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CHPC Rapport du Comité

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IMPACTS DES CHANGEMENT TOUCHANT LA PROPRIÉTÉ DE LA TÉLÉVISION PRIVÉE ET L'EXPLOITATION CROISSANTE DES NOUVELLES PLATES-FORMES DE VISIONNEMENT

1.         Mise en contexte

Au cours des dernières années, plusieurs transactions commerciales touchant la propriété dans le secteur de la télévision privée ont eu lieu.

En septembre 2010, Bell Canada Enterprises Inc. (BCE) a conclu une entente en vue d’acheter le réseau de télévision CTV. Cette transaction de 1,3 milliard de dollars donne à BCE le contrôle de 27 stations de télévision et de 30 chaînes spécialisées.

En octobre 2010, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a approuvé l’acquisition par Shaw Communications Inc. des filiales de radiodiffusion autorisées de CanWest Global. L’entente de 2 milliards de dollars donne à Shaw le contrôle du réseau de télévision Global comptant 11 stations de télévision et 21 chaînes spécialisées[1].

Ces changements sont les derniers à survenir dans la télévision privée et s’inscrivent dans une tendance vers le regroupement des entreprises et l’intégration verticale des secteurs de la radiodiffusion et des télécommunications. Parmi les changements antérieurs ayant eu lieu dans ces secteurs, mentionnons le transfert du réseau de télévision TVA à Quebecor Media Inc. en 2001 et le transfert de cinq stations de Citytv à Rogers Media Inc. en 2007[2].

Le 21 octobre 2010, le Comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes a adopté la motion suivante :

Que, étant donné les changements radicaux touchant la propriété dans le secteur de la télévision privée et de l’exploitation croissante des plateformes de visionnement numériques, mobiles et de prochaine génération, le Comité du patrimoine se penche sur ce qui suit : 1) les répercussions de l’intégration verticale grandissante entre les grands fournisseurs de contenu et les fournisseurs de services de téléphonie mobile avec accès Internet; 2) le rôle et la viabilité des petits et indépendants radiodiffuseurs de la télévision; 3) le rôle de Radio-Canada dans un paysage de visionnement de médias qui ne cesse de changer; 4) le rôle du CRTC pour garantir la diversité des voix dans un environnement médiatique en évolution; 5) le rôle du Fonds des médias du Canada et des autres mécanismes de financement afin d’assurer la réussite des nouveaux programmes avec les plateformes médiatiques de la prochaine génération[3].

Le Comité a tenu cinq réunions sur cette question et entendu 21 témoins. Le présent rapport examine les récents changements touchant le secteur de la télévision privée, l’exploitation de nouvelles plateformes de visionnement ainsi que les cinq points figurant dans la motion.

2.         La position des entreprises canadiennes de communication

Le Comité a tenu à entendre le point de vue des entreprises canadiennes de communication sur la question de l’intégration verticale.

Pour Gary Maavara, vice-président et avocat général de Corus Entertainment Inc., le concept de marché intérieur canadien est en pleine évolution :

C'est un marché complexe où les acteurs les plus puissants ne sont pas canadiens. Vous devez aligner nos politiques et règles intérieures de façon à nous permettre d'avoir un système sous propriété canadienne qui soit mondialement compétitif. Nous ne pouvons plus protéger notre marché intérieur. Les barrières que nous avons érigées pour protéger les médias canadiens deviendront un piège si nous ne tenons pas compte de ce changement. L'émergence des nouvelles plates-formes médiatiques accroît la concurrence pour le contenu et pour la publicité[4].

Corus Entertainment Inc. est actif sur le marché canadien par la production de contenu. Toutefois, sur le marché mondial, l’entreprise doit livrer une compétition féroce à des entreprises médiatiques géantes comme Disney, Google et Apple. Les impôts que paient ces entreprises étrangères pour leurs activités au Canada doivent être examinés :

Je pense que Google paie probablement des impôts sur ses revenus au Canada, mais l'une des recommandations que nous avons adressées au gouvernement est que l'article 19.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu soit appliqué aux médias numériques. Cela rendrait la publicité dispendieuse sur les sites étrangers, comme c'est le cas pour la télévision canadienne. Nous pensons que ce serait un grand incitatif[5].

Corus Entertainment Inc. encourage la création d’entreprises canadiennes de communication qui soient plus grosses et plus fortes. Des investissements en matière de recherche et de développement seraient une autre avenue à considérer. Corus Entertainment Inc. recommande la création d’un panel d’experts pour étudier toutes ces questions.

