CIMM Rapport du Comité
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CHAPITRE 5 : EXPÉRIENCE DES TRAVAILLEURS Le dernier chapitre de la partie I, qui porte sur le Programme des travailleurs étrangers temporaires du Canada, aborde les aspects de l’expérience des travailleurs pour lesquels des modifications doivent être apportées aux modalités du Programme ou aux pratiques gouvernementales. Il porte notamment sur le recours aux prestations et à l’assurance sociale de même que sur la résidence. Recours aux prestations et à l’assurance sociale Les travailleurs étrangers temporaires peuvent se prévaloir d’un éventail de programmes sociaux pendant leur séjour au Canada et parfois à leur retour dans leur pays d’origine (voir l’encadré 1). D’après les témoignages présentés au Comité, les travailleurs ont parfois du mal à obtenir des prestations, tantôt à cause des exigences du Programme, comme celles qui touchent la résidence au Canada, tantôt parce que les employeurs ne respectent pas les dispositions établies. Voici des faits qui ont été signalés au Comité : En décembre 2005, j’étais avec Javier, travailleur du PTAS, avant, pendant et après son second accident cardiovasculaire grave dû à un accident du travail et qui aurait pu être prévenu ou minimisé s’il avait pu passer un tomodensitogramme après son premier ACV, survenu quelques jours plus tôt. Toutefois, à cause de son statut de travailleur temporaire, la Colombie-Britannique ne lui avait pas encore accordé l’accès à l’assurance-santé provinciale. Il n’a donc pas reçu les soins dont il avait besoin. Son employeur […] était sur le point de le rapatrier dans l’état où il se trouvait, à demi paralysé, après son premier ACV. Il n'a pu obtenir des soins que parce que nous sommes restés avec lui. Il est cependant rentré au Mexique maintenant, où il restera paralysé pendant le reste de sa vie sans soins et sans soutien financier[114]. Alicia est une veuve dont le mari avait été éclaboussé par des produits chimiques pendant qu’il travaillait dans une serre ontarienne. Son employeur ne lui avait même pas permis de prendre une douche après le déversement des produits chimiques et, à plus forte raison, d’obtenir les soins médicaux nécessaires. Par suite de cet incident, il avait souffert de complications qui ont entraîné son décès par la suite. Alicia n’a pourtant reçu aucune indemnisation ni du gouvernement mexicain ni du gouvernement canadien[115]. Encadré 1 : Admissibilité des travailleurs étrangers temporaires aux prestations et à l’assurance sociale Assurance-emploi (AE) : À l’instar des travailleurs canadiens, les travailleurs étrangers temporaires, et leurs employeurs, versent des cotisations à l’AE. Par contre, ils ne sont habituellement pas admissibles aux prestations de base en raison du nombre d’heures établies ou de l’obligation d’être disponibles pour travailler au Canada. Ils ont droit au congé parental et aux prestations de compassion que prévoit le régime d’AE. Indemnisation des accidentés du travail : L’indemnisation est accordée sur présentation d’une preuve d’invalidité produite par un médecin ou autre professionnel de la santé. Le travailleur qui subit une blessure permanente et qui devient admissible aux prestations peut toucher ces prestations à partir de n’importe quel endroit. S’il s’agit d’une blessure temporaire, il se peut que la disponibilité pour travailler dans la province où le travailleur a subi la blessure influe sur le versement des prestations. Régime de pensions du Canada (RPC) : À l’instar des travailleurs canadiens, les travailleurs étrangers temporaires, et leurs employeurs, cotisent au RPC. Ils peuvent présenter une demande de prestations du RPC à partir de n’importe où dans le monde. Soins de santé : Les travailleurs étrangers temporaires sont couverts par le régime d’assurance-maladie dans la plupart des provinces, bien que la protection varie en fonction de la durée du permis de travail. Dans certaines provinces, dont l’Ontario, la Colombie-Britannique, le Québec et le Nouveau-Brunswick, un délai d’attente de trois mois s’applique aux nouveaux résidents. L’employeur doit s’assurer que le travailleur étranger bénéficie d’une assurance médicale pendant les périodes non visées par le régime provincial. L’obligation d’être disponible pour travailler au Canada, imposée aux prestataires d’AE, est l’un des facteurs qui compliquent la tâche aux travailleurs