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FAAE Rapport du Comité

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LE CAS D’OMAR KHADR

INTRODUCTION

En mars 2008, le Sous-comité a décidé d’étudier l’affaire de la détention d’Omar Khadr et des poursuites intentées contre lui et d’en faire rapport 1. Le Sous-comité a tenu six audiences depuis lors. À la lumière des témoignages entendus et de l’information publique à sa disposition, le Sous-comité convient de communiquer les constatations et recommandations suivantes au Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.

CONSTATATIONS

Omar Khadr, un citoyen canadien né en septembre 1986, a été capturé par les forces américaines près de Khost, en Afghanistan, en juillet 2002, après une bataille entre les forces américaines et des forces rebelles qui a coûté la vie au sergent Christopher Speer de l’armée américaine et à deux interprètes pachtouns travaillant avec les forces de la coalition.

Le Sous-comité n’a pas obtenu d’informations concernant les circonstances précises de la façon dont Omar Khadr aurait été amené à participer à la bataille durant laquelle il a été capturé ni de celle dont il aurait été amené à être lié à Al-Qaïda. Cependant, selon certains reportages des médias et témoignages entendus, sa famille aurait joué un rôle central à cet égard. En effet, le Sous-comité souligne notamment (i) le fait qu’Ahmad Sa’id Khadr (le père d’Omar) aurait soutenu Al-Qaïda financièrement et autrement et (ii) le fait que Maha Elsamnah (la mère d’Omar) et Zaynab Khadr (sa soeur aînée) auraient fait des déclarations témoignant de l’appui de la famille au terrorisme islamique.

Omar Khadr a été grièvement blessé dans la bataille et a été transféré à l’hôpital militaire de la base aérienne de Bagram en Afghanistan, où il a été détenu jusqu’en octobre 2002. Il a ensuite été transféré au camp Delta, un établissement de détention américain situé dans la baie de Guantanamo, à Cuba, où il est détenu depuis lors.

Omar Khadr affirme avoir été victime de diverses formes de mauvais traitements durant sa détention, dont le fait d’avoir subi des sévices physiques et des interrogatoires abusifs, d’avoir été placé en isolement et de s’être vu refuser des traitements médicaux adéquats 2. Le Sous-comité fait remarquer que ces allégations sont semblables à celles qui sont faites, de façon générale, au sujet du traitement des détenus à la base aérienne de Bagram et à Guantanamo. Le gouvernement des États-Unis a maintes fois déclaré qu’il prend très au sérieux ces allégations et qu’elles font l’objet d’enquêtes 3. Bien que les autorités américaines n’ont pas indiqué avoir mené une enquête approfondie sur les allégations de mauvais traitements d’Omar Khadr, un porte-parole du Pentagone a récemment affirmé qu’elles « ne possèdent pas de preuve attestant » les allégations exposées par M. Khadr dans sa déclaration sous serment 4.

En avril 2007, les accusations suivantes portées contre Omar Khadr ont été renvoyées à la Commission militaire des États-Unis :

  1. Meurtre, en violation du droit de la guerre, ayant causé la mort de façon intentionnelle et illégale du sergent Christopher Speer de l’armée américaine;
  2. Tentative de meurtre, en violation du droit de la guerre, par la transformation de mines terrestres en engins explosifs improvisés et leur mise en terre dans le but de tuer des soldats des États-Unis ou de la coalition;
  3. Conspiration, en adhérant de son plein gré à Al-Qaïda, un groupe ayant engagé des hostilités contre les États-Unis et qui poursuivait un objectif criminel commun connu de Khadr, ainsi que la perpétration d’actes par Omar Khadr dans le cadre des activités de ce groupe;
  4. Soutien matériel au terrorisme par des activités d’entraînement, de surveillance et de reconnaissance contre les troupes américaines, pose d’engins explosifs, etc.;
  5. Espionnage, par la conduite d’activités de surveillance des forces américaines 5.

Omar Khadr avait 15 ans lorsqu’ont été perpétrés les actes dont il est accusé et lorsqu’il a été capturé et emprisonné. Depuis sa capture, il a toujours été détenu dans des établissements pour adultes, d’abord à la base aérienne de Bagram, puis à Guantanamo. Il n’a pas été incarcéré au camp Iguana, un établissement de détention pour adolescents, lorsqu’il a été transféré à Guantanamo.

