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AANO Rapport du Comité

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Introduction
            Le 25 mars 2010, le Comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord adoptait une motion afin d'examiner l’effet de la décision du gouvernement fédéral de ne plus attribuer de fonds à la Fondation autochtone de guérison dans le Budget de 2010 et de se pencher particulièrement sur les effets connexes de cette décision sur le réseau de 134 initiatives communautaires de guérison de la Fondation. Le Comité a convoqué trois audiences sur cette question et convenu de faire le rapport qui suit.

Contexte
            Les pensionnats indiens (PI) ont fonctionné au Canada de la fin des années 1800 jusqu’au début des années 1990. Même si, officiellement, le système avait été abandonné en 1969, le dernier pensionnat indien géré par le gouvernement fédéral a fermé ses portes en 1996.[1] Au cours de cette période, plus de 150 000 enfants autochtones ont été emmenés dans des pensionnats, souvent à des milles de leurs familles, afin d’être « civilisés », scolarisés et convertis au christianisme.[2] Les anciens élèves racontent encore des histoires de mauvais traitements subis dans les pensionnats. Ils parlent de cas d’abus sexuels, physiques et affectifs de la part des enseignants et des administrateurs qui devaient prendre soin d’eux, ainsi que de leurs confrères étudiants. On estime que de 70 000 à 80 000 membres des Premières nations, Inuits et Métis qui ont fréquenté les pensionnats sont encore vivants au Canada aujourd’hui.
            L’héritage de ce traumatisme a été mis en évidence en 1996 dans le Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones (RCAP), où les commissaires qualifiaient le système des pensionnats indiens de « politique avortée », ayant encore aujourd’hui des effets néfastes sur les collectivités autochtones. La Commission a précisé que le Canada avait beaucoup de travail à faire pour restaurer ses relations avec les peuples autochtones et mettre fin à la violence et à la pauvreté qui continuent à affliger les collectivités de nombreux survivants des PI.

            En janvier 1998, le gouvernement du Canada publiait sa réponse politique au rapport de la Commission. Cette politique, connue sous le nom de Rassembler nos forces : le plan d’action du Canada pour les questions autochtones, était accompagnée d'une Déclaration de réconciliation dans laquelle le Canada exprimait ses « plus profonds regrets » envers les Canadiens autochtones qui ont été victimes d’abus sexuels et physiques dans les pensionnats.[3] Ensemble, Rassembler nos forces et la Déclaration de réconciliation dégageaient la stratégie du gouvernement du Canada pour amorcer le processus de réconciliation et de renouveau avec les peuples autochtones.

            L’un des éléments clés de cette stratégie était l’annonce d'un fonds de guérison de 350 millions de dollars afin d’aider les personnes qui avaient été victimes de mauvais traitements dans les pensionnats administrés par le gouvernement. Le 31 mars 1998, à la suite de pourparlers avec les organisations autochtones, le gouvernement fédéral créait la Fondation autochtone de guérison (FADG) chargée de distribuer l’argent détenu dans le fonds et de veiller à une supervision et à une gestion adéquate des projets de guérison qu’elle subventionnait.[4]

            La FADG, dont le mandat de 11 ans se terminait le 31 mars 2009, devait appuyer des initiatives communautaires de guérison culturellement appropriées visant à gérer les répercussions intergénérationnelles des abus physiques et sexuels liés aux pensionnats. Depuis la création de la FADG, le gouvernement fédéral a versé 515 millions de dollars à l’appui de cet objectif, dont un fonds de dotation de 125 millions de dollars fourni en vertu des dispositions de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens (CRRPI).[5] Le fonds de dotation prolongeait le mandat de la Fondation de cinq années, soit jusqu’en 2012. Ces fonds supplémentaires ont été totalement affectés par le conseil d’administration de la FADG afin d’appuyer ses 134 projets de guérison jusqu’au 31 mars 2010 et les 12 centres de guérison jusqu’au 31 mars 2012. Depuis sa création, la FADG a subventionné 1 345 projets communautaires de guérison dans l’ensemble du Canada et reçu plus de 1,3 milliard de dollars en demandes de financement, soit beaucoup plus que l’affectation financière globale de la Fondation.[6]

