
Monsieur Russell, vous avez dix minutes.
M. Peter Russell (Université de Toronto, à titre personnel): Merci, monsieur le président, de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui.
J'ai présenté un mémoire sur les deux questions qui ont fait l'objet d'un débat à la Chambre des communes le 3 juin, l'un portant sur les propos du juge en chef Robert sur la non-admissibilité des souverainistes à la magistrature. Je ne vais pas parler de cela. Il a peut-être été mal cité, et il semble que l'affaire a été renvoyée au Conseil canadien de la magistrature. Mais je répondrai volontiers à vos questions sur cette affaire, si vous souhaitez en discuter.
Je vais me concentrer sur la deuxième question, celle dont Mary Eberts a traité. Après son témoignage, je pense que ce n'est plus vraiment nécessaire que je vous dise que le système doit être amélioré. Je suis très heureux de voir que le ministre Cotler est d'accord sur ce point — qu'il faut l'améliorer — tout comme les membres de ce comité. J'espère que c'est vraiment le début d'un processus d'amélioration du système qui donnera vraiment des résultats et pas seulement une séance où nous aurons parlé dans le vide, car cette question me préoccupe depuis bien des années et j'ai constaté que les parlementaires fédéraux de tous les partis semblaient très peu intéressés par une véritable réforme.
C'est donc à vous de jouer et j'espère que vous n'abandonnerez pas la partie. Je suis d'accord avec Mary. C'est à vous de le faire.
À mon avis, il faut réformer le système de manière à remplacer les comités consultatifs chargés de faire une présélection par des comités consultatifs équilibrés et indépendants chargés de la recherche de candidats et des nominations.
Un comité de présélection, comme celui qui existe maintenant, peut éliminer — et il le fait probablement — les candidats qui ne sont vraiment pas qualifiés. Et, bien sûr, nous ne voulons pas des juges non qualifiés dans les tribunaux canadiens, mais il me semble qu'on devrait viser un peu plus haut et créer un système qui chercherait le meilleur candidat possible pour la magistrature fédérale, les plus hauts tribunaux du pays avant la Cour suprême.
C'est ce que les provinces ont fait. Elles ont agi plus rapidement que vous ne l'avez fait au niveau fédéral. La plupart des provinces ont créé des systèmes conçus pour aider les gouvernements en cherchant les meilleurs candidats possible, tout comme vous le feriez si vous vouliez réformer le système de nomination des recteurs d'universités, des dirigeants de sociétés d'État, etc. Vous voulez certainement les meilleurs candidats. Vous ne devriez pas vous contenter d'un système qui vous assure simplement que les pires ne seront pas nommés.
Le changement le plus modeste en ce sens — et je dis que c'est le plus modeste car je reconnais les réalités politiques — et le plus facile à réaliser, et dont nous avons discuté avec l'ancien juge en chef Michaud, serait que les comités consultatifs qui existent déjà présentent uniquement des candidats hautement qualifiés ou qu'ils présentent une liste plus longue mais que le gouvernement nomme uniquement les personnes qui sont considérées comme les plus qualifiées. Ce serait vraiment le minimum.
Si j'en ai le temps, je vous dirai pourquoi je pense que vous devriez aller plus loin, mais je veux répondre à l'argument invoqué par M. Cotler en public pour ne pas faire cela, la raison qu'il a donnée pour que le gouvernement ne soit pas contraint de choisir quelqu'un de la liste A mais qu'il puisse parfois nommer quelqu'un de la liste B. Il n'est pas le premier ministre de la Justice à me faire cette réponse. Il dit qu'il s'agit d'assurer la diversité dans les tribunaux.
Je pense que son argument ne tient pas, mais pas parce que la diversité n'est pas un bon objectif. C'est tout à fait pertinent et, dans mon mémoire, je cite le livre que j'ai publié en collaboration avec Kate Malleson sur la situation dans 19 pays. Tous ces pays essaient d'assurer une plus grande diversité dans la magistrature. Là n'est pas la question.
º (1640)
Je rejette l'axiome de M. Cotler en fonction de mon expérience de premier président du Comité consultatif des nominations judiciaires de l'Ontario, où nous avions un double mandat: trouver les meilleurs candidats et assurer la diversité, sans compromettre l'un au profit de l'autre.
En tant que président de ce comité, je suis allé voir le premier ministre et je lui ai dit, alors qu'on élaborait le mandat du comité: je présiderai seulement un comité auquel nous recommanderons les meilleures personnes disponibles; je ferai aussi tout mon possible pour en accroître la diversité. C'est ce que notre comité a fait, et c'était stipulé dans son mandat.
Pour ce qui est de la diversité, nous avons fait de gros efforts pour l'accroître par le biais d'un programme qui visait à encourager les membres sous-représentés de la profession juridique qui étaient qualifiés, qui avaient dix ans d'expérience, à présenter leur candidature. Il y avait à l'époque environ 245 juges de cour provinciale et 12 femmes. Nous ne parlons pas là de 1958 ou 1968 ou 1978, mais bien de 1988, alors que cela faisait des années que des femmes faisaient des études de droit et les terminaient souvent en tête de liste. Croyez-moi, ce programme a suscité énormément de candidatures de femmes qui n'avaient jamais envisagé de le faire auparavant parce qu'elles n'avaient pas accès aux réseaux politiques qui semblaient jusque-là si indispensables pour pouvoir se faire nommer.
Nous avons aussi fait un travail de sensibilisation dans la communauté franco-ontarienne qui était sous-représentée en Ontario, chez les membres du barreau autochtone et dans d'autres secteurs de la profession qui étaient sous-représentés. Et nous avons obtenu plus de diversité; vous pouvez voir les statistiques. Je sais que sur les 75 premières personnes que nous avons nommées à notre comité, 38 étaient des hommes et 37 étaient des femmes. Nous n'avions pas de quotas; cela s'est fait tout seul.
