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CIIT Rapport du Comité

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Les relations Canada-États-Unis
Peter Julian, député

Opinions supplémentaire et dissidente – NPD
Le 10 juin 2009

Opinion supplémentaire : QUESTIONS RELATIVES À LA FRONTIÈRE ET LIQUEUR NOIRE

Le rapport du Comité permanent manque de vision au sujet des relations commerciales entre le Canada et les États-Unis. Le NPD propose une meilleure relation entre les deux pays, fondée sur le commerce équitable, pour que l’énorme volume d’échanges de part et d’autre de la frontière profite à tous les Canadiens et à tous les Américains et respecte des normes élevées en matière de droit des travailleurs, de droits sociaux et de protection de l’environnement. Les effets de l’ALENA et d’un libre-échange non réglementé sont clairs et sans équivoque : la plupart des Canadiens se sont appauvris. Le rapport du Comité permanent est trop inspiré par la philosophie du Partenariat pour la sécurité et la prospérité qui vise, en définitive, à abaisser les normes canadiennes et à maintenir le désastreux héritage de l’ALENA.

Le NPD souhaite ajouter ses propres suggestions et solutions au sujet des questions ayant trait à la frontière entre le Canada et les États-Unis. En ce qui concerne l’Initiative relative aux voyages dans l’hémisphère occidental, le NPD a proposé au gouvernement de ramener les frais d’obtention d’un passeport au niveau du recouvrement des coûts, de porter de 5 à 10 ans la période de validité du passeport et de mettre en place une stratégie coordonnée de publicité et de commercialisation afin de dédommager les villes frontalières de toute baisse des visites transfrontalières d’une journée. Ces mesures faciles à mettre en œuvre apaiseraient dans une grande mesure les frustrations ressenties par les Canadiens à cause des nouvelles règles appliquées à la frontière.

Pour augmenter l’efficacité de notre frontière, le gouvernement devrait également créer un mécanisme de surveillance du trafic frontalier et prévoir des politiques et des protocoles destinés à raccourcir les temps d’attente excessifs. Le NPD croit en particulier que le poste Windsor-Detroit, où le trafic frontalier est le plus important en Amérique du Nord, devrait être placé sous le contrôle d’une administration publique chargée de le gérer dans l’intérêt public.

Enfin, en ce qui concerne la militarisation de la frontière, le NPD insiste pour que les agents des services frontaliers américains opérant en territoire canadien ne soient pas autorisés à porter ou à utiliser des armes que les agents canadiens n’utilisent pas. De plus, le gouvernement devrait veiller à ce que seuls les agents des services frontaliers canadiens soient autorisés à arrêter et à détenir des Canadiens au Canada.

Dans son rapport, le Comité permanent se dit préoccupé par le fait que le gouvernement des États-Unis ne mettra probablement pas fin à l’échappatoire fiscale injuste relative à la liqueur noire, qui constitue une subvention pour l’industrie forestière américaine, avant l’expiration, en décembre 2009, du crédit d’impôt correspondant. Toutefois, Guy Caron (représentant national, Projets spéciaux, Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier) a présenté des arguments sérieux à l’appui de la thèse selon laquelle le crédit d’impôt pourrait être reconduit pendant quelques années. Le NPD estime que le gouvernement devrait prévoir un plan d’urgence à mettre en œuvre au cas où le crédit d’impôt serait reconduit en décembre prochain.

Opinion dissidente : CHAPITRES 11 ET 19 DE L’ALENA, ÉNERGIE, PARTENARIAT POUR LA SÉCURITÉ ET LA PROSPÉRITÉ ET VISION DES RELATIONS CANADA-É.-U. FONDÉE SUR LE COMMERCE ÉQUITABLE

L’une des plus fameuses parties de l’ALENA, le chapitre 11, confère aux investisseurs l’incroyable droit de poursuivre des gouvernements démocratiquement élus à cause des règlements et des politiques légitimes qu’ils adoptent dans l’intérêt public. Les antécédents enregistrés à cet égard constituent un échec cuisant pour les citoyens du Canada, ayant donné lieu à toute une série de procès, dont certains sont encore en cours, contre le gouvernement du Canada et les gouvernements des provinces. Ces affaires ont imposé de graves restrictions sur la capacité de gouvernements et de parlements démocratiques souverains d’agir dans l’intérêt public et de faire valoir les principes les plus élémentaires de la démocratie.

