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CIIT Rapport du Comité

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Opinion dissidente

Nouveau Parti Démocratique

« Les dirigeants syndicaux sont systématiquement persécutés.  Dans notre pays, il est plus facile de créer un groupe armé qu’un syndicat ouvrier. » [Traduction]

-  Gabriel Perez, Confederación General del Trabajo

« La mort guette nos dirigeants syndicaux. » [Traduction]

- Javier Hernández, Représentant par intérim,

Cabinet du Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme

Ne vous faites pas prendre par ceux qui prétendent que si vous n'appuyez pas le gouvernement actuel, vous donnez du pouvoir aux terroristes et aux forces de la guérilla.  C'est la polarisation politique qui a paralysé le débat public sur la démocratie en Colombie aujourd'hui.  Tous les jours, par des actes innombrables de bravoure, des chefs syndicaux, des journalistes et des Autochtones colombiens dénoncent la violence qui a été lancée contre eux de tous côtés.  Ils sont en train d'ériger une base pour une solution intermédiaire et un gouvernement qui pourra être tenu responsable de ses crimes et qui devra s'acquitter de ses responsabilités en respectant les droits fondamentaux des habitants du pays.

Réunion no 28 – Gerry Barr, Président-directeur général,

Conseil canadien pour la coopération internationale (CCCI)

Le gouvernement minoritaire des Conservateurs manque une fois de plus de respect au Parlement et à ses comités en concluant la négociation de l’Accord de libre-échange Canada-Colombie avant que notre comité n’ait déposé son rapport.  Malheureusement, il a choisi de signer cet accord très controversé au mépris de la prudence et des craintes exprimées.  La signature a été annoncée le samedi 7 juin 2008, soit avant que le Comité permanent du commerce international n’ait entendu tous les témoins prévus ni produit son rapport, ni même fait ses recommandations finales.  Le gouvernement affiche ainsi un mépris complet de la consultation démocratique et de ce que beaucoup de témoins clés ont dit, à Ottawa comme à Bogota, à l'égard de cette question complexe et litigieuse.  Les Canadiens ont tout lieu de s’inquiéter de cet affront à la démocratie.  En fait, beaucoup ont manifesté leur indignation, redoutant sérieusement les effets imprévisibles que la hâte des Conservateurs pourrait avoir à l’avenir sur toutes les consultations parlementaires.

La décision unilatérale du gouvernement est d’autant plus troublante que la légion de témoins et d’experts entendus par le Comité en Colombie ont confirmé l’impression nette qu’il avait, à savoir qu’un accord de libre-échange (ALE) entre le Canada et la Colombie n’améliorerait pas et ne faciliterait pas le respect des droits humains des travailleurs colombiens et de leurs droits dans le domaine du travail, contrairement à ce que disent les Conservateurs.  Il pourrait en fait aggraver l’oppression permanente et systémique et les violations des droits de la personne dont ont fait état beaucoup de témoins entendus par le Comité.

Le NPD réitère son intime conviction que les accords commerciaux doivent reposer sur les principes fondamentaux du commerce loyal, à savoir l’équité, la justice sociale et le respect des droits de la personne, des droits des travailleurs et de l’environnement.  Ces conditions préalables essentielles n’existent tout simplement pas en Colombie, où les violations des droits de la personne, qui sont commises avec la bénédiction des autorités, ont pour effet de créer des conditions épouvantables.  Pour toutes les raisons exposées ci-après, le gouvernement du Canada devrait reporter la conclusion de son accord de libre-échange avec la Colombie jusqu’à ce qu’une évaluation indépendante et complète de ses conséquences sur les droits de la personne ait été mise au point et menée à terme, et le Canada ne devrait pas envisager de signer d’accord de libre-échange avec la Colombie tant que cette dernière n’aura pas donné suite aux recommandations formulées au terme de l’évaluation.

