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NDDN Rapport du Comité

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L’INDIVIDU

Presque tous les militaires ayant subi une blessure qui se sont présentés devant le Comité ont soulevé trois grandes préoccupations : le sentiment d’avoir été abandonnés par leur unité, la longue et frustrante période d’attente avant qu’on établisse un diagnostic et qu’on commence à les soigner et la qualité inégale des soins prodigués par les professionnels de la santé et les gestionnaires de soins.

MANQUE DE SOUTIEN DE LA PART DE L’UNITÉ

Les soldats victimes d’une blessure physique ou d’un traumatisme lié au stress opérationnel qui ont témoigné devant le Comité ont tous dit avoir senti nettement, et avec regret, que leur unité les avait laissé tomber, que ce soit lorsqu’ils ont été évacués du champ de bataille, à leur retour de congé post-déploiement après être rentrés d’Afghanistan, ou lorsqu’on les a inscrits sur la Liste des effectifs du personnel non disponible (LEPND)[41]. Même l’ombudsman a constaté, en 2002, que les rapports entre les membres des Forces canadiennes atteints du SSPT et leur unité laissaient à désirer, surtout à partir du moment où le soldat était placé sur la LEPND.

Dans la majorité des témoignages entendus par le Comité, rarement il a été fait mention d’une attention quelconque portée aux blessés par les sous-officiers et les officiers subalternes. Un petit nombre de soldats seulement ont eu des bons mots pour la chaîne de commandement en deçà du grade de commandant. Ils ont eu l’impression qu’on les avait laissés se débrouiller seuls avec le système de santé. Un réserviste a senti que son unité le tenait intentionnellement à l’écart. Un autre soldat, qui avait bravement servi en Afghanistan où il avait subi des blessures physiques et psychologiques, était tellement fâché de voir que son unité ne s’occupait plus de lui qu’il a fini par déménager chez ses parents pendant qu’il recevait des soins qu’il avait attendus trop longtemps. Il n’a plus rien voulu savoir des Forces canadiennes.

Il y a ici deux aspects à prendre en considération. Premièrement, si on se fie aux témoignages entendus, les unités et leurs chefs semblent se désintéresser du sort des soldats dès que ceux-ci quittent leur secteur, en attente de soins. Cette situation découle en partie du fait que les unités opérationnelles se concentrent sur les opérations et portent toute leur attention aux tâches qui les attendent. Deuxièmement, quand les soldats sont renvoyés à l’arrière, loin de leur commandement immédiat, pour y recevoir des soins, il n’y aurait pas d’autres intervenants pour les prendre en charge. C’est à ce moment que surgit le sentiment d’abandon, surtout chez les jeunes soldats ou caporaux qui ne savent pas quoi faire ou qui, affichant déjà des symptômes de TSO, ne sont pas en état d’errer sans supervision.

Le Comité a entendu les témoignages de soldats blessés qu’on avait laissés à eux-mêmes pendant des jours à l’aérodrome de Kandahar, en attendant leur rapatriement au Canada, et à qui on venait porter de quoi boire et manger dans des roulottes leur servant d’abri parce qu’ils ne pouvaient pas marcher jusqu’à la salle à manger. Ce genre de situation n’est pas unique, mais elle est d’autant plus troublante que tous ces jeunes soldats qui l’ont vécue faisaient partie de régiments établis de longue date qui se vantent de prendre soin de leurs membres. On voit bien qu’il y a place à amélioration.

Un des témoins a suggéré de créer, dans toutes les grandes bases des Forces canadiennes et tous les autres établissements de soins pour militaires, une sorte d’unité de transit où seraient envoyés les blessés, au lieu d’être soumis à cette mesure purement administrative qu’est l’inscription sur la LEPND. Cette unité serait composée de personnel dûment formé pour suivre quotidiennement les progrès accomplis par les soldats sur le chemin de la guérison et les aider à cheminer dans le labyrinthe de rendez-vous et de traitements nécessaires à leur remise sur pied. Le Comité estime cependant que l’Unité interarmées de soutien au personnel (UISP) dont la création a été annoncée récemment permettra d’assurer une supervision adéquate et aidera les soldats en voie de rétablissement.

