SECU Rapport du Comité
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CHAPITRE DIX :
GROUPE D’AVOCATS INDÉPENDANTS
CONTEXTE
Le Sous-comité s’intéresse au recours aux audiences ex parte et à huis clos (dont une des parties est absente) et à la divulgation limitée de l’information et des preuves dans les contextes de l’inscription sur les listes d’entités terroristes, de la révocation de l’enregistrement d’une œuvre de bienfaisance ou du refus d’accorder ce statut, de la Loi de la preuve du Canada et du processus lié aux certificats de sécurité aux termes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Nous approfondirons ci-après ces contextes, brièvement exposés dans les chapitres précédents. Puis nous analyserons l’expérience du Canada et formulerons nos conclusions et recommandations à propos de la nomination d’un représentant juridique pour quiconque émet des vues contraires à celles du gouvernement lors de procédures où la divulgation et la contestation des renseignements et des preuves font l’objet de restrictions.
Comme nous l’avons déjà expliqué dans le présent rapport, les articles 83.05, 83.06 et 83.07 du Code criminel autorisent le gouverneur en conseil à inscrire un organisme ou un particulier sur la liste des entités terroristes s’il a des motifs raisonnables de croire que l’entité ou le particulier s’est sciemment livré à une activité terroriste ou agit sciemment au nom d’une organisation terroriste. Une entité inscrite sur cette liste peut présenter une demande de révision de la décision. Aux termes de la Loi sur l’enregistrement des organismes de bienfaisance (renseignements de sécurité), un organisme peut voir son statut d’organisme de bienfaisance révoqué, ou un demandeur peut se voir refuser ce statut, s’il y a des motifs raisonnables de croire que l’entité en question a mis ou mettra des ressources à la disposition d’une organisation terroriste ou appuiera des activités terroristes. Le certificat appuyant cette décision est automatiquement renvoyé à la Cour fédérale pour examen.
En cas de décision d’inscrire un organisme sur la liste des entités terroristes et de refuser ou de révoquer le statut d’organisme de bienfaisance, les dispositions suivantes sur la divulgation des renseignements ou la capacité de se faire entendre, s’appliquent :
· Le juge examine à huis clos les renseignements en matière de sécurité ou de criminalité pris en considération dans la décision d’inscrire l’organisme sur la liste des organisations terroristes ou de refuser ou de révoquer le statut d’organisme de bienfaisance.
· Tout autre élément de preuve ou renseignement est entendu en l’absence de l’entité figurant sur la liste ou de son avocat, si le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile le demande et que le juge estime que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui.
· Le juge fournit à l’entité inscrite un résumé des renseignements qui ne peuvent être divulgués pour qu’elle soit raisonnablement informée de la décision de l’inscrire sur la liste ou de refuser ou de révoquer le statut d’organisme de bienfaisance.
· Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile peut demander au juge, à huis clos et en l’absence de l’entité et de son avocat, de retenir des renseignements. Si le juge estime que ces renseignements sont pertinents mais que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui, ces renseignements ne seront pas inclus dans le résumé fourni à l’entité, mais pourront servir de fondement à l’affaire au moment où le juge reverra la décision d’inscrire l’entité sur la liste ou de refuser ou révoquer le statut d’organisme de bienfaisance.
À l’article 38.06 de la Loi de la preuve au Canada, comme nous en faisons mention ailleurs dans le rapport, il est possible de demander d’autoriser la divulgation de renseignements que le gouvernement a retenus pour des raisons relatives aux relations internationales et à la défense ou à la sécurité nationales. L’article 38.131 de la Loi prévoit que l’on peut demander de modifier ou d’annuler un certificat délivré par le procureur général interdisant la divulgation de renseignements obtenus à titre confidentiel d’une entité étrangère ou concernant une telle entité, la défense ou la sécurité nationales.
En cas de demande d’autorisation de la divulgation de renseignements retenus présentée aux termes de l’article 38.06, les dispositions suivantes sur la divulgation de renseignements ou la capacité de se faire entendre s’appliquent :
· Le juge établit qui recevra avis de l’audience et qui peut faire valoir des arguments.
· La demande est confidentielle ainsi que l’information qui la concerne.
· Le juge peut autoriser ou non la divulgation, selon que celle-ci nuit ou non aux relations internationales, ou à la défense ou à la sécurité nationales et que, dans l’intérêt public, il vaut mieux divulguer l’information.