Je vais sauter quelques parties de mon mémoire, parce que je voudrais passer à un autre élément de cette démarche souple que j'adopte. Même si, en vertu du régime actuel, seuls ceux qui sont « chaudement recommandés » doivent être pris en compte par le gouvernement pour une éventuelle nomination, les précédents témoins, Mary Eberts, moi-même et le juge en chef Michaud, qui a présidé l'un des comités du Québec, vous ont dit que la liste des personnes chaudement recommandées était encore trop longue. Douze pour l'ouest du Québec, ce n'est pas une liste courte. C'est une invitation pour le gouvernement à aller chercher quelqu'un dont les réseaux politiques fonctionnent bien et dont on dit qu'il devrait être nommé parce qu'il a des contacts au gouvernement.
Vous le savez tous. Ne faisons pas les innocents. C'est le monde réel, et c'est comme cela que les choses se passent. Je suis très poli à ce sujet dans mon mémoire. Si vous voulez continuer à jouer ce petit jeu, eh bien soit. Mais si vous voulez sérieusement trouver les meilleures personnes — et il peut s'agir de gens qui n'ont pas de contacts au gouvernement, et qui ne devraient certainement pas être mises à l'écart — alors ne jouez pas à ces petits jeux. Ce qu'il vous faut, c'est une liste courte de personnes chaudement recommandées, choisies par un comité indépendant échappant au contrôle du gouvernement.
Le second argument que le ministre de la Justice, M. Cotler, pour qui encore une fois j'ai un profond respect... Je crois que c'est un des plus remarquables ministres de la Justice que nous ayons eus, et je ne suis pas là pour le démolir. Le deuxième argument qu'il a avancé pour ne pas adopter ce que j'appelle un véritable système du mérite en nommant un comité des candidatures qui aiderait vraiment le gouvernement à trouver les gens les plus qualifiés, c'était qu'il y avait un problème juridique constitutionnel.
Je veux réagir à cet argument car je pense qu'il a tort. Et quand un expert en science politique se présente devant un comité parlementaire pour dire que le ministre de la Justice, un éminent avocat et universitaire du droit, se trompe, il pèse ses mots. Voici pourquoi il se trompe.
Premièrement, la démarche que nous recommandons a déjà été suivie, encore une fois, par plusieurs provinces qui ont même stipulé dans leurs lois que le lieutenant-gouverneur en conseil, qui a le pouvoir juridique officiel, par exemple en Ontario, de nommer les juges, doit toujours nommer des personnes choisies sur une liste courte soumise au procureur général par le comité consultatif de la magistrature. C'est le comité consultatif de la magistrature qui présente la liste, et la personne retenue doit être choisie dans cette liste.
º (1645)
Le gouvernement peut rejeter une liste. En Ontario, c'est arrivé. Par exemple, quand j'étais président, j'ai envoyé la liste au ministre Ian Scott. Comme c'était lui qui avait créé le système, il l'appuyait. Il m'a dit: « Peter, dites à votre comité que je ne choisirai pas un nom dans cette liste car il me faut un Franco-ontarien, quelqu'un qui parle français et qui soit en mesure d'entendre des causes en français dans cette communauté. Il faut que je comble cette lacune ».
Nous nous sommes alors efforcés de susciter des candidatures des membres du Barreau franco-ontarien dans toute la province et nous en avons eu de superbes. Nous avons présenté une nouvelle liste. Le comité a travaillé très fort, sans perdre de temps, et le titulaire a été nommé.
Autrement dit, il existe au Canada de nombreux précédents où le gouvernement a dit: « Bien que nous conservions le pouvoir de nommer les magistrats que nous confère la loi au niveau provincial ou la Constitution au niveau fédéral, nous, gouvernement, exigeons que notre ministre ne soumette au Cabinet que les noms de personnes qui ont été fortement recommandées par un comité indépendant des candidatures qui considère que ces personnes sont les plus qualifiées qu'il ait pu trouver ». Quel mal y a-t-il à cela? Absolument aucun.
Les Britanniques actuellement — et je le dis dans mon mémoire — sont allés encore plus loin. J'ai témoigné à leur Chambre des communes — ils m'ont donné plus de 10 minutes...
Le président: Nous en sommes déjà à presque 14 minutes.
M. Peter Russell: Enfin, leur comité consultatif ne propose qu'un seul nom, et dans leur régime c'est la Reine qui a le pouvoir officiel de nommer les magistrats.
Il faut que je m'arrête. J'ai dépassé mon temps. J'ai d'autres suggestions pour renforcer le régime du comité. Le juge en chef Michaud, Mary Eberts et d'autres vous ont suggéré d'excellentes idées, et j'espère que nous allons pouvoir avancer.
Excusez-moi d'avoir débordé.
Le président: Vous êtes tout excusé, croyez-moi. Merci.
Monsieur Toews.
M. Vic Toews: Je vous remercie tous deux de votre témoignage.
Madame Eberts, je tiens à vous remercier tout particulièrement de la franchise de votre témoignage. Je pensais que M. Russell était toujours franc, mais je crois que vous l'avez surpassé aujourd'hui et je vous admire pour cela. Je crois que ces interventions du font du coeur fondées sur vos expériences personnelles apportent souvent une note de couleur à nos débats.
Ce qui me préoccupe ici, c'est ce que nous ont dit ceux qui souhaiteraient préserver le statu quo au nom de la protection des intérêts de nature privée. Madame Eberts, je crois que vous avez parfaitement résumé la situation dans le monde juridique, où l'on va faire votre éloge en public, mais où tout est arrangé en privé.
Comment pouvons-nous donner sa place à la question des intérêts de nature privée? Il faut bien leur donner légitimement leur place, car nous le faisons même dans les procédures en cour pénale. Il y a des noms qu'on ne peut pas publier dans des affaires d'agression sexuelle sur des enfants, ce genre de choses. Je ne dis pas que c'est la même chose, mais même dans le système très ouvert que nous avons avec notre code criminel, nous imposons certaines limites à la liberté de presse pour protéger des droits de nature privée.
