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PACP Rapport du Comité

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L’IMPARTITION DE L’ADMINISTRATION DU RÉGIME DE RETRAITE

À l’instar de tous les autres employés du gouvernement, les membres de la GRC ont droit aux avantages de régimes d’assurance et de retraite. Le régime de retraite de la GRC est un régime auquel tant les membres de la GRC que le gouvernement versent des cotisations. Le régime est régi par la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada. En avril 2000, il a été proposé dans le projet de loi C‑78 de modifier la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada pour que les cotisations au régime soient confiées à un office d’investissement et placées sur les marchés financiers. Depuis que cette modification a été apportée, la gestion des investissements est séparée de la gestion du régime.

Au mois de mai 2000, Dominic Crupi a été muté de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC) à la GRC à titre de chef d’équipe, Groupe de la politique de prestation. Au mois de septembre 2001, M. Crupi a été officiellement promu directeur du Centre national de décision en matière de rémunération (CNDR). En cette qualité, M. Crupi s’est chargé de la réalisation d’une étude de rentabilité de l’impartition de l’administration du régime de retraite de la GRC. Le supérieur hiérarchique direct de M. Crupi était Mike Séguin. Toutefois, le Comité a appris durant les audiences que M. Crupi avait court-circuité la filière hiérarchique et rendait compte directement à Jim Ewanovich, le dirigeant principal des ressources humaines.

Après l’adoption du projet de loi C‑78, la GRC s’est penchée sur la nécessité d’impartir l’administration du régime de retraite parce que la base de données du régime requérait alors d’importantes améliorations. En décembre 2001, le Conseil du Trésor a approuvé la proposition de la GRC d’impartir l’administration de son régime de retraite. Le rapport d’analyse, qui appuyait sans réserve l’impartition de l’administration du régime, a été rédigé par deux experts-conseils engagés par M. Crupi, Anthony Koziol et Pat Casey, qui avaient tous deux travaillé avec M. Crupi à TPSGC. Cependant, le Bureau du vérificateur général a examiné l’étude de rentabilité utilisée pour justifier l’impartition de l’administration du régime de retraite et a conclu que l’étude n’était pas objective.

Le Bureau du vérificateur général a constaté que les options d’impartition énumérées dans l’étude de rentabilité avaient été fournies par Morneau Sobeco, la société à qui le contrat d’impartition a été accordé par la suite. La vérificatrice a constaté que l’étude de rentabilité était rédigée d’une façon qui défendait l’impartition complète et analysait très peu les autres options pour l’administration du régime de retraite. En plus des constatations de la vérificatrice, le Service de police d’Ottawa a souligné dans son rapport sommaire que MM. Koziol et Crupi ont tous deux reconnu que les faits et les chiffres utilisés pour les modèles présentés dans l’étude de rentabilité avaient été fournis par Morneau Sobeco. Aucune donnée de source indépendante n’a été recueillie. La GRC a accepté les estimations fournies par Morneau Sobeco sans faire d’examens supplémentaires.

Népotisme et irrégularités dans la passation des contrats

En plus des divergences relevées par la vérificatrice générale, relativement à l’impartition initiale de l’administration du régime de retraite à Morneau Sobeco, plusieurs autres pratiques discutables en matière de passation des contrats ont été mises au jour. Le Service de police d’Ottawa a réalisé une enquête criminelle sur l’administration du régime de retraite et découvert plusieurs problèmes importants relativement à l’approbation des contrats, tel que le népotisme, la passation de contrats sur appel d’offres restreint, le fractionnement de contrats et des rapports douteux avec Conseils et Vérification Canada.

