SECU Rapport du Comité
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CHAPITRE TROIS :
FINANCEMENT DU TERRORISME
ET BIENS LIÉS AU TERRORISME
CONTEXTE
Pour prévenir et contrer l’activité terroriste, la Loi antiterroriste a inséré dans le Code criminel et une autre loi des dispositions sur le financement du terrorisme et les biens liés au terrorisme. On a adopté une approche en trois volets. Premièrement, la Loi inscrit dans le Code de nouvelles infractions interdisant l’offre d’assistance à tout groupe terroriste ou à l’appui d’activités terroristes, y compris une aide monétaire, des biens ou des services, que cette assistance soit offerte directement ou indirectement. Deuxièmement, la Loi intègre au Code des dispositions sur le blocage et la confiscation des biens des terroristes. Troisièmement, la Loi antiterroriste modifie la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité qui devient du coup la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (LRPCFAT). Les modifications apportées à la LRPCFAT permettent au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) de surveiller les opérations financières douteuses et les opérations financières portant sur des sommes importantes (celles de plus de 10 000 $) liées au terrorisme et au recyclage des produits de la criminalité, et de faire enquête sur elles. Dans le cas des opérations qui laissent entrevoir une menace pour la sécurité du Canada, la LRPCFAT autorise le CANAFE à transmettre certains renseignements aux services de police et au SCRS pour qu’ils puissent préparer une parade.
Les dispositions sur le blocage des biens, ajoutées par l’article 4 de la Loi antiterroriste, se trouvent aux articles 83.08 à 83.12 du Code. L’article 83.08 interdit à toute personne au Canada et à tout Canadien à l’étranger d’effectuer, directement ou non, une opération financière portant sur des biens ou des intérêts appartenant, à quelque degré que ce soit, à un groupe terroriste. Un groupe terroriste est une entité inscrite par le Cabinet ou une entité dont l’un des objets ou l’une des activités est de se livrer à des activités terroristes. Aux termes de l’article 83.1, toute personne au Canada et tout Canadien, où qu’il soit, est tenu de communiquer au SCRS et à la GRC l’existence de biens qui appartiennent à un groupe terroriste et qui sont en sa possession ou au sujet desquels il ou elle possède des informations. Aux termes de l’article 83.12, quiconque contrevient à ces dispositions commet une infraction.
Les dispositions sur la saisie et le blocage de biens figurent à l’article 83.13 du Code criminel. Sur demande du procureur général présentée ex parte et entendue à huis clos par la Cour fédérale, une ordonnance peut être rendue pour saisir des biens au Canada ou bloquer des biens à l’étranger et interdire toute opération par des Canadiens sur ces biens. Une ordonnance peut aussi prévoir la nomination d’un administrateur chargé de préserver les biens ainsi saisis ou bloqués.
Les dispositions sur la confiscation de biens se trouvent aux articles 83.14 à 83.17 du Code criminel. Aux termes de l’article 83.14, le procureur général peut demander à un juge de la Cour fédérale une ordonnance de confiscation à l’égard des biens d’un groupe terroriste, de biens servant à faciliter une activité terroriste, d’argent ou d’instruments monétaires en la possession de personnes qui ont facilité ou exécuté des activités terroristes ou envisagent de le faire. Si le juge de la Cour fédérale est convaincu que les biens saisis ou bloqués ont un rapport avec des activités terroristes, il peut en ordonner la confiscation au profit de Sa Majesté, et il est ensuite disposé de ces biens suivant les instructions du procureur général.
SUJETS DE PRÉOCCUPATION
Secret professionnel
L’Association du Barreau canadien et la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada éprouvent des réserves au sujet de l’article 83.1 du Code criminel et d’autres mesures connexes sur le financement du terrorisme. Comme on l’a expliqué brièvement plus haut, toute personne au Canada et tout Canadien, où qu’il soit, doit informer la GRC et le SCRS de l’existence de biens en leur possession ou à leur disposition qui appartiennent à un groupe terroriste, ou sont à sa disposition, et de tout renseignement sur une opération réelle ou projetée mettant en cause les biens en question. En outre, la LRPCFAT exige que toute opération suspecte soit signalée au CANAFE.