Le Comité a entendu de nombreux témoignages selon lesquels le TSO et le SSPT sont souvent associés à la toxicomanie et à l’alcoolisme. Cette comorbidité peut entraîner des complications et causer d’autres problèmes, notamment des problèmes judiciaires, pour les membres des Forces canadiennes.

RECOMMANDATION 8

Les Forces canadiennes devraient inclure, parmi les services offerts aux personnes souffrant de TSO et de SSPT, des services de traitement de l’alcoolisme et des toxicomanies.

RECOMMANDATION 9

Les Forces canadiennes devraient fournir à leurs membres et à leurs familles de l’information sur le risque de violence familiale associé au TSO et au SSPT et offrir des services aux familles de militaires qui subissent ou risquent de subir ce type de violence.

QUALITÉ DES SOINS

Malgré un certain nombre d’exemples sur les excellents soins prodigués à des membres des Forces canadiennes souffrant d’un TSO, de nombreux militaires et parents proches de militaires ont critiqué le manque d’empathie et de compréhension démontré par certains professionnels de la santé dans la population civile. On se plaignait le plus souvent que ceux-ci ne comprennent tout simplement pas la nature des activités ou des traumatismes que subissent les militaires canadiens en Afghanistan, surtout ceux qui sont engagés régulièrement dans des opérations de combat.

Au cours d’une séance à huis clos, un soldat d’expérience souffrant du SSPT a déclaré que tout ce qu’il voulait, c’était de pouvoir s’asseoir avec d’autres de ses camarades militaires pour discuter de ses expériences. Les soldats blessés présentant des symptômes de TSO ont besoin de parler avec quelqu’un qui comprend ce qu’ils ont vécu, qui a un certain degré d’empathie et qui est même prêt juste à les écouter. Il semble cependant que certains professionnels de la santé civils employés à contrat ne veuillent rien entendre de tout cela. Par contre, il y en a parmi eux qui ont fait part au Comité de leurs inquiétudes au sujet de pratiques militaires inacceptables et d’obstacles empêchant la prestation de soins de qualité aux membres des Forces canadiennes ayant subi un TSO[42].

RECOMMANDATION 10

Les Forces canadiennes devraient instituer un programme de sensibilisation des professionnels de la santé embauchés à contrat aux particularités de l’expérience militaire dans le contexte d’une mission internationale, surtout quand elle comporte des combats.

La mère d’un soldat canadien souffrant du SSPT a émis l’idée qu’un grand nombre de professionnels de la santé physique et mentale chez les militaires ont peut-être épuisé toute leur capacité de compassion, en même temps que leurs forces, et qu’il leur est maintenant difficile de faire preuve de sollicitude et d’empathie dans chaque cas.

Toutes les parties interrogées s’entendent cependant sur le fait que les militaires ayant subi un TSO auraient avantage à avoir des contacts avec des membres de leur famille au cours de leur programme de traitement ou à voir ceux-ci participer à ce programme.

Des familles de militaires et des professionnels de la santé, comme le Dr Greg Passey, ont dit au Comité que les parents proches d’un militaire peuvent souffrir d’un stress de soignant et de SSPT secondaire[43] et avoir en conséquence du mal à s’y retrouver dans les méandres administratifs complexes des programmes de traitement et de soins.

RECOMMANDATION 11

Les Forces canadiennes devraient officiellement reconnaître le besoin de faire intervenir, le cas échéant, certains membres de la famille dans le traitement des militaires ayant subi une blessure psychologique, et faire en sorte qu’ils soient consultés et inclus dans les plans de traitement, dans la mesure où cela peut être utile.

RECOMMANDATION 12

Quand des membres des Forces canadiennes sont blessés et ont besoin d’aide pour s’y retrouver dans les méandres administratifs complexes d’un programme de traitement et de soins, les Forces canadiennes devraient faciliter le recours à un conseil désigné choisi par le militaire et coopérer avec ce conseil. Les membres des Forces canadiennes devraient être informés de leur droit à un conseil. Vu les conséquences de tout stress additionnel sur les parents proches des militaires, les conseils pourraient comprendre des retraités des Forces canadiennes et d’autres professionnels (comme des médecins, des psychologues et des conseillers spirituels ou religieux).

