OGGO Rapport du Comité
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CHAPITRE QUATRE LES DÉFIS COMPTABLES PROPRES AU SECTEUR PUBLIC : ACTIFS ET PASSIFS DE LONG TERME
L’adoption de la budgétisation selon la comptabilité d’exercice par les gouvernements soulève certaines difficultés techniques qui ne sont pas présentes dans le secteur privé où la comptabilité d’exercice est pratiquée depuis longtemps.
Essentiellement, les défis proviennent du fait qu’il existe des actifs et des passifs uniques au secteur public, au sujet desquels il existe peu ou pas de règles établies pour guider les agents responsables de la préparation des documents et des états financiers gouvernementaux. Ce manque d’orientation peut mener au traitement inadéquat de certains éléments, ce qui aurait des répercussions sur la politique budgétaire.
Avant de recommander l’adoption de la comptabilité d’exercice pour la budgétisation et l’octroi des crédits, le Comité a tenu à clarifier la situation auprès de personnes qui font autorité en la matière. Cette démarche visait à s’assurer que les difficultés propres au secteur public ne représentaient pas des obstacles insurmontables pouvant faire en sorte que la réforme comptable proposée devienne un véritable casse-tête pour le gouvernement et se termine par un échec.
A) Actifs et passifs de long terme
Lors de ses audiences sur le sujet, le Comité a concentré ses efforts sur les difficultés associées aux infrastructures, aux actifs patrimoniaux et militaires et aux passifs environnementaux.
Dans un premier temps, les difficultés inhérentes de l’évaluation de l’infrastructure ont amené certains membres du Comité à se demander si les avantages de son évaluation aux fins de la responsabilité, de la gestion et de l’assurance surpassent les coûts potentiellement énormes de cette évaluation.
Au sein des pays qui ont adopté la comptabilité d’exercice, il existe plusieurs démarches quant à l’évaluation de l’infrastructure des gouvernements, chacune pouvant avoir des répercussions différentes sur la valeur finale des biens. Par exemple, en Nouvelle-Zélande, on inscrit les autoroutes selon la fraction non amortie du coût de remplacement, en estimant le coût actuel de la construction du bien existant. Le terrain sur lequel sont construites les autoroutes est évalué selon un coût de renonciation basé sur l’utilisation adjacente. Au Royaume-Uni, les réseaux routiers sont évalués selon le coût de remplacement actuel non amorti afin de tenir compte de l’état général du réseau. En Suède, les routes et les chemins de fer sont comptabilisés selon leur valeur d’acquisition moins l’amortissement. Par ailleurs, on peut également se baser sur le coût d’origine moins tout amortissement cumulé et employer toute perte de valeur cumulée comme point de repère.
Fondamentalement, les diverses bases d’évaluation sont liées à la question de la préservation du patrimoine, ce qui est important dans la conception d’un système d’établissement des budgets selon la comptabilité d’exercice. Aussi, la littérature comptable sur le sujet soutient qu’il peut être utile d’opter pour une base de comptabilité au coût actuel pour pouvoir assurer la capacité de fonctionnement de l’infrastructure.
C’est ainsi que dans la foulée de ces considérations plutôt techniques, la question de la préservation des actifs et du « déficit d’infrastructure » est rapidement devenue un sujet de préoccupation du Comité. Il est en effet généralement reconnu que le Canada fait face à un important déficit au chapitre de l’entretien et de la mise à niveau de ses infrastructures et que plusieurs n’hésitent pas à comparer celui-ci à une « dette nationale ». Puisqu’une partie de ces infrastructures est la propriété du gouvernement fédéral, le déficit qui y est associé pourrait, à première vue, être porté au bilan du gouvernement.
Or, d’après Ronald Salole, les états financiers selon la comptabilité d'exercice sont excellents pour faire état des transactions et des événements qui se sont produits au cours d'une période donnée. Néanmoins, ils ne peuvent pas aussi bien rendre compte de ce qui n’a pas été dépensé pour l’entretien des actifs. Pour le moment, la méthode de la comptabilité d'exercice vise surtout à renseigner sur les coûts historiques, les transactions réelles plutôt que la juste valeur marchande.
Face aux coûts potentiellement gigantesques des divers passifs auxquels le gouvernement peut être appelé à faire face, mis à part celui relatif aux infrastructures, le Comité s’est alors penché sur la question de la nécessité de rapporter ou de faire mention de certains passifs dans les états financiers de gouvernement. Et tout d’abord, sur la validité de comptabiliser le déficit d’infrastructure comme un passif. Selon la définition de l’Institut canadien des comptables agréés, un passif devient réel lorsqu'un avantage économique futur sera perdu et qu’il n’existe aucun moyen de s’y soustraire ou qu’il y a responsabilité par imputation (affectation d’une somme au règlement d’une dette particulière).
