SECU Rapport du Comité
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Opinion dissidente sur la Loi antiterroriste
Introduction
La Loi antiterroriste (LAT) est la principale mesure législative qui a été votée au Canada après les terribles attentats qui ont détruit le World Trade Center le 11 septembre 2001 causant la mort de 2973 personnes et faisant des milliers de blessés.
Lorsque survient un événement de cette envergure, tous ceux qui sont en autorité ressentent le besoin d’agir afin de montrer qu’ils font quelque chose pour empêcher que de telles tragédies ne se répètent. Pour éviter, aussi, que d’autres tragédies de moindre importance mais du même ordre, ne viennent prolonger le sentiment d’insécurité qui parcourt l’ensemble de la collectivité.
Alors le législateur se croit obligé de changer les lois.
Il le fait rapidement pour bien montrer qu’il répond à l’urgence que commande la nouvelle situation. Dans ce cas-ci, sa hâte fut à la mesure de l’épouvantable tragédie qui l’avait suscitée. En trois mois, le Parlement a passé à travers toutes les étapes nécessaires pour adopter un texte de 170 pages.
La lecture de ce texte est particulièrement ardue. En fait, à moins d’avoir une solide formation universitaire en droit et une grande expérience de la législation fédérale, il est à peu près impossible d’en saisir toute la portée. Même avec cette formation et cette expérience, il faut des heures et même des jours d’effort pour commencer à en comprendre tous les aspects.
Cet ésotérisme a des conséquences non négligeables sur le débat public qui devrait se tenir à propos d’une loi aussi importante. Comme peu de gens ont à la fois la formation et le temps pour comprendre suffisamment la loi pour pouvoir porter sur elle un jugement éclairé, la discussion publique devient une question de confiance.
Ou l’on fait confiance aux ministres qui prétendent que malgré cet empressement, on a atteint le juste équilibre entre les nécessités de la lutte au terrorisme et le respect des libertés fondamentales et à la police qui nous assure que, de toute façon, elle n’abusera pas des nouveaux pouvoirs qu’on lui donne. Ou l’on fait confiance aux organismes de défense de ces libertés et aux universitaires qui consacrent leur vie à l’étude des conditions juridiques nécessaires au respect de ces droits.
Le verdict de ces derniers est pour le moins troublant.
Sauf quelques dispositions nécessaires pour que le Canada respecte les engagements internationaux qu’il a pris, la loi est inutile et dangereuse.
La loi et son adoption précipitée ont peut-être atteint leur but : rassurer le public sur la volonté de leurs dirigeants de faire face aux menaces que représentent les nouvelles organisations terroristes qui nous confrontent. Mais c’est au prix de sérieuses entorses à plusieurs des droits fondamentaux qui constituent l’essence même de nos sociétés démocratiques.
En ce sens, cela constitue une victoire partielle des forces terroristes qui menacent aujourd’hui les sociétés de droit et de liberté.
Ces droits et ces libertés ont été acquis au cours des derniers siècles et nous avons pris l’habitude de les considérer comme le produit de notre sagesse accumulée.
Nous venons d’en perdre une partie.
Quelques remarques préliminaires s’imposent d’abord.
Nous avons déjà dit dans notre rapport intérimaire :
La lutte au terrorisme ne se fait pas par des lois mais par le travail des services de renseignements combiné aux actions policières appropriées.
Il n’y a pas d’actes de terrorisme qui ne constituent pas déjà des infractions criminelles qui entraînent l’imposition des peines les plus sévères que prévoit le Code criminel. C’est évidemment le cas pour les meurtres planifiés et exécutés de sang-froid mais aussi pour la destruction d’infrastructures importantes.
De plus, lorsque les juges doivent exercer leur discrétion dans l’imposition des sentences, ils considéreront nécessairement la motivation des terroristes comme un facteur aggravant. Ils concluront que les chances de réhabilitation sont minces, que les chances de récidive sont grandes, que les facteurs de dissuasion et de dénonciation doivent militer en faveur d’une plus grande sévérité. C’est ce qu’ils ont toujours fait dans le passé et il n’y a aucune raison de croire qu’ils ne jugeront pas de la même façon dans l’avenir.
Il faut être également conscient qu’en matière de terrorisme, la dissuasion a ses limites. D’abord, elle est illusoire pour dissuader un candidat à un attentat suicide. De plus, pour tous ceux qui décident de se joindre à des groupes terroristes, ils croient généralement s’inscrire dans un mouvement historique dont ils espèrent le triomphe dans un avenir rapproché et qui devrait les conduire à être libérés comme des héros.
Ce n’est donc pas dans de nouvelles lois qu’il faut chercher les outils qui nous permettront de lutter efficacement contre le terrorisme.
Il est vrai cependant que les lois peuvent être modifiées s’il appert que la police ne dispose pas des moyens juridiques essentiels pour faire face à la nouvelle menace terroriste.
Il faut alors s’assurer que la mesure proposée ne brise pas indûment le juste équilibre qui doit exister entre le respect des valeurs d'équité, de justice et de respect des droits de la personne qui sont la caractéristique de nos sociétés, tout en assurant une meilleure protection des Canadiens et des Canadiennes ainsi que de la collectivité mondiale dans son ensemble.1
L’Association du Barreau canadien avait déjà, dans le mémoire qu’elle a déposé lors de l’adoption du projet de la loi antiterroriste, rappelé que « le gouvernement canadien dispose déjà de nombreux outils légaux pour réprimer les infractions terroristes » et que « …le Code criminel renferme un solide arsenal de dispositions destinées à lutter contre les organisations terroristes. »2
Il en donnait la liste suivante qui fut reprise par la Ligue des droits et libertés devant nous :
· L’article 2 : les définitions relatives aux gangs, actes de gangstérisme et biens « infractionnels » (fruits d'infractions);
· L’article 7 : les nombreuses infractions commises à l’étranger, dont celles qui sont relatives aux aéronefs, navires, plates-formes, navettes spatiales, matières nucléaires, de même que les infractions relatives aux personnes jouissant d’une protection internationale;
· L’article 17 : l’exclusion de la défense de contrainte pour certaines infractions, notamment la piraterie, l’infliction de lésions corporelles, le rapt, la prise d’otage, etc.;
· L’article 21 : la participation à l’infraction de ceux qui aident ou encouragent, le complot;
· L’article 22 : la participation de ceux qui conseillent la commission d’une infraction;
· L’article 23 : la complicité après le fait;
· L’article 24 : la tentative.
Parmi les infractions contre l’ordre public de la Partie II, mentionnons :
· Les articles 74 et 75 : les actes de piraterie;
· L’article 76 : le détournement d’un aéronef;
· L’article 77 : l’atteinte à la sécurité des aéronefs ou aéroports;
· L’article 78 : le transport d’une arme offensive ou substance explosive à bord d’un aéronef;
· L’article 78.1 : diverses infractions similaires commises à bord d’un navire ou d’une plate-forme fixe;
· Les articles 79 à 82.1 : les infractions relatives à la manipulation de substances dangereuses.
Enfin, les infractions relatives aux armes à feu et autres armes énoncées à la Partie III :
· L’article 430 (2) : le méfait causant un danger réel pour la vie des gens, passible de l’emprisonnement à perpétuité;
· L’article 431 : l’attaque contre les locaux officiels, les logements privés ou les moyens de transport d’une personne jouissant d’une protection internationale, passible de 14 ans d’emprisonnement;
· L’article 433 et suivants : les crimes d’incendies;
· L’article 495 : le pouvoir des agents de la paix de procéder à une arrestation sans mandat, lorsqu’il existe des motifs raisonnables de croire que le prévenu a commis ou est sur le point de commettre une infraction.