Les diverses enquêtes sur l’administration du régime de retraite ont révélé que le directeur du CNDR, M. Crupi, avait fait fi des processus normaux de dotation et embauché des personnes ayant des liens d’amitié ou de parenté avec des employés du CNDR pour travailler à la correction de la base de données du régime de retraite. La plupart de ces personnes ont été embauchées comme étudiants, mais on n’a pas utilisé le Programme fédéral d’expérience de travail étudiant, et on leur a accordé un salaire plus élevé que celui habituellement versé à des étudiants. Le personnel des ressources humaines de la GRC a dit à la vérificatrice générale qu’en raison des contraintes de temps et de la charge de travail, il avait autorisé M. Crupi à embaucher lui‑même des employés occasionnels plutôt que de suivre le processus de dotation. Lorsque le Service de police d’Ottawa a interrogé 65 de ces employés occasionnels, il a constaté que 49 d’entre eux avaient des amis ou des membres de leur famille à l’emploi de la GRC. Par la suite, la GRC a amélioré ses pratiques de dotation; depuis 2004, la GRC requiert que le plan de dotation du CNDR soit intégré à l’information fournie au Secrétariat du Conseil du Trésor et revu par le Comité de surveillance des finances relatives aux pensions de retraite.

Le Comité se préoccupe du fait que la GRC ait pu autoriser des employés n’ayant aucune formation dans le processus d’approvisionnement à pratiquer du népotisme et à accorder des contrats d’une valeur maximale de 20 millions de dollars. Le fait que cela ait pu se poursuivre pendant si longtemps est d’autant plus troublant étant donné que la question des pratiques douteuses de M. Crupi en matière de passation de contrats avait déjà été signalée dans une note d’information en 2002. En effet, Shawn Duford, qui travaillait au Service des acquisitions et contrats de la GRC, a souligné dans cette note :

Les pratiques d’approvisionnement douteuses relatives au projet de réforme des régimes de retraite, et plus précisément au gestionnaire de projet, M. Dominic Crupi. M. Crupi a conclu avec CVC un certain nombre de conventions de services dont le coût se monte à plus de 2,5 millions de dollars. Or M. Crupi ne jouit pas du pouvoir délégué nécessaire pour conclure de telles ententes 1.

Selon le s.é.-m. Frizzell, cette note d’information a été portée à l’attention du superviseur direct de M. Crupi, Mike Séguin, du personnel supérieur des acquisitions de la GRC et, enfin, du s-comm. Paul Gauvin, l’administrateur supérieur des Affaires financières de la GRC. En outre, Jim Ewanovich, le dirigeant principal des Ressources humaines, qui était responsable de l’administration des régimes de retraite et d’assurances et à qui rendait compte M. Crupi, a été informé des irrégularités dans la passation des contrats et a été appelé à enlever à M. Crupi ses pouvoirs de passation des contrats. Selon le s‑comm. Gauvin, M. Crupi a perdu ses pouvoirs de passation des contrats 2. Toutefois, comme le s.é.-m. Frizzell l’a dit, cette note d’information n’a guère eu de suites.

Le Comité se demande pourquoi le s-comm. Paul Gauvin, l’administrateur supérieur des Affaires financières de la GRC, a été incapable de retirer complètement et définitivement à M. Crupi son pouvoir de signature. Le s.é.-m. Frizzell a dit au Comité que lorsque le s-comm. a retiré ce pouvoir à M. Crupi, c’était un peu comme « me retirer mon permis de conduire afin que je ne puisse pas me rendre à Vancouver, puis me déposer à l'aéroport 3 ». Il a ajouté :

Quelqu'un au service de l'approvisionnement exerçait toujours un rôle de surveillance. L'Approvisionnement continuait de parapher tous les contrats. Ce qui était en train de se passer n'a échappé à aucun des employés de l'Approvisionnement avec lesquels j'ai parlé. Tout simplement, personne n'y faisait rien.

Le Comité a appris avec stupeur que l’administrateur supérieur des Affaires financières de la GRC n’avait pu empêcher un employé de la GRC de se livrer à des pratiques contractuelles inacceptables. Étant donné l’importance de son poste, l’administrateur supérieur des Affaires financières de n’importe quelle organisation du gouvernement devrait mettre en place des mécanismes appropriés afin que les employés suivent les politiques et procédures acceptées en matière de passation des marchés, et ne devrait pas essayer de faire porter la responsabilité des problèmes à un organisme externe, en l’occurrence Conseils et Vérification Canada. Il ne suffisait pas de retirer à M. Crupi le pouvoir de passer des contrats pour ensuite l’autoriser à en passer par d’autres moyens. Lorsqu’un problème a été identifié, il incombe à l’administrateur supérieur des Affaires financières de veiller à ce qu’il ne se reproduise plus, ce que le s.-comm. n’a pas fait.