La Fédération et l’Association représentent respectivement les ordres professionnels provinciaux et territoriaux qui réglementent l’exercice du droit et les membres de la profession. Ils soutiennent chacun dans leur mémoire que les mesures précitées portent atteinte au secret professionnel protégé par la Constitution. L’Association du Barreau canadien recommande que l’article 83.1 du Code soit modifié de manière à exempter les renseignements visés par le secret professionnel. Pour sa part, la Fédération recommande, pour protéger l’exercice du droit à un avocat, d’exclure des dispositions du Code sur le blocage et la confiscation de biens, les fonds reçus par un avocat pour honoraires professionnels, débours et cautionnement. Elle recommande en outre que les renseignements visés par le secret professionnel soient exclus des obligations de déclaration.
Le secret professionnel est un élément important de la règle de droit. Il permet aux clients de solliciter des conseils juridiques auprès d’un avocat dans la certitude que les renseignements confidentiels qu’ils lui fournissent ne seront pas divulgués sans leur consentement. L’Association comme la Fédération craignent que les mesures antiterroristes, faisant l’objet du présent chapitre, soient incompatibles avec le principe du secret professionnel, protégé par la Constitution, et ne fassent des avocats des agents de l’État au détriment des intérêts de leurs clients.
La Fédération trouve la situation si inquiétante qu’elle a lancé avec succès une contestation judiciaire des exigences de déclaration de la LRPCFAT dans la mesure où elles s’appliquent aux membres de la profession juridique : l’application des dispositions incriminées a été suspendue, tandis que le gouvernement et la profession cherchent comment les opérations peuvent être déclarées sans porter atteinte au secret professionnel. Dans l’intervalle, les ordres membres de la Fédération ont rédigé des lignes directrices pour conseiller les avocats qui sont partie à des opérations potentiellement suspectes.
Ces dernières années, la Cour suprême du Canada a eu à plusieurs reprises à se pencher sur la question du secret professionnel et s’est prononcée sur la nature de ce principe et les limites de son application. Elle a statué notamment que l’information faisant l’objet du secret professionnel est à l’abri de l’État. Elle ne peut pas être communiquée ou divulguée de force et est inadmissible en justice. En tant que gardien de cette information, un avocat ne peut pas la divulguer sans le consentement du client concerné. La Cour a statué que, bien que le principe du secret professionnel ne soit pas absolu, il est aussi absolu que possible, et que toute atteinte législative à ce principe sera considérée comme déraisonnable, et de ce fait, incompatible avec la Charte canadienne des droits et libertés à moins qu’elle ne soit absolument nécessaire. En conséquence, toute information concernant la facturation des clients et des questions du même ordre sera vraisemblablement protégée par le secret professionnel, tandis que les renseignements concernant des opérations criminelles entre un avocat et son client, ou dans lesquelles un avocat sert simplement d’intermédiaire, ne le seront pas.
Après avoir discuté de cette question difficile,
le Sous-comité a conclu que, pour préserver l’efficacité des mesures
législatives et autres concernant le financement du terrorisme et les biens
liés au terrorisme, les exigences de déclaration doivent s’appliquer à tous,
avec le moins d’exceptions possible. Le Sous-comité est convaincu, cependant,
que les questions qui sous-tendent le secret professionnel sont suffisamment
importantes pour justifier une exemption limitée des exigences de déclaration
pour les avocats. Les ordres des avocats des provinces et des territoires ont
pris certaines mesures pour sensibiliser leurs
membres aux périls que présentent des opérations potentiellement suspectes,
mais cela n’est pas suffisant pour justifier l’exemption de toutes les
opérations auxquelles ils sont partie.