L’affaire Dow Chemical, qui fait actuellement les manchettes, constitue la tentative la plus récente d’une société qui cherche à saper l’action d’un gouvernement démocratiquement élu en invoquant le chapitre 11. La société Dow Chemical poursuit le gouvernement pour 2 millions de dollars, en vertu du chapitre 11, à cause de la décision du gouvernement du Québec d’interdire l’utilisation des pesticides. Dow soutient que l’interdiction de l’herbicide 2,4-D, considéré dangereux par le gouvernement du Québec, fera baisser ses bénéfices. Ce type de contestation d’une politique si clairement conçue dans l’intérêt public montre exactement pourquoi le chapitre 11 ternit notre démocratie.

Même si les États-Unis s’écartent maintenant de ces dispositions extrêmes sur les relations entre les investisseurs et les États, le gouvernement du Canada s’en sert encore dans tous les accords bilatéraux de libre-échange négociés avec d’autres pays du monde.

Le mécanisme de règlement des différends de l’ALENA est critiqué depuis un certain temps. En fait, le prédécesseur du Comité permanent avait présenté au Parlement en 2005 un rapport sur les lacunes de ce mécanisme et la nécessité de trouver d’urgence une solution[1]. Il est intéressant de signaler que ce rapport a été publié avant l’entrée en vigueur, en 2006, du dernier accord sur le bois d’œuvre résineux.

Le Sous-comité avait alors noté, entre autres, que le chapitre 19 manquait de critères clairs, permettait qu’une même cause soit jugée à répétition, imposait des délais beaucoup trop longs pour l’examen des cas, autorisait abusivement le recours au comité de contestation extraordinaire comme tribunal d’appel ainsi que la nomination de délégués américains partiaux au sein des groupes spéciaux et était, d’une façon générale, exploité par les États-Unis à ses propres fins. M. Elliot Feldman (qui a comparu encore devant le Comité avant la publication de ce rapport) avait dit en 2005 :

 « Les intérêts privés américains croient qu’ils seraient mieux servis par les tribunaux américains [qu’en vertu du chapitre 19]. [...] Les États-Unis ont refusé de négocier quoi que ce soit de similaire avec quelque autre partenaire, et regrettent de l’avoir négocié avec le Canada et appliqué au Mexique. [Ils] désirent donc éliminer le chapitre 19, ce qu’ils tentent de faire depuis dix ans ».[2]

Le désastreux Accord sur le bois d’œuvre résineux, qui est entré en vigueur en 2006 et qui a permis aux États-Unis de s’approprier près d’un milliard de dollars de droits illégalement perçus, témoigne suffisamment du fait que le chapitre 19 n’a plus aucune valeur, ce qui fait perdre au Canada des milliards de dollars et d’innombrables emplois. Des témoins qui ont récemment comparu devant le Comité ont dit qu’après avoir obligé le Canada à payer 68 millions de dollars d’indemnités aux termes du régime d’arbitrage de l’accord, celui-ci pourrait encore imposer aux contribuables canadiens de verser des dommages de plus d’un milliard de dollars aux États-Unis et ce, au moment même où notre industrie forestière est en crise à cause de la récession économique.

En vertu des dispositions de proportionnalité de l’ALENA, le Canada est obligé de fournir aux États-Unis du pétrole en proportion de son approvisionnement intérieur. Cela signifie qu’en cas de pénurie d’énergie, le Canada aurait l’obligation d’approvisionner proportionnellement les États-Unis, même s’il devait pour cela priver ses propres citoyens partout dans le pays. Cette grave restriction de notre souveraineté empêche le Canada d’avoir une politique énergétique nationale. Il est en fait le seul pays signataire de l’ALENA à ne pas en avoir. C’est là une grave faille de la politique énergétique et de la souveraineté du Canada, qui nécessite qu’on s’en occupe d’urgence avant qu’une pénurie d’énergie ne secoue le pays, nous laissant dans une situation extrêmement précaire.