La situation actuelle en Colombie

Malgré leurs efforts, les représentants du gouvernement colombien qui ont comparu devant le Comité permanent du commerce international à Bogota n’ont pas réussi à démontrer que les droits de la personne sont mieux respectés dans leur pays.  L’affirmation du gouvernement colombien selon laquelle la qualité de vie et les conditions d’emploi se sont améliorées dans le pays découle en grande partie d’une manipulation de l’information statistique.  Cédant sous la pression du gouvernement Uribe, deux directeurs du Centre national de la statistique ont démissionné, et le nouveau directeur a donné du chômage une définition telle que maintenant, selon le Centre, est réputé travailler à plein temps quiconque travaille au moins huit jours dans l’année.  Il en résulte une représentation trompeuse de la réalité qui explique pourquoi les taux de chômage semblent diminuer. 

Le gouvernement Uribe a aussi modifié la définition des paramilitaires de manière à pouvoir prétendre qu’ils n’opèrent plus en Colombie.  Mais en réalité, comme l’a expliqué Patricia Cespedes, du Central Unitario de Trabajadores du Colombia, non seulement il y a des paramilitaires dans toutes les régions du pays, mais ils sont de plus en plus nombreux.  Au cours des 20 dernières années, les paramilitaires ont pris 6,5 millions d’hectares de terres.  Les témoignages reçus illustrent très clairement la menace qu’ils représentent, sans oublier les autres difficultés de la vie en Colombie.

·                    Les sévices que subissent les travailleurs et les civils colombiens aux mains des paramilitaires sont non seulement permanentes, mais de plus en plus violentes.

·                    Selon les estimations les plus modestes, 2 665 syndicalistes auraient été assassinés depuis 1986, et les travailleurs, les agriculteurs et les journalistes ont été la cible d’innombrables actes de violence.  En moyenne, depuis 21 ans, un syndicaliste a été assassiné tous les trois jours.  Et plus de 400 chefs de syndicats ouvriers l’ont été depuis le début du régime Uribe. 

·                    Au cours des trois premiers mois de l’année en cours (2008), le nombre de meurtres de syndicalistes est de 89 p. 100 plus élevé qu’au cours des trois premiers mois de 2007.

·                    Depuis que le Président Alvaro Uribe a été élu, en 2002, le taux d’augmentation des atteintes aux droits de la personne par les militaires est passé de 17 p. 100 en 2002 à 56 p. 100 en 2006.  Ces chiffres nous ont été communiqués lors d’une séance d'information sur le pays demandée par des groupes civils et syndicaux canadiens et au cours de laquelle des représentants de la base sociale colombienne sont personnellement intervenus.

·                    La Colombie est le deuxième pays du monde, après le Soudan, pour le nombre de citoyens déplacés.  L’an dernier seulement, quelque 305 000 nouveaux cas ont été recensés.  La majorité des personnes déplacées ont été chassées de terres situées dans des régions économiquement intéressantes aux plans minéralogique, agricole ou autres.  Les guérilleros des FARC, de même que des fonctionnaires du gouvernement, des paramilitaires, des hauts gradés de l’armée et des membres de la famille du Président colombien font depuis quelque temps l’objet d’enquêtes pour avoir aidé à orchestrer la saisie illégale de terres et en avoir personnellement profité ou pour avoir massivement déplacé des citoyens qui vivaient sur des terres riches en ressources.   

·                    À la suite de ce qu’il est maintenant convenu d’appeler le scandale para-politique, on a commencé à enquêter sur un vaste réseau de liens systémiques entre une foule de fonctionnaires gouvernementaux – dont une vaste majorité appartient au parti au pouvoir – et des escadrons de la mort paramilitaires d’extrême-droite.  Le tiers des politiques de la Colombie – sénateurs, ministres, maires, gouverneurs et autres membres du Congrès (29) – ont été emprisonnés, trente ont été reconnus coupables de crimes et au moins soixante membres de la législature sont encore sous enquête.  C’est la Cour suprême, et non le gouvernement, qui a ordonné ces enquêtes. 