Le Parlement a adopté récemment le projet de loi C-25, qui modifie la LRPCFAT. En particulier, l’article 9 de ce projet de loi ajoute à la Loi un article 10.1, lequel stipule que les exigences de déclaration ne s’appliquent pas aux conseillers juridiques ou aux cabinets d’avocats lorsqu’ils fournissent des services juridiques. Cela semble constituer une exception étroite aux exigences de déclaration à l’égard des opérations liées directement à la prestation de services juridiques classiques. Cette exemption couvrirait probablement les avocats traitant de questions qui relèvent du droit pénal, du droit privé, du droit public ou du droit administratif. Les opérations dans ces contextes concerneraient vraisemblablement des honoraires professionnels et des débours.
Cette modification récente de la Loi semble répondre à une des préoccupations soulevées par la Fédération dans son mémoire. Par souci d’exhaustivité et d’uniformité, le Sous-comité estime opportun d’apporter une modification analogue à l’article 83.1 du Code.
RECOMMANDATION 16
Le Sous-comité recommande que l’article 83.1 du Code criminel soit modifié de manière à exempter de son application les conseillers juridiques et cabinets d’avocats quand ils fournissent des services juridiques et n’agissent pas comme intermédiaires financiers.
Défense basée sur la diligence raisonnable
Tel que mentionné plus haut, aux termes de l’article 83.08 du Code criminel, toute personne au Canada ou tout Canadien à l’étranger qui effectue sciemment, directement ou non, une opération portant sur des biens qui appartiennent à un groupe terroriste ou qui sont à sa disposition, ou qui fournit des services financiers ou des services connexes à l’égard de tels biens commet une infraction.
Les responsables d’activités commerciales ou caritatives au Canada craignent que leurs entreprises légitimes ne les exposent à des poursuites aux termes de l’article 83.08 du Code. Bien que cette disposition prévoit que les activités liées à un groupe terroriste doivent avoir été effectuées en toute connaissance de cause (sciemment), le Sous-comité estime utile, pour assurer une plus grande certitude, de modifier cet article pour prévoir une défense basée sur la diligence raisonnable contre de telles accusations. Ainsi, un accusé ayant participé à des opérations commerciales ou caritatives légitimes pourrait démontrer qu’il a pris les mesures nécessaires pour se renseigner sur la nature de l’opération et qu’il n’était pas possible de déterminer un lien avec un groupe terroriste.
RECOMMANDATION 17
Le Sous-comité recommande que l’article 83.08 du Code criminel soit modifié pour y prévoir une défense basée sur la diligence raisonnable.
AUTRES MODIFICATIONS RECOMMANDÉES
Financement du terrorisme sans justification ou excuse légitime
Pour qu’il y ait infraction aux termes de l’article 83.02 du Code criminel, qui porte sur le fait de réunir ou de fournir des biens en vue d’activités terroristes, il faut que cela ait été fait « délibérément et sans justification ou excuse légitime ». Le Sous-comité estime que le mot « délibérément » est superflu, car le simple fait de commettre un acte sans l’avoir voulu constitue vraisemblablement une « justification ou excuse légitime ». Nous notons aussi que le terme « délibérément » ne figure dans aucune des autres dispositions du Code où l’on trouve l’expression « sans justification ou excuse légitime »1. En conséquence, nous pensons qu’il faut supprimer le mot « délibérément » à l’article 83.02.
RECOMMANDATION 18
Le Sous-comité recommande que les mots « délibérément et » soient supprimés de l’article 83.02 du Code criminel.
Le Sous-comité remarque par ailleurs que les termes « sans justification ou excuse légitime » n’apparaissent pas à l’article 83.03 du Code, qui porte sur le fait de réunir ou de fournir des biens en vue d’activités terroristes, ni à l’article 83.04, qui porte sur le fait d’utiliser ou d’avoir en sa possession des biens à des fins terroristes. Si une personne ne commet pas une infraction à l’article 83.02 quand elle a une justification ou excuse légitime, il devrait selon nous en être de même pour les infractions prévues aux articles 83.03 et 83.04, puisque les trois dispositions traitent d’infractions analogues.