Le rapport du Comité permanent fait des allusions ambiguës au Partenariat pour la sécurité et la prospérité (PSP), qui représente une tentative « ALENA Plus » des dirigeants d’entreprise de comploter en secret avec le gouvernement pour abaisser les normes canadiennes dans une multitude de domaines d’intérêt public, en les harmonisant avec celles des États-Unis. Le tollé général soulevé par le processus antidémocratique du PSP, qui n’a jamais été présenté au Parlement, devrait constituer une leçon à retenir pour le Comité. Le PSP avait pour objet de se lancer dans une course vers le fond sous la conduite des sociétés, mais une vaste coalition de Canadiens de la base et de représentants de la société civile l’a rejeté. Le PSP était un mauvais moyen d’aborder les relations commerciales Canada-États-Unis-Mexique. Une coopération plus étroite doit viser à relever les normes, et non à les abaisser ou à les éliminer carrément.

Le fait est que les États-Unis ont un marché beaucoup plus important que celui du Canada : nous courons donc toujours le risque que le grand marché veuille imposer ses normes au petit. Le NPD préconise la solution du commerce équitable, qui utilise le commerce dans un modèle coopératif pour améliorer le niveau de vie des deux pays, et non pour l’abaisser. L’ALENA a échoué. Il est temps d’envisager de meilleures relations entre le Canada et les États-Unis.

Le NPD souhaite que nous nous lancions dans une course vers le sommet, et non vers le fond. Un cadre négocié clair de normes élevées et de réglementation du commerce entre les deux pays est le seul moyen de remplacer la réputation ternie de l’ALENA. Quand il s’agit des droits des travailleurs, du salaire vital, des normes environnementales et d’un système de plafonds et d’échanges dans le domaine de l’énergie, le Canada doit négocier avec les États-Unis pour en arriver à des normes supérieures qui avantagent les deux pays et qui soient durables. Il est temps de mettre fin à la déréglementation dogmatique et à l’abaissement des normes qui nous a conduits à la crise financière et à la pire récession que nous ayons connue depuis la Seconde Guerre mondiale. Le fait est que les faibles accords parallèles sur l’environnement et le travail qui accompagnent l’ALENA n’ont rien fait pour améliorer l’environnement ou le niveau de vie des travailleurs et sont donc inutiles en pratique. Nous avons besoin de normes plus énergiques dans le texte même de l’accord. Toutefois, les antécédents du gouvernement conservateur en matière de normes, de sécurité et d’environnement, surtout dans le domaine commercial, sont épouvantables. Il n’a pas cessé de négocier des accords bilatéraux de libre-échange qui relèguent les droits des travailleurs et la protection de l’environnement à des ententes subsidiaires stériles sans pouvoir et sans effets.

L’Union européenne nous offre un meilleur modèle de normes élevées : L’effet « Californie » qui s’est manifesté au sein de l’UE a entraîné l’exportation de normes environnementales plus élevées aux pays membres, non par l’entremise du marché, mais grâce à l’initiative politique. Les normes élevées adoptées par des pays tels que l’Allemagne, par exemple, ont joué le rôle de barrières commerciales unilatérales pour les autres pays de l’UE, les incitant à relever leurs propres normes dans le cadre supranational de l’Union[3].

Le commerce équitable désigne de nouvelles règles et ententes commerciales favorisant des pratiques durables, la création d’emplois intérieurs et l’établissement de conditions de travail saines, tout en nous permettant de gérer l’offre de biens, de promouvoir les droits démocratiques à l’étranger et de préserver la souveraineté démocratique chez nous. Nous ne pouvons mieux faire que de commencer par notre partenaire commercial le plus important. Le bien-être des générations futures de Canadiens et d’Américains en dépend, surtout depuis que l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement Obama permet d’espérer des changements positifs à Washington.

Des relations bilatérales axées sur le commerce équitable entre le Canada et les États-Unis doivent donc aller au-delà des difficultés telles que les problèmes que nous a légués l’ALENA. Elles doivent se fonder d’abord et avant tout sur un partage équitable de la valeur ajoutée produite par le commerce, dans un contexte de développement durable. Cela ne peut pas être laissé aux caprices du marché, c’est-à-dire au gré de quelques dizaines de sociétés qui contrôlent l’essentiel de notre commerce avec les États-Unis. Des normes élevées et équitables pour les travailleurs, l’environnement, les consommateurs et la santé mènent à un commerce équitable. De toute évidence, de telles normes sont un résultat direct de la politique du gouvernement : elles exigent de la planification, comme l’a montré James Galbraith d’une façon très convaincante[4]. Nous avons besoin d’un cadre démocratique et d’institutions pouvant instaurer ces changements positifs. Nous avons besoin non de l’ALENA ni du Partenariat pour la sécurité et la prospérité, mais d’un ensemble transparent d’institutions coopératives qui ne s’écartent pas de l’approche sectorielle et qui rendent compte de leurs activités à nos organes législatifs respectifs.