qui veulent recourir à l’assurance-emploi pendant les périodes de chômage. Malgré cela, les travailleurs et les employeurs versent des cotisations au régime d’AE. Le Comité croit qu’il faut rétablir l’équilibre entre les cotisations payées par les travailleurs étrangers temporaires et les prestations qu’ils peuvent toucher dans le cadre du programme. Grâce à la création du fonds d’urgence prévu dans la Recommandation 21, les travailleurs ne seront plus tenus de cotiser à l’AE. Recommandation 30 Le Comité recommande que le Comité des finances étudie la possibilité de modifier la Loi sur l’assurance-emploi de manière à soustraire les travailleurs étrangers temporaires et leurs employeurs à l’obligation de verser des cotisations à l’assurance-emploi. Le lieu peut également influer sur les possibilités d’indemnisation des travailleurs blessés. Il arrive parfois que les travailleurs n’aient pas le temps de faire évaluer leur état de santé avant de quitter le pays (volontairement ou non). En pareille situation, il est très difficile d’obtenir rétroactivement des prestations. Un témoin a fait état des conséquences d’une tout autre réalité des soins de santé dans d’autres pays : « le système actuel ne tient pas toujours compte des difficultés auxquelles se heurtent les travailleurs, surtout dans les régions éloignées, pour consulter un médecin compétent ou pour régler les frais de consultation, d’examen et de rapports[116] ». Des rendez-vous médicaux peuvent être exigés pour démontrer la nécessité de verser une indemnité. En raison du type de permis de travail dont ils sont munis, il se peut que les travailleurs ne soient pas indemnisés comme ils le devraient pour une blessure ou une maladie. S’ils ne peuvent accomplir le type de travail exigé dans leur secteur, ils ne pourront travailler au Canada munis du même permis de travail. Ils ne pourront bénéficier de l’indemnisation des accidentés du travail à longue échéance. Le Comité estime que le Canada, ainsi que les provinces et les territoires, ne devrait pas laisser à leur sort les travailleurs qui sont blessés ou malades pendant qu’ils occupent un emploi au Canada. Plusieurs témoins sont d’avis que les travailleurs étrangers temporaires sont généralement employés dans des secteurs où les taux d’accidents avec blessures sont élevés, tels l’agriculture, la construction et la fabrication[117]. Les mêmes soins et les mêmes possibilités dont bénéficient les résidents permanents ou les citoyens canadiens blessés ou malades en milieu de travail devraient également leur être offerts. Le Comité croit qu’un organisme fédéral devrait se pencher sur ce problème. D’ici là, les travailleurs étrangers malades ou blessés devraient pouvoir subir un examen médical avant de quitter le Canada. Une évaluation initiale permettrait de déceler les blessures et les maladies causées par le milieu de travail et constitue la première étape menant à une indemnisation convenable. Recommandation 31 Le Comité recommande que le gouvernement du Canada effectue un examen visant à déterminer si l’indemnisation des travailleurs étrangers temporaires est suffisante et à relever les obstacles auxquels eux et leurs familles se heurtent pour obtenir pleine réparation. Cet examen devrait être assorti de recommandations et d’un texte de loi type qui comblerait les lacunes existantes si besoin est. Recommandation 32 Le Comité recommande que, par l’entremise du Programme fédéral de santé intérimaire, le gouvernement du Canada offre aux travailleurs étrangers temporaires malades ou blessés la possibilité de subir un examen médical gratuit avant qu’ils ne retournent dans leur pays d’origine. Le lieu peut aussi influer sur les demandes de prestations du RCP présentées par des travailleurs étrangers temporaires. Même s’ils peuvent être informés au sujet des déductions au RPC et des prestations à leur arrivée au Canada, la plupart d’entre eux doivent attendre de nombreuses années avant de pouvoir toucher une pension. Les travailleurs étrangers temporaires en sont souvent à leurs premières années de travail et auront peut-être perdu tout contact avec le Canada au moment de pouvoir toucher une pension. Même s’il incombe aux bénéficiaires de présenter une demande écrite au RPC, Service Canada envoie chaque année par la poste un relevé des cotisations et d’autres renseignements à un segment de cotisants. Si leur adresse personnelle