· Le juge peut autoriser la divulgation (avec ou sans condition) de la totalité ou d’une partie de l’information, d’un résumé ou de l’admission écrite des faits.
En cas d’examen d’un certificat délivré par le procureur général et interdisant la divulgation de renseignements effectué aux termes de l’article 38.131, les dispositions suivantes sur la divulgation de l’information ou la capacité de faire valoir des arguments s’appliquent :
· Le procureur général doit donner avis du certificat à toutes les parties à la procédure et chaque partie peut demander sa modification ou son annulation.
· Les parties n’ont pas accès aux renseignements à moins que le juge n’en autorise la divulgation.
· Le juge est tenu de confirmer le certificat (confidentialité) s’il estime que tous les renseignements visés par ce dernier ont été obtenus à titre confidentiel d’une entité étrangère ou concernant une telle entité ou la défense ou la sécurité nationales.
Comme nous l’avons dit, les articles 77 à 81 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés disposent qu’un certificat de sécurité peut être délivré si un résident permanent ou un ressortissant étranger est interdit de territoire au Canada pour des raisons de sécurité, d’atteinte aux droits de l’homme ou aux droits internationaux, de grande criminalité ou de crime organisé. Le certificat est ensuite renvoyé à la Cour fédérale qui en établit le caractère raisonnable. Les dispositions suivantes sur la divulgation de renseignements ou la capacité de se faire entendre s’appliquent :
· Le juge examine à huis clos tous les renseignements et tous les éléments de preuve, veille à la confidentialité des renseignements sur lesquels s’appuie le certificat de sécurité ainsi qu’à celle de tout autre élément de preuve dont la divulgation pourrait, à son avis, nuire à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui.
· L’information ou les éléments de preuve sont entendus en l’absence du ressortissant étranger ou du résident permanent et de son avocat si le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile l’exige et que le juge estime que la divulgation nuirait à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui.
· Le juge doit fournir au ressortissant étranger ou au résident permanent un résumé des renseignements qui ne peuvent être divulgués, de sorte que ce dernier soit raisonnablement informé des circonstances ayant donné lieu au certificat de sécurité.
· Si le juge est d’avis que l’information ou les éléments de preuve sont pertinents mais que leur divulgation nuirait à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui, ces renseignements ne pourront être mentionnés dans le résumé fourni au ressortissant étranger ou au résident permanent, mais le juge pourra toujours en tenir compte lorsqu’il examinera le certificat de sécurité.
EXPÉRIENCE CANADIENNE
Dans deux cas, des approches novatrices ont été adoptées à l’égard des questions complexes qui peuvent survenir dans le contexte de la sécurité nationale lorsque, en raison du caractère délicat des renseignements concernés, des mesures spéciales doivent être prises pour limiter l’ampleur de la divulgation possible et, parfois, pour exclure des particuliers et leurs avocats de certaines parties ou de la totalité d’une audience.
Le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS) a un rôle double en ce qui concerne le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). En effet, il analyse les activités menées par ce dernier, instruit les plaintes concernant le Service et traite les refus d’accorder des cotes de sécurité. C’est le processus d’instruction des plaintes qui intéresse tout particulièrement le Sous-comité.
Pendant quelques années, le CSARS disposait d’une liste d’avocats de l’extérieur ayant une habilitation de sécurité, auxquels il pouvait recourir pour obtenir avis et aide lors de l’instruction de plaintes. Ces avocats avaient un certain nombre de fonctions, dont celle de participer, avec d’autres, aux conférences préparatoires aux auditions afin d’établir les règles de base et de tenter de cerner les points de discorde.
Les audiences étaient tenues en partie à huis clos. Les avocats du CSARS devaient aider le Comité de surveillance à mener ces audiences et, en l’absence du plaignant et de son avocat, contre-interroger les témoins du SCRS. Dans cette fonction du contre-interrogatoire, les avocats du CSARS communiquaient avec les avocats du plaignant pour s’assurer que l’on donne suite aux questions qu’ils souhaitaient poser. Les avocats des plaignants étaient défavorisés à cet égard, car ils n’avaient pas accès aux renseignements et aux éléments de preuve présentés à huis clos. Les avocats du CSARS ont assumé des fonctions analogues durant la période où le CSARS s’est occupé de certificats de sécurité.