Les commissions canado-américaines qui s’occuperaient du système de plafonds et d’échanges, de la frontière, du secteur de l’automobile et d’autres questions seraient indépendantes de l’exécutif, ce qui écarterait les possibilités d’abus, mais auraient à rendre des comptes au Parlement, afin de rester aussi démocratiques et aussi transparentes que possible. Le Canada possède déjà quelques institutions de commerce équitable, comme la Commission canadienne du blé.

L’autre grand secteur à considérer est celui des marchés publics, qui touche des échanges de plusieurs dizaines de milliards de dollars entre le Canada et les États-Unis.

Le rapport du Comité s’inquiète de « la résurgence du protectionnisme américain » dans le cadre des dispositions d’achat national du récent plan de relance des États-Unis, mais indique quelques pages plus loin que la même tendance se manifeste un peu partout dans le monde. En réalité, 17 membres du G20 ont adopté des mesures législatives d’une forme ou d’une autre pour protéger leurs marchés face à la crise économique actuelle[5]. Le NPD croit qu’une politique d’achat national américaine, une politique d’achat national canadienne et une politique conjointe d’achat en Amérique du Nord aideraient le Canada et les États-Unis à mieux cibler leurs dépenses et leurs plans de relance. Témoignant devant le Comité, Erin Weir, du Syndicat des Métallos et du Progressive Economics Forum, s’est dit d’avis qu’une politique d’achat national canadienne exemptant les États-Unis en échange d’une exemption du Canada dans toute politique d’achat national américaine constituerait un moyen de s’assurer que l’argent des marchés publics est judicieusement dépensé[6].

Nous avons besoin d’une politique d’approvisionnement qui ne soit pas mutuellement exclusive. Le Canada a cependant trois dimensions : locale, provinciale et nationale. Par conséquent, il s’agit non seulement de l’OMC, mais aussi des ententes entre municipalités, provinces, États américains et autres paliers de gouvernement. Par exemple, l’Australie a négocié des accords d’approvisionnement avec 33 États américains (alors que le Canada n’en a négocié aucun). Notre gouvernement fédéral devrait organiser des réunions pour que de telles ententes soient possibles. Le NPD croit qu’il est nécessaire de définir, de négocier et d’établir des proportions de biens locaux par opposition aux biens étrangers afin d’en arriver à un juste équilibre entre nos économies.

Quel contraste entre ce qui précède et le Partenariat pour la sécurité et la prospérité, processus bureaucratique secret et antidémocratique qui est contrôlé par des sociétés et n’a jamais été soumis à l’examen du public. Des années de mesures économiques conservatrices ont sapé le secteur public et ont affaibli beaucoup des institutions publiques les plus importantes de la société canadienne. Nous proposons un renouveau de la sphère publique fondé sur un partenariat pour le commerce équitable et le développement durable.

C’est une nouvelle façon d’agir, car le statu quo ne peut plus nous aider.


 



[1] « Règlement des différends dans l'ALENA : Rendre viable un accord en état de siège », Rapport du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international, Sous-comité du commerce international, des différends commerciaux et des investissements internationaux, John Cannis, député, président, mai 2005.

[2] Ibid., p. 8.

[3] David Vogel et Robert A. Kagan, éd., Dynamics of Regulatory Change: How Globalization Affects National Regulatory Politics, Los Angeles, University of California Press, 2004, p. 12.

[4] James K. Galbraith, Predator State: How Conservatives Abandoned the Free Market and Why Liberals Should Too, Toronto, Free Press, 2008, p. 164-175.

[5] Elisa Gamberoni et Richard Newfarmer, « Trade Protection: Incipient but Worrisome Trends », TradeNotes, Banque mondiale, 2 mars 2009.

[6] Témoignages, réunion n° 19, 14 mai 2009.