En plus de s’interroger sur les raisons pour lesquelles M. Crupi est demeuré capable de passer des contrats par l’intermédiaire de Conseils et Vérification Canada, le Comité est fort troublé de savoir que M. Gauvin n’ait pas cru que la conduite de M. Crupi était de son ressort. Il estimait que M. Crupi ne relevait pas de lui parce qu’il travaillait au service des ressources humaines et non à Gestion générale et Contrôle. Le s-comm. Paul Gauvin a déclaré qu’il ne pouvait prendre aucune mesure à l’endroit de M. Crupi parce que « [c]'est une question de ressources humaines. Moi, je m'occupe de finances, et je ne fais pas de recommandations sur qui doit être renvoyé et qui ne le doit pas 4 ». Le Comité n’arrive pas à croire que l’administrateur supérieur des Affaires financières de la GRC n’ait pu ni intervenir personnellement ni demander à quelqu'un d’autre de le faire alors qu’il savait qu’il se commettait des irrégularités dans la passation des marchés.

En dépit des recommandations faites dans cette note d’information à la direction du service de l’approvisionnement de la GRC et au s-comm. Gauvin, M. Crupi a continué de pratiquer la passation de contrats sur appel d’offres restreint en recourant très fréquemment aux services de Conseils et Vérification Canada (CVC). Le Comité a été incapable de déterminer comment M. Crupi a pu continuer de recourir aux services de CVC après avoir perdu ses pouvoirs de passation des contrats. Le Comité juge troublant que M. Crupi ait délibérément enfreint les règles de passation des marchés alors qu’il se savait surveillé par des employés du service de l’approvisionnement de la GRC, conformément à la recommandation faite par M. Duford dans sa note d’information.

Au moment de l’enquête, CVC faisait partie de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada et avait pour fonction de fournir un service plus rapide que ne pouvaient le faire les divisions des contrats et de l’approvisionnement des autres ministères. CVC pouvait assurer ce service plus rapide parce qu’il avait des employés qui étaient affectés aux processus d’approvisionnement complexes. CVC prélevait des frais de 15 p. 100 sur les contrats pour financer les services qu’il fournissait aux autres ministères.

80.       Lorsqu’il avait besoin d’un fournisseur, M. Crupi avait coutume d’en informer son contact à CVC, Frank Brazeau. M. Crupi indiquait qu’un contrat était nécessaire ainsi que le nom du fournisseur souhaité. De façon générale, M. Crupi communiquait à M. Brazeau, par courriel, les détails du contrat, y compris les indemnités quotidiennes souhaitées, le genre de processus d’approvisionnement envisagé et l’énoncé de travail. Un examen réalisé par KPMG Forensic a révélé que plusieurs des contrats à fournisseur unique accordés sous la direction de M. Crupi étaient à des fournisseurs qui avaient déjà obtenu des contrats par le truchement du système d’approvisionnement de la GRC, comme Anthony Koziol et Pat et Kim Casey. Essentiellement, M. Crupi manipulait les règles de passation des contrats du gouvernement afin que les contrats soient accordés à des fournisseurs faisant partie de son groupe de fournisseurs préférés.

TPSGC a demandé à KPMG Forensic de faire une analyse et un examen détaillés de plusieurs contrats gérés par CVC pour le Centre national de décision en matière de rémunération. Comme l’a dit Greg McEvoy, partenaire associé chez KPMG :

[…] nous estimons que la gestion et l’administration de ces contrats, dans leur ensemble, ne respectaient pas la politique du Conseil du Trésor. L’impartition n’a pas été faite d’une manière qui résisterait à un examen public en rapport avec la prudence et la probité. Ces méthodes n’ont pas facilité l’accès aux contrats ni encouragé la concurrence, bien au contraire. Il n’y a pas eu d’équité dans l’utilisation des deniers publics. En particulier, nous avons constaté qu’on avait facilité l’octroi de contrats à des sources privilégiées, qu’on avait fractionné des marchés et établi des contrats rétroactivement pour du travail déjà accompli 5.