On peut évidemment ajouter toutes les dispositions qui concernent les divers types d’homicides.
Le Code criminel renfermait donc déjà un solide arsenal d’outils pour combattre le terrorisme. En fait, le projet de la LAT lui en donnait deux de plus que les policiers n’ont pas encore cru bon d’utiliser.
Il s’agit des dispositions qui ont fait l’objet de notre rapport intérimaire.
Quant aux dispositions créant de nouvelles infractions, on ne les a utilisées qu’en conjonction avec d’autres accusations qui existaient déjà dans le Code criminel et qui portaient sur les mêmes faits. Les juges auraient certainement pu donner les sentences appropriées même s’ils n’avaient pas eu ces accusations supplémentaires en vertu de la Loi antiterroriste.
Donc, la loi est inutile sauf pour quelques dispositions qui découlent des engagements internationaux du Canada et qui pourraient être rédigées beaucoup plus simplement.
Mais elle est aussi dangereuse car elle attaque de front plusieurs principes fondamentaux qui sont à la base de notre système de droit, celui qui nous distingue le plus de l’idéologie qui anime les terroristes qui nous confrontent.
La ligue des droits et libertés3 et l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université4 nous en ont préparé une longue liste dont nous retenons ceci :
- la présomption d'innocence;
- le droit à la vie privée et à la protection contre les perquisitions et toutes sortes d'intrusion dans la vie privée;
- le droit de ne pas être importuné, interrogé, arrêté et détenu sur la base d'un simple soupçon ou d'un profil racial, religieux ou ethnique;
- le droit pour tous et toutes à un procès public, juste et équitable, et le droit d'appel;
- le droit à une défense pleine et entière;
- le droit d'être protégé contre l'emprisonnement arbitraire et la torture
- le droit au cautionnement en attendant son procès et de faire contrôler la légalité de son incarcération par habeas corpus;
- le droit d'asile;
- le droit à l'information et la liberté de la presse;
Nous devons également tirer les leçons des réactions excessives que nous avons eues dans le passé face à des dangers qui nous menaçaient. Plusieurs années plus tard, nous nous sommes sentis obligés d’indemniser les victimes innocentes des mesures inutiles que la peur nous avait inspirées.
Non seulement ces mesures n’ont rien fait pour augmenter notre sécurité mais nous y avons alors consacré beaucoup d’énergie qui aurait été mieux employé à lutter plus efficacement contre ces dangers.
Ce fut le cas dans la façon dont nous avons traité les Canadiens d’origine japonaise durant la guerre. En 1942, 22 000 personnes d’origine japonaise ont été arrêtées et détenues. Leurs biens ont été confisqués. Soixante-quinze pour cent d’entre elles étaient nées au Canada. Cependant, des documents de l’État rendus publics en 1970 ont révélé que le ministère de la Défense nationale et la Gendarmerie royale du Canada étaient tous les deux convaincus que les Canadiens japonais ne menaçaient absolument pas la sécurité du pays.
En 1988, le gouvernement fédéral acceptait de faire des excuses officielles dans lesquelles il reconnaissait qu’elles avaient été l’objet d’un traitement injuste et de violation des droits de la personne. Il accompagnait ces excuses d’un redressement symbolique de 21 000 $ pour chaque Canadien japonais admissible. Une somme de 12 millions de dollars fut ajoutée pour servir à mettre sur pied des activités ou des programmes éducatifs, sociaux et culturels. Une autre somme de 12 millions de dollars fut versée pour la création de la Fondation canadienne des relations interraciales dont le mandat est de favoriser l’harmonie raciale et la compréhension transculturelle et pour aider à éliminer le racisme.
Durant la Première Guerre mondiale, c’est environ 5 000 Ukrainiens qui furent internés et 80 000 autres qui ont dû se rapporter régulièrement à la police. Plusieurs ont eu à subir des conditions de vie et de travail pénibles et plus d’une centaine sont morts pendant leur internement.
Pendant la deuxième, 17 000 Italiens ont été détenus pendant des périodes plus ou moins longues, 700 pendant les quatre ans qu’a duré le conflit avec l’Italie
Plus près de nous, plus de 450 personnes ont été arrêtées pendant la crise d’octobre de 1970 et presque toutes inutilement. On y trouvait Pauline Julien, une chanteuse populaire, Gérald Godin, un grand poète qui est plus tard devenu ministre de l’Immigration et des communautés culturelles, presque tous les candidats du FRAP, un parti politique municipal qui faisait la lutte à Jean Drapeau. En 1971, le gouvernement du Québec décidait de leur verser une compensation.
Toutes ces arrestations inutiles ont été suscitées par des évènements qui furent très traumatisants pour la société canadienne. Les guerres le sont évidemment au premier chef. Mais l’enlèvement d’un diplomate puis celui d’un ministre suivi plus tard de son assassinat ont causé une commotion semblable à celle que nous avons subie au lendemain du 11 septembre 2001.
Si la peur est alors un sentiment naturel et compréhensible, il faut reconnaître qu’elle peut être aussi mauvaise conseillère.
Le respect de nos valeurs est un élément important dans la lutte au terrorisme. Le Secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan, à la séance plénière de clôture du Sommet international sur la démocratie, le terrorisme et la sécurité, à Madrid le 10 mars 2005, déclarait, une fois de plus : « Le terrorisme est une menace qui pèse sur tous les États et tous les peuples. » Il ajoutait :
Le terrorisme est une attaque directe contre les valeurs essentielles que défendent les Nations Unies : la primauté du droit, la protection des civils, le respect mutuel entre les peuples de confessions et de cultures différentes; et le règlement pacifique des conflits.
Mais il ajoutait encore :
Si, dans cette lutte, les gouvernements sacrifient les droits de l’homme et la primauté du droit, ils font précisément le jeu des terroristes… Je dois malheureusement dire que les spécialistes des droits de l’homme, y compris ceux du système des Nations Unies, considèrent tous, sans exception, que nombre de mesures qu’adoptent actuellement les États pour lutter contre le terrorisme constituent une atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales… Le respect des droits de l’homme, non seulement est compatible avec les stratégies de lutte contre le terrorisme, mais il en est un élément essentiel.
Avant d’examiner plus en détail les dispositions de la Loi qui mettent le plus en danger ces principes fondamentaux qui sont le propre des sociétés libres et démocratiques, il est nécessaire de dire quelques mots sur le travail accompli par le sous-comité dont nous avons fait partie pendant plus de deux ans.
Nous tenons à souligner le travail considérable accompli par les autres membres du Sous-comité sur la revue de la Loi antiterroriste du Comité permanent de la sécurité publique et nationale. Nous souscrivons à certaines de leurs recommandations, notamment celles qui corrigent des problèmes de formulation dans la version originale de la Loi antiterroriste, mais aussi, plus important encore, celles qui visent à brider, voire à éliminer, certaines des dispositions potentiellement excessives de la Loi.
Nous sommes cependant arrivés à la conclusion que la Loi antiterroriste est foncièrement viciée dans la mesure où ses fondements philosophiques et jurisprudentiels sont incompatibles avec les valeurs des Canadiens qui aspirent à vivre dans un pays qui protège jalousement les droits de la personne et les libertés civiles. Selon nous, la Loi antiterroriste ne reflète pas ces valeurs.