CONTINUITÉ DES SOINS

Il arrive que les traitements reçus par un soldat soient interrompus ou altérés quand ce dernier est muté à une autre unité. Des témoins ont indiqué que la continuité des soins était devenue problématique après une mutation, en particulier lorsqu’ils s’étaient retrouvés à un endroit aux prises avec une pénurie de spécialistes médicaux.

Il est certainement difficile de satisfaire aux exigences opérationnelles des Forces canadiennes en tenant compte du régime de traitement à accorder à un blessé et des préférences d’emploi de ce dernier. Mais si l’objectif visé est de permettre aux soldats blessés de se remettre de leurs blessures et de réintégrer leurs fonctions, le Comité suggère que, à moins de raisons péremptoires d’agir autrement, l’assurance de soins et de traitements de qualité devrait avoir préséance sur le perfectionnement professionnel.

RECOMMANDATION 13

Les Forces canadiennes devraient penser à assurer la continuité de soins de qualité, avant le perfectionnement professionnel de leurs membres.

RECOMMANDATION 14

Les Forces canadiennes devraient assurer le suivi de la santé mentale de leurs membres au cours des cinq années suivant la participation à une mission opérationnelle, afin de pouvoir déceler et traiter efficacement tout trouble de santé mentale.

LE PRÉJUGÉ NÉGATIF

La notion de préjugé négatif est souvent revenue dans les témoignages. Les troubles de santé mentale sont mal perçus en général dans la population. Pendant des années, les blessures psychologiques, dans les milieux militaires, étaient considérées comme un signe de faiblesse. Le verdict à l’endroit d’une personne atteinte d’un trouble mental était parfois sévère : pas assez coriace pour être soldat. Dans le rapport de 2002 de l’ombudsman, on apprenait que les militaires souffrant du SSPT sont souvent « mis à l’écart et stigmatisés par leurs pairs et la chaîne de commandement ». Six ans plus tard, dans son rapport de suivi, l’ombudsman indiquait que les préjugés négatifs associés au SSPT ainsi qu’à d’autres TSO demeurent un problème. Il a fait observer qu’un certain nombre de projets de sensibilisation avaient été lancés dans l’intervalle, mais qu’un leadership plus musclé s’impose au niveau local.

Le Comité a entendu des propos invérifiables de la part d’un certain nombre de témoins, habituellement des caporaux et des soldats, suivant lesquels les blessures physiques visibles, dans la culture militaire, sont plus acceptables, voire même respectables, que les blessures psychologiques qui, elles, ne sont pas visibles, suscitent souvent moins le respect et peuvent même être perçues comme un signe de faiblesse ou, ce qui est encore plus dévastateur, un manque de courage. En toute justice, le Comité a aussi entendu de nombreux témoins, surtout des hauts gradés, affirmer que ces perceptions sont en train de changer et que l’on fait de moins en moins de distinction entre les blessures physiques et les blessures psychologiques.

Les Forces canadiennes admettent depuis quelque temps que les préjugés négatifs qui perdurent au sujet de la maladie mentale découlent d’un problème de leadership. Mais la situation a beaucoup évolué. Un sondage mené entre 2006 et 2008 auprès de membres des Forces canadiennes rentrés d’Afghanistan après leur période de décompression montre clairement que plus de 80 p. 100 des répondants s’opposent à la stigmatisation motivée par des stéréotypes. Ils rejettent l’idée que les personnes souffrant de troubles de santé mentale sont des gens faibles qui pourraient voir leur carrière menacée et qui pourraient avoir du mal à obtenir des congés autorisés pour recevoir des soins. Dans une proportion écrasante de 93,5 p. 100, les répondants ont indiqué que leur opinion sur une personne resterait la même si celle-ci devait consulter un conseiller en santé mentale[44].

Ajoutons qu’à une réunion du Forum canado-américain sur la santé mentale et la productivité, en novembre 2008, on a louangé les Forces canadiennes pour avoir réussi à atténuer les préjugés négatifs entourant la maladie mentale, devenus un enjeu important sur le plan de la main-d’œuvre et de la productivité partout en Amérique du Nord.

Le Bureau des conférenciers conjoint — Santé mentale et blessure de stress opérationnel a mis en œuvre une campagne d’éducation à l’échelle nationale visant à accroître les connaissances générales des militaires des Forces canadiennes, tous grades confondus, en matière de santé mentale, et à éliminer les obstacles sociaux au traitement. À ce jour, plus de 8 000 membres des FC ont obtenu de la formation et de l’éducation dans le cadre de cette campagne[45].