À cet effet, le Comité a retenu que le traitement comptable d’éléments susceptibles d’être considérés comme des passifs à long terme et pour lesquels le gouvernement n’a pas pris d’engagement devait se faire de façon à privilégier d’abord la déclaration objective de la valeur de l’obligation, sous la forme d’une note aux états financiers, mais sans les y inclure.
Si on comptabilise aujourd'hui le déficit sur le plan de l'infrastructure, demain, qu'est-ce qui empêcherait quelqu'un de vouloir comptabiliser le déficit sur le plan de l'éducation ou sur tout autre plan? Étant donné la façon dont nous établissons les normes, ce ne sont pas des choses qui répondent à notre définition d'une dette13.
Le Comité s’est aussi intéressé à la comptabilisation des biens patrimoniaux qui est aussi problématique que la question des infrastructures en raison des nombreuses difficultés pratiques relatives à l’attribution d’une valeur aux biens culturels ou historiques ou au patrimoine naturel d’un pays.
Tout le monde convient qu’il s’agit d’un patrimoine national et qu’à ce titre, il devrait figurer dans les états financiers du gouvernement. De plus, on convient habituellement que ces biens ne font généralement pas l’objet d’une provision pour amortissement (à l’exception possible des édifices). En Nouvelle-Zélande, ils sont inscrits à titre de « propriété, installation de production et équipement » du gouvernement et des explications à leur sujet se trouvent dans les informations supplémentaires des états financiers. On les évalue selon un « coût d’origine modifié » (coût d’origine corrigé selon la réévaluation). Au Royaume-Uni, la valeur doit être établie selon ce qu’on appelle les biens patrimoniaux opérationnels (les biens patrimoniaux qui offrent toujours des services au pays). Cette valeur est la valeur la plus faible parmi les suivantes : coût de remplacement et montant à recouvrer (la valeur la plus grande parmi les suivantes : valeur nette de réalisation et la valeur d’usage). Pour nombre d’autres biens, appelés biens patrimoniaux non opérationnels, (comme les collections des musées et des galeries, les sites archéologiques, les tertres funéraires, les ruines, les monuments et les statues), il n’est pas nécessaire d’inscrire une valeur dans les états financiers du gouvernement. Cependant, s’il existe un marché pour les biens de ce genre, on peut alors leur donner, dans les états financiers gouvernementaux, la valeur la plus faible entre le coût de remplacement non amorti et la valeur nette de réalisation.
Pour Ronald Salole, de l’Institut canadien des comptables agréés, le traitement comptable des biens patrimoniaux est une question qui n’a pas été totalement résolue et qui illustre très bien les limites des rapports financiers. La comptabilisation des biens patrimoniaux, en plus d’être coûteuse, présente le risque de surcharger les états financiers. Malgré l’expérience de certains pays et au moment où l'International Public Sector Accounting Standards Board (IPSASB) se penche sur la pertinence de comptabiliser les biens patrimoniaux à leur juste valeur marchande, la tendance lourde consiste à ne pas les inclure dans les états financiers. Le Comité partage cet avis et recommande :
RECOMMANDATION 2
Que le gouvernement du Canada inscrive une note aux états financiers et aux documents budgétaires concernant les passifs aux infrastructures et aux biens patrimoniaux.
3. Équipement et biens militaires
Une difficulté comptable se pose quant à la manière de prendre en compte les actifs militaires utilisés pour la guerre. Cela touche principalement l’équipement et les munitions, et non pas les bases, les installations navales et les terrains d’aviation, car ces derniers peuvent être évalués de la même manière que les terrains et les édifices gouvernementaux. Le problème de la comptabilisation des actifs militaires est de savoir si on les considère comme des biens pouvant être amortis sur plusieurs années ou des charges. Le problème provient du fait que la nature économique de ces articles change lorsque le pays entre en guerre. En temps de paix, l’équipement militaire et les munitions peuvent être considérés comme des biens dans le bilan du gouvernement. En temps de guerre, ils peuvent être utilisés et détruits très rapidement. En Nouvelle-Zélande, on les considère comme un équipement spécial et on les inscrit comme biens dans le bilan du gouvernement. Au Royaume-Uni, on les considère comme des dépenses en capital, dont la valeur est amortie au fil du temps.