            De plus, la CRRPI exigeait que le gouvernement mène une évaluation de la FADG pour mesurer « l’efficacité, les impacts, le rapport coût-efficacité, et la pertinence continuelle des initiatives et programmes de guérison effectués par la FADG » et fournir la preuve « qui soutiendra le processus décisionnel du gouvernement du Canada pour déterminer si le financement doit continuer et, dans l’affirmative, dans quelle mesure le financement doit être après la date finale actuelle de mars 2010[7] ». Publiée en décembre 2009, l’évaluation recevait des constatations très favorables, indiquant que la FADG « a eu un grand succès à atteindre ses objectifs et que sa gouvernance et gestion financières ont aussi été très réussies[8]. »

            On constatait également dans l’évaluation une demande croissante de services communautaires de guérison, précisant que les inscriptions aux projets de guérison subventionnés par la FADG avaient augmenté d’environ 40 % de 2007-2008 à 2008-2009. Les auteurs ont aussi constaté que les projets de guérison sont particulièrement pertinents au cours des processus de la Convention de règlement, ce qui comprend les Paiements d’expérience commune, le Processus d’évaluation indépendant et le travail de la Commission de vérité et de réconciliation, puisque ces processus font « ressortir » pour la première fois les effets de l'expérience des pensionnats sur de nombreux anciens élèves et les traumatismes que cela leur a laissés.

            D’après ces constatations, les auteurs de l’évaluation ont recommandé au gouvernement du Canada d’envisager de maintenir le soutien offert à la Fondation autochtone de guérison, au moins « jusqu’à ce que les processus de compensation et les initiatives de commémoration de la Convention de règlement soient terminés[9]. » Toutefois, dans le budget de mars 2010, le gouvernement fédéral n’accordait pas de fonds supplémentaires à la FADG. Par conséquent, à compter du 31 mars 2010, les 134 initiatives communautaires de guérison ne recevaient plus l’appui de la FADG[10]. Cependant, Santé Canada est en train de négocier de nouvelles ententes de service avec un bon nombre de ces organisations pour assurer la prestation de soutiens à la santé dans les collectivités qui recevaient des fonds de la FADG[11].

            Toutefois, le budget fédéral prévoyait l'octroi de 65,9 millions de dollars supplémentaires sur deux ans au Programme de soutien en santé – résolution des questions des pensionnats indiens (PSS-RQPI) pour répondre à l’accroissement de la demande de services[12]. Le PSS-RQPI, qui s’appelait autrefois Programme de soutien en santé mentale des pensionnats indiens, a été créé en novembre 2006 afin d’ouvrir aux anciens élèves des PI et à leurs familles l’accès à des services de soutien en bien-être et santé émotionnelle[13]. Le gouvernement a affecté à cette fin un investissement initial de 94,9 millions de dollars sur six ans. Cet engagement répond à l’obligation du gouvernement du Canada, aux termes de la CRRPI, de fournir des services de santé mentale et de soutien affectif aux anciens élèves des pensionnats indiens et aux membres de leurs familles qui participent à des mécanismes de la Convention de règlement.

Questions soulevées lors des témoignages

           Les représentants des organisations autochtones et les fonctionnaires comparaissant devant le Comité ont unanimement reconnu l’apport important de la Fondation autochtone de guérison pour répondre aux besoins de santé et de guérison des anciens élèves des pensionnats et de leurs familles et collectivités. Même si les témoins reconnaissaient que la FADG n’était pas censée être une institution permanente, la décision de ne pas prolonger son mandat, au moins jusqu’à ce que soit terminé, en 2014, le travail de la Commission de vérité et de réconciliation, a suscité de vives critiques de la part de nombreuses organisations autochtones.[14]

            L’une des grandes préoccupations des témoins qui ont comparu devant le Comité touche le fait que le réseau des projets de guérison, qui dépendaient fortement de l’aide financière de la FADG, cessera d’exister précisément au moment où ces projets seront les plus vraisemblablement nécessaires pour les anciens élèves et les collectivités affectés par le legs des pensionnats. Les fonctionnaires ont confirmé que les processus de la Convention de règlement actuellement en cours ont considérablement fait augmenter le nombre de demandes de services de soutien affectif et de santé mentale[15]. Toutefois, le Comité a appris qu’en l’absence d’appui financier de la FADG, nombre de projets communautaires de guérison qui auraient pu offrir un soutien essentiel et culturellement approprié aux personnes affectées par les pensionnats seront obligés de réduire leurs services ou de fermer tout simplement leurs portes. Selon nombre de témoins, c’est une conséquence particulièrement troublante, car il semblerait que ces processus peuvent déclencher de pénibles souvenirs et faire ressurgir des traumatismes.