RECOMMANDATION 19
Le Sous-comité recommande que les termes « sans justification ou excuse légitime » soient ajoutés après les mots « directement ou non » à l’article 83.03 et après le mot « quiconque » à l’article 83.04 du Code criminel.
Renvois à une personne
Comme on l’a vu au chapitre précédent, le Sous-comité est d’avis que la mention « une personne » est trop étroite et qu’il serait préférable d’employer le mot « entité », plus large et défini, parce qu’il englobe une personne, un groupe, une fiducie, une société de personnes ou un fonds, ou une organisation ou association non dotée de la personnalité morale. En ce qui concerne l’infraction de financement d’activités terroristes prévue à l’article 83.03 du Code criminel, nous estimons qu’il faudrait substituer le mot « entité » aux mots « autre personne » de manière qu’il soit interdit à quiconque d’inviter une entité à fournir des biens, des services financiers ou des services connexes pour la réalisation d’activités terroristes et au mot « personne » à l’alinéa a) pour qu’il soit de même interdit d’en faire bénéficier une entité qui se livre à une activité terroriste ou la facilite.
RECOMMANDATION 20
Le Sous-comité recommande que l’article 83.03 du Code criminel soit modifié par la substitution du mot « entité » aux mots « autre personne » au début de la disposition et au mot « personne » à l’alinéa a).
Blocage de biens
Le paragraphe 83.08(2) du Code criminel exclut toute responsabilité civile de la part d’une personne qui a fait ou omis de faire quoi que ce soit dans le but d’éviter toute opération sur des biens appartenant à un groupe terroriste, ou mis à la disposition d’un groupe terroriste, si la personne a « pris toutes les dispositions voulues pour se convaincre que le bien en cause appartient à un groupe terroriste ou est à sa disposition, directement ou non ». La version anglaise de cette disposition dit : « if the person took all reasonable steps to satisfy themself that the relevant property was owned or controlled by or on behalf of a terrorist group ». Le Sous-comité ne considère pas « themself » comme un mot correct (bien qu’il soit conscient de l’intention du rédacteur d’éviter l’emploi du masculin ou du féminin). Il aurait été préférable d’écrire : « took all reasonable steps to be satisfied that the relevant property was owned or controlled by or on behalf of a terrorist group ».
RECOMMANDATION 21
Le Sous-comité recommande que les mots « satisfy themself » soient remplacés par les mots « be satisfied » dans la version anglaise du paragraphe 83.08(2) du Code criminel.
Comme mentionné dans la section consacrée au contexte, le paragraphe 83.1(1) du Code oblige toute personne à communiquer au commissaire de la GRC et au directeur du SCRS l’existence de biens appartenant à des terroristes qui sont en sa possession ou à sa disposition ou de renseignements sur une opération mettant en cause de tels biens. Cependant, le paragraphe 83.12(2) porte qu’une personne ne contrevient pas à l’article 83.1 si elle communique l’information uniquement au commissaire de la GRC ou au directeur du SCRS. Si le fait d’informer l’un ou l’autre de ces responsables ne constitue pas une infraction aux termes du paragraphe 83.12(2), il ne faudrait pas exiger que les deux soient informés au paragraphe 83.1(1). Ce manque d’uniformité nous paraît déroutant. Au demeurant, il devrait être suffisant d’informer soit le commissaire de la GRC, soit le directeur du SCRS, car ces deux organisations sont en mesure de communiquer l’une avec l’autre.
RECOMMANDATION 22
Le Sous-comité recommande que le mot « ou » soit substitué au mot « et » qui précède les mots « au commissaire » au paragraphe 83.1(1) du Code criminel, et que le paragraphe 83.12(2) soit abrogé.