Bien que M. Brazeau ait déclaré que le travail accompli pour M. Crupi était une pratique normale au CVC, Shahid Minto, de TPSGC, a déclaré :

[…] tous les marchés qui sont passés par le gouvernement le sont conformément au règlement sur les marchés du gouvernement ou à la politique du Conseil du Trésor. Cette politique stipule, entre autres choses, que « les marchés publics doivent être organisés de façon prudente et intègre et ils doivent résister à l’examen du public au chapitre de la prudence et de l’intégrité, faciliter l’accès, encourager la concurrence et constituer une dépense équitable des fonds publics ». Il n’y a eu aucune exemption de cette politique pour CVC ou pour qui que ce soit à CVC 6.

David Marshall, le sous-ministre de TPSGC au moment des audiences du Comité sur cette question, a résumé les relations contractuelles entre le CNDR et CVC en disant qu’à son avis toute l’affaire est « ignoble » et qu’il s’agit « d’une procédure tout simplement truquée 7 ». Le Comité souscrit à cette franche évaluation et se réjouit d’entendre la vérificatrice générale dire que la GRC a resserré ses contrôles internes en matière de passation de contrats 8. Toutefois, étant donné la liste des irrégularités commises à CVC au cours de la période en cause, le Comité craint que d’autres actes répréhensibles graves n’y aient été commis. CVC a été réorganisé en 2005-2006, et ses services de passation des contrats et d’approvisionnement ont par la suite été traités par l’Unité centrale des services d'acquisitions de TPSGC. Compte tenu des irrégularités rapportées ici, le Comité craint que les marchés passés par CVC avant 2005-2006 n’aient pas tous été parfaitement conformes à la politique en la matière, et pour cette raison, il recommande :

Recommandation 10

Que la vérificatrice générale du Canada fasse une vérification des pratiques contractuelles de Conseils et Vérification Canada durant les dix dernières années.

En plus des irrégularités dans la passation de contrats concernant l’administration du régime de retraite, la vérificatrice générale a souligné plusieurs problèmes de passation de contrats dans l’administration et l’impartition du régime d’assurances. Les questions concernant l’impartition de l’administration du régime d’assurances feront l’objet du prochain chapitre du présent rapport.

Formation

À l’issue de chacune des enquêtes sur l’administration du régime de retraite, on a conclu que M. Crupi et d’autres membres du personnel du CNDR avaient mal utilisé les ressources et contourné les contrôles de gestion. Le Bureau du vérificateur général a ainsi découvert que M. Crupi avait attribué des contrats de consultation évalués à plus de 20 millions de dollars et qu’il avait passé outre aux contrôles afin d’éviter de soumettre les contrats au processus d’appel d’offres. De plus, le Bureau du vérificateur général a découvert qu’une somme de plus de 3,1 millions de dollars avait été imputée à tort au régime de retraite puisqu’elle avait servi à payer les dépenses de projets en ressources humaines de la GRC qui auraient dû être imputées aux crédits parlementaires. Cette mauvaise utilisation des fonds a eu pour effet de libérer les gestionnaires responsables de ces projets des pressions budgétaires qui pesaient sur eux 9.

Durant les audiences du Comité sur cette question, M. Crupi a déclaré à maintes reprises qu’il n’était pas un expert en approvisionnement. Par exemple, M. Crupi a dit : « Je n’ai jamais été un spécialiste en matière d’approvisionnement. Je n’en ai jamais reçu de formation. C’est pour cela que j’ai embauché quelqu’un d’autre pour le faire 10. » Garry Roy, un autre employé du CNDR personnellement engagé par M. Crupi pour faire des travaux à son domicile, a dit aux audiences du Comité qu’il ne s’était « jamais occupé de contrats ni d’approvisionnement. Je n’ai aucune expérience ni aucune formation dans ces domaines et je ne connaissais pas les politiques du Conseil du Trésor en matière contractuelle. Cela ne faisait pas partie de mes responsabilités et je n’étais pas habilité à fournir des services de consultation ni à conclure des marchés avec quelque tierce partie que ce soit 11. »

L’explication de M. Crupi, voulant qu’il ne se conformait pas aux politiques de passation des contrats en raison d’un manque de formation dans le domaine a été consignée dans la vérification interne de l’administration du régime de retraite de la GRC. Il a été souligné dans la vérification qu’un manque de connaissances approfondies des politiques de passation des contrats de la part des gestionnaires du régime de retraite explique, en partie du moins, le non-respect des politiques de passation des contrats. Mais comme M. Crupi a continué de passer des contrats même après avoir prétendument perdu son pouvoir de signature, cette explication est tout sauf convaincante.