            Par contre, Santé Canada continuera d'offrir des services aux anciens élèves admissibles et à leurs familles par l’entremise du Programme de soutien en santé – résolution des questions des pensionnats indiens (PSS-RQPI) et d’autres programmes touchant la santé mentale et les toxicomanies offerts par le Ministère[16]. Plus particulièrement, le PSS-RQPI offre quatre principaux services, disponibles pour tous les participants admissibles avant, pendant et après les processus de la Convention de règlement, à savoir : counselling professionnel individuel ou familial, soutien émotionnel par des travailleurs de soutien en santé communautaire (résolution) ou des fournisseurs de services autochtones, soutien culturel fourni par les Anciens et aide financière aux frais de transport pour avoir accès aux services de counselling professionnel ou au soutien des Anciens. Santé Canada coordonne la prestation de ces services par ses huit bureaux régionaux du pays. De plus, dans le cadre du programme, Santé Canada a conclu 120 accords de contribution avec les organisations de service autochtone afin de les aider à fournir ces services[17]. Ce réseau compte environ 174 travailleurs de soutien en santé communautaire (résolution) et 281 travailleurs de soutien culturel en sus des 1 264 conseillers professionnels inscrits auprès de Santé Canada. On prévoit que le nombre d’accords de contribution augmentera en raison des fonds supplémentaires prévus au budget fédéral[18]. Dans son mémoire au Comité, Santé Canada signale que, aux termes de ces accords, des services sont offerts à tous les anciens pensionnaires admissibles et à leurs familles, quel que soit leur lieu de résidence, et que dans les nouveaux accords à venir, on fera en sorte que toutes ces personnes aient accès aux services offerts par le Ministère[19].

            Aux termes de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens, le gouvernement du Canada doit offrir des services de santé mentale et de soutien psychologique aux anciens élèves des pensionnats indiens et à leurs familles. Comme on l’a vu, Santé Canada s’en charge par la voie du PSS-RQPI, lequel offre « tout un éventail de services qui respectent leur culture dans le but de résoudre les questions liées aux pensionnats indiens et de rendre possible la divulgation de mauvais traitements tout au long du processus relatif à la convention de règlement[20] ».  De façon générale, les témoins étaient en faveur de la programmation fournie par Santé Canada, même si nombre d’entre eux ont laissé entendre que ces services devraient plus justement être perçus comme complémentaires, plutôt qu’une solution de rechange aux initiatives communautaires de guérison financées par la FADG. Le genre d’approche intégrée qu’appuie la FADG, faisaient remarquer les témoins, s’est avéré très efficace pour faciliter la guérison. Ensemble, les deux approches, à savoir les services gouvernementaux travaillant en partenariat avec les projets communautaires, ont donné des résultats favorables[21].

            Toutefois, les témoins ont souligné qu’il existait des différences fondamentales entre les deux modèles de prestation des services. Ils ont surtout souligné que la portée et la couverture du PSS-RQPI sont plus restrictives que celles des projets de guérison financés par la FADG. Selon les témoins, le PSS-RQPI n’offre des services qu’aux personnes qui ont fréquenté les pensionnats et à leurs familles, tandis que les projets de la FADG autorisaient des interventions plus holistiques, plus pertinentes culturellement et touchant le bien-être et la santé au niveau de la collectivité (p. ex. cercles de guérison, thérapie traditionnelle de guérison, retraite en nature et sueries)[22]. Témoignant devant le Comité, le représentant de la Fondation autochtone de guérison a décrit cette différence, disant[23] :


Le programme de soutien à la santé (résidence) du PSS n’offre que des services individualisés. Par contre, les projets de la FADG ont permis aux collectivités d’identifier et de concevoir des projets répondant à leurs besoins et mobilisant largement les familles, les dirigeants, les jeunes et les Anciens, tout l’ensemble de la collectivité dans le processus de guérison, de manières pertinentes pour leurs cultures et leurs traditions.


