LANG Rapport du Comité
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L’ABOLITION DU PROGRAMME DE CONTESTATION JUDICIAIRE EN SEPTEMBRE 2006
Le 25 septembre 2006, dans le cadre d’un exercice budgétaire, le gouvernement du Canada annonçait des réductions de dépenses de un milliard de dollars, ce qui entraînait la disparition d’un certain nombre de programmes gouvernementaux, dont le Programme de contestation judiciaire1. Le Programme continue toutefois d’exister pour les causes dont le financement a été approuvé avant le 25 septembre 2006.
Le 25 octobre 2006, la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada (FCFA du Canada) a déposé officiellement une demande à la Cour fédérale en vue de faire déclarer nulle et sans effet la décision de supprimer le financement du Programme de contestation judiciaire. La FCFA estime qu’en cessant de financer le Programme de contestation judiciaire, le gouvernement fédéral n’a pas tenu suffisamment compte de l’impact de la décision sur le développement et l’épanouissement des communautés minoritaires de langue officielle, ni de ses engagements envers les minorités linguistiques en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Loi sur les langues officielles2.
Les motifs invoqués par le demandeur sont :
- la décision d’abolir le PCJ va à l’encontre de l’accord de contribution intervenu entre PCH et le PCJ;
- la décision contrevient au principe constitutionnel du respect et de la protection des minorités;3
- l’obligation qui incombeau gouvernement d’agir de façon positive envers les minorités (article 16);
- la décision contrevientavec l’obligation fiduciaire du gouvernement fédéral envers les communautés minoritaires de langues officielles;
- la décision va à l’encontrede la partie VII de la Loi sur les langues officielles, notamment les articles 41, 42 et 43.
De plus, le Commissaire aux langues officielles a étudié 118 plaintes reçues en 2006-2007 relativement à l’abolition du PCJ. Dans son rapport final, remis aux plaignants et aux intervenants gouvernementaux concernés le 9 octobre dernier, il invite le gouvernement à réexaminer sa décision de sabrer dans le Programme de contestation judiciaire (PCJ) ainsi que dans d’autres programmes servant les minorités linguistiques, à défaut de quoi il pourrait faire l’objet d’autres « recours ».
Les résultats de l’examen des dépenses annoncées en septembre 2006 étaient le fruit d’un processus décisionnel comportant de graves lacunes qui n’a pas permis de prendre dûment en considération les besoins et les intérêts des communautés de langue officielle en situation minoritaire4.
Le Commissaire a demandé au gouvernement de faire d’ici février 2008 une évaluation approfondie de sa décision. Si la réponse ne le satisfait pas, le Commissaire pourrait intenter une poursuite contre le gouvernement ou déposer un rapport spécial au Parlement. En novembre 2007, le commissaire a de plus décidé de demander à la Cour fédérale du Canada de lui accorder le statut d’intervenant dans le recours de la FCFA.
Le Comité doit donc faire preuve de réserve dans les positions qu’il pourra émettre sur les éléments centraux du recours déposé en Cour fédérale.
Dans le cadre de son rapport de mai 2007 sur la vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire5, le Comité a eu l’occasion d’entendre les représentants de ces communautés exprimer leur consternation suite à l’annonce de l’abolition du programme. Toutes les organisations qui se sont exprimées sur ce point ont été unanimes à réclamer le rétablissement intégral du Programme de contestation judiciaire6.
Face à ces objections, le Comité avait alors recommandé :
Que le gouvernement du Canada rétablisse le Programme de contestation judiciaire, ou crée un autre programme permettant d’en atteindre les objectifs de manière équivalente.
Le rapport du comité contenait 38 autres recommandations touchant la vitalité des communautés. Dans sa Réponse au rapport du Comité, publiée en octobre 2007, le gouvernement a complètement passé sous silence cette recommandation. La Réponse ne contient aucun commentaire à son sujet.
Ce mutisme du gouvernement au sujet du PCJ a nourri un climat de méfiance envers les motifs qui, selon le point de vue du gouvernement, justifiaient cette décision. Certaines remarques ont été faites à la Chambre des communes, mais aucune ne constituait une véritable explication.