D'un autre côté, ce qui manque dans tout ce système à mon avis, c'est la transparence. Je crois que c'est quelque chose que vous dénoncez. Le système joue contre vous et en faveur de personnes qui ont des raisons à plus long terme de bloquer les aspirations de quelqu'un dans la magistrature.
Y a-t-il un compromis que vous seriez prêts à accepter, ou faut-il ouvrir les portes toutes grandes? Je vous pose la question à tous deux.
º (1650)
Mme Mary Eberts: Je pense qu'il y a sans doute des intérêts privés légitimes, mais actuellement le système les privilégie beaucoup trop. Dans tout le système juridique actuel, les avocats et les défenseurs des libertés civiles s'inquiètent du fait qu'il y a beaucoup trop de procès secrets et que les juges acceptent beaucoup trop facilement les demandes de non- publication du nom de certaines personnes. Je vous invite donc à aborder cette question de la protection de la vie privée dans le cadre du processus de nomination à la lumière de l'inquiétude croissante face à l'érosion de la fonction publique de la justice au Canada. Il s'agit d'un des fondements de notre système et je crois que nous devons errer au profit de la transparence au nom de la primauté du droit et des principes fondamentaux des libertés civiles.
Il peut arriver par exemple que quelqu'un ne souhaite pas que son cabinet soit au courant de la candidature qui a été présentée, mais il s'agit dans ce cas de préserver l'intérêt privé du candidat. Quand il s'agit en revanche de l'intérêt privé des recommandataires — et permettez-moi de m'expliquer... on demande aux candidats à une charge judiciaire de fournir les noms de recommandataires. Ces personnes acceptent volontairement que leurs noms soient divulgués et elles considèrent que rien de ce qu'elles disent n'est secret. Là où nous avons les soi-disant problèmes de protection de la confidentialité, c'est quand des membres du Comité consultatif de la magistrature ou même des gens du cabinet du ministre ou d'un autre secteur demandent à Henry du cabinet X ou à Madge du cabinet Y ce qu'il pense de tel ou tel candidat, et que Henry ou Madge leur répond: d'accord, mais à condition qu'on ne mentionne pas mon nom.
J'ai présidé le Conseil de réglementation de la profession de sage-femme en Ontario à l'époque où l'on était en train de réglementer cette profession. Je ne peux pas vous dire combien de médecins m'ont téléphoné pour se plaindre en particulier des sages-femmes. Ils disaient qu'il fallait enquêter sur telle sage-femme; qu'il fallait porter plainte contre elle. Je leur répondais: très bien, écrivez-moi en signant votre lettre, et ils me répondaient qu'il n'en était pas question.
M. Vic Toews: Vous voulez dire qu'il y a une différence importante entre la protection des intérêts légitimes ou des intérêts confidentiels du candidat par opposition à ceux du recommandaitre?
Mme Mary Eberts: Oui.
M. Vic Toews: C'est ce qu'on englobe dans la notion très générale de protection des renseignements confidentiels sans préciser qui on protège exactement.
Mme Mary Eberts: C'est cela.
M. Vic Toews: Monsieur Russell, sur cette même question.
Excusez-moi, madame Eberts, c'est simplement que nous...
Mme Mary Eberts: Non, non.
M. Peter Russell: Pour ce qui est de la protection de la confidentialité des candidats, j'ai établi une distinction entre les candidats à la cour suprême d'un pays — la liste ultime des candidats — et ceux qui se présentent à des cours inférieures. Dans le cas de la cour suprême, j'estime qu'on doit pouvoir connaître le nom des personnes qui envisagent une telle nomination et qui acceptent d'être considérées comme candidates à l'un des postes les plus importants de notre vie publique. Le nom de ces candidats doit être divulgué avant que la sélection finale intervienne. C'est ce qui se fait normalement dans une démocratie adulte.
Toutefois, pour les cours inférieures, et cela était clairement la règle en Ontario dans le cas du comité que je présidais, et c'est toujours la règle en Ontario et dans les autres provinces... nous avions promis de préserver la confidentialité entière de toutes les personnes qui se portaient candidates à un poste de juge de cour provinciale, pour toutes sortes de raisons concrètes. Beaucoup de ces personnes faisaient partie de cabinets et ne souhaitaient pas que leurs associés sachent ce qu'elles faisaient. Il y avait toujours un risque pour leur pratique si elles n'obtenaient pas le poste à mi-carrière, c'est quelque chose qui pouvait être très embarrassant. Il y avait toutes sortes de raisons personnelles.
Nous avons beaucoup travaillé, c'est-à-dire que lors de nos entrevues — et nous interrogions tous les candidats au sommet, c'est-à-dire six ou sept candidats pour un poste donné — le secrétariat de notre comité faisait preuve d'énormément d'ingéniosité. Les candidats ne se rencontraient pas dans une salle d'attente. Il y en avait un qui entrait pendant que l'autre sortait de l'autre côté. J'estimais qu'il était extrêmement important de garantir cette confidentialité à tous les candidats.
C'est une différence importante. Aujourd'hui, vous vous concentrez sur les nominations aux tribunaux inférieurs à la Cour suprême du Canada. Je pense que la confidentialité des personnes envisagées, notamment de celles qui passent une entrevue...
Et j'espère que vous allez recommander les entrevues comme quelque chose d'absolument nécessaire. Pouvez-vous imaginer nommer quelqu'un à un poste de haut niveau — et comme l'a dit Mary Eberts, il s'agit de postes extrêmement importants — sans faire passer d'entrevue? Est-ce que vous le feriez pour n'importe quelle autre organisation dont vous vous occuperiez? Oh, allons-y donc en espérant qu'il ou elle va être quelqu'un de bien et de correct.
De toute façon, il faut garantir la confidentialité.
º (1655)
M. Vic Toews: Ajoutez au moins « dans ce contexte », monsieur.
Le président: Ce sera votre dernière question, monsieur Toews.
M. Vic Toews: Je donne simplement une précision.
Dans ce contexte, au moins les accusations portées contre le candidat pourraient l'être en privé, et il ou elle pourrait au moins se défendre.