Dans son mémoire au Comité, Santé Canada indique que, outre des services de counselling individuel professionnel et des services de soutien psychologique et culturel, le PSS-RQPI offre aussi des services de counselling de groupe ou de counselling familial[24]. Le Ministère indique aussi que, aux termes du PSS-RQPI, le gros des dépenses est consacré aux travailleurs de soutien en santé employés par les organisations autochtones locales chargées d’offrir le soutien des aînés et des services de guérison traditionnels comme des cérémonies, des prières et d’autres méthodes traditionnelles de guérison[25].
            Les fonctionnaires fédéraux ont cependant reconnu que les critères du programme étaient plus restrictifs. Témoignant devant le Comité, Mme Kathy Langlois de Santé Canada a précisé que, dans le cadre du PSS-RQPI, le Ministère ne pourrait aller aussi loin que les approches de type communautaire offertes par la Fondation autochtone de guérison[26]. De la même façon, Mme Aideen Nabigon, directrice générale au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, a déclaré que la Fondation autochtone de guérison fournissait des services que le Ministère n’était pas à même de subventionner[27].
  
            Un certain nombre de témoins ont également mentionné que nombre de personnes qui avaient bénéficié de services dans le cadre de projets subventionnés par la FADG ne pourraient maintenant avoir accès aux services gouvernementaux. Mme Elizabeth Ford de l’Inuit Tapiriit Kanatami (ITK) a déclaré au Comité que les Inuits vivant au Nunatsiavut, par exemple, ne sont pas admissibles au paiement d’expérience commune parce que les sept institutions résidentielles situées au Labrador sont exclues de la Convention de règlement[28]. D’autres ont émis l’idée que même dans le cas des personnes admissibles aux services gouvernementaux, l’accès et l’inscription pourraient être limités en raison de la façon dont le programme est conçu et exécuté. Dans son mémoire au Comité, Mme Lisa Haggerty, gestionnaire de programme du Hinton Friendship Centre à Hinton, Alberta, a précisé au Comité qu’un certain nombre de personnes auraient à voyager plusieurs heures pour obtenir un traitement ou, sinon, à accepter que quelqu’un de non familier offre des services de counselling dans leur collectivité. Nombre de personnes, disait-elle, se passeraient tout simplement de thérapie[29]. Dans la même veine, M. Jim Cincotta de l’ITK a dit au Comité que pour nombre d’anciens élèves, quitter la collectivité pour obtenir des services de counselling revenait à les « re-traumatiser », car nombre d’entre eux ont été enlevés à leurs collectivités pour être mis en pensionnat[30]. Par conséquent, on attache une énorme importance à pouvoir recevoir des services de guérison de personnes de confiance dans la collectivité d’origine. Cette facilité d’accès, selon les témoins, est essentielle pour nombre de survivants, convaincus qu’ils devront peut-être maintenant se soumettre à un processus administratif plus lourd et plus impersonnel. Pour nombre d’entre eux, estimaient les témoins, les étapes à suivre pour avoir accès aux services seront insurmontables. Cependant, les fonctionnaires de Santé Canada ont dit au Comité que les services du PSS‑RQPI sont offerts dans tout le pays par l’intermédiaire d’un réseau de 120 organisations de services autochtones, grâce à des travailleurs locaux qui parlent la langue locale et connaissent bien le contexte culturel et les traditions des communautés concernées.

            Nombre de témoins partageaient cette même préoccupation. Jacob Gearheard, directeur exécutif de l’Ilisaqsivik Society à Clyde River, au Nunavut, déclarait par exemple que les membres de la collectivité auxquels on avait offert une gamme de programmes de guérison culturellement adéquats doivent maintenant composer un numéro sans frais, à Whitehorse (Yukon), donc un décalage de trois fuseaux horaires, sans qu’on leur donne le nom de la personne à joindre et sans garantie qu’ils pourront obtenir les services dans leur langue, l’inuktitut. Pour les membres de Clyde River, rappelait M. Gearheard, une ligne de dépannage à Whitehorse, c’est à peu près comparable à rien du tout[31]. Les témoins ont également exprimé leur inquiétude car, puisque de nombreux services de soutien affectif et de santé mentale offerts par Santé Canada pourraient ne pas être offerts dans la collectivité, les coûts élevés de transport pour avoir accès à ces services pourraient aboutir à une diminution appréciable des autres services, comme les services de soutien psychologique et culturel, offerts dans le cadre du PSS-RQPI[32]. Santé Canada a cependant fait savoir que tous les anciens pensionnaires et leurs familles continueront d’avoir accès aux services et que le Ministère « travaille également à accroître l'accès au programme pour les collectivités mal desservies qui, auparavant, bénéficiaient des projets de la Fondation autochtone de guérison[33] ». En outre, quand il est impossible de se procurer des services dans sa propre collectivité, le coordonnateur régional du PSS-RQPI verra à ce que des services de soutien en santé soient offerts dans cette collectivité ou prendra des mesures pour que la personne intéressée puisse se rendre au bureau du fournisseur de services le plus proche[34].