Le Comité se préoccupe vivement du fait que de si mauvaises pratiques de passation de contrats aient pu se poursuivre si longtemps à la GRC. Le Bureau du vérificateur général souligne, dans son rapport, que la GRC a pris des mesures pour resserrer ses contrôles en matière de passation de contrats. En fait, le Service des acquisitions et contrats de la GRC veille maintenant à ce qu’on rappelle aux gestionnaires les politiques de passation de contrats de la GRC et à ce que le personnel affecté à l’approvisionnement reçoive une formation obligatoire sur les valeurs et l’éthique. Le Comité approuve ces mesures, mais croit qu’on pourrait faire plus pour assurer le respect des politiques de passation des contrats. Par conséquent, afin d’éviter les excuses du genre « Je ne suis pas un expert en approvisionnement » pour passer outre aux contrôles dans la passation des contrats, le Comité recommande :

Recommandation 11

Que tous les membres et employés de la Gendarmerie royale du Canada exerçant tout pouvoir de passation de contrats suivent un programme de formation sur la Politique des marchés du Conseil du Trésor.

Recommandation 12

Que tous les marchés du gouvernement du Canada comportent une clause stipulant que l’entrepreneur doit se conformer à la Politique des marchés du Conseil du Trésor.

Recommandation 13

Que le gouvernement du Canada fasse une enquête pour déterminer s’il est possible de récupérer de l’argent d’entrepreneurs ou d’individus qui ont reçu des avantages auxquels ils n’avaient pas droit.

Les exigences relatives à l’après‑mandat

Selon la Politique des marchés du Conseil du Trésor, une extrême vigilance est de mise dans la passation de contrats avec des anciens employés qui touchent une pension du gouvernement. En pareils cas, l’octroi du marché ne doit donner prise à aucune allégation de favoritisme ou de passe-droit. De plus, si l’employé en cause est retraité depuis moins d’un an et touche une pension, les honoraires prévus doivent faire l’objet d’une réduction conformément à une formule particulière.

Le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique précise que les ex‑fonctionnaires doivent réduire au minimum la possibilité de se trouver dans des situations de conflits d’intérêts réels, apparents ou potentiels lorsqu’ils passent des contrats avec le gouvernement : « Sans limiter indûment leurs possibilités de chercher un autre emploi, les ex‑fonctionnaires doivent réduire au minimum la possibilité de se trouver dans des situations de conflits d’intérêts réels, apparents ou potentiels entre leur nouvel emploi et leurs dernières responsabilités dans la fonction publique fédérale 12. »

La Politique des marchés du Conseil du Trésor dispose que les autorités contractantes devraient faire preuve de discernement lorsqu’elles passent un contrat avec des anciens employés qui touchent une pension 13. La politique prévoit que les autorités contractantes devraient mettre en équilibre le souhait de respecter le droit des particuliers d’utiliser leurs connaissances et leurs compétences pour gagner de l’argent et la nécessité de protéger le droit du public d’avoir l’assurance raisonnable que l’intérêt public n’en souffrira pas. Si le travail faisant l’objet du contrat est très semblable à celui que faisait le retraité avant sa retraite, les autorités contractantes devraient être en mesure de justifier pourquoi le travail n’a pas été confié au successeur du retraité. Pour dissuader les intéressés de recourir à la pratique de l’embauche d’un fournisseur qui vient de quitter la fonction publique et qui touche une pension du gouvernement, la politique prévoit que les honoraires prévus doivent faire l’objet d’une réduction conformément à une formule particulière, quels que soient le montant des honoraires ou la valeur du contrat.