Le Comité pense que si les préjugés négatifs rattachés à la maladie mentale n’ont pas encore tout à fait disparu, c’est en grande partie à cause de l’absence d’une attitude générale appropriée à l’égard des questions de santé mentale dans l’ensemble des Forces canadiennes qui, comme il était mentionné au début du rapport, est une des causes fondamentales des nombreuses difficultés que connaît actuellement le système de soins de santé aux militaires.

RECOMMANDATION 15

Les Forces canadiennes doivent reconnaître la persistance, dans leurs rangs, d’une certaine culture, peut-être même d’un préjugé négatif, à l’endroit de la maladie mentale.

RECOMMANDATION 16

Les Forces canadiennes devraient poursuivre leurs efforts de sensibilisation à la nature et au traitement d’un TSO auprès de tout le personnel militaire, et s’efforcer particulièrement d’effacer tout préjugé négatif à l’endroit de ce genre de blessure.

RECOMMANDATION 17

Les Forces canadiennes devraient intégrer l’identification et le traitement du personnel victime d’un TSO dans la matière de leurs cours de formation au commandement. Elles devraient aussi inclure plus d’information à ce sujet, pour les commandants à tous les niveaux, dans l’instruction préalable au déploiement.

Mais il y a aussi d’autres facteurs qui entretiennent les préjugés négatifs.

Le fait que les Centres de soins pour trauma stress opérationnels se trouvent sur le site même des principales bases des Forces canadiennes en est un. Des témoins ont indiqué que les personnes qui veulent se faire soigner dans un de ces centres ne peuvent le faire dans l’anonymat parce que d’autres personnes, dont peut-être leurs pairs et leurs supérieurs, peuvent les voir entrer et sortir. Ces personnes craignent d’être exclues, de faire l’objet de commérages ou, pire, de voir leur carrière prendre une tangente négative. La solution, selon certains témoins, serait de déplacer les centres de soins à l’extérieur des bases, afin d’assurer la confidentialité et la protection de la vie privée.

Or, rien ne prouve qu’une telle mesure augmenterait la confidentialité; elle pourrait même passer à côté du vrai problème, ou encore l’accentuer. Il y a des professionnels de la santé qui pensent que le déménagement des centres de soins en santé mentale à l’extérieur des bases ne ferait que renforcer les préjugés négatifs. Si on doit considérer les blessures psychologiques au même titre que les blessures physiques, peut-être que les Centres de soins pour trauma stress opérationnels devraient se trouver au même endroit que les autres services médicaux, c’est-à-dire dans les bases. Cela favoriserait la notion d’équivalence. On reviendra sur cette question un peu plus loin dans le rapport.

RECOMMANDATION 18

Le ministère de la Défense nationale et les Forces canadiennes devraient réunir toutes leurs installations médicales en un même lieu, sur les bases militaires, de manière à promouvoir l’idée que toutes les blessures et tous les maux seront traités avec le même respect et à faire disparaître les préjugés négatifs au sujet des problèmes de santé mentale.

La séparation physique de leur unité et de leurs pairs contribue également à stigmatiser les militaires souffrant d’un TSO. Souvent, ceux-ci passent leurs grandes journées à ne rien faire à la maison, et ne sortent que pour aller à leurs traitements. S’il est sécurisant d’être à la maison avec sa famille, ce n’est pas une situation normale pour un soldat habitué de passer ses journées au sein de son unité, en compagnie de ses pairs, à vaquer à ses occupations normales. Le Comité croit qu’on contribuerait à dissiper les préjugés négatifs en autorisant les membres souffrant d’un TSO, comme ceux qui ont subi une blessure physique, à occuper leurs journées dans des conditions supervisées, ou à tout le moins presque normales, parmi leurs pairs. C’est là qu’intervient l’UISP.