·                    Des témoins ont raconté au Comité comment le Président colombien s’en est pris à la Cour suprême, comment il a extradé des paramilitaires de haut rang en invoquant des accusations mineures de manière à les empêcher de témoigner, et comment il a entravé le travail des avocats chargés d’enquêter sur des atteintes aux droits de la personne.  On nous a aussi raconté comment des fonctionnaires du gouvernement et des paramilitaires ont récemment stigmatisé des dirigeants civils, des journalistes et des syndicalistes qui avaient défendu les droits de la personne en les accusant d’être des guérilleros.  En Colombie, étiqueter quelqu'un de la sorte revient à le condamner à mort.

·                    Plus de 90 p. 100 de ceux qui ont assassiné des syndicalistes n’ont jamais été accusés; un taux de condamnations aussi faible n’a absolument rien de dissuasif, puisqu’on peut prendre impunément la vie d’autrui.

En adoptant unilatéralement cet accord très controversé, le gouvernement conservateur a délibérément fermé les yeux sur les inquiétudes fondées dont il était informé au sujet des épouvantables conditions de travail et des atteintes aux droits de la personne qui sont le lot quotidien des Colombiens.  À Ottawa, les propos tenus devant le Comité par plusieurs témoins canadiens clés confirment cette conclusion.  En effet,

« Si le Canada entreprend des négociations de libre-échange avec cet État, alors nous croyons qu'il est de notre devoir de préconiser la prudence. […] il nous faut tout d'abord déterminer si le dossier en matière de droits de l'homme de la Colombie en fait un pays avec lequel le Canada veut être associé. […] C'est un pays qui est depuis plus de 40 ans déchiré par d'horribles conflits armés internes. Des organes internationaux indépendants comme les Nations Unies ou l'Organisation des États américains maintiennent encore que la situation dans le pays est la pire crise des droits de la personne de tout l'hémisphère. Des violations flagrantes des droits de la personne continuent d'y être commises, y compris avec la participation de forces de l'ordre publiques ou la complicité d'agents gouvernementaux »

                                    Réunion no 30 Pascal Paradis, Directeur général, Avocats sans frontières

« Le climat de terreur qui règne parmi les syndicalistes empêche les travailleurs de se syndiquer, de négocier leurs salaires et d’améliorer leurs misérables conditions de travail.  Il fournit aux entreprises un bassin de main d’œuvre très peu coûteuse et effrayée, ce qui rapporte gros à quelqu'un quelque part, j’imagine.  Le gouvernement colombien prétend que le dossier des assassinats de syndicalistes s’améliore, comme en fait foi, dit-il le fait que « il y a eu 39 meurtres de syndicalistes seulement en 2007 ».  Comment peut-on même parler d’amélioration quand il est question du nombre de meurtres?  Il est intolérable qu’un seul syndicaliste ait été assassiné. » [Traduction]

Réunion no 34 – Ken Georgetti, Président du Congrès du travail du Canada

« Amnistie internationale ne prend aucune position à l'égard du libre-échange en soi, ni à l'égard d'une autre approche particulière ou d'une politique commerciale. Nous reconnaissons que le commerce et l'investissement ne sont intrinsèquement ni bons ni mauvais pour les droits de la personne, mais qu'il faut porter une attention particulière et vigilante pour garantir que les politiques en matière de commerce et d'investissement ne compromettent pas la protection des droits de la personne.

Dans le contexte colombien, on a de sérieuses raisons de craindre l'absence totale d'attention et de mesures de protection diligentes et concertées et de craindre que les droits de la personne ne soient inévitablement compromis davantage par l'ouverture du commerce et des investissements dans ces circonstances. Nous avons fait part de cette préoccupation dans une lettre ouverte adressée au premier ministre Harper en juillet dernier, puis en décembre dans une lettre adressée au ministre du Commerce international, M. Emerson. »

Réunion no 28 – Alex Neve, secrétaire général, Amnistie Internationale

Les déclarations des fonctionnaires colombiens que le Comité permanent du commerce international a entendus à Bogota prenaient directement le contre-pied des propos vérifiables que d’autres témoins avaient tenus devant le Comité au sujet du fait que les violations des droits de la personne sont monnaie courante en Colombie. 