M. Peter Russell: Exactement, et c'est très important car quelle que soit la façon dont sont obtenues les recommandations, il y a toujours quelque chose qui émerge et tous les membres du comité veulent avoir plus de précisions à ce sujet. C'est souvent que la personne a un parti pris trop marqué dans une direction donnée, et on veut les interroger de façon plus approfondie là-dessus.
L'autre aspect de la reddition de comptes, comme on le voit avec le comité de l'Ontario, c'est la présentation publique et très approfondie de ce que fait le comité. Tous les ans, toutes les procédures, les critères, les chiffres, etc. Un rapport public est déposé à l'assemblée. Cette reddition de comptes est vitale.
Ce n'est donc pas un processus mystérieux. Il ne doit pas l'être.
[Français]
Le président: Merci beaucoup, monsieur Toews.
Monsieur Lemay.
M. Marc Lemay: J'ai écouté vos présentations avec beaucoup d'attention et je suis impressionné par la qualité de vos remarques. Également, comme vous avez eu l'amabilité de nous les faire parvenir avant la réunion, j'ai lu vos notes.
Madame Eberts, je ne me trompe pas en disant que vous êtes sortie malheureuse de ce processus. J'ai été moi-même bâtonnier dans ma région, j'ai siégé à des comités de sélection et je peux comprendre facilement votre frustration, compte tenu de tout le secret qui entoure cette pratique.
Ai-je bien lu vos notes? Je les ai lues en anglais et en français. À votre connaissance, est-il arrivé qu'un candidat non recommandé ait réussi à faire renverser cette non-recommandation parce qu'il avait de bonnes relations avec un ministre? Est-ce bien ce que j'ai lu? C'est ma première question. C'est ce que je veux entendre. Est-ce vraiment cela?
[Traduction]
Mme Mary Eberts: J'ai trouvé cette information sur le site Web du Bureau du commissaire à la magistrature fédérale. Cela m'a étonnée, mais c'est sur le site Web. Je l'ai sortie en anglais, mais vous pouvez certainement le trouver en français aussi.
On dit que dans le cas où quelqu'un n'a pas eu de succès auprès du comité... si le ministre reçoit des informations d'autres sources qui contredisent la recommandation du comité, il peut lui demander de revoir sa recommandation.
C'est sur le site Web. J'en suis presque tombée à la renverse quand je l'ai vue.
» (1700)
[Français]
M. Marc Lemay: Moi aussi, je suis presque tombé de ma chaise, comme M. Robinovitch l'a fait dans un autre comité, mais je ne le ferai pas,
Comment le ministre peut-il faire cela s'il ne connaît même pas ceux qui sont non recommandés? Il n'est pas censé avoir entendu parler de ces personnes highly recommended, recommended et des autres.
[Traduction]
Mme Mary Eberts: Par convention, dans ces comités, personne ne doit savoir quel est votre rang. C'est pour cela que je disais dans mon article que ce sont des ragots si on l'apprend. Par des ragots, on apprend que vous avez été fortement recommandé, recommandé ou pas recommandé. Ensuite, si vous n'avez pas été recommandé, ou même si vous avez été simplement recommandé alors que vous pensiez que vous auriez dû être fortement recommandé et que vous avez de bons liens politiques, ce message sur le site Web laisse entendre que vous pouvez vous adresser à vos amis pour demander au ministre de prier le comité de revoir sa décision. Je n'en suis pas revenue.
[Français]
M. Marc Lemay: Cela concerne-t-il les nominations de juridiction fédérale? J'avoue que je n'ai pas été voir sur le site web, puisque vous n'en avez pas parlé dans votre texte. Vous dites que c'est publié sur le site web?
[Traduction]
Mme Mary Eberts: Si vous allez sur le site Web du Bureau du commissaire à la magistrature fédérale, il y a toute une description détaillée du processus de nomination. Il y a un endroit où vous pouvez trouver tous les critères, et dans l'un d'entre eux il y a la description de ces comités consultatifs, et c'est dans cette description du comité sur le site Web du commissaire que j'ai trouvé cette information.
[Français]
M. Marc Lemay: Merci madame.
Monsieur Russell, j'ai énormément de respect pour le travail que vous avez fait. Lorsque j'étais étudiant, et même lorsque j'étais avocat, je lisais ce que vous écriviez.
Vous êtes convaincu — et je le suis aussi — qu'il doit y avoir une rencontre ou, en tout cas, que les candidats devraient comparaître en comité et qu'il devrait y avoir une recommandation. Croyez-vous qu'il devrait y avoir également une telle audition pour les candidats qu'on voudrait recommander à la Cour d'appel fédérale, à la Cour d'appel des provinces et, bien évidemment, même si cela ne nous concerne pas, à la Cour suprême? Ainsi, contentons-nous de la Cour d'appel fédérale et de la Cour d'appel des provinces. Diriez-vous même qu'il faudrait également qu'il y ait un comité de sélection et audition pour ces nominations?
[Traduction]
M. Peter Russell: Tout à fait.
[Français]
M. Marc Lemay: Pourquoi?
[Traduction]
M. Peter Russell: Il y a quantité de questions que l'on voudra leur poser à propos de leur expérience. S'ils sont pressentis pour une cour d'appel, on pourra les interroger sur le genre de travail que cela suppose et leur aptitude à ce genre de travail, par exemple, sur leur expérience en rédaction.
Le travail en cour d'appel est un travail d'érudit. Il demande des compétences bien différentes de celles que l'on attend d'un juge de première instance. Il faut connaître le droit à fond mais aussi quantité d'autres choses quand vous entendez des causes à ce niveau. Il faut avoir une perspective très large aussi parce qu'à peine 2 p. 100 des cas tranchés par nos cours d'appel vont jusqu'à la Cour suprême. La cour d'appel — la cour d'appel fédérale et les dix cours provinciales —, dans 98 p. 100 des cas, a le dernier mot, souvent dans des questions juridiques qui revêtent une très grande importance.