exacte est consignée dans les dossiers, les travailleurs étrangers temporaires pourraient bien recevoir ces renseignements. Le Comité estime qu’il faut mieux informer les travailleurs des avantages auxquels ils ont droit après avoir quitté le pays. Recommandation 33 Le Comité recommande que le gouvernement du Canada crée un portail Web pour les gens qui ont travaillé temporairement au Canada. Ce portail pourrait leur indiquer la marche à suivre pour toucher des prestations à l’extérieur du pays et il pourrait contenir des formulaires de même que les coordonnées des personnes-ressources dans les organismes gouvernementaux. Enfin, on a dit au Comité que des employeurs décourageaient les efforts faits par des travailleurs désireux d’obtenir des prestations, en refusant de collaborer avec eux ou en faisant fi des conditions énoncées dans les avis relatifs au marché du travail, par exemple l’obligation d’obtenir une assurance-maladie. Certains employeurs refuseraient de rendre la carte santé aux travailleurs alors que d’autres renverraient des travailleurs blessés dans leur pays sans qu’ils aient eu la possibilité de voir un médecin. Le Comité est d’avis que ses recommandations visant à améliorer la communication de renseignements et la surveillance des employeurs contribueront à réduire le nombre de ces situations. Toutefois, il serait peut‑être bon de confier ce dossier au conseil consultatif des travailleurs étrangers, dont on recommande la création. Les employeurs doivent s’acquitter de diverses obligations reliées à l’hébergement de travailleurs étrangers temporaires. Conformément aux conditions reliées à leur permis de travail, les aides familiaux résidants doivent demeurer dans la résidence de l’employeur et les travailleurs agricoles saisonniers doivent habiter dans une résidence mise à leur disposition par l’employeur (en général une propriété agricole). Dans le cas des travailleurs peu instruits, les employeurs doivent s’assurer qu’ils ont un logement. Il n’est pas rare qu’ils achètent et louent des logements à cette fin. Dans le cas des autres travailleurs étrangers, par exemple les travailleurs hautement qualifiés, les employeurs ne sont pas tenus de leur offrir un logement ou de les aider à en trouver un. Bien que les exigences du Programme aient probablement été établies dans le but de faciliter l’accès au travail et de faire en sorte que les travailleurs peu nantis disposent d’un logement, des témoins ont signalé au Comité les conséquences négatives qu’elles avaient. Il s’agit principalement de l’état des logements, des taux de location imposés et de la vulnérabilité des travailleurs obligés de vivre sur les lieux mêmes du travail avec l’employeur. Bien des témoins ont fait part de situations où les logements étaient inadéquats, surpeuplés, en piètre état ou ne pouvant tout simplement pas servir de résidence[118]. Le rapport du défenseur des travailleurs temporaires en Alberta fait état de problèmes reliés à des logements appartenant à des employeurs et loués à des travailleurs peu instruits. Voici un fait cité dans le rapport qui s’apparente à d’autres situations dont on a informé le Comité : « Huit [travailleurs étrangers temporaires] ont été logés dans une maison à trois chambres et 250 dollars étaient prélevés toutes les deux semaines pour chacun d’entre eux (4 000 dollars par mois); ailleurs, 14 [travailleurs étrangers temporaires] ont été logés dans une maison et devaient payer un loyer de 320 dollars par mois (4 480 dollars)[119]. » Le Comité sait qu’on s’oppose vivement à l’obligation imposée aux travailleurs de vivre sur les lieux de travail de l’employeur[120]. Des témoins croient que cette obligation, en particulier en ce qui concerne les aides familiaux résidants, compromet la situation des travailleurs. Les aides familiaux sont exposés à l’isolement, ils sont plus vulnérables aux abus et ils ont moins de chances de pouvoir chercher de l’aide. Des témoins considèrent que cette disposition enfreint les droits des travailleurs étrangers temporaires, notamment le droit à la vie privée que prévoit l’article 5 de la Charte du Québec, la liberté d’association, le droit à l’égalité (parce qu’elle ne s’applique pas aux non-migrants) ainsi que le droit à la liberté et à la sécurité que prévoit la Charte canadienne des droits et libertés[121]. Le Comité croit qu’il n’est pas raisonnable d’exiger que les travailleurs vivent