Plusieurs témoins ont déploré ce refus de justifier la décision :
Aucune explication satisfaisante ne nous a été fournie dans les mois qui ont suivi l’annulation du programme, suite à sa décision soudaine et finale. L’absence d’une telle explication a inévitablement laissé croire que cette décision a été motivée par une intransigeance idéologique, des considérations partisanes, ou un mépris pour l’application régulière de la loi. Nous attendons une réponse plus constructive et défendable du gouvernement7.
Lors de sa comparution devant le Comité le 6 décembre 2007, la ministre du Patrimoine canadien, de la Condition féminine et des Langues officielles, l’honorable Josée Verner, suite à une question sur les raisons de l’abolition du PCJ, a déclaré ce qui suit : « Pour ce qui est du programme de contestation judiciaire comme tel, […] cette affaire fait l'objet d'une poursuite en cour et, à ce moment-ci, je ne peux pas commenter. »
Considérant l’absence de réponse de la part du gouvernement à la recommandation du Comité, de même que l’absence d’explications fournies aux représentants des communautés quant à la décision d’abolir le PCJ, le Comité recommande :
Recommandation 1
Que le gouvernement explique clairement à la population canadienne les motifs justifiant sa décision d’abolir le Programme de contestation judiciaire.
Les analyses qui suivent présentent les différents points de vue exprimés concernant les principaux enjeux liés à l’abolition du Programme de contestation judiciaire.
Tous les témoins rencontrés, de même que toutes les analyses sérieuses des conséquences du PCJ, s’accordent à dire qu’il a eu une incidence significative sur le développement des communautés. Même les témoins qui disaient soutenir l’abolition du programme ont jugé qu’il avait « permis de protéger les droits des minorités8 ». L’Évaluation sommative réalisée en 2003 en était arrivée aux mêmes conclusions :
La plupart des informateurs clés estiment que le Programme a des conséquences globales considérables. Beaucoup d’entre eux affirment qu’il a toujours joué un rôle de premier plan dans pratiquement toutes les contestations judiciaires d’importance liées aux droits linguistiques. Ils croient que bon nombre de ces actions en justice n’auraient pas été possibles sans le PCJ9.
Dans son mémoire présenté à la Cour fédérale, le gouvernement du Canada reconnaît également que « il est incontestable que le PCJ a contribué à faciliter l’accès aux tribunaux en matière de litiges portant sur les droits linguistiques d’origine constitutionnelle10 ».
Durant ses audiences, le Comité a entendu des dizaines d’exemples démontrant à quel point le PCJ a fait progresser les droits linguistiques au Canada. L’utilisation du programme a forcé les gouvernements provinciaux à respecter l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, ce qui a permis aux communautés d’obtenir le droit de gestion de leurs écoles, constituant sans contredit la plus grande contribution à l’amélioration de la vitalité des communautés. Dans d’autres secteurs, le PCJ a contribué à sauver l’hôpital Montfort, le seul hôpital francophone d’Ottawa. Les contestations ont également permis de modifier certains éléments de la Loi canadienne sur la Santé et les responsabilités de certaines municipalités, ainsi que d’influencer le découpage électoral. Ces jugements et d’autres (voir Annexe A) sont devenus les symboles les plus éclatants des progrès réalisés dans le développement des communautés de langue officielle. Les communautés considèrent sans équivoque qu’elles n’auraient pas pu obtenir un grand nombre de leurs institutions sans l’existence du Programme de contestation judiciaire.
Dans son rapport publié suite aux plaintes qu’il a reçues concernant l’abolition du PCJ, le Commissaire aux langues officielles abonde dans le même sens :
Les éléments probants démontrent incontestablement que le Programme de contestation judiciaire a contribué directement et considérablement à l’avancement des droits linguistiques au Canada et, qu’ainsi, il a favorisé l’épanouissement et le développement de nos communautés de langue officielle en situation minoritaire11.
Tous s’entendent donc pour affirmer que le PCJ a permis un meilleur accès à la justice pour les communautés. Par contre, dans le mémoire du gouvernement en Cour fédérale, on peut lire :
Il est éminemment contestable que la décision de mettre fin [au financement du] PCJ ait pour effet de priver dorénavant la demanderesse et les groupes qu’elles représentent de cet accès12.