On souhaite donc que les candidats aient une très grande largeur de vue et d'esprit et une longue expérience. Une interview serait donc effectivement très importante.
[Français]
M. Marc Lemay: Si j'ai bien compris, monsieur Russell, ce que vous mentionnez est clair pour vous. Si je résumais votre témoignage et le document que vous nous avez fait parvenir, aurais-je raison de dire que plusieurs nominations ne portent pas sur le mérite du candidat actuellement dans les juridictions fédérales, mais sur les contacts qu'il peut avoir?
» (1705)
[Traduction]
M. Peter Russell: C'est le cas.
[Français]
M. Marc Lemay: Merci.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Lemay.
[Traduction]
M. Peter Russell: Pourrais-je ajouter quelque chose? Les personnes qui se sont portées candidates à la cour provinciale quand j'étais président et qui ne figuraient même pas sur notre liste de candidats présélectionnés ont été nommées au fédéral. Les candidats présélectionnés et qui n'avaient pas obtenu une note élevée ont été nommés au fédéral.
J'ai vérifié auprès des présidents des autres comités provinciaux et j'ai constaté la même chose. J'ai donc des preuves. Je ne vais pas donner de noms. Il est plus facile de se faire nommer au fédéral, dans les hauts tribunaux, que dans la plupart des cours provinciales.
J'ajouterai que je suis fier des cours provinciales.
Le président: Si le comité l'y autorise, M. Broadbent voudrait poser les questions au lieu de M. Comartin. Tout le monde est d'accord?
Monsieur Broadbent.
L'hon. Ed Broadbent (Ottawa-Centre, NPD): Je remercie mes collègues et je souhaite la bienvenue à nos invités.
En guise d'introduction, j'aimerais parler un peu du processus de sélection notamment d'une expression employés par M. Russell, quand il a parlé des meilleurs éléments. C'est une question que j'aimerais soulever. Vous venez de parler de l'importance de la cour d'appel en ce qui concerne la Cour suprême.
Pour la première fois de ma vie, et j'ajouterai comme parlementaire, comme politologue et comme quelqu'un de très actif dans les changements constitutionnels survenus entre 1980 et 1982, j'ai été très choqué par la décision de la Cour suprême au sujet du système de santé québécois: j'ai trouvé que c'était une très mauvaise décision. Pour la première fois de ma vie, je me suis mis à réfléchir au processus de sélection des juges.
J'ai suivi avec grand intérêt ce qui se passe aux États-Unis. En particulier, j'ai été frappé par l'article récent de Ronald Dworkin et j'aimerais savoir ce que vous en pensez. Il porte justement sur la question de savoir comment arrive-t-on à trouver les meilleurs éléments? Je vous ai écouté et j'approuve le minimum de réformes que vous préconisez.
Voici ce qu'il dit à propos de l'importance d'une philosophie judiciaire des nominations aux échelons supérieurs de la magistrature. Il cite la Constitution des États-Unis, évidemment, mais je crois que ses propos s'appliquent aussi à notre Constitution et j'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Il dit qu'il faut aller au-delà des formulations abstraites de notre Charte ou de son équivalent américain pour prendre des décisions pratiques. Il dit:
Les juges peuvent interpréter cette formulation abstraite uniquement en faisant appel à une vision d'une forme souhaitable et applicable de la démocratie qui, à leur avis, est adaptée à la structure générale de la Constitution et la justifie. Ils peuvent ensuite justifier le choix d'une interprétation des formules abstraites plutôt qu'une autre en expliquant comment cette interprétation apporte une meilleure contribution à la démocratie ainsi conçue. |
Il poursuit et, en termes généraux, ce qu'il dit c'est qu'il est immensément important quand on nomme quelqu'un à la Cour suprême — et j'en dirais désormais autant des cours d'appel, comme vous en avez parlé — de bien comprendre leur conception de la démocratie et de la Constitution.
J'aimerais que chacun d'entre vous réponde, si vous le voulez bien. Pensez-vous qu'il est vraiment important pour le législateur de comprendre les idées et la pensée de juges potentiels? Leur idéologie, leur philosophie sont-elles très importantes et, si c'est le cas, comment peut-on en tenir compte dans la méthode que vous recommandez?
M. Peter Russell: Je suis heureux que vous ayez posé la question parce que cela me donne l'occasion de dire: « N'allez pas aux États-Unis ». J'admire le système de l'Afrique du Sud. J'ai l'air de parler de la planète Mars mais l'Afrique du Sud ce n'est pas la planète Mars: C'est une démocratie constitutionnelle nouvelle en plein épanouissement. Elle prend très au sérieux la nomination de ses juges, surtout au niveau supérieurs. C'est un pays où les droits de l'homme ont été cruellement bafoués. Les Sud-Africains ont une constitution qui garantit des droits qu'ils prennent très au sérieux. Les tribunaux ont un rôle immense à jouer pour donner corps à la vision de la démocratie exprimée dans leur constitution.
Dans leur système, le nombre de candidats présélectionnés est peu élevé. Ils tiennent ensuite des audiences publiques non pas devant un comité sénatorial mais devant une commission des services de la magistrature présidée par le juge en chef de la Cour constitutionnelle. Y siègent des députés. Il est très important de compter des parlementaires de tous les camps. On y trouve des doyens de facultés de droit et d'éminents juristes, un juge ainsi que des représentants du Barreau. Les audiences sont publiques. Les médias sont présents. Beaucoup de questions portent sur la façon dont ils estiment que la constitution sert l'Afrique du Sud et la vision qui inspire l'interprétation qu'ils en font. Une courte liste de noms est ensuite transmise au président, qui l'équivalent de notre premier ministre.
» (1710)
L'hon. Ed Broadbent: Recommanderiez-vous un système comme celui-là?
M. Peter Russell: Oui, mais ne vous fiez pas seulement à la réponse que je donne en deux ou trois minutes au Sous-comité de la justice. Si vous êtes sérieux, notre livre va paraître bientôt et nous avons un Sud-Africain qui en a fait une excellente critique. On y trouve beaucoup d'écrits au sujet du système sud-africain. Il y a un groupe actif d'érudits et de journalistes qui suivent ces dossiers.