Les analystes nous répètent que la sécurité s’obtient au prix d’entorses à la liberté. Pour nous, libertés et sécurité vont de pair; il n’y a pas de libertés sans sécurité, ni sécurité sans libertés. À nos yeux, les recommandations du Sous-comité ne permettent pas d’aboutir à un juste équilibre, et la Loi antiterroriste continuera de porter atteinte à de nombreuses libertés sans vraiment améliorer la sécurité des Canadiens.
Un État démocratique a la responsabilité absolue de protéger ses citoyens, y compris leurs droits fondamentaux, et c’est ce principe fondamental qui aurait dû guider la rédaction des mesures législatives assurant la sécurité publique, et non l’état de crise qui prévalait fin 2001.
Critique de la Loi antiterroriste
Dans notre rapport provisoire minoritaire, nous avons énoncé notre position sur les dispositions de la loi qui autorisent le recours à des audiences d’investigation et des arrestations préventives et nous réitérons ici notre conviction qu’il faut laisser ces dispositions s’éteindre.
Même si une organisation terroriste correspond à la définition de groupe criminel du Code criminel, il n’en demeure pas moins qu’elles ont des façons particulières de se financer. Par conséquent, il est nécessaire de prévoir des dispositions qui visent à interdire le financement et des dispositions contre le blocage. Toutefois, les mesures prévues par la Loi antiterroriste sont tellement larges qu’elles autorisent nombre d’abus, comme le fait d’ailleurs remarquer l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université aux pages 22 et 23 de leur mémoire :
Les nouvelles infractions de financement du terrorisme que la Loi antiterroriste ajoute au Code criminel, ne font que compliquer les problèmes : portée trop large, caractère vague, infractions incomplètes ajoutées à d’autres infractions incomplètes.
En vertu des articles 83.02 à 83.04 du Code criminel modifié par la Loi antiterroriste, c’est une infraction criminelle de fournir, réunir, utiliser, posséder, inviter une autre personne à fournir ou rendre disponibles des biens (et dans certains cas des services financiers ou connexes) soit dans l'intention de les voir utiliser — ou en sachant qu'ils seront utilisés —, en tout ou en partie, à diverses fins. Selon la disposition, les fins interdites peuvent être : commettre les infractions de terrorisme énumérées au paragraphe 83.01(1) du Code criminel; « faire bénéficier » un « groupe terroriste » ou « une personne qui se livre à une … activité [terroriste] ou la facilite ». Rappelons qu’un « groupe terroriste », au sens de l’article 83.01, est une entité (y compris une personne) « dont l'un des objets ou l'une des activités est de se livrer à des activités terroristes ou de les faciliter » ou une entité inscrite en vertu de l’article 83.05.
Lues à la suite, avec leurs divers verbes et objets, ces dispositions sont complexes et source de confusion dans leur chevauchement, puisqu’elles comportent toutes la même peine maximale de dix années d’emprisonnement. Mais ce qui est encore plus troublant, c’est la généralité de la démarche. Ces dispositions s’appliquent à tout lien économique avec une supposée « activité terroriste », si lointain soit-il : le dépanneur qui vend du lait à une « personne qui facilite une activité terroriste », le coiffeur qui lui coupe les cheveux et le restaurateur qui sert des repas à un « groupe terroriste » — sans tenir compte du caractère minime de la contribution matérielle aux buts de la personne ou du groupe et sans se demander si l’accusé souhaitait favoriser la réalisation de ces buts. À cet égard, ces dispositions sont plus larges que les infractions de complicité et de complot en droit pénal et que les nouvelles infractions de « participation et contribution » des articles 83.18 et 83.19 du Code criminel modifié par la Loi antiterroriste. Elles vont aussi plus loin que les exigences de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme qu’elles sont censées mettre en œuvre. La Convention oblige seulement les États à criminaliser la fourniture ou la collecte de fonds et non toute activité économique.
Il faut signaler aussi que ces dispositions criminalisent la simple intention. En vertu de l’alinéa 83.04b), on commet une infraction criminelle tout simplement en possédant un bien et en ayant l’intention de le voir utiliser pour une activité terroriste ou pour la faciliter. Aucun acte mettant l’intention à exécution n’est nécessaire. Ceci aussi dépasse les exigences de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme.
En vertu des articles 83.12 et 83.08, c’est une infraction criminelle d’effectuer presque n’importe quelle sorte d’opération ou de fournir des services financiers ou connexes liés à des biens pour le profit d’un « groupe terroriste » ou sur son ordre. Aux termes de l’article 83.12 et du paragraphe 83.1(1), c’est une infraction criminelle de ne pas communiquer aux autorités l’existence de biens qui sont en sa possession ou à sa disposition et qui sont liés à un groupe terroriste ou une opération mettant en cause ces biens.
Glorification du terrorisme
Les dispositions courantes du Code criminel portant sur la propagande haineuse nous paraissent suffisantes pour protéger la société canadienne contre les écrits ou les discours haineux. Nous pensons en outre qu’une telle législation serait contraire à la liberté d’expression, acquis démocratique fondamental qui a d’ailleurs été enchâssé dans la Charte des droits et libertés en premier lieu pour la protéger contre des excès provoqués par un événement traumatisant.
Financement d’activités terroristes, listes d’entités terroristes, perte du statut d’organisme de bienfaisance
Le secret est l’un des objectifs évidents de nombreuses dispositions de la Loi antiterroriste. Secret pour le gouvernement en place et son corollaire, une concentration du pouvoir entre les mains de l’exécutif du gouvernement au détriment des pouvoirs qui, dans une société démocratique, reviennent au législatif et au judiciaire.
Modifications de la Loi sur la preuve au Canada
La Partie 3 de la Loi antiterroriste, qui modifie les articles 37 et 38 de la Loi sur la preuve au Canada, confère une grande latitude de procédure aux représentants du gouvernement et donne au procureur général le pouvoir presque illimité d’interdire la divulgation d’informations durant une procédure. Ces nouveaux pouvoirs s’appliquent aux actions qui relèvent du droit civil, du droit pénal et du droit administratif, aux procédures des commissions d’enquête et même aux délibérations du Parlement et à celles des assemblées législatives des provinces. Ils se substituent à la doctrine de l’interdit de divulgation dans l’intérêt public de la common law codifiée dans la Loi sur la preuve au Canada, libérant le gouvernement de l’obligation de montrer que l’interdit de divulgation sert l’intérêt public. Ils dérogent au principe de l’audience publique en permettant au gouvernement d’imposer le secret sur les audiences judiciaires, les dossiers des tribunaux et même les représentations du gouvernement. Dans le cas des certificats « de secret » du procureur général, ils suspendent l’application de la Loi sur l’accès à l’information, la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur la protection des documents personnels et les documents électroniques — d’importantes mesures législatives qui protègent le droit de savoir du citoyen et son droit de protéger sa vie privée et de décider de l’emploi des renseignements personnels qui le concernent.
Ces pouvoirs sont injustifiés dans notre système judiciaire et ouvrent la porte aux abus. Ils pourraient permettre à un gouvernement de cacher au Parlement, à la population ou à un particulier s’estimant lésé des preuves de corruption, un programme controversé, une menace environnementale grave, un déni de justice, un fiasco ou tout autre genre d’acte répréhensible de la part du gouvernement.