Ce que M. Jaime Giron-Duarte, ambassadeur de Colombie au Canada, a dit au Comité nous a également troublés.  Il a déclaré que le meurtre des syndicalistes tués en Colombie ne s’explique pas par leurs activités syndicales, mais par le climat de violence qui sévit dans tout le pays.  Au même moment, il tentait de rassurer le Comité en affirmant que la Colombie était fermement résolue à régler le problème des violations des droits de la personne.  Il contredisait directement un grand nombre de témoins, pour lesquels il est indéniable que les syndicalistes sont encore systématiquement ciblés à cause de leurs efforts pour syndiquer les travailleurs et négocier des conventions collectives.  La question se pose d’elle-même : si le gouvernement de la Colombie ne peut même pas appeler les problèmes par leur nom, tient-il vraiment à les régler?

L’ALE aura-t-il pour effet d’améliorer la situation des droits de la personne?

Le gouvernement conservateur nous assure que commercer avec la Colombie facilitera et favorisera la reconnaissance et le respect des droits de la personne, mais rien de concluant ne permet de le croire.  Il ne nous a rien présenté d’empirique prouvant que le libre-échange aura un effet positif sur la situation des droits de la personne.  Rien ne prouve qu’avoir des liens commerciaux privilégiés avec un pays y fasse progresser les droits de la personne ou la démocratie.  Au contraire, l’histoire nous offre un récit bien différent.


L’Angleterre n’a favorisé le libre-échange au 18e siècle qu’après que Lord Hastings et sa compagnie eurent pillé l’Inde et détruit ses prospères industries du textile et du fer.  La libéralisation prétendument occasionnée par le libre-échange s’est surtout produite avec la bénédiction de régimes monarchiques ou totalitaires qui limitaient l’exercice des libertés.  Avec le temps, les fabricants de coton britanniques ont complètement accaparé les nouveaux marchés d’Orient, ce qui a entraîné la disparition complète de l’industrie du coton en Inde.  À ses débuts, le libre-échange était moins un outil de développement que  le moyen par excellence d’atteindre à la suprématie économique et politique.

En ces circonstances, peut-on prendre au sérieux les propos de M. Tom D’Aquino, selon lesquels la libéralisation du commerce entraînera un plus grand respect des droits de la personne?  M. D’Aquino a prétendu devant le Comité que l’impératif du libre-échange a été une des raisons de l’effondrement de l’Union soviétique, mais de telles affirmations ne reposent sur rien de factuel ou d’historiquement probant. 

Mme Penelope Simons, professeure agrégée à la section de common law de la Faculté de droit de l’Université d'Ottawa, explique : Réunion no 31

« Il n'y a pas nécessairement de lien entre la libéralisation du commerce et la protection de l'investissement résultant d'un accord de libre-échange, d'une part, et le développement démocratique, la protection des droits humains et la règle de droit, d'autre part. […]

Ces accords protègent vigoureusement les entreprises sans leur imposer d'obligations correspondantes en matière de droits humains. […] certaines de leurs dispositions peuvent avoir pour effet de restreindre l'aptitude du pays d'accueil, comme la Colombie, à adopter des règlements d'intérêt public, notamment pour promouvoir et protéger les droits humains. […]

[…] un accord de libre-échange avec la Colombie n'améliorera pas la situation des droits humains. En réalité, il risque de renforcer la protection des acteurs corporatifs et de réduire l'aptitude de la Colombie à adopter des règlements pour protéger les droits humains. Il n'imposera aux acteurs corporatifs aucune obligation légale de respecter les droits humains. »

Selon Mme Gauri Sreenivasan (réunion no 28), du Conseil canadien pour la coopération internationale, avec ou sans libre-échange, une présence commerciale neutre est en général impossible :

« Outre cette question [de libre-échange], en Colombie, les compagnies pétrolières et minières canadiennes sont actives dans quelques-unes des zones les plus chaudes du pays, marquées par un contrôle militaire et paramilitaire très serré. Le recoupement entre les deux est peu rassurant. Les régions colombiennes riches en minéraux et en pétrole ont été marquées par la violence.