Les avocats du SCRS préparaient alors un résumé des éléments de preuve entendus lors de l’audience à huis clos puis le négociaient avec les avocats du CSARS avant de le remettre au plaignant et à ses avocats. Le processus ne donnait pas toujours satisfaction, car les renseignements divulgués étaient souvent incomplets et inutiles.
Dernièrement, le juge O’Connor, qui a présidé la Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar, a fait intervenir l’avocat de la Commission et un amicus curiae. Le premier a agi pour le compte de la Commission, évaluant et présentant les éléments de preuve et interrogeant les témoins lors d’audiences publiques et à huis clos. Durant les audiences à huis clos, il a consulté les avocats de M. Arar et d’autres intervenants dans le contexte de la préparation de son dossier. L’amicus curiae avait des fonctions quelque peu différentes. Lors des audiences à huis clos, il avait pour mandat de contester les demandes de confidentialité pour cause de sécurité nationale présentées par les organismes gouvernementaux et revendiquait la divulgation publique des renseignements de nature délicate. Sa fonction était de défendre la responsabilité et la transparence dans l’intérêt public.
En décembre 2006, le juge O’Connor a publié son second rapport sur l’élément de son mandat ayant trait à l’examen des politiques, intitulé Un nouveau mécanisme d’examen des activités de la GRC en matière de sécurité nationale. Le juge y recommandait la mise sur pied d’une Commission indépendante d’examen des plaintes contre la GRC et des activités en matière de sécurité nationale (CIE). Il a en particulier proposé, à sa recommandation 5h), que la CIE ait tout pouvoir pour nommer des avocats indépendants de la GRC et du gouvernement possédant l’habilitation de sécurité nécessaire qui pourront au besoin contester l’impératif de confidentialité de certaines informations, ainsi que le contenu même de l’information qui ne peut être divulguée au plaignant ou au public. En outre, comme on l’a vu au chapitre précédent, la Cour suprême du Canada a récemment statué que la procédure entourant les certificats de sécurité doit être assortie de mesures de sauvegarde additionnelles pour en assurer la constitutionnalité et a proposé le recours à des avocats spéciaux.
De façon globale, le juge O’Connor a estimé que les fonctions de l’avocat indépendant étaient doubles. Tout d’abord, cette personne vérifie le besoin de confidentialité des renseignements et la nécessité du huis clos pour certains éléments de preuve ou pour leur totalité. Ensuite, elle vérifie les éléments de preuve eux-mêmes du point de vue des parties exclues de l’audience tenue à huis clos. Le juge O’Connor admet que la solution n’est pas parfaite du point de vue de ceux qui sont exclus des audiences à huis clos. Pour lui toutefois, il s’agit d’un compromis qui permet un contre-interrogatoire et une argumentation contradictoire dans ce qui constitue actuellement des délibérations ex parte et à huis clos.
NOTRE PROPOSISITION
Les questions traitées dans le présent chapitre sont épineuses, car elles opposent des valeurs fondamentales, mais il est possible de les régler par un mécanisme approprié.
L’un des fondements de la règle de droit et de tout régime juridique est le droit de confronter ses accusateurs ou ceux qui représentent les intérêts adverses. Cela est particulièrement important lorsqu’il s’agit de liberté, d’obligation de quitter le pays ou d’attaques irrémédiables à des activités financières ou caritatives. L’État est tenu, pour conserver et protéger des renseignements effectivement délicats liés aux relations internationales et à la sécurité et à la défense nationales, de remettre ce fondement en question.
Il n’est pas aisé de trouver le juste milieu, et les dispositions actuelles — établissement d’une liste d’entités terroristes, révocation du statut d’organismes de bienfaisance, délibérations aux termes de la Loi de la preuve au Canada et certificats de sécurité délivrés aux termes de la Loi sur l’immigration — n’y parviennent pas.
Un certain nombre de mémoires analysés par le Sous-comité suggèrent, pour corriger le déséquilibre qui survient lorsque les audiences sont tenues à huis clos et que la divulgation de renseignements est limitée, de mettre sur pied une liste d’avocats indépendants ou d’amici curiae chargés de contester les éléments de preuve présentés lors de séances tenues à huis clos et la divulgation limitée d’informations et d’éléments de preuve. La plupart de ces recommandations s’inscrivent dans le contexte des certificats de sécurité prévue par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, mais peuvent s’appliquer à d’autres domaines dont il est question dans ce chapitre. Ces recommandations émanent de l’Association canadienne des libertés civiles, de la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, du Commissaire à la protection de la vie privée, de l’Association du Barreau canadien, de B’nai Brith Canada et de la British Columbia Civil Liberties Association.