Inscription d’entités terroristes sur la foi de renseignements secrets
Aux termes de l’article 83.05, le gouvernement peut inscrire une entité (par définition, aux termes de l’article 83.01, une personne, un groupe, une fiducie, une société de personnes ou un fonds, ou une organisation ou association non dotée de la personnalité morale) s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre en toute connaissance de cause à une activité terroriste ou agit en toute connaissance de cause pour le compte d’une entité qui se livre à des activités terroristes. Après qu’elle est inscrite sur la liste des organisations terroristes, l’entité en question peut demander un examen judiciaire, mais le juge doit étudier les renseignements criminels à huis clos et entendre la preuve du gouvernement en l’absence des personnes concernées s’il estime que la divulgation des renseignements risque de porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’une personne. L’entité concernée ne reçoit qu’un résumé de la preuve réunie contre elle dont on a supprimé les renseignements susceptibles de compromettre la sécurité nationale ou la sécurité d’une personne. Si le juge détermine que l’inscription de l’entité est raisonnable, la décision est définitive et l’entité n’a plus aucun recours, sauf si sa situation change de manière notable.
Nous doutons de la nécessité de créer une liste d’organisations terroristes juste pour le Canada. Une liste réduit une situation historique et politique complexe à un simple cas de « noir ou blanc » rarement productif. Comme l’ont montré les députés britanniques, ce processus peut être très politisé. Les gouvernements cèdent souvent aux pressions politiques de régimes étrangers, inscrivant sur leurs listes des adversaires des régimes en place par opportunisme politique. L’inscription d’entités sur des listes d’organisations terroristes peut priver des populations de leurs droits et freiner les processus de paix et de reconstruction. En effet, certains groupes inscrits ont aussi une aile politique ou d’action sociale légitime qui fait un travail constructif ou joue à tout le moins un rôle crucial dans ces processus.
Pour ces raisons, et d’autres que nous verrons plus loin relativement à l’application régulière de la loi, nous affirmons que si le gouvernement insiste pour établir une liste d’organisations terroristes au Canada, les personnes et groupes concernés doivent être mis au courant des allégations à leur endroit et des preuves réunies contre eux et avoir la possibilité d’y répondre. En outre, pour respecter les obligations du Canada aux termes de la Convention contre la torture, toute preuve qui pourrait avoir été obtenue par la torture doit être irrecevable. Il importe donc que les personnes et les groupes aient suffisamment accès aux renseignements qui les concernent pour déterminer si certains des éléments de preuve sur lesquels s’appuie le gouvernement pourraient avoir été obtenus par la torture.
Perte du statut d’organisme de bienfaisance sur la foi de renseignements secrets
La Partie 6 de la Loi antiterroriste promulgue la Loi sur l’enregistrement des organismes de bienfaisance (renseignements de sécurité) et apporte des modifications corrélatives à la Loi de l’impôt sur le revenu fédérale. Elle permet au gouvernement de signer un certificat sur la foi de renseignements secrets et de refuser ou de retirer à une organisation le statut d’organisme de bienfaisance s’il a des motifs raisonnables de croire que l’organisation met directement ou indirectement des ressources à la disposition d’une entité qui se livre ou se livrera à des activités terroristes ou à des activités à l’appui du terrorisme.
Le certificat peut être examiné par la Cour fédérale, mais les renseignements de sécurité ou renseignements criminels sur lesquels il repose sont le plus souvent examinés en privé. Les règles normales de la preuve sont suspendues et l’organisation concernée ne reçoit qu’un résumé expurgé de l’information dont dispose le juge.
Ces dispositions sont superflues puisque toute personne qui aiderait sciemment un groupe terroriste par l’intermédiaire d’un organisme de bienfaisance serait coupable d’un acte criminel relevant des tribunaux canadiens et des nouvelles infractions de terrorisme prévues dans la Loi antiterroriste si le gouvernement insiste pour les conserver. En outre, elles sont malavisées parce qu’elles risquent de mettre un terme aux activités extrêmement utiles des organismes de bienfaisance canadiens dans les zones de conflit du monde, car pas un organisme de bienfaisance ne peut totalement maîtriser à qui ses ressources profitent ni avoir la clairvoyance nécessaire pour savoir qui, dans un contexte politique complexe, pourrait être considéré comme un terroriste.
De nombreuses organisations respectées comme World Vision nous ont dit qu’elles traversaient une période de « frilosité » par crainte de travailler sans le savoir avec des groupes figurant sur une liste d’organisations terroristes dans leurs activités d’aide humanitaire à l’étranger. Elles disent aussi que les nouvelles dispositions ont passablement nui à leurs activités de collecte de fonds.
Nous pensons que si les listes d’organisations terroristes demeurent et si les organismes de bienfaisance continuent de risquer de perdre leur statut, il faut alors accorder aux organisations de longue date dont la réputation n’est plus à faire des exemptions spécifiques ou limitées suivant les besoins de l’aide humanitaire dans les régions où elles sont forcées de traiter avec des groupes qui peuvent être « inscrits ». Le gouvernement pourrait s’inspirer à cet égard de l’exemple de la Croix-Rouge qui est autorisée à pénétrer dans une zone de guerre pour offrir son aide aux combattants.
Disparition des garanties relatives à l’application régulière de la loi
Le principe de l’«application régulière de la loi » est la pierre angulaire de notre système de common law. Dans une démocratie, il fait tampon entre l’État et les intérêts particuliers, et garantit transparence et équité. Nous affirmons que la Loi antiterroriste abroge à maints égards des normes bien établies d’application régulière de la loi.
Inscription des organisations terroristes
L’application régulière de la loi est suspendue dans tout le processus d’inscription des organisations terroristes. Si la résolution 1267 des Nations Unies crée une liste des membres et associés d’Al-Qaïda et des talibans et enjoint aux États de bloquer les avoirs des personnes et entités figurant sur cette liste, le Canada n’est en revanche aucunement tenu de créer sa propre liste d’organisations terroristes.
Ce que l’application régulière de la loi exige dépend des enjeux pour la personne ou le groupe inscrits. Aux termes de la Loi antiterroriste, l’inscription criminalise l’appartenance à l’organisation concernée, mais aussi, du fait des infractions vagues, très larges et mal définies créées par cette loi, presque n’importe quel type d’association avec l’entité inscrite. Une entité inscrite est à toutes fins pratiques présumée être une organisation terroriste aux fins des nouvelles infractions de terrorisme.
Si le gouvernement tient à établir une liste d’entités terroristes, il doit exister un mécanisme d’examen régulier permettant aux entités inscrites de demander d’être rayées de la liste et de produire de nouveaux éléments de preuve. En outre, il faudrait instituer une procédure automatique de radiation de la liste après une période raisonnable, sous réserve d’un renouvellement de l’inscription en suivant la procédure appliquée lors de l’inscription initiale.
Certificats « de secret » du procureur général »
Le pouvoir du procureur général d’interdire la communication d’informations aura des conséquences prévisibles et fâcheuses sur l’application régulière de la loi dans les affaires qui relèvent du droit pénal, du droit civil et du droit administratif.
Un certificat de sécurité du procureur général l’emporte sur le droit de l’accusé, dans le système de justice pénale, de connaître la totalité de la preuve disculpatoire et inculpatoire réunie par la Couronne et de monter une défense en conséquence. Les tribunaux peuvent certes prononcer un non-lieu quand ils constatent qu’un certificat du procureur général a compromis le droit d’un accusé à un procès équitable, mais nous sommes devant une situation où le législateur se doit de veiller à ce que les effets des mesures législatives soient constitutionnels. Il est indéfendable de laisser cette responsabilité aux seuls tribunaux.