C'est là qu'ont eu lieu 87 p. 100 des déplacements forcés, 82 p. 100 des violations des droits de la personne et du droit international humanitaire, et 83 p. 100 des assassinats de chefs syndicaux au pays. »

L’accord négocié par le Canada et la Colombie a la même structure que l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA).  Or, l’expérience montre clairement que les accords de ce genre profitent aux grandes multinationales sans procurer d’avantages réels aux familles ouvrières, dont la situation financière est pire qu’avant la signature de l’Accord.

Depuis plus d’une génération, les maquiladoras des zones franches qui longent la frontière entre les États-Unis et le Mexique sont caractérisées par la faiblesse des salaires et la destruction de l’environnement, ce qui perpétue l’exploitation des travailleurs et la pauvreté.  Et ces zones soustraites aux droits de douane ont prospéré et proliféré encore plus sous le régime de l’ALENA.  Les multinationales, qui font des affaires d’or dans la région grâce à l’ALENA, peuvent contrer les tentatives de syndicalisation avec l’aide des autorités mexicaines, ce qui perpétue la précarité des travailleurs et la faiblesse des salaires.

Au cours des quatorze années d’application de l’ALENA, les citoyens du Canada, du Mexique et des États-Unis ont vu les inégalités se propager et les salaires stagner malgré les promesses des partisans de l’ALENA.  Dans le cas du Mexique, la disparition des perspectives d’emploi a été si marquée que l’émigration vers les États-Unis a plus que doublé, atteignant un sommet historique de près de 500 000 personnes par année.  Ce sont les pauvres et les travailleurs de la classe moyenne qui ont subi le plus gros des pertes et des bouleversements, alors que la poignée de riches connaît une opulence sans précédent.

Depuis la signature du premier accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, en 1989, le revenu familial moyen de trois familles canadiennes sur cinq a diminué, et 80 p. 100 des familles canadiennes ont perdu leur part du « gâteau » des revenus au profit des plus gros salariés, qui empochent maintenant 50 p. 100 de l’ensemble des revenus. 

Et qu’en est-il des nouveaux emplois créés depuis la signature de l’ALENA?  Au Canada, des centaines de milliers d’emplois de qualité permettant d’assurer la subsistance d’une famille ont été perdus dans le secteur manufacturier, et la plupart des nouveaux emplois sont temporaires ou à temps partiel, n’offrent pas d’avantages sociaux et ne sont pas garantis.  Ces pertes s’accompagnent d’une baisse variant entre 10 et 15 p. 100 du salaire médian et du salaire moyen, les travailleurs étant forcés d’accepter des emplois dans le secteur tertiaire.



Quant à l’expansion du commerce continental, une étude faite en 2000 par Industrie Canada révèle que l’accroissement du commerce entre le Canada et les États-Unis au cours de la dernière décennie est attribuable à la faiblesse du dollar canadien et à la croissance de l’économie américaine beaucoup plus qu’à l’ALENA.  Le volume de nos échanges commerciaux dépend du taux de croissance de l’économie américaine et du taux de change; en tant que facteur, l’ALENA y compte pour moins de 10 p. 100!

De plus, les accords parallèles à l’ALENA qui traitent de la main-d’œuvre n’ont permis ni de maintenir ni d’améliorer les normes du travail ou les normes environnementales; au contraire, au Mexique, le secteur agricole a perdu plus d’un million d’emplois depuis la signature de l’ALENA.

Comme les témoignages présentés au Comité (le 16 avril 2008) l’indiquent, l’Accord de libre-échange Canada-Colombie porte surtout sur les produits agricoles.  Quatre-vingts pour cent des exportations colombiennes au Canada sont déjà soustraites aux droits de douane.  Quant à elles, les exportations canadiennes de produits agricoles en Colombie sont frappées de droits de douane qui peuvent atteindre quatre-vingts pour cent et qui ont pour objet de protéger jusqu’à un certain point les producteurs locaux contre une pléthore de produits agricoles importés.  Un accord de libre-échange serait donc dévastateur, car le marché intérieur colombien serait inondé de produits agricoles canadiens détaxés, au détriment fort réel des agriculteurs colombiens.  Il aurait aussi pour effet de conférer aux investisseurs étrangers des droits spéciaux qui pourraient même être contraires à l’intérêt public.  C’est certainement la dernière chose dont les Colombiens aient besoin, eux qui tentent de se doter d’une infrastructure sociale et d’institutions démocratiques.