Le Comité a entendu des témoignages selon lesquels ces règles ne sont pas toujours observées. Un exemple de la façon dont les règles relatives à l’après-mandat ont été violées a été clairement exposé dans l’examen réalisé par KPMG sur les contrats passés par le CNDR par l’entremise de Conseils et Vérification Canada (CVC), sous la direction de Frank Brazeau. Abotech Inc, une société d’experts-conseils appartenant à l’ancien député David Smith, a obtenu deux contrats liés au CNDR pour les services de consultation fournis par Michael Onischuk. Celui‑ci a été présenté à M. Brazeau par un autre expert-conseil travaillant avec le CNDR, Anthony Koziol. M. Onischuk voulait travailler de manière plus permanente avec le CNDR, mais M. Brazeau l’a informé qu’étant donné qu’il était un fonctionnaire retraité, les règles de l’après-mandat s’appliquaient à sa situation. M. Brazeau a dit à M. Onischuk qu’il pouvait contourner ces règles en étant embauché par l’entremise d’une société d’experts-conseils et l’a donc dirigé vers Abotech Inc.

L’expérience de M. Onischuk avec Abotech suit un schéma d’événements où les experts-conseils sont dirigés vers Abotech par CVC. Ce schéma a été décrit par le propriétaire d’Abotech, David Smith, dans une entrevue avec les examinateurs de KPMG. M. Smith a dit à ces derniers qu’il recevait des appels d’experts-conseils qui lui disaient que CVC les avait dirigés vers Abotech. Les experts-conseils en cause étaient souvent des fonctionnaires retraités qui s’inquiétaient des règles relatives à l’après-mandat et qui souhaitaient, par conséquent, être embauchés par Abotech afin de contourner ces règles. Les experts-conseils ajoutaient alors qu’ils souhaitaient passer un contrat par le truchement d’Abotech et qu’un contrat allait bientôt être offert. M. Smith acceptait la proposition, et les experts-conseils faisaient parvenir leur CV à CVC qui le versait aussitôt à sa base de données. Lorsque l’appel d’offres était fait par CVC, Abotech présentait une soumission.

M. Brazeau a expliqué au Comité qu’il est courant que d’anciens employés, comme des fonctionnaires retraités, passent par des sociétés d’experts-conseils pour obtenir des contrats. Lorsqu’ils sont embauchés par une société d’experts-conseils pour travailler sur un contrat, les anciens employés ne paient pas de pénalité sur leur pension. Ainsi, passer par une société d’experts-conseils est un moyen pour les anciens employés d’éviter de payer une pénalité sur leur pension 14. Greg McEvoy, de KPMG Forensic, a également déclaré que M. Smith avait permis à M. Onischuk de passer par Abotech pour contourner les lignes directives de l’après-mandat auxquelles les anciens fonctionnaires doivent se conformer 15.

Le Comité craint que les lignes directrices de l’après-mandat, qui visent à éviter de possibles conflits d’intérêts et la double rémunération provenant des pensions et des marchés obtenus, ne soient enfreintes de façon flagrante. Toutefois, David Marshall, qui était sous-ministre de TPSGC durant une partie des audiences du Comité sur cette question, a déclaré que :

[Cette pratique] serait sans doute très difficile à déterminer, parce que les contrats se font au nom d’une compagnie et l’on ne sait pas nécessairement qui fait le travail 16.

En outre, M. Marshall a déclaré qu’il croyait que « les gens profitaient seulement du flou des règles en la matière ». Il a ajouté :

Mais, selon moi, le Secrétariat du Conseil du Trésor souhaiterait sans doute un renforcement, peut-être même en demandant au ministère une déclaration comme quoi cela ne devrait pas se faire ou quelque chose de cet ordre, parce que je pense que cela nuit à tous les fonctionnaires, cette idée d’une collusion ou d’une entraide pour contourner les règles. Cela n’aide personne. Je pense donc qu’un renforcement serait sûrement une bonne chose 17.

Le Comité estime que le Secrétariat du Conseil du Trésor devrait trouver le moyen de renforcer les éléments de la politique de passation de contrats qui sont violés.