Dans des affaires qui relèvent du droit civil, un citoyen ayant des griefs fondés envers le gouvernement pourrait être frustré d’une victoire s’il ne peut pas prendre connaissance des informations auxquelles il aurait normalement droit et cela à cause d’un certificat de secret du procureur général.
Dans les audiences à caractère administratif, un certificat de secret du procureur général pourrait l’emporter sur le droit à l’application régulière de la loi contenu dans la doctrine de la justice naturelle et sur le devoir d’équité. Il importe de réduire les pouvoirs du procureur général et d’augmenter ceux des tribunaux.
Surveillance injustifiée
Modifications à la Loi sur la défense nationale — Espionnage intérieur par le CST
L’article 273.65 de la Loi sur la défense nationale, ajouté par la Loi antiterroriste, autorise le ministre de la Défense nationale à accorder au Centre de la sécurité des télécommunications l’autorisation générale d’espionner les communications internationales des Canadiens. Le Ministre doit mentionner expressément l’activité ou la catégorie d’activités visées, mais cette exigence n’est aucunement limitative. Le Ministre peut désigner des « activités terroristes », mais aussi des « activités illégales », des « activités commerciales », et des « activités d’organisations religieuses et d’organisations non gouvernementales ». Le terme « liées à » signifie qu’il peut exister un lien très ténu seulement entre l’activité visée et les communications interceptées.
Dans son rapport annuel pour l’exercice terminé en mars 2006, le commissaire du CST Antonio Lamer a dit que les avocats du ministère de la Justice interprétaient ces autorisations législatives très différemment de sa propre conseillère juridique indépendante et que la loi comportait des ambiguïtés auxquelles le Parlement devrait remédier. Il a souligné par ailleurs que la documentation fournie par le CST à l’appui des autorisations ministérielles manquait de clarté au point qu’il était difficile pour son personnel d’établir si toutes les conditions requises avaient été respectées.
En réalité, rien dans l’article 273.65 de la Loi sur la défense nationale ou dans toute autre disposition de la Loi antiterroriste n’empêche le CST de fouiner dans les courriels et appels téléphoniques des Canadiens par des moyens électroniques comme le fait la National Security Agency aux États-Unis dans son très controversé programme d’espionnage intérieur.
Si le gouvernement tient à autoriser le CST à épier les communications au Canada, il doit le faire sur une base individuelle et sous réserve de conditions au moins aussi restrictives que celles qui régissent l’accès du SCRS aux communications intérieures aux termes de la Loi sur le Service canadien de renseignement de sécurité et seulement sur autorisation par un organe judiciaire indépendant.
La Loi sur la protection de l’information
Il faut revoir et modifier la Loi sur la protection de l’information, instituée aux termes de la Loi antiterroriste pour modifier la Loi sur les secrets officiels. Si la Loi sur la protection de l’information incorpore la plupart des éléments de l’ancienne Loi sur les secrets officiels, notamment à l’article 4 qui traite des « fuites » ou de la communication illicite de renseignements secrets, certaines modifications élargissent la portée des dispositions qui portent sur l’information qui peut être tenue secrète ou dont la divulgation peut donner lieu à des accusations. La Loi sur la protection de l’information substitue à l’ancienne expression « renseignements classifiés » l’expression plus large «renseignements à l’égard desquels le gouvernement fédéral ou un gouvernement provincial prend des mesures de protection ».
Il faudrait revoir toute la Loi, mais c’est l’article 4 qui a sans doute le plus retenu l’attention, notamment parce que c’est en vertu de cet article qu’ont été obtenus en janvier 2004 les mandats de perquisition visant la journaliste Juliet O’Neill du Ottawa Citizen exécutés par des agents de la GRC à la recherche de preuves montrant qu’un des leurs avait transmis à la journaliste des informations confidentielles sur l’affaire Maher Arar.
En octobre 2006, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a statué que l’alinéa 4(1)a), le paragraphe 4(3) et l’alinéa 4(4)b) de la Loi sur la protection de l’information sont inconstitutionnels du fait qu’ils contreviennent à l’article 7 et au paragraphe 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Aux termes de l’alinéa 4(1)a), commet une infraction quiconque communique, de manière illicite, communique des renseignements officiels à une personne qui n’est pas autorisée à recevoir cette information. Le paragraphe 4(3) et l’alinéa 4(4)b) créent des infractions pour le fait de recevoir des renseignements officiels de manière illicite et le fait de transmettre de tels renseignements à une personne qui n’est pas autorisée à les recevoir.
Compte tenu de la décision de la Cour supérieure de l’Ontario et de l’élargissement de la catégorie des renseignements protégés contre toute diffusion, il est essentiel de procéder le plus rapidement possible à un réexamen de la Loi sur la protection de l’information et d’apporter à celle-ci les modifications qui s’imposent.
Comité de surveillance parlementaire
De tous les pays occidentaux, le Canada est le seul qui n’a pas de comité de surveillance en matière de sécurité. Durant notre étude, des particuliers et des organisations ont insisté sur l’importance de créer un mécanisme chargé de surveiller les nombreuses activités disparates liées à la sécurité nationale. En 2004, un Comité intérimaire sur la sécurité nationale a été chargé de présenter des recommandations au gouvernement de l’époque; il a présenté un rapport au Parlement en avril 2005 et, le 24 novembre suivant, le gouvernement déposait un projet de loi (le projet de loi C‑81) portant création d’un comité de parlementaires sur la sécurité nationale.
Nous souscrivons à la recommandation 58 du rapport majoritaire en précisant cependant que n’importe quel comité doit avoir le pouvoir de surveiller les activités des organes de sécurité. Comme l’ont montré la tragédie d’Air India et les événements entourant la déportation et la torture de Maher Arar, pour ne citer que ces deux exemples, un mauvais emploi de l’information, que ce soit en la communiquant à des personnes non autorisées ou au contraire en omettant de la diffuser aux organes concernés, peut causer de gros problèmes.
Le comité de parlementaires sur la sécurité nationale doit, outre ses fonctions de surveillance, être habilité à revoir les politiques et actions des autorités pour en vérifier le bien-fondé. En effet, durant notre étude, on nous a appris que de vastes quantités de renseignements étaient considérés comme ayant un impact sur la sécurité nationale et donc inaccessibles au public et à l’appareil judiciaire. Le comité sur la sécurité nationale proposé doit pouvoir examiner ces renseignements et, au besoin, établir une échelle progressive de divulgation de renseignements autrefois classifiés.
Certificats de sécurité
Les auteurs du présent rapport minoritaire n’ayant pas la même opinion au sujet des certificats de sécurité, vous trouverez cette section après les recommandations.
Recommandations
Notre examen consistait à examiner la Loi antiterroriste. Nous ne pouvons pas rédiger une toute nouvelle loi, mais nous recommandons néanmoins que la Loi antiterroriste soit abrogée. Cependant, si une nouvelle loi devait être réécrite, celle-ci devrait être balisée par les considérations suivantes :
Il faudrait,
que l’on cherche, dans la nouvelle loi, à assurer à la population la meilleure protection possible et non à l’opprimer;
que la rédaction de la nouvelle loi soit guidée par l’esprit et les principes de la Charte;
que la nouvelle loi rende tout élément de preuve obtenu au Canada ou à l’étranger par la voie de la torture irrecevable dans nos tribunaux;
que la nouvelle loi prévoie l’interdiction absolue de renvoyer des personnes dans leur pays d’origine si cela présente pour elles un risque crédible de torture ou de mort.