Un syndicaliste est tué? – L’État est mis à l’amende!

Le témoignage des négociateurs principaux du Canada devant le Comité du Commerce international, corroboré par le communiqué de presse du 7 juin du gouvernement Harper, confirme que les dispositions de l’ALE sur la protection des travailleurs sanctionneront le meurtre de travailleurs par une ordonnance d’indemnisation qui représente un simple transfert dans les comptes de l’État.  L’amende pour le meurtre d’un syndicaliste est plafonnée à 15 millions de dollars pour une année donnée, somme à verser par gouvernement de la Colombie dans un fonds de développement.  Ces 15 millions de dollars représentent 5 628 par syndicaliste déjà tué. Que penseraient les Canadiens si M. Harper acceptait le même genre de traitement pour ceux qui tuent délibérément des syndicalistes sur notre territoire? C’est un manque de respect insensé pour la vie humaine. 

M. Mark Rowlinson (réunion no 30), porte-parole de l’Association canadienne des avocats du mouvement syndical, a témoigné devant le Comité le 26 mai 2008. D’après lui, l’expérience a montré que la protection des droits de travailleurs dans les accords commerciaux conclus dans les Amériques laisse grandement à désirer et que les droits des travailleurs sont systématiquement bafoués dans de nombreuses régions de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud, spécialement en Colombie.  Il nous a dit :

« [I]l n'y a aucune raison de croire que l'insertion de dispositions en matière de droits des travailleurs dans un projet d'accord de libre-échange entre le Canada et la Colombie aura quelque effet positif que ce soit sur la situation en matière de droits des travailleurs en Colombie. À notre avis, donc, le Canada ne devrait envisager la libéralisation des échanges avec la Colombie qu'une fois qu'il y aura eu une amélioration manifeste et marquée de la situation générale en matière de droits de la personne en Colombie. »

Pas de vraie protection pour l’environnement

D’après le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, on a dénombré plus de 4 millions de personnes déplacées en Colombie depuis 20 ans, dont 305 000 nouveaux cas rien que l’année dernière, qui touchent particulièrement les collectivités afro-colombiennes et indigènes.  Le phénomène est imputable principalement à la collaboration des entreprises propriétaires de plantations avec les paramilitaires pour acquérir des terres de force et détruire la forêt pour permettre l’expansion de la production agricole. 

Les accords commerciaux doivent comporter de vigoureux mécanismes de protection et d’exécution pour éviter ce genre d’abus.  Cependant, le témoignage des experts confirme la faiblesse de l’accord parallèle sur l’environnement qui accompagne l’ALE. Le niveau de protection de l’environnement dans l’ALE est inférieur à celui, déjà faible, de l’ALENA, et vu l’inégalité des conditions des pays participants, les ententes parallèles sur la protection de l’environnement sont tout simplement futiles.

 Ainsi, la seule forme d’exécution est le mécanisme de plainte, qui revient simplement à présenter une question à un fonctionnaire, sans examen indépendant ni analyse rigoureuse. Cela veut dire qu’il n’y a pas de mesures proactives efficaces de contrôle de l’environnement et d’exécution préventive. Le mécanisme prévu dans l’ALE serait d’autant plus faible que les lois environnementales sont mal observées en Colombie. En conséquence, le processus est gravement déficient.