Je pourrais passer à d'autres pays. Une partie du livre dont je continue de faire la réclame paraîtra bientôt, j'espère, et portera sur la nomination des juges dans le monde; 19 juridictions différentes sont incluses, y compris la nouvelle cour pénale internationale.
Il y a d'autres types de réformes qui sont, je crois, meilleures que la nôtre. Le modèle israélien est intéressant. Voilà bien une Cour suprême d'une importance sensationnelle, dotée d'immenses pouvoirs et qui doit trouver le juste milieu entre les questions lourdes de conséquences comme la sécurité et la démocratie. Si jamais une cour constitutionnelle, une Cour suprême — c'est bien une Cour suprême...
L'hon. Ed Broadbent: Je en veux pas être impoli mais...
M. Peter Russell: ... on fait beaucoup appel aux parlementaires.
L'hon. Ed Broadbent: Oui, c'est ce que je voulais savoir.
M. Peter Russell: Ils sont au coeur du processus parce que l'avenir du pays dépend beaucoup des gens qui y siègent.
Ne croyez pas que le système américain, que je ne veux pas décrier... je pense qu'il est préférable au nôtre.
L'hon. Ed Broadbent: Je ne préconise pas le système américain; je préconise sa thèse et son applicabilité ici.
M. Peter Russell: Mais tant de gens pensent que c'est la solution : ou bien on conserve le statu quoi ou bien on imite ce qui se fait à Washington. Je veux seulement vous ouvrir les yeux sur d'autres façons de faire.
Le président: Votre dernière question?
L'hon. Ed Broadbent: Eh bien, j'aimerais entendre Mary Eberts répondre à la même question, et puis ce sera tout, monsieur le président.
Mme Mary Eberts: Je pense effectivement qu'il est très important de comprendre la philosophie au sujet de la démocratie et du rôle du Parlement des juges potentiels.
Je dirais que votre question se situe au niveau de la Cour suprême du Canada, qui rend des décisions déterminantes pour notre constitution, mais les cours d'appel les rendent aussi et pour toute décision en vertu de la charte, il est essentiel que le juge comprenne le rôle qui revient au Parlement dans une démocratie parlementaire. Nos juges prennent continuellement des décisions sur ce qui est approprié pour le Parlement, ce que sont ses pouvoirs, ses atouts et ses rôles particuliers. Comme Peter, je pense qu'il est essentiel que la population comprenne bien qu'elle est la philosophie juridique de ces candidats.
Comme cela s'est fait lors des discussions qui ont eu lieu dernièrement aux États-Unis, je distingue entre comprendre la philosophie d'ensemble au sujet de la démocratie et ses acteurs et les questions quant à la proposition qu'ils prendraient dans une affaire donnée. C'est Mme le juge Ginsburg je crois, lors de son audience de confirmation à la Cour suprême des États-Unis, qui a refusé de répondre à certaines questions en disant qu'on lui demandait de préjuger une affaire dont la cour pourrait être saisie. Je pense qu'elle avait raison mais il est essentiel d'avoir une idée générale de la philosophie de la démocratie du candidat et de ce qu'il considère être les rôles des divers protagonistes dans un État démocratique.
Le président: Merci.
Monsieur Macklin, bienvenue au comité.
» (1715)
L'hon. Paul Harold Macklin (Northumberland—Quinte West, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
Veuillez m'excuser d'être arrivé en retard pour votre exposé, mais merci d'être parmi nous et de nous faire connaître vos vues parce que nous tenons beaucoup à entendre un large éventail de vues dans notre domaine d'intérêt.
Je suppose qu'une des choses qui m'attire — peut-être comme vous, monsieur Russell — c'est que comme politologue, vous échafaudez et étudiez l'ensemble de vos positions en fonction des informations que vous arrivez à trouver. Ce qui me semble généralisé dans tout ceci — et je me trompe peut-être ici, mais il me semble que c'est implicite — c'est que notre magistrature traverse une sorte de crise. Beaucoup de témoins pointent du doigt la politique et son influence dans le processus et je vous demanderai donc si, sur la foi des faits que vous avez réunis, vous constatez cette partialité politique dans la magistrature au point que cela crée un problème dans nos tribunaux.
Par exemple, les juges conservateurs de l'Alberta manifestent-ils leur partialité conservatrice dans leurs décisions? Je pense qu'il y a quelque chose de fondamental ici dans le travail que nous faisons, qui pose la question de savoir ce qui va de travers dans le système. Est-ce que les gens disent, et avez-vous des preuves politiques qui indiquent qu'il y a bien des problèmes qui dénotent une crise dans notre magistrature si l'on ne modifie pas le processus de sélection?
M. Peter Russell: Vous avez parlé de l'Alberta et de sa cour provinciale. Loin d'être en crise, celle-ci a été réformée, et les personnes nommées dans les cours provinciales de l'Alberta ne le sont pas pour des raisons politiques.
Le problème ce sont les nominations fédérales. Le problème, c'est que l'on se contente de la médiocrité et que l'on fait un usage abusif du favoritisme politique dans la sélection des juges. À la fin de mon mémoire, je dis que nous avons une magistrature fédérale d'assez bonne qualité. Elle est pas mal mais elle pourrait être bien meilleure.
Vous, je ne sais pas, monsieur Macklin, mais moi je suis très fier des institutions dans mon pays. Quand je vais à l'étranger, j'ai honte quand je parle du système de nomination fédéral. Je me rends à quantité de conférences internationales. On me dit qu'on a assaini le système des provinces et que l'on a des comités de nomination équilibrés et indépendants et que l'on fait du bon travail. Comment alors se fait-il que les juges les plus hauts placés dans vos provinces soient nommés en cachette selon une méthode qui se prête à la manipulation politique?