Le Sous-comité a entendu plusieurs témoins dire qu’ils s’inquiètent de la mesure dans laquelle la détention d’Omar Khadr, les poursuites intentées contre lui et son procès devant la Commission militaire se conforment aux normes de droit de la personne internationalement reconnues, en particulier au Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la participation d’enfants aux conflits armés (Protocole facultatif), qui a été signé et ratifié tant par le Canada que par les États-Unis.

En ce qui concerne la question des enfants engagés dans des conflits armés, le Sous-comité souligne que :

  1. La Convention internationale des droits de l’enfant des Nations Unies, que le Canada a signée et ratifiée et que les États-Unis ont signée aussi, mais non ratifiée, définit « enfant » comme étant « tout être humain âgé de moins de dix-huit ans » (article 1). Elle exige que « tout enfant privé de liberté soit traité avec humanité [...] d’une manière tenant compte des besoins des personnes de son âge. En particulier, tout enfant privé de liberté sera séparé des adultes, à moins que l’on estime préférable de ne pas le faire dans intérêt supérieur de l’enfant, et il a le droit de rester en contact avec sa famille par la correspondance et par des visites, sauf circonstances exceptionnelles ». (alinéa 37c))

  2. La Convention internationale des droits de l’enfant prévoit en outre que les États parties doivent veiller à ce que « Nul enfant ne soit soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants . Ni la peine capitale ni l’emprisonnement à vie sans possibilité de libération ne doivent être prononcés pour les infractions commises par des personnes âgées de moins de dix huit ans ». 37a))

  3. Dans le préambule du Protocole facultatif, les États parties se disent « convaincus que l’adoption d’un protocole facultatif se rapportant à la Convention qui relèverait l’âge minimum de l’enrôlement éventuel dans les forces armées et de la participation aux hostilités contribuera effectivement à la mise en œuvre du principe selon lequel l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale dans toutes les décisions le concernant ».

  4. S’il n’interdit pas strictement la participation aux hostilités de soldats âgés entre 15 et 18 ans, qui ont été recrutés de leur plein gré par les forces armées nationales, le Protocole facultatif ne prévoit pas moins que « les groupes armés qui sont distincts des forces armées d’un État ne devraient en aucune circonstance enrôler ni utiliser dans les hostilités des personnes âgées de moins de 18 ans ». (paragraphe 4(1))

  5. Le Protocole facultatif n’interdit pas que l’on poursuive des enfants pour des crimes qu’ils auraient perpétrés durant leur participation à des conflits armés.

  6. Toutefois, le Protocole facultatif dispose que les « États Parties coopèrent à l’application du présent Protocole, notamment pour la prévention de toute activité contraire à ce dernier et pour la réadaptation et la réinsertion sociale des personnes qui sont victimes d’actes contraires au présent Protocole, y compris par une coopération technique et une assistance financière ». (paragraphe 7(1))

  7. De plus, on lit dans les Principes directeurs relatifs aux enfants associés aux forces armés ou aux groupes armés de l’UNICEF, auxquels a souscrit le Canada en 2007 que : « Toutes les interventions visant à prévenir le recrutement ou l’utilisation d’enfants, à obtenir la libération d’enfants qui ont été associés à une force armée ou à un groupe armé, à protéger ces enfants et à les réinsérer doivent reposer sur une approche fondée sur les droits de l’enfant, impliquant qu’elles doivent s’inscrire dans la perspective du respect des droits de l’homme. Des moyens financiers doivent être mis au service de ces programmes, conformément aux droits et besoins des enfants, que le processus de paix soit officiel ou non ou quel que soit l’état d’avancement du processus officiel de DDR [désarmement, démobilisation et réinsertion] concernant les adultes » 6.