            Toutefois, la principale différence entre les deux programmes, telle que soulignée par les témoins, était que les projets de guérison subventionnés par la FADG avaient été conçus, régis et exécutés par des Autochtones. Cet aspect des projets de guérison de la FADG a eu pour effet essentiel de responsabiliser les collectivités, en les aidant à établir et à soutenir leurs propres capacités en matière de santé, quelque chose qui, d’après les témoins, ne peut être atteint au moyen de programmes exécutés par le gouvernement. Le Comité note que les mesures prises par Santé Canada pour collaborer avec un réseau de fournisseurs de services autochtones locaux vont dans le sens de ces objectifs. En définitive, c’était la vision de la Fondation autochtone de guérison, dans laquelle les collectivités affectées par l’héritage du système de pensionnats auraient géré de façon adéquate les effets de traumatismes non résorbés, ont rompu le cycle des abus et augmenté leurs capacités, en tant que personnes, familles, collectivités et nations, de veiller à leur bien-être et à celui des générations futures[35].

            Enfin, plusieurs témoins ont abordé la question du coût des abus et de la valeur de la guérison en général; plus particulièrement, des témoins ont traité des effets positifs des projets de la FADG sur le plan de l’atténuation des coûts. Dans son exposé devant le Comité, Mme Yvonne Rigby Jones a fait état de la recherche menée par la Tsow-Tun Le Lum Society à cet égard. Selon les constatations des chercheurs, les personnes ayant suivi les traitements ont affiché une amélioration de 35 % en matière de scolarisation postsecondaire, une baisse des taux d’incarcération de 56 % à 13 %, un recul de l’usage des médicaments sur ordonnances de 34 % à 11 % et une baisse des taux d’hospitalisation de 65 % à 38 %[36]. D’autres études laissent voir des résultats analogues, indiquant que la guérison est efficace par rapport au coût. À titre d’exemple, dans une étude novatrice menée à la réserve Hollow Water (Manitoba), on a fait une analyse de la relation entre la guérison et les taux d’incarcération. Les chercheurs ont constaté que pour chaque 2 $ dépensés pour le programme du cercle de guérison holistique de la collectivité, les gouvernements fédéral et provincial avaient économisé 6 $ à 16 $ en frais d’emprisonnement[37]. De la même façon, témoignant devant le Comité, Mme Ford a précisé que les Inuits participant aux projets de guérison de la FADG disent qu’ils vivent plus sainement et mènent une vie plus heureuse[38].

Constatations du Comité et recommandations

            Le Comité souligne le travail unique et précieux entrepris par la Fondation autochtone de guérison pour gérer, de façon globale et intégrée, les besoins de guérison des collectivités et des personnes qui continuent à lutter contre les effets profonds laissés par le système des pensionnats. Le Comité reconnaît également que le succès de la Fondation pour répondre aux besoins des collectivités repose, dans une large mesure, sur le fait que les collectivités elles-mêmes conçoivent, gèrent et exécutent les programmes de guérison. Cette approche permet non seulement de renforcer la capacité des collectivités de soutenir leurs propres systèmes de santé et de bien-être, mais a eu des résultats positifs pour les anciens élèves des pensionnats et les personnes touchées par l’héritage de ce système. Le Comité est conscient que l’évaluation de mi-étape du cadre national de règlement pour les victimes des pensionnats indiens a été menée en 2006 par Santé Canada et qu’on y a constaté des résultats positifs, mais l’évaluation aurait dû être menée avant que le PSS-RQPI ne soit officiellement créé, cette année-là.