La politique sur les marchés énonce que le système de soumissions par voie électronique permet de gérer avec efficacité le caractère délicat de la passation de contrats avec des anciens fonctionnaires. Cependant, comme le Comité l’a entendu durant les audiences sur la question de l’administration des régimes de retraite et d’assurances de la GRC, le système de soumissions électroniques n’a pu empêcher que des anciens fonctionnaires contournent les lignes directrices de l’après-mandat en passant des contrats par l’entremise de sociétés d’experts-conseils. Le Secrétariat du Conseil du Trésor doit faire mieux respecter la politique sur les contrats afin de limiter les violations des règles sur l’après-mandat.

Il est d’autant plus important de trouver un moyen de renforcer l’application des règles sur l’après-mandat que la fonction publique sera touchée par une vague de départs à la retraite d’ici une dizaine d’années. Le Comité estime qu’il est capital que le Secrétariat du Conseil du Trésor travaille avec ses partenaires gouvernementaux afin de trouver le moyen de renforcer l’application des règles sur l’après-mandat. Le Comité croit aussi qu’obliger les entrepreneurs à confirmer qu’aucun de leurs employés n’est soumis aux règles sur l’après-mandat permettrait de renforcer la Politique des marchés. Le Comité recommande donc :

Recommandation 14

Que le gouvernement du Canada oblige tous ses entrepreneurs et leurs sous-traitants à confirmer que ni leurs employés ni eux-mêmes n’enfreindraient les règles relatives à l’après-mandat qui sont énoncées dans la Politique des marchés du Conseil du Trésor en acceptant un marché.

Le Comité croit aussi que les entrepreneurs auxquels des marchés ont été adjugés autrement qu’en parfaite conformité avec la Politique des marchés ne devraient plus être admissibles aux marchés du gouvernement du Canada. Aussi le Comité recommande-t-il :

Recommandation 15

Que le gouvernement du Canada refuse à jamais de passer des marchés avec un entrepreneur qui a commis un acte répréhensible dans l’exercice de ses fonctions ou en collusion avec un fonctionnaire.

Recommandation 16

Que le gouvernement du Canada refuse à tout jamais d’octroyer le pouvoir de passer des marchés à des fonctionnaires qui ont commis un acte répréhensible dans l’exercice de leurs fonctions ou en collusion avec des entrepreneurs.

Présentation de rapports au Parlement

Les rapports ministériels sur le rendement (RMR) constituent l’un des principaux mécanismes qui permettent aux parlementaires et aux Canadiens de s’informer au sujet du rendement des ministères. Il s’agit de documents produits par chaque ministère qui rendent compte des résultats obtenus par rapport aux attentes en matière de rendement énoncées dans leurs rapports sur les plans et les priorités. Les RMR fournissent des renseignements sur le progrès réalisé jusqu’ici par le ministère ou l’organisme en vue d’atteindre ses objectifs stratégiques.

Comme nous l’avons déjà indiqué, au moment de l’enquête sur l’administration du régime de pension, Conseils et Vérification Canada (CVC) faisait partie de TPSGC. Ainsi, le rendement de CVC était déclaré par l’entremise du RMR de TPSGC. Les RMR de 2002-2003 et 2003‑2004 du ministère précisent que CVC « a accompli des progrès satisfaisants par rapport aux résultats planifiés et a répondu généralement aux attentes relatives à son rendement. Ces résultats sont très comparables à ceux de l’exercice précédent, ce qui laisse entendre que le niveau de prestation de services est constant 18. » Plus loin, on peut lire que CVC a « réussi à continuer de participer massivement aux dossiers d’intérêt public 19 ».

Dans le RMR de TPSGC pour 2004-2005, on peut lire que :

En 2005-2006, le mandat de l’organisme fera l’objet d’un examen dans le cadre du processus de renouvellement du mandat de CVC, et ce, surtout en ce qui concerne l’approvisionnement de services. À la lumière des constatations préliminaires, le sous-ministre a décidé qu’au début de mai 2005, les activités d’approvisionnement seront effectuées par l’Unité centrale des services d’acquisitions de TPSGC afin d’améliorer la répartition des tâches et l’uniformité de pratiques d’approvisionnement à l’échelle du Ministère 20.

Le RMR de 2004-2005 mentionne un changement à l’administration des services d’acquisition de CVC, mais ne précise pas pourquoi ces changements ont dû être faits. Par conséquent, il n’est pas question dans les RMR du ministère de la période où se sont produites les irrégularités contractuelles à CVC.