Je vais vous confier quelque chose qui m'agace vraiment. Il m'arrive de rencontrer des juges, souvent dans le métro, qui président ces tribunaux. Ils me disent: « Peter, tu ne peux pas savoir combien la dernière série de nominations était rouge. » Savez-vous ce que ça veut dire? Eh bien, oui, vous le savez. Ce ne sont pas de mauvais juges.
Voici l'un des avocats des plus brillants que l'on ait jamais eu. Pourquoi ne pas choisir les meilleurs? Sommes-nous vraiment satisfaits de nominations médiocres de gens qui se trouvent à avoir des liens avec le parti au pouvoir? Est-ce assez bon pour vous, monsieur Macklin? Ce n'est pas assez bon pour moi. Pour moi, c'est une crise: ne pas réaliser le potentiel de notre pays.
L'hon. Paul Harold Macklin: Sur quels faits vous fondez-vous pour dire que nos tribunaux sont en crise?
M. Peter Russell: Si vous voulez défendre la médiocrité en disant qu'il n'y a pas de crise...
L'hon. Paul Harold Macklin: Je vous demande seulement quelle preuve vous avez.
M. Peter Russell: Je n'ai pas dit qu'il y avait une crise. J'ai dit que je considère... Que le parti au pouvoir, le parti qui gouverne le pays, se satisfasse de quelque chose qui n'est pas ce que nous pourrions avoir de mieux est extrêmement décevant.
Nous avons beaucoup de jeunes. Je suis venu ici hier pour le Forum des enseignantes et des enseignants sur la démocratie parlementaire canadienne, qui essaie d'intéresser nos jeunes au Parlement. Voilà le genre de chose... quand on leur dit que le parti qui nous gouverne, le gouvernement au pouvoir, se satisfait de la médiocrité, c'est ce qui les rend cyniques. Ça, c'est une crise.
L'hon. Paul Harold Macklin: Eh bien, acceptons seulement une chose que vous avez dites. Vous dites, donc, que la magistrature n'est pas en crise. Très bien. Je passe ensuite à votre argument selon lequel l'objectif général de la réforme que vous souhaitez est de faire d'une magistrature qui est bonne une magistrature qui soit encore meilleure.
M. Peter Russell: C'est cela.
M. Paul Harold Macklin: À votre avis, dans ce cas, en fonction de quels critères peut-on créer ce meilleur système de justice?
» (1720)
M. Peter Russell: Ce que sont... les critères quand on est à la recherche d'excellence?
L'hon. Paul Harold Macklin: Oui, les critères de sélection. Que devrait être selon vous...?
M. Peter Russell: Je vais m'en tenir à la première instance parce qu'au comité que j'ai présidé, c'est le niveau qui nous a le plus préoccupés. On a demandé au comité d'établir des critères.
Nous nous sommes penchés sur trois domaines. L'un était la compétence professionnelle. Vous vous objecterez: qu'y a-t-il d'autre? La compétence professionnelle, au fait, comprenait le traitement de l'information, savoir se servir d'un ordinateur. La compétence professionnelle, c'est de bons talents d'administrateur. Beaucoup de juges connaissent peut-être bien un peu de droit, mais ils sont incapables de gérer leur tribunal: ils seront terribles.
On a examiné la sensibilité sociale. Nous voulions des juges... pas parce qu'ils avaient une position donnée sur telle ou telle question, mais s'ils vont se retrouver au tribunal de la famille, nous voulions qu'ils soient au courant des derniers écrits sur la garde des enfants et sachent si la garde conjointe est efficace ou non. Qu'est-ce qu'ils lisent sur le sujet? S'ils se destinent à une cour criminelle, que savent-ils des prisons et des effets qu'elles ont sur les détenus? Nous voulions que ceux qui allaient occuper ces postes sachent comment leurs décisions allaient toucher les gens. C'est la conscience sociale.
Les autres étaient le caractère et la personnalité. Nous voulions des gens qui, contrairement à moi, savent écouter et ne sont pas pompeux. Nous voulions des gens travailleurs. Nous voulions qu'ils soient en assez bonne santé et en très bonne santé mentale. Chez nos juges de première instance, nous tenions beaucoup à ce qu'ils aient un sens de l'humour et de l'humilité.
Je vous résume brièvement ce que nous cherchions.
L'hon. Paul Harold Macklin: Il y a une autre chose dont vous avez parlé qui me préoccupe un peu...
Le président: Vous pouvez poser une seule courte question pour terminer.
L'hon. Paul Harold Macklin: Quand vous dites qu'un juge doit avoir des connaissances spécialisées dans un domaine en particulier, au Canada, bien souvent, le principe est que nous avons besoin de juges bilingues pour répondre à certaines exigences de la Constitution.
Choisissons-nous des juges et devrions-nous choisir les juges en fonction de leurs connaissances spécialisées dans un domaine en particulier ou pour une cour en particulier? Ne vaudrait-il pas mieux dire que nous cherchons à trouver des gens qui ont des aptitudes qui leur permettront de s'adapter à la cour dans son sens le plus large?
M. Peter Russell: Cela dépend de la cour. En Cour fédérale, si vous n'avez personne qui connaisse quoi que ce soit à propos du droit de l'amirauté ou des brevets, vous êtes fichu. Assurez-vous bien que lorsque votre spécialiste du droit de l'amirauté sera parti, vous pouvez le remplacer par quelqu'un qui connaisse le droit maritime.
Il est difficile de généraliser. Avant, je parlais beaucoup au procureur général de la province des véritables besoins. Dans certaines régions, il s'agissait surtout de droit pénal. Ailleurs, c'était le droit de la famille. Ce sont des domaines importants. L'un n'exclut pas l'autre: celui qui fait du droit de la famille en sait long sur le droit pénal, surtout en ce qui concerne les jeunes délinquants. On cherche souvent ce genre de spécialisation. Ce n'est pas une mauvaise chose.
Il y a des généralistes. Beaucoup des candidats que nous avons vus étaient des généralistes. Ils vont devenir d'excellents juges. M. Toews a parlé tout à l'heure de quelqu'un qu'il connaissait qui faisait du droit civil des entreprises et qui est devenu un bon juge de droit pénal.