            Le Comité sait, toutefois, que le gouvernement fédéral n’a pas retiré son appui à la prestation de services de soutien affectif et de santé mentale aux anciens élèves admissibles et qu’il a en fait réservé des fonds supplémentaires dans le Budget de 2010 afin d’aider à répondre aux besoins accrus de services dans ce domaine. Le Comité constate aussi, avec un intérêt non négligeable, que Santé Canada essaie de négocier et de conclure un certain nombre d’accords de contribution avec les organisations qui menaient des projets de guérison et qui étaient à l'origine subventionnées par la FADG. Les membres du Comité ont appris qu’actuellement, 60 accords de ce type sont envisagés. Le Comité invite fortement Santé Canada et le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien à poursuivre leurs efforts à cet égard, mais il reconnaît que les 134 projets subventionnés par la FADG ne répondront pas tous aux critères établis pour obtenir une aide financière gouvernementale. On déploie des efforts pour trouver d’autres sources de financement, mais selon l’évaluation menée en 2009, il sera difficile de trouver ces fonds, car nombre d’agences n’auront pas de mandat de contrepartie. Par exemple, Mme Nakuset, du Foyer pour femmes autochtones de Montréal, a dit au Comité que, les critères d’admissibilité à certains programmes fédéraux limitent les services aux Indiens inscrits et excluent donc les Innus, les Métis et les Indiens non inscrits[39]. Le Comité s’inquiète également du fait que cela risque, du moins pendant un certain temps, de laisser plusieurs collectivités sans soutien en matière de guérison, ce qui pourrait avoir de graves effets perturbateurs sur les collectivités et sur ceux qui participaient directement aux traitements.

            Le Comité attribue une valeur certaine aux opinions exprimées par les témoins qui estimaient que le mandat de la Fondation autochtone de guérison aurait dû être prolongé jusqu’à ce que la Commission de vérité et de réconciliation termine son important travail. Le Comité croit que cela aurait été considérablement moins perturbateur pour les collectivités touchées, à un stade aussi critique du processus de réconciliation. Le Comité constate qu’un certain nombre de ces mêmes collectivités négocient actuellement des accords de contribution avec Santé Canada afin de rétablir les services de guérison qui étaient en place, mais dans le cadre, toutefois, des critères établis dans le PSS-RQPI. Même dans ce cas, il est évident que, quelle que puisse être l’efficacité technique des programmes gouvernementaux, ils ne peuvent remplacer « les initiatives vraiment novatrices et porteuses de changements que les collectivités mettaient sur pied[40] ».

            Le Comité estime qu’il est vraiment nécessaire de continuer à fournir un soutien adéquat et valable à toutes les personnes qui ont souffert et continuent de souffrir des préjudices incommensurables provoqués par le système des pensionnats. Après avoir soigneusement pesé les éléments de preuve dont il dispose, le Comité formule les recommandations suivantes :

Recommandation 1:
Que le gouvernement du Canada prenne immédiatement des mesures pour reconduire le mandat de la Fondation autochtone de guérison et lui fournisse une aide financière suffisante pour appuyer ses projets communautaires de guérison pendant encore trois ans.

Recommandation 2:
Que Santé Canada, en étroite collaboration avec la Fondation autochtone de guérison, prenne immédiatement des mesures pour veiller à ce que le mandat et les critères du Programme de soutien en santé – résolution des questions des pensionnats indiens soient élargis et intègrent les services de guérison communautaires exécutés par la collectivité et que des rapports d’étape soient transmis annuellement au Comité par Santé Canada, le premier rapport devant être déposé le 15 juin 2011.

Recommandation 3:
Que le gouvernement du Canada veille à ce que les fonds réservés au Budget de 2010 pour les services de santé mentale et de soutien affectif aux anciens élèves des pensionnats et à leurs familles soient pleinement utilisés pour appuyer les projets de guérison fondés sur la collectivité et financés par la Fondation autochtone de guérison.

Recommandation 4:
Que Santé Canada veille à ce que les services dispensés dans le cadre du PSS-RQPI, notamment les services des travailleurs de soutien en santé (résolution) et par la voie de la ligne 1-800, soient offerts en Inuktitut aux anciens pensionnaires inuits.

[1] Le dernier pensionnat indien géré par le gouvernement fédéral était la Gordon Residential School (Saskatchewan), qui a fermé en 1996.

[2] Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, Volume 1, chapitre 10, Les pensionnats.

[3] La Déclaration de réconciliation de 1998 peut être consultée en direct à l’adresse : http://www.ainc-inac.gc.ca/ai/rqpi/apo/js_spea-fra.asp.

[4] Institut sur la gouvernance, A Legacy of Excellence: Best Practices Board Study: Aboriginal Healing Foundation, mai 2009, p. 7.