Nous recommandons que, dans la détermination de la peine, l’on se fonde sur les dispositions du Code criminel portant sur l’intention et l’utilisation pour alourdir les peines quand le motif de l’infraction est le terrorisme contre l’État ou contre des personnes.
Nous recommandons d’augmenter les ressources consacrées à la formation du personnel des tribunaux en matière de sécurité et nous réitérons à cet égard l’importance d’une fonction de surveillance judiciaire indépendante pour assurer à la population le respect de la règle de droit.
Nous recommandons la création immédiate d’un comité de surveillance parlementaire chargé de contrôler les activités des services de sécurité et de conseiller ceux-ci sur leurs grandes orientations.
Nous recommandons qu’on laisse s’éteindre la Loi sur l’enregistrement des organismes de bienfaisance (renseignements de sécurité) et les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu fédérale qui permettent de retirer arbitrairement à une organisation le statut d’organisme de bienfaisance.
Sur la base de ce qui est mentionné ci-dessus, nous recommandons que le Canada réponde à ses obligations internationales sans les outrepasser, notamment au niveau de l’interdiction du financement des groupes terroristes.
Les certificats de sÉcuritÉ
Opinion de Serge Ménard
Député de Marc-Aurèle-Fortin
Les certificats de sécurité peuvent être considérés comme l’accessoire d’un ordre d’expulsion. C’est pourquoi ils ne s’appliquent pas aux citoyens canadiens. Il n’y a pas de bannissement au Canada. Les citoyens canadiens qui représentent un danger pour la sécurité sont traités par notre système judiciaire.
Ce mécanisme d’expulsion d’un immigrant pour des raisons de sécurité fait donc partie de la législation canadienne depuis 1978. Il a toutefois été modifié le 28 juin 2002 et certaines protections ont alors été éliminées sous prétexte d’accélérer la procédure de renvoi : la modification la plus importante est sans doute l’élimination du droit d’appel.
L’actuelle procédure des certificats de sécurité est détaillée dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). Il est prévu que les ministres de la Citoyenneté et de l'Immigration (CIC) et de la Sécurité publique et de la Protection civile (SPPCC) peuvent signer un certificat de sécurité attestant qu'un résident permanent ou un étranger est interdit de territoire pour des raisons de sécurité.
Une fois le certificat de sécurité signé, la Cour fédérale en est saisie et tient certaines audiences à huis clos en l’absence des avocats de l’accusé et de l’accusé lui-même lorsque la Cour juge que la divulgation de certaines preuves ou témoignages porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui.
Le juge peut entendre la personne que vise le certificat. Il l’informe sommairement des motifs de la demande d’expulsion mais il doit lui cacher les motifs et les éléments de preuve qu’il ne serait pas dans l’intérêt public de rendre publics. La personne ne sait donc pas totalement ce à quoi elle doit répondre ni ce qu’elle doit expliquer.
Ce n’est pas à proprement parler une procédure judiciaire. D’ailleurs au moins un juge de la Cour fédérale s’est dit très mal à l’aise de devoir prendre une décision qui implique la liberté d’une personne dans un tel contexte.
Le juge Hugessen disait
[traduction] Je peux vous le dire parce que nous [les juges de la Cour fédérale] en avons parlé, nous détestons cela. Nous n’aimons pas devoir siéger seuls, entendre une seule partie et examiner les documents produits par une seule partie, essayer de voir par nous-mêmes ce qui cloche dans la cause qui nous est présentée et comment les témoins qui comparaissent devant nous devraient être contre-interrogés. Si j’ai appris une chose dans la pratique du droit... c’est qu’un bon contre-interrogatoire exige une préparation très soigneuse et une bonne connaissance de sa cause. Par définition, les juges n’ont pas cela…Nous n’avons aucune connaissance autre que ce qui nous est présenté, et quand cela nous est présenté par une seule partie, nous ne sommes pas bien placés pour évaluer ce qui nous est présenté.5
Il constatait également qu’il y a une différence essentielle entre les dispositions de la LPC modifiée et de la LIPR concernant l’audition en l’absence d’une partie et celles qui sont tenues pour obtenir les mandats de perquisition et d’écoute électronique :
[traduction] Les personnes qui présentent sous serment des demandes de mandats de perquisition ou d’écoute électronique peuvent être raisonnablement certaines qu’il y a une forte probabilité que ces affidavits seront un jour rendus publics. Dans les cas de sécurité nationale, si la personne réussit à convaincre le juge, l’affidavit ne sera jamais public et le fait qu’une déclaration indue a été faite à la cour ne sera peut-être jamais révélé…6
Même si ce n’est pas une procédure judiciaire, pour un immigrant qui a fui son pays parce qu’il craignait pour sa vie ou pour sa sécurité, et qui craint donc d’y retourner, l’ordre d’expulsion si elle est confirmée, équivaut à une condamnation à un emprisonnement d’une durée indéterminée.
Il se voit condamné sans connaître complètement les motifs de la décision, sans connaître toutes les preuves qu’on a présentées contre lui, sans pouvoir donc y répondre pleinement. Il est incarcéré à la suite d’audiences partiellement secrètes auxquelles ni lui ni son avocat n’ont assisté. Pour les défenseurs des droits de l’homme, cette procédure regroupe les pires violations des droits fondamentaux qui sont la principale caractéristique des sociétés justes et démocratiques. Notre Charte des droits et libertés énonce d’ailleurs à son article 10 :
Chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention :
a) d’être informé dans les plus brefs délais des motifs de son arrestation ou de sa détention;
c) de faire contrôler, par habeas corpus, la légalité de sa détention et d’obtenir, le cas échéant, sa libération.
L’article 11 énonce :
Tout inculpé a le droit :
a) d’être informé sans délai anormal de l’infraction précise qu’on lui reproche;
d) d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable;
Évidemment, il n’est pas « inculpé » puisqu’il n’est accusé de rien. Toutefois, il risque l’incarcération indéfinie, ce qui est réservé aux pires criminels.
Certains défenseurs de ces certificats tirent un certain confort du fait que pour échapper à cette incarcération indéfinie, la personne visée n’a qu’à retourner dans son pays. Ils parlent d’une prison à trois murs (a « three wall » prison).
Cela est vrai pour ceux qui peuvent retourner dans leur pays ou même dans un autre mais certains ne le peuvent pas parce qu’ils craignent la torture ou la mort ou les deux s’ils retournent dans leur pays d’origine et parce qu’aucun autre pays ne désire recevoir chez lui des personnes qui ont été jugées comme représentant un risque de sécurité par le Canada.
Pour ceux-là, la prison à trois murs est bordée d’un précipice sur son quatrième côté.
Ce qui se voulait donc le simple exercice d’une prérogative de tout pays souverain, le droit de refuser l’accès à son territoire à une personne qu’elle estime dangereuse, est devenu le symbole d’une dérive de notre système de droit vers des pratiques que nous étions habitués à considérer comme l’une des caractéristiques des régimes totalitaires.
Cela est d’autant plus vrai lorsque les certificats de sécurité sont émis contre des personnes qui sont au Canada depuis plusieurs années et qui y ont fondé une famille, occupé un emploi et mené une vie sans reproche.
Nous-mêmes au Canada, nous considérons tous que cette procédure est indigne d’être appliquée aux citoyens canadiens. Il faut rappeler que les droits qui sont violés sont des droits de l‘homme fondamentaux et non des privilèges de citoyen.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette procédure a besoin d’être sérieusement révisée sinon abolie.