Pas seulement du commerce, seulement de la politique

Les États-Unis ont conclu avec le gouvernement Uribe de Colombie un accord de libre-échange très similaire à l’accord entre le Canada et la Colombie. Cependant, les démocrates américains bloquent la ratification de l’accord en raison de préoccupations sur le plan des droits de la personne.  Réagissant aux affirmations faites au Parlement du Canada voulant qu’un accord de libre-échange puisse contribuer à soutenir la démocratie et à réduire la violence à l’endroit des dirigeants syndicaux, le congressman américain Michael Michaud (D-ME-02) a déclaré :

« Pour moi, l’argument du premier ministre Harper ne tient pas la route… Si le président de la Colombie tient vraiment à ce que les travailleurs soient traités avec équité, à faire respecter leurs droits et à lutter contre les mauvaises conditions de travail, rien ne l’en empêche. Il n’a pas besoin d’un accord de libre-échange pour cela.” 

- Michael Michaud, cité par Theophilos Argitis, Bloomberg, 7 mai 2008

L’ALE Canada-Colombie sert les intérêts du gouvernement Uribe, car il aurait valeur de précédent et pourrait éventuellement contribuer à convaincre le Congrès américain de ratifier l’accord en dépit des réserves de beaucoup au sujet de la situation des droits de la personne en Colombie.  Quand le Canada facilite les échanges avec un gouvernement coupable de violations de la personne, il donne le mauvais exemple et légitimise le régime en s’en faisant le complice.

M. Glen Hodgson (réunion no 31), vice-président et économiste en chef, Conference Board du Canada, a confirmé que la Colombie « n'est pas un marché de premier rang pour le Canada » et que seulement 0,15 % des exportations du Canada sont destinées à ce pays :

 « Notre commerce annuel avec la Colombie est à peu près équivalent à notre commerce avec le Dakota du Sud et il est en fait inférieur à notre commerce avec le Delaware ou le Rhode Island. Par rapport à certains autres marchés beaucoup plus proches de nous, la Colombie n'est pas un acteur fondamental […] 80 p. 100 des importations canadiennes provenant de la Colombie arrivent déjà en exonération de droits de douane et les gains issus du libre-échange ne seraient donc probablement pas aussi importants que dans d'autres cas. »

Les négociateurs principaux du Canada qui ont comparu devant le Comité le 16 avril 2008 ont fait valoir que le gouvernement du Canada devait signer cet accord pour éviter que les États-Unis bénéficient de conditions plus avantageuses que le Canada au chapitre des échanges avec la Colombie.  Même si cette considération déplacée était pertinente, elle est trompeuse, car elle laisse sous-entendre que le niveau des échanges entre le Canada et la Colombie est suffisamment élevé pour influer sur le gouvernement Uribe ou sur son attitude à l’égard des droits de la personne et des droits des travailleurs. Le Canada a autant de chances d’influer sur le respect des droits de la personne en Colombie qu’il en a au Mexique ou aux États-Unis.

Le NPD répète que le gouvernement du Canada doit suspendre le processus de libre-échange entre le Canada et la Colombie jusqu’à ce qu’une procédure d’évaluation des répercussions d’un accord sur les droits de la personne soit mise en œuvre.  L’accord de libre-échange entre le Canada et la Colombie doit être renégocié sur la base des principes du commerce équitable, en prenant en compte les considérations environnementales et culturelles et dans le respect des droits des travailleurs et des droits de toutes les parties concernées.

1.      Le gouvernement du Canada ne devrait pas, pour le moment, signer et mettre en œuvre un accord de libre-échange avec le gouvernement de la Colombie.

2.      Il faudrait qu’un organe compétent effectue un examen indépendant, impartial et complet des répercussions d’un accord sur les droits de la personne, examen qui serait vérifié et validé, puis qu’il formule des recommandations à mettre en œuvre avant que le Canada n’envisage de signer, de ratifier et d’exécuter un accord avec la Colombie.

3.      Tout accord futur doit contenir des dispositions exécutoires sur la responsabilité des entreprises fondées sur les normes internationales relatives aux droits de la personne.

4.      Lorsque l’accord sera déposé à la Chambre des communes, il faudrait d’abord et avant tout que le Comité permanent du commerce international en étudie le texte en collaboration avec des spécialistes et des représentants de la société civile et demande ensuite un vote au Parlement sur l’accord pris isolément.