BCE et CTV ont comparu le 25 novembre 2010 pour faire part de leurs observations sur les implications de l’intégration verticale pour l’industrie de la radiodiffusion. Le vice-président exécutif aux Affaires générales de CTV, Paul Sparkes, a expliqué que l’intégration verticale est un phénomène qui se produit à l’échelle internationale. CTV doit avoir accès à une infrastructure de distribution pour demeurer compétitif en tant que radiodiffuseur privé :

La meilleure voie que CTV puisse emprunter afin de demeurer un chef de file est celle qui lui permet de faire équipe avec une entreprise ayant une forte présence dans les domaines des télécommunications et de la distribution en radiodiffusion. Les entreprises qui à la fois créent le contenu et qui le distribuent également seront en mesure de maximiser l'expérience du consommateur et de demeurer valables dans l'univers médiatique de l'avenir. […] Il ne fait aucun doute que c'est la bonne voie pour CTV, ses téléspectateurs, les consommateurs et le système de radiodiffusion canadien[6].

Mirko Bibic, premier vice-président aux Affaires gouvernementales chez BCE, estime que la transaction bénéficiera aux consommateurs en augmentant la production de contenu canadien sur de multiples plateformes :

L'élément-clé est que cette transaction permettra à Bell et à CTV d'atteindre une taille et une portée qui permettront de soutenir de nouveaux investissements dans le réseau et de nouvelles innovations, tout en favorisant une plus grande production de contenu canadien de qualité encore meilleure. Produire du contenu populaire de grande qualité peut coûter cher. Mais plus le contenu est accessible sur un plus grand nombre d'appareils et meilleures sont les chances d'attirer un plus grand auditoire[7].

M. Bibic nie que la transaction entraînera une concentration des médias :

Il n'y a absolument aucun niveau de concentration des médias. Les gens parlent sans réfléchir car, dans ce cas, il n'y en a pas du tout. Bell est actionnaire de CTV depuis 10 ans. Il se trouve que nous retournons d'un taux de propriété de 15 p. 100 à 100 p. 100, comme il y a dix ans. Par contre, nous ne possédons par d'autre actif de contenu et ce n'est donc pas comme si nous allions opérer une fusion horizontale en intégrant deux sociétés de radiodiffusion dans une seule[8].

En conclusion de sa présentation, M. Bibic dresse un bilan positif des changements qui ont cours dans le paysage de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes. Il ne faut pas freiner l’intégration verticale. Et si une compagnie verticalement intégrée accordait une préférence indue aux services offerts par sa branche de programmation, le CRTC a des pouvoirs suffisants pour intervenir[9].

Kenneth Engelhart, vice-président principal Réglementation chez Rogers Communications Inc., a rappelé que l’entreprise avait été la première à recourir à une stratégie d'intégration verticale pour tirer profit de ses réseaux de distribution par câble et sans fil et de son contenu de radiodiffusion. Rogers Communications Inc. a dû investir des sommes importantes dans l’infrastructure sans fil et à large bande pour développer ces technologies. Il appert que l’adoption d’une telle stratégie d’affaires était inévitable de par la concurrence mondiale dans le secteur :

Les entreprises canadiennes de radiodiffusion et de distribution sont confrontées à la concurrence croissante que leur livrent de grands fournisseurs de services non réglementés comme YouTube, AppleTV, Hulu, Netflix et divers services illégaux sur le marché noir. Ces compagnies constituent une sérieuse menace pour les entreprises de radiodiffusion et de câblodistribution car elles rivalisent avec les entreprises médiatiques canadiennes pour attirer des revenus publicitaires et les abonnements qui se font plus rares et parce qu'elles encouragent les consommateurs à se « débrancher » du système réglementé en leur offrant du contenu spécialisé sur demande à peu de frais, voire gratuitement[10].

L'intégration verticale, loin de réduire la diversité des voix au sein du système canadien de radiodiffusion, permettrait d’offrir des avantages considérables par le développement, la promotion et l'exploitation de la programmation canadienne[11]. Par ailleurs, Rogers Communications Inc. accueille favorablement les audiences du CRTC sur l’examen réglementaire relatif à l’intégration verticale qui se tiendront en mai 2011. Il demande au Conseil d’être tempéré dans sa volonté de vouloir réglementer à outrance[12].

Michael Hennessy, vice-président principal aux Affaires réglementaires avec Telus Communications, voit également d’un bon œil la tenue des audiences à venir du CRTC. Toutefois, l’entreprise affirme qu’une trop grande intégration verticale menace la diversité des voix :

[Sans] la mise en place de mesures de protection claires et efficaces, une intégration verticale sans précédent au sein de l'industrie de la radiodiffusion constitue une menace majeure pour l'accès, la diversité et le choix dans le domaine de la radiodiffusion. Cela est vrai non seulement pour le public, mais également pour les producteurs indépendants ou non intégrés, les radiodiffuseurs et les distributeurs comme Telus, qui a elle-même investi plus de 2 milliards de dollars dans son nouveau service Optik IPTV pour affronter la concurrence des câblodistributeurs[13].