Au moment où nous devons remettre notre opinion sur les certificats de sécurité, la Cour suprême du Canada n’a pas encore rendu sa décision dans les affaires Charkaoui, Harkat et Almrei où elle doit se prononcer sur la conformité de cette procédure avec la Charte des droits et libertés.
Avant d’être rendue publique, notre opinion doit passer par la traduction et être soumise au Comité sur la sécurité publique et la protection civile pour qu’il puisse en discuter avant d’être déposée à la Chambre des communes.
Si la Cour déclare inconstitutionnelle parce que contraire à la Charte l’ordonnance d’expulsion qui fait suite à l’émission d’un certificat de sécurité, cela rend caduque notre réflexion. Dans le cas contraire, nous croyons comme la majorité des membres de notre sous-comité qu’elle peut être utile. Elle le sera également si l’opinion de la Cour est plus nuancée.
Si nous avons opté pour la révision en profondeur plutôt que l’abolition complète, c’est pour plusieurs raisons.
D’abord, c’est un droit fondamental de tout pays de refuser d’ouvrir son territoire à un étranger qui présente un danger pour sa sécurité.
Si ce droit est exercé dès l’arrivée au Canada de la personne concernée ou peu de temps après, si le retour de celle-ci dans son pays d’origine ne pose pas de problème pour sa sécurité ou si elle peut être renvoyée dans un autre pays qui est prêt à l’accueillir, alors tant la procédure expéditive qu’une décision basée sur des motifs raisonnables de croire que la personne représente un danger pour la sécurité sont plus acceptables.
Récemment, un citoyen russe qui voyageait sous plusieurs identités et transportait sur lui des sommes considérables en monnaie de plusieurs pays a été ainsi expulsé sans que cela ne soulève d’inquiétudes chez ceux qui se préoccupent des droits humains.
C’est après qu’on a laissé une personne s’installer ici comme un immigrant pendant un certain temps que la question du respect des droits humains se pose. Elle devient de plus en plus préoccupante si plusieurs années se sont écoulées depuis son arrivée au Canada, qu’elle y a fondé sa famille, qu’elle a occupé un ou plusieurs emplois et qu’elle a toujours eu une conduite sans reproche.
Nous croyons donc qu’une révision en profondeur de ce mécanisme d’expulsion doit être réalisée si on veut rétablir le juste équilibre entre les nécessités de la lutte au terrorisme et le respect des droits fondamentaux. Pour cela nous proposons six mesures.
Abolition de l’arrestation sans mandat
Tout d’abord, on devrait modifier la LIPR qui prévoit l’arrestation des étrangers sans mandat. Il ne semble pas excessif de requérir qu’un mandat soit émis pour l’arrestation d’étranger tout comme c’est le cas pour les résidents permanents. Rappelons que plusieurs étrangers vivent comme des citoyens canadiens même s’ils n’ont pas encore obtenu leur citoyenneté. S’il était nécessaire de les arrêter pour empêcher la commission imminente d’un acte criminel, on pourrait les arrêter en vertu de l’article 495 du Code criminel qui prévoit
(1) Un agent de la paix peut arrêter sans mandat :
(a) une personne…qui, d’après ce qu’il croit pour des motifs raisonnables…est sur le point de commettre un acte criminel;
Dans tous les autres cas, il est normal qu’ils ne soient pas arrêtés de façon arbitraire et qu’ils bénéficient du contrepoids que constitue le mandat.
Le fardeau de la preuve
Nous croyons aussi que le juge de la Cour fédérale devrait être convaincu hors de tout doute raisonnable que l’individu représente une menace pour la sécurité des Canadiens avant d’ordonner son expulsion. Puisqu’on est incapable de l’accuser d’une infraction formelle, il mérite à tout le moins le bénéfice du doute raisonnable.
Rétablir le droit d’appel
Nous croyons également qu’il n’y a aucune raison valable pour avoir aboli le droit d’appel. Nous trouvons risqué qu’une décision aussi importante que de renvoyer un immigrant dans son pays où il risque peut-être la torture soit laissée entre les mains d’un seul juge sans possibilité d’en appeler de cette décision. Sous l’ancienne Loi sur l’immigration, l’individu avait d’ailleurs le droit d’appeler de la mesure de renvoi.
Les audiences secrètes sur la preuve
Une certaine partie des renseignements de sécurité sur lesquels on se base pour juger qu’un individu représente un risque pour la sécurité sont secrets et il est important qu’ils le demeurent. Ils peuvent l’être parce que si on révélait leur source, on mettrait en danger la vie ou la sécurité de nos agents. Ils peuvent l’être parce qu’ils proviennent de nos alliés qui nous les fournissent à la condition que nous les gardions secrets. Ils peuvent l’être également parce qu’on ne veut pas révéler les méthodes d’enquête par lesquelles on les a obtenus afin que les terroristes puissent les déjouer à l’avenir. C’est cela qui justifie qu’une partie de la preuve, et même parfois des raisons de l’ordonnance d’expulsion, ne soit pas dévoilée.
Nous l’avons déjà souligné, les juges sont très inconfortables à devoir décider comme dans un procès sans avoir l’avantage d’un débat contradictoire. Par contre, s’il doit y avoir devant eux un avocat qui conteste les prétentions des avocats du gouvernement, ce dernier doit être tenu au secret si le juge décide que certaines informations doivent demeurer secrètes.
Nous sommes donc entièrement d’accord avec les recommandations du rapport majoritaire au chapitre dix et qui concernent les amici curiae, ces avocats indépendants qui ont reçu une habilitation de sécurité et peuvent servir de représentant juridique de la personne concernée par la procédure, pendant les audiences secrètes. Cette institution n’a pas donné entièrement satisfaction en Angleterre où elle a été testée mais elle représente sûrement une amélioration sur la situation actuelle.
Les risques de torture
Actuellement, la Cour fédérale n’a pas le mandat de s’assurer qu’il n’existe aucun risque de torture avant de confirmer un certificat de sécurité. La Cour fédérale peut donc très bien rendre une décision qui conduira à l’expulsion de l’individu vers un pays où il risque la torture, en contravention des obligations internationales du Canada qui a signé la Convention sur la torture. Le Canada a d’ailleurs admis devant l’ONU que sa procédure de certificats de sécurité violait ses engagements internationaux.
Nous croyons que cette violation des engagements internationaux du Canada est inacceptable. Lorsqu’elle analyse le bien-fondé du certificat de sécurité, la Cour fédérale doit absolument décider, selon la preuve qui lui sera soumise, si l’individu risque la torture dans le pays où il sera expulsé. Si la Cour juge qu’il existe effectivement des risques de torture et qu’elle conclut par ailleurs que l’individu représente « hors de tout doute raisonnable » une menace à la sécurité des citoyens, elle devrait alors donner un court délai au procureur général pour porter contre l’individu jugé dangereux des accusations formelles sous le Code criminel.
Un délai après lequel les certificats de sécurité ne pourraient être émis
Les certificats de sécurité ne peuvent être émis contre les citoyens canadiens. Ceux qui en défendent la nécessité nous disent que c’est là un privilège que donne la citoyenneté. Or, les droits qui sont affectés dans la procédure qui est engagée par ces certificats ne sont pas des droits des citoyens mais des droits de l’homme. Le droit de ne pas être privé de sa liberté sans un procès juste et public, le droit d’être informé de façon précise et complète des raisons pour lesquelles on veut nous priver de cette liberté, le droit de connaître les preuves sur lesquelles on se base et de pouvoir les mettre en doute, le droit à une défense pleine et entière sont des droits fondamentaux de tout être humain.