Selon l’argument du gouvernement, le PCJ aurait permis aux communautés un meilleur accès à la justice, mais l’abolition du programme, même s’il se traduit par une diminution de cet accès, ne constitue pas une privation de l’accès à la justice pour les communautés. Elles continueront d’avoir accès à la justice, mais cet accès sera moins facile.
Le Comité n’est pas en mesure de se prononcer sur les limites de ce qui constitue un accès raisonnable à la justice. Cependant, en se basant sur plusieurs témoignages entendus, une majorité des membres du Comité jugent que cet accès facilité à la justice, loin de constituer un privilège inéquitable, permet de rétablir un équilibre, de tendre vers une égalité de fait, dans un contexte où les minorités sont par nature désavantagées face à la position de la majorité. Selon eux, s’il est impossible d’obtenir un accès aux tribunaux comparable à celui qu’obtient la majorité, habituellement représentée par un gouvernement, cet accès demeure purement abstrait :
Des droits qui ne sont pas accompagnés d’un accès à la justice sont des droits vides de sens. Une charte des droits sans les moyens de faire valoir ces droits est un déni de justice. Le Programme de contestation judiciaire du Canada a contribué à faire avancer le droit dans ce pays. Son abolition, nous le croyons, contribuera à créer un déficit démocratique13.
C’est ce que certains témoins ont appelé une conception « matérielle » de l’égalité :
L’égalité matérielle, c’est l’équivalent de l’handicap au golf : certains groupes prétendent avoir accumulé du retard parce qu’ils ne sont pas traités sur un pied d’égalité, se disent désavantagés économiquement ou socialement et prétendent que le gouvernement leur doit une faveur pour pouvoir se rattraper14.
Il demeure tout à fait légitime pour le gouvernement ou tout autre groupe de défendre une conception différente de l’égalité, mais ce sera aux tribunaux de déterminer laquelle de ces conceptions doit s’appliquer dans un cas particulier. Dans le cas des droits linguistiques, les tribunaux ont semblé privilégier une conception matérielle de l’égalité. Le PCJ n’est certainement pas à blâmer pour le fait que la Cour Suprême a interprété ainsi l’application de la loi fondamentale du Canada.
[1] Voir le communiqué de presse du ministère des Finances, « Le nouveau gouvernement du Canada élimine des programmes ruineux, recentre les ressources financières sur les priorités et procède à une réduction importante de la dette, comme promis », 25 septembre 2006, accessible à http://www.fin.gc.ca/news06/06-047f.html .
[2] FCFA du Canada, « Élimination du financement au Programme de contestation judiciaire : La FCFA dépose une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale », le 26 octobre 2006, http://www.fcfa.ca/ press/pressrel_detail.cfm?id=138.
[3] Dans la décision qu’elle a rendue dans le Renvoi sur la sécession du Québec, la Cour suprême du Canada déclare que la Constitution canadienne est fondée sur quatre principes : le fédéralisme, la démocratie, la protection des droits des minorités, le constitutionnalisme et la primauté du droit, Renvoi sur la sécession du Québec, (1998), 2 R.C.S. 217, p. 248‑249.
[4] Voir Karine Fortin, « Programme de contestation judiciaire: Graham Fraser invite le gouvernement à refaire ses devoirs », Presse canadienne, le 9 octobre 2007, 18 h 50.
[5] "/content/committee/%20391/lang/reports/rp2919177/langrp07/langrp07-f.pdf">/content/committee/ 391/lang/reports/rp2919177/langrp07/langrp07-f.pdf.