La British Columbia Civil Liberties Association, en particulier, a recommandé, dans le contexte des certificats de sécurité délivrés dans le cadre de la législation en matière d’immigration, que le gouvernement établisse une liste d’avocats ayant une cote de sécurité qui seraient chargés de revoir tous les éléments de preuve secrets, de défendre la divulgation maximale des éléments de preuve à l’intéressé et au public, de s’opposer au renvoi de la personne nommée sur le certificat et qui auraient accès à tous les renseignements pertinents, que le gouvernement s’y fie ou non.
Le Sous-comité estime que le déséquilibre entre l’État et l’individu ou l’entité peut être corrigé par la mise sur pied d’un système dans le cadre duquel des avocats indépendants ayant une cote de sécurité pourraient contester les éléments de preuve présentés à des audiences tenues à huis clos, présenter leurs propres éléments de preuve et défendre la transparence et la responsabilité lorsqu’il est difficile, voire impossible, pour les personnes touchées de se défendre pour cause de divulgation limitée de renseignements. Les observations du juge O’Connor exposées plus haut, tout comme les commentaires de la Cour suprême formulés dans la récente décision de celle-ci sur la procédure entourant la délivrance des certificats de sécurité, résument le point de vue du Sous-comité.
Le système proposé suppose que le gouvernement, en consultation avec la profession juridique et l’appareil judiciaire, établisse un groupe d’avocats indépendants. Ces personnes seraient des membres du barreau et auraient une expertise pertinente et une cote de sécurité. Elles recevraient la formation nécessaire pour assumer leurs fonctions. De plus, le groupe devrait être capable de fournir à chaque avocat indépendant les outils judiciaires, d’enquête, et autres outils nécessaires à sa tâche.
Ces avocats indépendants seraient désignés sur demande du juge présidant une audience ou par une partie exclue des délibérations ex parte et à huis clos. L’avocat indépendant désigné devra alors agir dans l’intérêt public et non comme le représentant de la partie visée par les délibérations. Le Sous-comité s’attend notamment à ce que, dans l’intérêt public, il plaide en faveur de la divulgation de l’information et vérifie la fiabilité, la pertinence et le caractère opportun de la preuve présentée, en gardant à l’esprit le caractère hautement confidentiel d’une partie des renseignements en question. Cela évitera les épineux conflits dus au fait que l’avocat indépendant a accès à des renseignements confidentiels qui pourraient ne pas pouvoir être divulgués même à un client.
RECOMMANDATION 53
Le Sous-comité recommande que le gouvernement établisse, en consultation avec la profession juridique et l’appareil judiciaire, un groupe d’avocats indépendants. Les avocats indépendants qui seraient ainsi nommés auraient une cote de sécurité et une grande connaissance des questions touchant l’inscription sur les listes d’entités terroristes en vertu du Code criminel, la révocation du statut d’organisme de bienfaisance et le refus d’accorder ce statut aux termes de la Loi sur l’enregistrement des organismes de bienfaisance (Information de sécurité), les demandes de divulgation d’informations aux termes de la Loi de la preuve du Canada et la délivrance de certificats de sécurité aux termes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Les avocats indépendants auraient pour fonctions de vérifier la nécessité de la confidentialité et des audiences à huis clos et de vérifier les éléments de preuve qui ne sont pas divulgués à une partie.
RECOMMANDATION 54
Le Sous-comité recommande que les avocats indépendants soient nommés à la demande d’un juge présidant une audience ou par une partie exclue des délibérations ex parte et à huis clos.
RECOMMANDATION 55
Le Sous-comité recommande que le groupe d’avocats indépendants ait la capacité de fournir à ses membres les outils judiciaires, d’enquête et autres outils dont ceux-ci ont besoin pour s’acquitter efficacement des responsabilités qui leur sont confiées.
RECOMMANDATION 56
Le Sous-comité recommande que les avocats indépendants nommés reçoivent la formation dont ils ont besoin pour s’acquitter efficacement des responsabilités qui leur sont confiées.