Compte tenu du rôle de leader que le Canada a exercé à l’échelle internationale afin de protéger les enfants engagés dans des conflits armés, notamment par la négociation du Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la participation d’enfants aux conflits armés, et à la lumière aussi des engagements particuliers pris par le Canada et les États-Unis en ratifiant le Protocole facultatif 7, de l’information disponible au sujet du recrutement d’Omar Khadr par un groupe lié à Al-Qaïda et du fait qu’il avait 15 ans lorsqu’il aurait présumément pris part à des combats, qu’il a été capturé et originalement détenu, le Sous-comité estime qu’Omar Khadr devrait être considéré comme un « enfant impliqué dans un conflit armé » et, par conséquent, qu’il devrait jouir de la protection énoncée dans le Protocole facultatif.

Le Sous-comité estime donc que le gouvernement du Canada a l’obligation de veiller à ce que sa position dans l’affaire Omar Khadr soit conforme à ses engagements en regard des droits internationaux de la personne ainsi qu’à ses politiques relatives aux enfants-soldats et aux Canadiens emprisonnés à l’étranger. La position du Canada doit aussi être conforme à ses autres obligations en vertu du droit international, en particulier celles créées par la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui porte sur le terrorisme international.

En ce qui concerne les poursuites et le procès intenté contre Omar Khadr à Guantanamo, le Sous-comité souligne que :

  1. Dans une décision rendue le 30 avril 2008, le juge militaire Peter E. Brownback a rejeté une motion de la défense visant à faire tomber les accusations portées contre Omar Khadr « au motif d’absence de compétence, en vertu de la MCA [Military Commissions Act], pour juger des crimes juvéniles d’enfants-soldats » 8.

  2. Aux fins de poursuites judiciaires, de la tenue d’un procès et de la détermination de la peine, la Military Commissions Act (2006) n’oblige pas la Commission à tenir compte de l’âge du détenu pour des crimes qui auraient présumément été perpétrés lorsque le détenu avait moins de 18 ans.

  3. Dans le procès en cours contre Omar Khadr, rien n’indique si le tribunal a tenu suffisamment compte de l’âge qu’il avait au moment de la perpétration des crimes dont il est accusé.

Relativement au système de la Commission militaire, de façon plus générale, le Sous-comité attire l’attention sur la décision du 23 mai 2008 de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Justice) c. Khadr, dans laquelle la Cour souligne que la procédure en cours à Guantanamo, à Cuba, « pour la détention et la poursuite de citoyens non américains soupçonnés d’appartenir à Al-Qaïda ou de se livrer par ailleurs au terrorisme international » 9, qui a été établie par décret militaire présidentiel en 2001, « a été jugée par la Cour suprême des États-Unis contraire au droit interne états-unien et à des conventions internationales sur les droits de la personne dont le Canada est signataire » 10. Bien que le processus ait été révisé avec l’adoption de la Military Commissions Act en 2006, de graves préoccupations continuent d’être soulevées, à savoir dans quelle mesure le processus modifié est conforme aux normes juridiques internationales en matière de droits de la personne.

Le Sous-comité constate qu’Omar Khadr est le seul ressortissant d’un pays occidental encore en détention à Guantanamo, tous les ressortissants des autres pays occidentaux ayant été rapatriés. Nombre d’entre eux ont été par la suite détenus et jugés dans leur pays d’origine conformément aux lois de ce dernier. Dans certains cas, des anciens détenus ont été soumis à des mesures de sécurité nationale, y compris la mise sous surveillance ou le rejet d’une demande de délivrance de documents de voyage.

Le Sous-comité fait valoir qu’en vertu du droit canadien, les tribunaux canadiens peuvent exercer leur compétence à l’égard de certains crimes perpétrés à l’étranger, y compris des infractions prévues aux dispositions antiterroristes du Code criminel ou à la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Par conséquent, le Sous-comité est confiant que le système de justice du pays a compétence pour tenir Omar Khadr responsable des actes dont il a pu s’être rendu coupable en Afghanistan. Comme dans les autres affaires mettant en cause des personnes qui avaient moins de 18 ans quand les crimes dont elles sont accusées ont été commis, l’application régulière de la loi au Canada suppose qu’un juge déterminera si les circonstances justifient que l’accusé soit traduit en justice comme mineur ou comme adulte.