UNITÉ INTERARMÉES DE SOUTIEN AU PERSONNEL

Le 2 mars 2009, les Forces canadiennes ont annoncé la mise sur pied, au cours des prochains mois, d’un réseau de huit centres intégrés de soutien au personnel (à Vancouver, Edmonton, Shilo, Toronto, Petawawa, Valcartier, Gagetown et Halifax), chapeautés par l’Unité interarmées de soutien au personnel (UISP) établie Ottawa[46]. L’UISP et ses centres intégrés de soutien au personnel ont pour mandat de répondre aux demandes de soutien et de faire rapport par la chaîne de commandement des préoccupations des militaires des FC malades ou blessés. Ils visent à améliorer la qualité des soins et des services offerts, à s’assurer que les militaires peuvent bénéficier de la même qualité de soins et de soutien partout au pays et à réduire le risque de lacunes, de chevauchement et de confusion en s’assurant qu’aucun militaire des FC ne « passe entre les mailles du filet ».

L’UISP coordonne les services de santé offerts par les Forces canadiennes et le ministère des Anciens Combattants aux militaires et à leurs familles, offre son soutien aux militaires actuellement en service et aux militaires libérés, aux membres de la Force régulière comme aux réservistes, et accueille les patients qui lui sont dirigés par un médecin tout autant que ceux qui se présentent d’eux-mêmes, de même que les militaires souffrant de blessures à long terme ainsi que ceux qui envisagent de prendre leur retraite. Elle répond aux demandes d’information des membres de la famille en ce qui concerne les services et les programmes d’appui à l’intention du personnel malade et blessé, et les redirige au besoin.

RECOMMANDATION 19

Le ministère de la Défense nationale devrait s’assurer que l’on consacre des ressources adéquates à l’établissement d’un nombre suffisant d’unités interarmées de soutien au personnel et de centres intégrés de soutien au personnel pour offrir ces services dans tout le pays.

RÉSERVISTES

Le rapport de l’ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes sur les iniquités que vivent les réservistes à la suite d’une blessure confirme les difficultés administratives qui sont depuis longtemps, le lot de la Force de réserve. Au cours de son étude, le Comité a recueilli des témoignages qui démontrent que les unités de la Réserve ne sont pas à même de prendre les mesures administratives nécessaires au dépistage des problèmes de santé mentale qui se présentent après un déploiement. Un témoin a décrit l’absence de contact ou de soutien de la part de son régiment de petite ville.

Dans une autre région du pays, le dépistage post-déploiement auprès de 57 de soldats appartenant à un solide régiment de la Réserve n’a pas été terminé dans le délai de six mois fixé pour réaliser l’activité. Durant cette période :

a)    35 soldats sur 57 ont eu le suivi médical requis;

b)    14 sur 57 ont passé le test cutané de dépistage de la tuberculose;

c)    36 sur 57 ont suivi le processus amélioré de dépistage médical
post-déploiement[47].

En réalité, la plupart des réservistes, quand ils reviennent, se font simplement ordonner de remplir certains formulaires à des moments précis et de communiquer, par leurs propres moyens, avec un travailleur social local engagé par contrat, afin de fixer un rendez-vous et d’organiser une entrevue. Or, d’après les descriptions, certains de ces travailleurs sociaux n’ont aucune idée de ce qu’ont fait les réservistes en Afghanistan, ne manifestent pas d’empathie et ne tiennent pas du tout à creuser l’état psychologique des soldats.

Les réservistes qui reviennent d’une opération à l’étranger peuvent en fait être supervisés pendant la durée de leur contrat à plein temps, lequel se termine (habituellement) de 60 à 90 jours après leur retour. Les blessures ou maladies qui apparaissent durant cette période peuvent être traitées. Si elles subsistent à la fin du contrat, celui-ci peut être prolongé jusqu’au rétablissement du soldat ou jusqu’à ce que ce dernier mette fin au contrat. Dans les deux cas, les Forces canadiennes continuent de superviser les soins et le traitement.

Les difficultés qui peuvent survenir sont de deux ordres. Premièrement, certaines blessures, et particulièrement les traumatismes liés au stress opérationnel, ne se manifestent pas toujours pendant la durée du contrat à temps plein. Ainsi, après environ 90 jours, le réserviste réintègre la vie civile et si, par la suite, il commence à vivre des difficultés, il peut chercher de l’aide de sa propre initiative, mais ne le fait pas nécessairement. Il se peut que l’unité de réserve ne soit jamais mise au courant du problème.