Néanmoins, on ne veut pas écarter des spécialistes dans les domaines où il y a une véritable lacune.
Le président: Merci, monsieur Russell.
M. Breitkreuz est le suivant. Il y a un autre comité qui vient à 17 h 30.
M. Garry Breitkreuz (Yorkton—Melville, PCC): Merci, je vais essayer d'être aussi bref que possible.
Le président: Je n'en doute pas.
M. Garry Breitkreuz: Vous avez fait certaines déclarations qui me préoccupent. Nous pourrions avoir une magistrature bien meilleure qu'elle ne l'est. C'est un profane qui vous pose la question et qui voit les choses avec le regard du citoyen moyen.
Pouvez-vous me donner un exemple — peut-être voudrez-vous l'inventer mais si c'est le cas, que ce soit aussi réaliste que possible — des raisons pour lesquelles le Canadien moyen devrait se soucier de ce dont on parle ici aujourd'hui? Qu'est-ce que cela fait si une nomination est politique?
Vous avez parlé de choses comme l'État de droit, la menace possible pour les libertés civiles, mais pouvez-vous me donner un exemple précis de ce qui pourrait arriver en cour si l'on n'a pas les meilleurs juges qui soient? Pouvez-vous me donner un ou deux exemples concrets?
Mme Mary Eberts: Je vais commencer ma réponse en vous disant que chaque fois que je suis au tribunal devant un juge et qu'un témoin se présente à la barre et prête serment et que je commence à lui poser des questions ou à le contre-interroger, il y a quelque chose en moi qui dit qu'il n'y a aucune raison au monde qui explique pourquoi cette personne devrait être assise là et accepter ce que je fais. Il n'y a aucune raison au monde qui fasse que quelqu'un vienne en cour se mettre à nu et révèle l'information la plus intime qui soit à l'exception du fait que ceux qui viennent là ont du respect pour la Cour. Ils sont convaincus de son importance. Ils ont la conviction que leur participation franche et honnête aux délibérations du tribunal est importante; les jurés ont le même sentiment.
Chaque fois que j'interroge un témoin, pour moi, c'est un petit miracle parce qu'il s'agit de la primauté du droit. Il n'y a pas suffisamment de policiers au pays pour forcer tout le monde à bien se conduire ou pour appliquer chaque ordonnance du tribunal. Si le système marche, c'est parce que les gens le respectent et ont la conviction qu'il a un rôle à jouer. Si le citoyen ordinaire cesse de respecter le tribunal, vous ne pourrez pas le contraindre à faire ce qu'il fait aujourd'hui de son gré, à savoir souscrire de plein gré à l'ordre juridique.
C'est pour cela que c'est important. Le jour où vous perdrez cela, ce sera fini et vous ne vous en apercevrez que lorsque cela aura disparu. Chaque fois que quelqu'un entend dire qu'un juge a été nommé parce qu'il est le copain de quelqu'un d'autre ou qu'un juge tient des propos terriblement racistes en cour sans que quiconque intervienne, c'est l'ordre juridique qui s'effiloche.
Voici un dernier exemple, il y a quantité d'affaires où le juge tient des propos désobligeants sur les Autochtones au tribunal. Il y a une décision bien connue de la Cour suprême appelée la Reine c. Gladu où la Cour suprême du Canada dit en plein tribunal que notre système juridique a trahi les peuples autochtones. C'est le constat d'échec du système le plus accablant qui soit dans une affaire.
Ces plaintes viennent de l'Assemblée des Premières nations, des chefs régionaux, des bandes, d'associations comme Inuit Tapirisat. Elles parviennent au Conseil canadien de la magistrature et vous savez ce qu'il en advient? Elles sont écartées du revers de la main. Le Conseil dit que cela n'a rien changé à la conclusion, et c'est tout. La Cour suprême dit que le système a trahi les peuples autochtones et le Conseil canadien de la magistrature continue de les trahir. Le jour où le citoyen ne veut plus se conformer à l'état de droit, c'est disparu à tout jamais. C'est pour ça que c'est important.
» (1725)
[Français]
Le président: Monsieur Russell.
[Traduction]
M. Peter Russell: En mai dernier, une femme m'a téléphoné pour me parler d'une affaire. Elle est de classe moyenne et c'est important. Elle n'était pas admissible à l'aide juridique. Elle était partie à un litige foncier très important en cour supérieure. Elle avait été parfaitement humiliée par deux juges qui l'avaient fait sangloter et qui ont rendu une fin de non-recevoir alors que l'autre partie a à peine eu à ouvrir la bouche.
J'ai obtenu les dossiers de la Cour et je lui ai trouve un avocat. Elle vient d'arriver dans notre pays. J'avais honte. J'ai eu honte — c'est important.
Mme Mary Eberts: J'ai eu cette réaction aussi.
[Français]
Le président: Je vais poser la dernière question.
Professeur, selon vous — c'est une question très précise —, si nous avions un système où le comité remettait au ministre une courte liste de candidats à partir de laquelle ce dernier aurait à choisir un juge, est-ce que cela poserait un problème constitutionnel en vertu de l'article 96 de la Constitution, oui ou non?
[Traduction]
M. Peter Russell: Absolument. Je me servirais du rapport de 1985 de l'Association du Barreau canadien. Ce comité était composé de John Robinette, Neil McKelvey, Robert McKercher, une brochette prestigieuse d'avocats. Je n'étais que leur adjoint de recherche. Nous avons étudié la question et, à moins que les conseillers juridiques de la Couronne de Grande-Bretagne et des capitales provinciales aient tort, rien dans la Constitution n'empêche d'avoir ce genre de système.
» (1730)
[Français]
Le président: Merci beaucoup.
Demain, nous discuterons des témoins qui vont comparaître et nous finaliserons le tout. Si vous avez d'autres gens à suggérer, nous en parlerons demain, à la fin de la séance.
Merci à tous. Je remercie les témoins. Bonne soirée.
La séance est levée.