Le Sous-comité note qu’en vertu du droit canadien, des restrictions judiciairement exécutoires peuvent être appliquées à la liberté et à la conduite d’individus dont on juge qu’ils présentent un risque de perpétration d’infractions de terrorisme conformément à l’article 810.01 du Code criminel. Sans exprimer d’opinion définitive sur la situation d’Omar Khadr, le Sous-comité considère que ce serait là un moyen de prévenir aux risques de sécurité que pourrait présenter Omar Khadr. À cet égard, le Sous-comité note aussi que les avocats militaires d’Omar Khadr, le capitaine de corvette William Kuebler et Mme Rebecca Snyder, jugent bon de soumettre M. Khadr à un programme de désarmement, de démobilisation et de rééducation assorti de conditions exécutoires. Le Sous-comité considère que ce pourrait être un moyen pour le Canada de remplir ses obligations aux termes de l’article 7 du Protocole facultatif tout en tenant dûment compte des préoccupations de sécurité nationale que pourrait soulever la situation.

RECOMMANDATIONS

À la lumière de ces constatations, le Sous-comité :

  1.  Recommande au gouvernement du Canada de demander la cessation immédiate des procédures à l’encontre d’Omar Khadr devant la Commission militaire.
  2.  Exprime son désaccord face à la position déclarée des
    États-Unis suivant laquelle ils se réservent le droit de détenir Omar Khadr en tant que « combattant ennemi » même en cas d’acquittement ou d’éventuelle cessation des procédures.
  3.   
  4.  Recommande au gouvernement du Canada de demander qu’Omar Khadr soit libéré de l’établissement de détention américain de Guantanamo Bay et confié à la garde d’agents de la force publique canadiens le plus tôt possible.
  5.  Demande au Directeur des poursuites criminelles d’examiner si Omar Khadr a commis des infractions à la loi canadienne et, s’il y a lieu, de le poursuivre.
  6. Recommande au gouvernement du Canada de prendre les mesures nécessaires pour que les préoccupations possibles en matière de sécurité soient réglées de façon appropriée et adéquate au moment du rapatriement d’Omar Khadr.
  7.  Demande au gouvernement du Canada de prendre les mesures appropriées qui sont conformes aux obligations du Canada aux termes de l’article 7 du Protocole facultatif de l’ONU se rapportant à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés et au droit canadien.
  8.  Demande en particulier aux autorités canadiennes compétentes de veiller à faire mettre au point à l’intention d’Omar Khadr un programme de rééducation et d’intégration qui tienne compte des préoccupations de sécurité légitimes. Dans la mesure nécessaire, ce programme pourrait assujettir la conduite d’Omar Khadr à des conditions exécutoires par voie judiciaire.

[1]      SDIR, Procès-verbal, 2e session, 39e législature, réunion no 3, le mardi 11 mars 2008.

[2]      Déclaration sous serment d’Omar Khadr, 22 février 2008, http://www.defenselink.mil/news/Appellate%20Exhibits%20103%20thru%20112%20.pdf, p. 137-145.

[3]      Voir, par exemple, le Comité contre la torture, Examen des rapports présentés par les États parties en application de l’article 19 de la Convention, Deuxième rapport périodique des États-Unis présenté au Comité contre la torture, Addendum, CAT/C/48/Add.3 (29 juin 2005), p. 72-73. Ce document peut être consulté à l’adresse suivante : http://www2.ohchr.org/english/bodies/cat/cats36.htm.

[4]      « Gitmo captive: I was threatened with rape » (Détenu à Gitmo : On a menacé de me violer), Miami Herald, 18 mars 2008.

[5]      Voir accusations portées contre Omar Khadr (2 avril 2007), http://www.defenselink.mil/news/Apr2007/Khadrreferral.pdf.

[6]      UNICEF, Les principes de Paris. Principes directeurs relatifs aux enfants associés aux forces armées ou aux groupes armés, février 2007, http://www.unicef.org/french/protection/files/ParisPrincipesFrench310107.pdf, p. 8.

[7]      Le 7 juillet 2000, le Canada est devenu le premier pays à ratifier le Protocole facultatif.

[9]      Canada (Justice) c. Khadr, 2008 CSC 28, para. 6.

[10]   Ibid., para. 3.