Deuxièmement, le fait est que certains réservistes, même s’ils ont pour instructions de remplir les formulaires et de prendre rendez-vous, ne le font tout simplement pas. Il est impossible de les y obliger quand ils ne sont pas en service. Malgré les efforts déployés par l’unité de la Réserve pour organiser et remplir ces mesures administratives, il se produit parfois des retards frustrants. Certaines unités suivent une approche plus proactive qui semble fonctionner : les travailleurs sociaux civils engagés par contrat sont convoqués au manège militaire un soir de parade, et tous les soldats de retour au pays (ils sont habituellement peu nombreux pour chaque unité) sont interviewés un à la fois et les formulaires nécessaires sont remplis. Les unités de la Réserve qui suivent une approche plus passive et laissent à chaque réserviste le soin de remplir lui-même ses formulaires et de prendre rendez-vous, obtiennent généralement de moins bons résultats.

RECOMMANDATION 20

La chaîne de commandement de l’unité de la Réserve doit intervenir directement et en amont auprès des réservistes de retour au pays pour qu’ils terminent le plus tôt possible le processus post-déploiement, soit les mesures administratives, les entrevues et les rendez-vous médicaux nécessaires. Dans le cas d’un réserviste qui bénéficie de soins et de traitements continus après une période de service à temps plein, la chaîne de commandement de l’unité de la Réserve doit communiquer régulièrement avec le gestionnaire de cas des Services de santé des Forces canadiennes et suivre activement le programme de traitement du soldat.

RECOMMANDATION 21

Les Forces canadiennes doivent poursuivre leurs activités servant à informer et à sensibiliser les militaires et leurs familles au sujet de la nature du TSO et de son traitement, mais en visant tout particulièrement les commandants de la Force de réserve, les réservistes et leurs familles, surtout ceux qui habitent à une certaine distance d’une installation militaire.

CONTINUER DE SERVIR

Le Comité a été saisi d’une question qui a suscité beaucoup d’émotion : faut‑il permettre à un soldat blessé de continuer de servir les Forces canadiennes et, le cas échéant, de quelle façon? Il était inouï d’entendre des militaires blessés qui, quelle que soit leur maladie, étaient farouchement décidés à continuer de porter l’uniforme, à un titre ou à un autre. Abstraction faite des émotions, dans le métier des armes au Canada, une longue carrière militaire n’est pas un dû et personne n’a le droit à une promotion. Néanmoins, la question mérite qu’on y réfléchisse.

La Directive et ordonnance administrative de la Défense nationale (DOAD) 5023‑0 expose la politique sur l’universalité du service dans les Forces canadiennes[48]. Le principe de l’universalité du service, ou principe du « soldat d’abord », sous-entend que les militaires doivent exécuter les tâches militaires d’ordre général ainsi que les tâches communes liées à la défense et à la sécurité, en plus des tâches de leur groupe professionnel militaire. Entre autres, les militaires doivent être en bonne condition physique, aptes au travail et déployables pour aller effectuer des tâches opérationnelles générales. Tous les membres des Forces canadiennes doivent satisfaire aux Critères minimaux d’efficacité opérationnelle[49].

Afin de remplir leur mission, les Forces canadiennes doivent jouir d’une autorité et d’une marge de manœuvre générales dans l’utilisation des militaires et de leurs compétences. Le fondement législatif de cette autorité se trouve à l’article 33 de la Loi sur la défense nationale. L’importance fondamentale de cette autorité est reconnue dans la Loi canadienne sur les droits de la personne qui prescrit que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation est assujettie au principe de l’universalité du service[50]. Selon ce principe, les militaires doivent être en mesure de pouvoir accomplir en tout temps et en toutes circonstances les fonctions qui peuvent leur être demandées. La nature non restrictive du service militaire constitue l’une des caractéristiques qui le distinguent de la notion civile d’emploi régie par un contrat.

Les militaires blessés dont le pronostic prévoit qu’ils redeviendront aptes au travail restent dans les Forces canadiennes pendant qu’ils guérissent. Cependant, certains, atteints d’une blessure physique ou psychologique, continuent de satisfaire aux critères minimaux d’efficacité opérationnelle mais ne redeviendront pas entièrement aptes à travailler dans le métier qu’ils exerçaient auparavant parce qu’ils ne satisfont plus aux normes médicales de ce métier. Plutôt que de les libérer, les Forces canadiennes leur offriront un reclassement pour qu’ils occupent un autre poste, moins exigeant.