Telus Communications réclame des règles claires interdisant les pratiques discriminatoires, telles que l’exclusivité des contenus. L’entreprise demande au CRTC d’encadrer les entreprises verticalement intégrées de la façon suivante :

Nous croyons que la discrimination indue fondée sur le prix, la qualité, l'accès et d'autres facteurs doit être clairement interdite pour promouvoir la concurrence et la réduction des prix. Ce qui constitue une discrimination indue et comment les plaintes seront résolues doit être défini clairement, avant la réception des plaintes. […] Le CRTC devrait établir à l'avance comment il va déterminer les plaintes portant sur la discrimination en matière de prix, ce qui découragerait le comportement anti-compétitif. Le Conseil pourrait établir que les conflits soient résolus en imposant, en temps utile, un arbitrage dans le cadre duquel l'arbitre aurait accès aux données historiques concernant le prix du contenu pour voir si les choses ont changé dans un environnement intégré verticalement[14].

Le processus d'arbitrage commercial proposé par Telus Communications aurait l’avantage de ne pas nécessiter l’intervention du CRTC pour en assurer son application[15].

Shaw Communications Inc. a aussi comparu devant le Comité le 2 décembre 2010. Les dirigeants de l’entreprise ont tenu à souligner que la récente acquisition de Canwest Global Communications Corp. (Canwest Global) n’avait « pas soulevé de préoccupations relatives à la concentration du marché ni à la propriété commune en vertu de la politique du CRTC sur la diversité des voix[16]. » Au contraire, Shaw Communications Inc. estime que la diversité des voix parmi les radiodiffuseurs de langue anglaise s’en trouve renforcée.

Selon l’entreprise, les protections actuelles mises en place par le CRTC, notamment les règles touchant la préférence indue ainsi que les nombreux règlements sur la distribution et l'accès, sont suffisantes pour protéger les radiodiffuseurs non affiliés et les producteurs indépendants. Shaw Communications Inc. s’est d’ailleurs engagé auprès du Conseil à lancer 21 services de ce type de programmation[17].

Shaw Communications Inc. rappelle que les entreprises verticalement intégrées doivent conserver une marge de manœuvre pour demeurer concurrentielles par rapport aux radiodiffuseurs des nouveaux médias étrangers[18]. C’est pourquoi Shaw Communications Inc. demande que l’exemption des fournisseurs de contenu étrangers qui sont à l'abri de la réglementation en vertu de l’Ordonnance d’exemption relative aux entreprises de radiodiffusion de nouveaux médias du CRTC soit revue pour les raisons suivantes :

Premièrement, le marché canadien des droits de radiodiffusion est en danger. Les fournisseurs étrangers soit détiennent, soit peuvent acquérir, les droits sur le contenu le plus populaire au monde. De plus, les entités non canadiennes n'ont aucun contenu canadien ni d'exigences relatives à la diffusion. Elles ne contribuent aucunement à l'industrie de production canadienne sur le plan financier. Le fait que les recettes soient soutirées des services réglementés au profit des services exempts non canadiens nuit aux producteurs canadiens. En consommant de la capacité précieuse, les fournisseurs chevauchants menacent d'affaiblir nos investissements considérables dans les réseaux et de nuire à la qualité du service offert aux clients de nos fournisseurs de services Internet. Enfin, ce sont les consommateurs qui finiront par souffrir d'une pénurie de choix canadien[19].

Quebecor Media Inc. (QMI) a déposé un mémoire dans le cadre de l’étude poursuivie par le Comité. L’entreprise a tenu à souligner que « la notion de convergence entre les producteurs de contenus et ceux qui en assurent la diffusion et la distribution est à la base même de la création de Quebecor Media[20]. »

QMI estime que l’intégration verticale est « une réponse inévitable à la fragmentation des auditoires et à l’érosion des sources de revenus publicitaires traditionnelles découlant de la multiplication des plates-formes[21]. » Des succès télévisuels tels que Star Académie, Le Banquier ou Occupation Double n’auraient pu voir le jour sans une telle stratégie.

Le concept d’intégration verticale soulève toutefois une question importante en matière d’exclusivité des contenus. QMI invite les autorités réglementaires « à apporter une réponse nuancée et flexible visant à permettre à certains contenus d’être accessibles à tous et à d'autres de bénéficier d’un traitement exclusif[22]. » À cet égard, Quebecor Media croit que la prohibition de l’exclusivité sur les plateformes de vidéo sur demande, actuellement préconisée par le CRTC, risque d’être dommageable pour l’industrie de la production télévisuelle.