[5] En 2006, un règlement juridique négocié, soit la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens, était conclu entre le gouvernement fédéral, les représentants des anciens élèves des pensionnats, l’Assemblée des Premières Nations, les représentants des Inuits et plusieurs organisations ecclésiastiques. Il a été entériné par les tribunaux provinciaux qui entendaient les revendications des victimes des pensionnats indiens contre le gouvernement et les organisations ecclésiastiques . La Convention, mise en application en 2007, est finale et lie tous les défendeurs et les survivants des pensionnats qui ont opté pour ce règlement. On peut consulter le texte de la Convention à l’adresse : http://www.residentialschoolsettlement.ca/settlement.html.

[6] On peut connaître les détails de chaque subvention de financement à l’adresse : http://www.ahf.ca/funded-projects.

[7] Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, rapport final, Évaluation des initiatives de guérison communautaire offertes par la Fondation autochtone de guérison, décembre 2009. Le rapport est disponible en direct à l’adresse : http://www.ainc-inac.gc.ca/ai/arp/aev/pubs/ev/ahf/ahf-fra.asp.

[8] Ibid., p. 1.

[9] Ibid., p. 46.

[10] La liste complète des projets communautaires qui ne reçoivent plus d’aide financière peut être consultée en direct à l’adresse : http://www.ahf.ca/. Une carte des 134 initiatives communautaires financées par la FADG est annexée à ce rapport.

[11] Témoignages, 29 avril 2010. Voir aussi : CBC News, P.E.I. Aboriginal Healing Group Back in Operation, 26 avril 2010.

[12] Gouvernement du Canada, Budget 2010, Tracer la voie de la croissance et de l’emploi : http://www.budget.gc.ca/2010/glance-apercu/brief-bref-fra.html.

[13] On trouvera des renseignements sur le Programme de soutien en santé – résolution des questions des pensionnats indiens à l’adresse : http://www.hc-sc.gc.ca/fniah-spnia/services/indiresident/irs-pi-fra.php.

[14] Une liste des recommandations faites par les témoins est présentée en annexe.

[15] Témoignages, Comité permanent des Affaires autochtones et du développement du Grand Nord de la Chambre des communes (ci-après, Témoignages), 29 avril 2010. Des statistiques sur le Paiement d’expérience commune sont présentées en annexe.

[16] Nous joignons en annexe du présent rapport une liste et une brève description des programmes de santé mentale de Santé Canada.

[17] Une liste des bureaux régionaux du PSS-RQPI est disponible en ligne à http://www.hc-sc.gc.ca/contact/fniah-spnia/fnih-spni/irs-crpn-fra.php.

[18] On trouvera en annexe une liste des fournisseurs de service autochtones qui ont signé un accord de contribution aux termes du PSS-RQPI  de Santé Canada.

[19] Santé Canada, mémoire, 19 mai 2010.

[20] Témoignages, 29 avril 2010.

[21] Témoignages, 29 avril et le 4 mai 2010.

[22] L’admissibilité aux services dans le cadre du PSS-RQPI est limitée aux personnes suivantes : celles admissibles à recevoir ou qui reçoivent actuellement le paiement d’expérience commune; ceux qui règlent une revendication par un processus d’évaluation indépendante ou un modèle alternatif de règlement des conflits ou un processus judiciaire; ou encore, ceux qui participent à des initiatives de vérité et de réconciliation ou de commémoration.

[23] Témoignages, 29 avril 2010.

[24] Santé Canada, mémoire, 19 mai 2010.

[25] Témoignages, 29 avril 2010.

[26] Témoignages, 29 avril 2010.

[27] Témoignages, 29 avril 2010.

[28] Témoignages, 4 mai 2010.

[29] Lisa Haggerty, gestionnaire de programme, Hinton Friendship Centre Mamowichihitowin, mémoire, mai 2010.

[30] Témoignages, 4 mai 2010.

[31] Jakob Gearheard, directeur exécutif, Ilisaqsivik Society, mémoire, 3 mai 2010.

[32] Témoignages, 29 avril 2010.

[33] Témoignages, 29 avril 2010.

[34] Santé Canada, mémoire, 19 mai 2010.

[35] Fondation autochtone de guérison, Plan directeur 2010-2015, p. 4.

[36] Témoignages, le 4 mai 2010.

[37] Cité dans Comité sénatorial permanent des affaires sociales, de la science et de la technologie, De l’ombre à la lumière, mai 2006, p. 418.

[38] Témoignages, le 4 mai 2010.

[39] Témoignages, 4 mai 2010.

[40] Témoignages, 29 avril 2010.