dans des logements fournis par l’employeur, sur les lieux du travail ou ailleurs, sans s’assurer de la conformité de ces logements aux normes canadiennes. Plutôt que de formuler des recommandations à cet effet, le Comité préfère s’écarter de l’exigence de résidence. Selon lui, les travailleurs étrangers temporaires devraient jouir de la même liberté de résidence que les Canadiens. Recommandation 34 Le Comité recommande que le gouvernement du Canada cesse d’exiger que les travailleurs munis de certains permis de travail vivent avec l’employeur ou dans des logements fournis par eux. Il existe toutefois des principes qui se dégagent des exigences actuelles et que le Comité voudrait conserver. Entre autres, si les logements se font rares (dans une région rurale par exemple), l’employeur devrait garantir un logement convenable au travailleur[122]. Comme les travailleurs temporaires ont peu de contacts au Canada, il se pourrait qu’ils ne puissent trouver un logement au départ ou si le marché est serré. Les logements fournis devraient donc faire l’objet d’une inspection garantissant leur conformité aux normes. Pour que les équipes de surveillance puissent effectuer des vérifications au hasard (Recommandation 28), il conviendrait de recueillir des renseignements dans la demande de « permis d’embauche ». Pour téléphoner à leurs familles au Mexique, ils doivent s’éclipser de la ferme tard le soir et parcourir à pied une longue distance pour se rendre à la cabine téléphonique le plus près[123]. Plusieurs témoins ont dit au Comité que des travailleurs avaient beaucoup de mal à obtenir de l’aide parce qu’ils se trouvaient dans des régions éloignées (en général des fermes) et qu’ils n’avaient tout simplement pas accès au téléphone. Le Comité prend note que ces travailleurs ne pourraient pas non plus communiquer avec leurs familles et amis dans leurs pays et considère qu’il s’agit là d’une privation insensée. À son avis, les employeurs qui fournissent des logements aux travailleurs étrangers temporaires devraient également mettre à leur disposition un service téléphonique. Les travailleurs pourraient assumer les frais d’interurbain en se servant de cartes d’appel par exemple. En exigeant des employeurs qu’ils confirment sur la demande de « permis d’embauche » que les travailleurs ont accès au service téléphonique et qu’ils y inscrivent le numéro de téléphone, les agents du gouvernement pourront s’assurer, jusqu’à un certain point, du respect des normes, simplement en téléphonant aux travailleurs et en les interrogeant brièvement. Recommandation 35 En ce qui concerne les employeurs proposant d’héberger des travailleurs étrangers temporaires, le Comité recommande que le gouvernement du Canada accorde des « permis d’embauche » uniquement aux employeurs qui s’engagent à fournir aux travailleurs l’accès à un service téléphonique de base. Recommandation 36 Le Comité recommande que le gouvernement du Canada ajoute à la demande de permis d’embauche une partie sur le logement, où l’employeur indiquerait 1. S’il fournit le logement au travailleur; 2. Si celui-ci a accès à un service téléphonique. [114] Erika Fuchs, Justicia for Migrant Workers — Colombie-Britannique, Témoignages, réunion no 18, 31 mars 2008, 1555. [115] Ibid. [116] Janet McLaughlin, à titre personnel, 7 avril 2008, mémoire, p. 5. [117] Dre Jenna Hennebry, à titre personnel, 9 avril 2008, mémoire, p. 4; Dre Sylvie Gravel, à titre personnel, Témoignages, réunion no 29, 10 avril 2008, 0905. [118] Par exemple : Catholic Social Services, 1er avril 2008, Friends of Farmworkers, 7 avril 2008; et Diocèse de London, 7 avril 2008. [119] Alberta Federation of Labour, Travailleurs étrangers temporaires — La main-d’œuvre jetable de l’Alberta, Rapport du défenseur des travailleurs étrangers temporaires de l’AFL, après six mois d’activité, novembre 2007, p. 12. [120] Par exemple : Grassroots Women, notes de présentation, 31 mars 2008; Amnistie Internationale, mémoire, 10 avril 2008. [121] Par exemple : Ligue des droits et libertés, 10 avril 2008, Association des aides familiales du Québec; 10 avril 2008; et, à titre personnel, Eugénie Depatie-Pelletier, 14 avril 2008. [122] Les employeurs ne devraient pas être chargés de trouver un logement aux membres de la famille. [123] Travailleurs unis de l'alimentation et du commerce, Rapport sur la situation des travailleurs agricoles migrants au Canada, 2004. |