S’il est compréhensible qu’on accepte d’y faire entorse pour des raisons importantes de sécurité au moment où un étranger veut entrer au pays ou peu de temps après, il reste qu’au bout d’un certain temps, il doit être traité, en matière de justice, comme les autres êtres humains qui peuplent ce pays.
Conclusion
Comme nous l’avons expliqué plus haut, cette opinion sera probablement rendue publique après le jugement de la Cour suprême qui portera sur la conformité des certificats de sécurité avec les dispositions de la Charte.
Peut-être que ce jugement la rendra caduque. Sinon, nous continuons de croire que les mesures que nous proposons peuvent le mieux rétablir l’équilibre entre les droits fondamentaux des individus et la sécurité des citoyens. S’il n’y a pas de risque de torture, on pourra toujours expulser un individu dans son pays d’origine lorsqu’il représente un danger réel pour la sécurité des Canadiens et des Québécois mais en ayant respecté le plus possible les droits humains.
Les certificats de sÉcuritÉ
Opinion de Joe Comartin
Député de Windsor—Tecumseh
Nous sommes d’accord avec la description de la nature et de l’utilisation des certificats de sécurité présentée dans le rapport majoritaire. Depuis la rédaction de la première ébauche du rapport, une personne, Mohammed Mahjoub, a été remise en liberté. Deux autres demeurent incarcérées et font depuis plus de deux mois une grève de la faim au nouveau centre de détention de Kingston. Il semble évident que le système n’était pas prêt à accueillir les personnes détenues en vertu d’un certificat de sécurité et à supporter les dépenses considérables qu’a entraînées la construction de l’installation de Kingston. L’absence de plan clair de la part du gouvernement à l’appui du processus de délivrance de certificats de sécurité s’est fait sentir durant tout le processus de détention des personnes concernées, d’abord dans un établissement provincial et maintenant dans un centre fédéral.
Comme la procédure relative aux certificats de sécurité prévue dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est un processus judiciaire [auquel préside un juge de la Cour fédérale], et en raison des graves conséquences des certificats pour les personnes concernées [privation de liberté, ordonnance de déportation, et renvoi possible dans un pays où elles risquent la torture], il faut que la procédure comporte de solides mesures de protection, ce qui n’est pas le cas actuellement.
Un des principes bien connus de la justice fondamentale est le droit à une défense pleine et entière — le droit de connaître les allégations qui pèsent contre soi et de les réfuter. Dans la procédure actuelle de délivrance des certificats de sécurité, ce droit est à toutes fins pratiques inexistant. En effet, des éléments de preuve cruciaux peuvent être présentés au juge en l’absence de la personne concernée et de son avocat. Plus encore, ces informations, dont sont privés la personne visée et son avocat, ne peuvent même pas être décrites dans un résumé. Le juge, lui, peut en tenir compte pour rendre sa décision sur le caractère raisonnable du certificat, décision qui ne peut faire l’objet ni d’un appel, ni d’un examen judiciaire, et qui peut entraîner une ordonnance de déportation elle aussi sans appel. Ainsi, dans la procédure actuelle, une personne pourrait ne jamais connaître les raisons qui motivent sa déportation, et encore moins les contester.
Le gouvernement n’a pas démontré qu’il était nécessaire, dans l’intérêt de la sécurité nationale, d’accepter des entorses aux principes de la justice fondamentale en autorisant le secret des éléments de preuve. Au contraire, le fait que ces mesures ne s’appliquent pas aux citoyens canadiens alors qu’ils peuvent tout autant que les non-citoyens présenter une menace pour la sécurité du Canada montre clairement que ces mesures ne sont pas vraiment nécessaires et représentent une forme de discrimination injuste envers les non-citoyens.
Il a été proposé, pour mieux protéger les droits de la personne visée par un certificat tout en veillant à la sécurité du Canada, d’avoir recours à un amicus curiae ou « avocat spécial ». L’exemple du Royaume-Uni est souvent cité en exemple par ceux qui prônent la révision plutôt que l’abolition du système des certificats de sécurité. Cependant, ces audiences où des informations critiques pour la sécurité nationale sont tenues secrètes et le recours à un avocat spécial ayant le droit d’assister à des audiences à huis clos, ont fait l’objet de plusieurs poursuites judiciaires donnant lieu à des décisions contre ces limites arbitraires.
Étant donné que les Lords d’appel du Royaume-Uni se sont prononcés contre les dispositions de la procédure et que Ian MacDonald, c.r., un avocat spécial ayant plus de sept ans d’expérience, a démissionné parce que le gouvernement n’a pas su régler les problèmes que pose le système, cette solution apparaît loin d’être idéale. Cet exemple nous conforte par ailleurs dans notre conviction que de simples révisions de procédure ne peuvent pas corriger un système qui refuse le droit à une défense pleine et entière.
Le système des certificats pèche aussi dans la distinction qu’il fait entre les résidents permanents et les ressortissants étrangers en matière de détention. Tout ressortissant étranger nommé dans un certificat de sécurité est automatiquement détenu sans mandat. Contrairement aux résidents permanents, qui ont droit à un examen immédiat de leur détention, les ressortissants étrangers doivent attendre au moins 120 jours après qu’il a été déterminé que le certificat les concernant était raisonnable pour demander une révision de l’ordonnance de détention, si tant est qu’ils se trouvent encore au Canada. Bien que la loi prévoie des distinctions entre les résidents permanents et les ressortissants étrangers dans certaines circonstances, cette distinction n’est pas fondée et le risque qu’une personne présente pour la sécurité nationale n’a rien à voir avec son statut vis-à-vis de l’immigration. En conséquence, la procédure des certificats de sécurité prive les ressortissants étrangers de leur droit de ne pas faire l’objet d’une détention arbitraire aux termes de l’article 9 de la Charte et du droit international, notamment l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Sur le plan de la révision de leur détention, les ressortissants étrangers et les résidents permanents devraient être traités de la même manière.
Durant son examen de la Loi antiterroriste (qui a duré près de deux ans et demi), le Comité a entendu de nombreux témoins qui ont présenté plusieurs propositions pour intégrer des mesures de protection à la procédure de délivrance des certificats de sécurité. Tout bien considéré, nous estimons que, malgré les recommandations qui nous ont été faites, il est impossible de réviser le système actuel pour aboutir à un système permettant une défense pleine et entière et des audiences complètes.
Parce qu’elle est fondamentalement injuste et qu’il n’est pas essentiel pour protéger la sécurité nationale, nous recommandons l’abolition de la procédure de délivrance de certificats de sécurité.
Nous recommandons l’abolition immédiate des dispositions de la Loi sur la citoyenneté et l’immigration relatives aux certificats de sécurité.
Nous tenons à remercier la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles pour son apport. Ses conseils et la manne d’informations et de connaissances qu’elle a mis à notre disposition durant notre étude ont grandement facilité la rédaction du présent rapport.
3 Ligue des Droits et Libertés : « La Loi antiterroriste de 2001 : une loi trompeuse, inutile et...dangereuse. Mémoire présenté au Comité spécial du Sénat sur la Loi antiterroriste et au sous-comité de la sécurité publique et nationale du Comité sur la justice, les droits de la personne, la sécurité publique et la protection civile de la Chambre des communes », 9 mai 2005.