Malgré ces différences, les équipements militaires, comme les autres biens, peuvent être inscrits dans les états financiers des gouvernements. En temps de guerre, ils peuvent être considérés au même titre que tout poste extraordinaire et inscrits dans les frais d’exploitation du bilan. L’inclusion de ces postes dans les états financiers gouvernementaux a comme avantage de donner une meilleure mesure de l’ampleur de l’investissement du secteur public dans l’équipement militaire et souligne la capacité du gouvernement à gérer ses ressources. La divulgation de l’importance des investissements militaires permet également une plus grande transparence dans une démocratie où on doit prendre des décisions sur la répartition des dépenses du gouvernement parmi les besoins concurrents. Par conséquent, le Comité recommande :
RECOMMANDATION 3
Que pour fin de transparence, des notes aux états financiers et aux documents budgétaires fassent mention de tout changement relatif au traitement comptable de l’équipement et des biens militaires.
4. Autres ministères et organismes
Bien que de façon plus exceptionnelle, d’autres ministères ou organismes, mise à part la Défense nationale, peuvent devoir radier des actifs en raison de pertes soudaines occasionnées par des événements catastrophiques. Pour cette raison et comme il le recommande dans le cas des biens et de l’équipement militaires, le Comité s’attend à ce que le gouvernement fasse mention de ces évènements sous la forme de notes explicatives dans ses états financiers et les documents budgétaires présentés au Parlement. Le Comité recommande donc :
RECOMMANDATION 4
Que pour des fins de transparence, des notes explicatives aux états financiers et aux documents budgétaires présentés au Parlement fassent mention des changements apportés au traitement comptable de tous les équipements et biens du gouvernement.
Les gouvernements ont la responsabilité globale de maintenir la qualité générale de l’environnement du pays. Ils ont également comme responsabilité particulière de remédier à toute incidence de leurs activités, notamment leurs activités antérieures, sur la qualité de l’environnement. Ces responsabilités se traduisent par des obligations gouvernementales possibles dont on doit faire état dans les états financiers.
À cet égard, la méthode de la comptabilité d’exercice prévoit que l’évaluation de l’ensemble des coûts reliés aux activités d’assainissement et de restauration est comptabilisée à titre de passif. Les sommes allouées à l’assainissement, la restauration et la gestion des lieux constituent des charges qui viennent réduire le passif. Dans un système de comptabilité de caisse, les coûts des activités d’assainissement sont simplement passés aux dépenses lorsque les activités ont lieu.
Rappelons que depuis l’exercice financier 2005-2006, une nouvelle norme comptable fait en sorte de que les ministères du gouvernement fédéral sont tenus d'enregistrer un passif éventuel14 s'ils évaluent qu'il est probable qu'une éventualité donnera lieu à un passif et s'ils peuvent raisonnablement en estimer le montant.
L'application du traitement comptable du passif éventuel dans des situations spécifiques est illustrée dans le tableau ci-dessous :
Tableau 3
|
Situation probable |
Situation indéterminable |
Situation improbable |
Montant pouvant faire l'objet d'une estimation |
Enregistrer une estimation du passif éventuel |
Divulguer par voie de notes |
Ne pas divulguer par voie de notes ni enregistrer |
Montant ne pouvant pas faire l'objet d'une estimation |
Divulguer par voie de notes |
Divulguer par voie de notes |
Ne pas divulguer par voie de notes ni enregistrer |
Source : Secrétariat du Conseil du Trésor, Norme comptable du Conseil du Trésor 3.6 Éventualités
Le passif éventuel qui a été enregistré doit être reconnu jusqu'à ce qu'il soit réglé ou éteint ou jusqu'à ce que l'on considère que la survenance de l'événement futur déterminant est considérée comme improbable.
Ceci dit, pour améliorer le traitement comptable des passifs environnementaux et renforcer la transparence dans le cadre de l’adoption de la comptabilité d’exercice pour l’affectation des crédits, le Comité est d’avis qu’il est important que le gouvernement poursuive la déclaration objective du passif environnemental de chaque ministère via un crédit législatif. De plus, pour renforcer le contrôle parlementaire, le Comité estime important que les députés votent sur les crédits octroyés pour les activités de restauration ou de gestion des lieux. Par conséquent, le Comité recommande :
RECOMMANDATION 5
Que le gouvernement du Canada instaure un système de doubles crédits pour le passif environnemental, comprenant un crédit législatif pour l’évaluation du passif et un crédit annuel voté pour la charge liée à la restauration et la gestion des lieux.
RECOMMANDATION 6
Que des notes explicatives relativement aux passifs environnementaux éventuels soient inscrites aux états financiers et à l’ensemble des documents budgétaires produits par le gouvernement.
13 | M. Ronald Salole (Vice-président, Normalisation, Institut canadien des comptables agréés, le jeudi 5 octobre 2005 |
14 | Norme comptable du Conseil du Trésor 3.6 — Éventualités http://www.tbs-sct.gc.ca/pubs_pol/dcgpubs/accstd/con-eve1_f.asp |