Selon certains témoins, la bureaucratie entourant le reclassement devait être rationalisée afin que les transferts puissent s’opérer plus rapidement, particulièrement dans le cas de victimes de SSPT qui attendent avec impatience de retrouver un milieu familier mais moins astreignant. Nous n’avons pas approfondi cette question, mais nous souhaitons souligner que le reclassement n’est pas une panacée, malgré ce que d’aucuns en disent. Compte tenu de l’orientation de la mission des Forces canadiennes, rappelons que seuls les militaires qui sont tout à fait aptes au travail selon les critères établis peuvent demeurer au sein des Forces canadiennes pendant toute la période de service. Tous les métiers des Forces canadiennes ont en bout de ligne un rôle opérationnel. Les vaguemestres, les cuisiniers et les fantassins œuvrent côte à côte en Afghanistan.

Le processus de reclassement n’est pas une simple réaffectation à un autre métier. C’est plus compliqué. L’examen des différents éléments — état de santé du soldat, compétences, exigences opérationnelles, calendriers de formation, etc. — est complexe. N’ayant entendu aucun témoignage négatif à ce sujet, le Comité n’a rien à reprocher au système existant. Nous avons confiance que les Forces canadiennes continueront de prendre les mesures nécessaires pour permettre le reclassement rapide de soldats blessés dans un autre métier militaire, en conformité avec les exigences opérationnelles.

Certains militaires sont blessés si grièvement et souffrent si terriblement d’une blessure physique ou de TSO/SSPT qu’ils ne seront plus jamais véritablement aptes à travailler, même dans un métier moins difficile. En conformité avec le règlement régissant l’universalité du service, ils sont habituellement libérés des Forces canadiennes et la responsabilité de leurs soins incombe alors au ministère des Anciens Combattants du Canada. De nos jours cependant, le chef d’état-major de la Défense fait preuve d’une bonne mesure de compassion et de bon sens dans l’application des règles existantes afin de donner aux soldats blessés le temps et le soutien dont ils ont besoin pour guérir et en venir à leur propre décision au sujet de la suite de leur service.

RECOMMANDATION 22

Le Comité invite le ministre de la Défense nationale et les Forces canadiennes à continuer de s’efforcer d’appliquer avec compassion les règles existantes concernant l’universalité du service et les critères minimaux d’efficacité opérationnelle, afin que les soldats qui se rétablissent puissent continuer de servir au sein des Forces canadiennes, tant que la fonction qu’ils remplissent satisfait aux exigences opérationnelles des Forces canadiennes.


[41]   L’inscription sur la LEPND est une mesure administrative de gestion et de contrôle des militaires qui ne sont pas encore prêts physiquement ou mentalement à reprendre le travail au sein d’une unité opérationnelle.

[42]   Joyce Belliveau et Robin Geneau, Témoignages, Comité permanent de la défense nationale, réunion no 26, 8 mai 2008.

[43]   Dr Greg Passey, Comité permanent de la défense nationale, Témoignages, réunion no 28, 29 mai 2008.

[44]   Sondage des Forces canadiennes, Stigma and Other Barriers to Mental Health Care in Canadian Forces Members Returning from Deployment to Afghanistan, données anonymes recueillies après la décompression en un tiers lieu, à Chypre plus précisément, en 2006-2008. On a dénombré plus de 9 000 répondants et estimé le taux de réponse à plus de 90 p. 100.

[45]   Voir la documentation fournie par le MDN à l’adresse suivante : http://www.forces.gc.ca/site/news-nouvelles/view-news-afficher-nouvelles-fra.asp?id=2844.

[46]   Voir la note documentaire sur l’UISP à l’adresse suivante : http://www.forces.gc.ca/site/news-nouvelles/view-news-afficher-nouvelles-fra.asp?id=2880.

[47]   Information reçue du MDN le 19 mars 2009.

[49]   Voir DOAD 5023-1, Critères minimaux d’efficacité opérationnelle, http://www.admfincs.forces.gc.ca/dao-doa/5000/5023-1-fra.asp.

[50]   Loi canadienne sur les droits de la personne, article 159, http://laws.justice.gc.ca/en/ShowFullDoc/cs/H-6///fr.