[6] La liste suivante est un échantillon des interventions les plus représentatives demandant le rétablissement du Programme de contestation judiciaire : Mme Marielle Beaulieu (directrice générale, Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada), Témoignages, 12 décembre 2006, à 8 h 25 et passim; Mme Mariette Carrier-Fraser (présidente, Assemblée de la francophonie de l’Ontario), Témoignages, 12 décembre 2006, à 10 h 15; Mme Louise Aucoin (présidente, Fédération des associations de juristes d’expression française de common law), Témoignages, 6 décembre 2006, à 19 h 25; Mme Nicole Robert (directrice, Réseau des services de santé en français de l’Est de l’Ontario, Réseau des services de santé en français de l’Est de l’Ontario), Témoignages, 19 octobre 2006, à 9 h 55; M. Denis Ferré (directeur de l’éducation, Division scolaire francophone numéro 310, Conseil scolaire fransaskois), Témoignages, 6 décembre 2006, à 8 h 55; M. Michel Dubé (président, Assemblée communautaire fransaskoise), Témoignages, 6 décembre 2006, à 9 h 45; M. Wilfrid Denis (professeur de sociologie, Collège St-Thomas More, Université de la Saskatchewan), Témoignages, 6 décembre 2006, à 9 h 45; M. Jean Johnson (président, Association canadienne-française de l’Alberta), Témoignages, 5 décembre 2006, à 9 h 35; M. Luketa M’Pindou (coordinateur, Alliance Jeunesse-Famille de l’Alberta Society), Témoignages, 5 décembre 2006, à 10 h 20; M. Donald Michaud (directeur général, Réseau santé albertain), Témoignages, 5 décembre 2006, à 9 h 35; M. Daniel Thériault (directeur général, Société des Acadiens et Acadiennes du Nouveau-Brunswick), Témoignages, 7 novembre 2006, à 13 h 45; Mme Marie Bourgeois (directrice générale, Société Maison de la francophonie de Vancouver), Témoignages, 4 décembre 2006, à 9 h 15; M. Jean Watters (directeur général, Conseil scolaire francophone de Colombie-Britannique), Témoignages, 4 décembre 2006, à 8 h 55; M. David Laliberté (président, Centre francophone de Toronto), Témoignages, 9 novembre 2006, à 9 h 20; M. Achille Maillet (premier vice-président, Association francophone des municipalités du Nouveau-Brunswick), Témoignages, 7 novembre 2006, à 13 h 50; . Jean-Luc Bélanger (À titre personnel), Témoignages, 7 novembre 2006, à 13 h 55; Mme Josée Nadeau (directrice, Association francophone des parents du Nouveau-Brunswick), Témoignages, 7 novembre 2006, à 13 h 45; Mme Josée Dalton (coordonnatrice, Réseau de développement économique et d’employabilité de Terre-Neuve-et-Labrador), Témoignages, 6 novembre 2006, à 11 h 15; Mme Lizanne Thorne (directrice générale, Société Saint-Thomas-d’Aquin), Témoignages, 7 novembre 2006, à 9 h 25; M. Paul d’Entremont (coordonnateur, Réseau santé Nouvelle-Écosse), Témoignages, 7 novembre 2006, à 10 h 55; M. Louis-Philippe Gauthier (Président, Conseil économique du Nouveau-Brunswick, à titre personnel), Témoignages, 7 novembre 2006, à 13 h 25; Mme Josée Devaney (conseillère scolaire, Autorité régionale francophone du Centre-Nord nº 2), Témoignages, 5 décembre 2006, à 10 h 50; M. Léopold Provencher (Directeur général, Fédération franco-ténoise), Témoignages, 30 janvier 2007, à 9 h 15.
[7] M. Marcus Tabachnick (président, Association des commissions scolaires anglophones du Québec), Témoignages, 14 juin 2007, 9 h 05.
[8] Mme Tasha Kheiriddin (professeur, Université McGill), Témoignages, 14 juin 2007, 9 h 15.
[9] Ministère du Patrimoine canadien, Évaluation sommative du Programme de contestation judiciaire, le 26 février 2003, p. iv.
[10] John Sims, Sous-procureur général du Canada, dossier de la partie défenderesse déposé en Cour fédérale dans la cause FCFA c. Sa Majesté la Reine du Canada, par. 16.
[11] Commissariat aux langues officielles, Enquête sur les plaintes portant sur l’examen des dépenses de 2006 du gouvernement fédéral, Rapport d’enquête final, octobre 2007, p. 15.
[12] John Sims, Sous-procureur général du Canada, dossier de la partie défenderesse déposé en Cour fédérale dans la cause FCFA c. Sa Majesté la Reine du Canada, par. 16.
[13] M. Guy Matte (président, Programme de contestation judiciaire du Canada), Témoignages, 5 juin 2007, 9 h 05.
[14] Mme Tasha Kheiriddin (professeur, Université McGill), Témoignages, 14 juin 2007, 9 h 15.