M. Marshall, sous-ministre à TPSGC à l’époque où le Comité a tenu des audiences sur cette question, a confirmé au Comité que les irrégularités contractuelles à CVC n’avaient pas été explicitement mentionnées dans le RMR du ministère 21. M. Shahid Minto, l’actuel agent principal de gestion des risques à TPSGC, a déclaré que :

Ce que nous avons inscrit dans nos DP est que nous scindions les services et changions les mandats. Nous n’avons pas abordé tous les motifs qui nous y amenaient, mais nous avons expliqué certaines des choses que nous faisions là-bas 22.

Le Comité a déjà exprimé ses inquiétudes au sujet de la qualité de l’information contenue dans les rapports produits par les ministères à l’intention du Parlement. Si les RMR ne décrivent pas en détail ce qui se passe, tant pour ce qui est des éléments positifs que négatifs, au sein des ministères, les parlementaires ou les Canadiens cesseront de les prendre au sérieux. Les ministères préféreraient sans doute garder sous silence les résultats négatifs, mais ils doivent les déclarer si nous voulons que ces rapports soient crédibles. La situation en l’occurrence indique à quel point il est important de tout déclarer : si le Comité ne s’était pas penché sur cette question, il n’aurait peut-être jamais su pourquoi les changements ont été apportés à CVC selon le RMR de TPSGC.

Le Comité comprend que même si le président du Conseil du Trésor dépose les RMR au Parlement, chaque ministre est responsable de l’information que contient le rapport de son ministère. Il comprend également, toutefois, que le Secrétariat du Conseil du Trésor publie des lignes directrices pour aider les ministères à préparer leurs RMR. Et ces lignes directrices prévoient que :

le contenu de ces rapports doit être pertinent, fiable, équilibré et comparable, afin de brosser, à l’intention des parlementaires et des Canadiens, un tableau exhaustif et efficace des plans du gouvernement et de l’utilisation qui est faite de l’argent des contribuables 23.

Le Comité croit que le Secrétariat pourrait appliquer ces lignes directrices sur la préparation des RMR et inviter les ministères à s’efforcer de produire un rapport équilibré. Afin d’améliorer la qualité des rapports présentés au Parlement, le Comité recommande :

Recommandation 17

Que le Secrétariat du Conseil du Trésor veille à ce que les ministères respectent les lignes directrices afin de s’assurer que le contenu des rapports ministériels sur le rendement soit équilibré.



[1]Réunion 60, 16 h 30.>

[2]Réunion 51, 17 h 05.

[3]Ibid, 17 h 10.

[4]Ibid, 16 h 55.

[5]Réunion 55, 15 h 30.

[6]Réunion 62, 17 h 10.

[7]Réunion 55, 16 h 20.

[8]Vérificatrice générale du Canada, paragraphe 9.18.

[9]Ibid, paragraphe 9.13.

[10]Réunion 55, 16 h 50.

[11]Réunion 66, 16 h 00.

[12]Secrétariat du Conseil du Trésor, Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique, 2003. Accessible en ligne au site : http://www.tbs-sct.gc.ca/pubs_pol/hrpubs/TB_851/dwnld/vec-cve_e.pdf.

[13]Conseil du Trésor du Canada, Politique sur les marchés. Accessible en ligne au site http://www.tbs-sct.gc.ca/pubs_pol/dcgpubs/Contracting/contractingpol_e.asp.

[14]Réunion 55, 16 h 00.

[15]Ibid, 16 h 05.

[16]Ibid, 17 h 15.

[17]Ibid, 17 h 45.

[18]Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, Rapport sur le rendement, 2002-2003 et 2003‑2004.

[19]Ibid.

[20]Ibid. 2004-2005.

[21]Réunion 55, 18 h 20.

[22]Réunion 62, 16 h 55.

[23]Secrétariat du Conseil du Trésor, Guide de préparation de la Partie III du Budget des dépenses 2008‑2009 : rapports sur les plans et les priorités et rapports sur le rendement, page 7. Soulignement dans l’original. Disponible en ligne à : http://www.tbs-sct.gc.ca/dpr-rmr/2008-2009/guide/guide-fra.pdf.