3.         Le rôle et la viabilité des petits radiodiffuseurs

Le Groupe des diffuseurs indépendants (GDI) est venu témoigner pour exprimer leurs préoccupations par rapport à l’intégration verticale. Le GDI était représenté par TV5 Québec-Canada, Stornoway Communications, ZoomerMedia Television, et Newcap Broadcasting. Ils ont souligné que « la croissance de la concentration de propriété et de la propriété croisée entre les services de programmation et les réseaux de câble, de satellite et de téléphone nuit considérablement aux diffuseurs indépendants[23]. » Ils ont demandé que le CRTC utilise l’alinéa 9. (1)h) de la Loi sur la radiodiffusion pour contrôler la concentration de la propriété dans le but « d'exiger que les entreprises de distribution de radiodiffusion par câble et satellite distribuent certains services en tant que service de base ou selon d'autres modalités[24]. »

Par ailleurs, le GDI de diffuseurs indépendants déplore la décision prise par le CRTC de ne pas étudier de demandes de distribution obligatoire au service de base avant juin 2012[25]. Des membres du GDI avaient planifié de présenter des demandes pour une distribution au service de base en pensant que leurs dossiers seraient examinés avant septembre 2011. Selon eux, il s’agirait d’une décision qui va à l’encontre de la diversité des voix dans le système canadien de radiodiffusion.

Mike Keller, vice-président des Activités de l’industrie chez Newcap Broadcasting, a corroboré les propos tenus par le GDI en affirmant que leur secteur d’affaires doit relever des défis similaires à ceux soulevés par les diffuseurs indépendants : « Notre secteur d'affaires repose entièrement sur la distribution[26]. » L’exploitation de stations de radio et de télévision dans des marchés à faible densité est une entreprise risquée. La distribution de leurs signaux par les entreprises de distribution de services de radiodiffusion (EDR) dans certains marchés locaux n’est jamais acquise. Newcap Broadcasting souligne que la création du Fonds d’amélioration de la programmation locale a permis à des stations de télévision locale de survivre.

MétéoMédia et The Weather Network appartiennent à Pelmorex Media Inc. Elles fournissent des services d’information météorologique sur différentes plateformes médiatiques telles que le câble, le satellite, Internet, le sans fil et les journaux. Pelmorex Media Inc. éprouve parfois des difficultés à assurer la distribution de ses signaux par les EDR. Des compagnies de distribution verticalement intégrées agissent avec préférence indue quand ils se servent des données de visionnement exclusives provenant des décodeurs afin d’informer leurs propres services de télédiffusion. Pelmorex demande notamment que les EDR rendent publiques des données non confidentielles pour analyser les habitudes des utilisateurs de leurs services météo[27].

Catherine Edwards de la Canadian Association of Community Television Users and Stations (CACTUS) a signalé que l’émergence de grands EDR a entraîné la disparition de plusieurs stations de télévision communautaire. Il s’agit d’une perte pour le système canadien de radiodiffusion :

Leur disparition représente une perte pour le système, parce que cette forme de production bénévole génère de six à huit fois plus de dollars de programmation locale pour chaque dollar investi par rapport aux secteurs public et privé[28].

Idéalement, le secteur communautaire de la télédiffusion ne devrait être composé que de stations de télévision sans but lucratif. CACTUS considère qu’il est inacceptable que les EDR administrent des chaînes de télévision dans ce créneau. Le résultat, c’est que le secteur communautaire n’est plus en mesure d’assurer un certain contrepoids démocratique à « l'hyperconcentration dans le secteur privé[29]. » L’organisme demande la création d’un fonds des médias communautaires pour pallier les pertes de revenus de ses membres.

4.         Le rôle de CBC/Radio-Canada

Le président-directeur général de CBC/Radio-Canada, Hubert Lacroix, s’est dit préoccupé par la convergence des entreprises et des technologies dans l’industrie des médias et des communications. De par sa nature publique, CBC/Radio-Canada n’est pas dans la même situation de diversification de ses activités :

CBC/Radio-Canada est maintenant le seul télédiffuseur national à ne pas appartenir à une entreprise de distribution par câble ou par satellite. Nous sommes préoccupés par la mainmise que ces sociétés intégrées peuvent avoir sur le contenu et sur sa distribution. Dans ce nouvel environnement, comment donc garantir l'égalité d'accès des habitants de toutes les régions du pays à un contenu canadien diversifié? [30]

CBC/Radio-Canada conclut des ententes avec des EDR pour distribuer ses signaux dans certains marchés. Elle qualifie ces ententes de satisfaisantes bien que des difficultés persistent dans certains marchés desservis par des entreprises de distribution par satellite :

[Les abonnés] de télévision par satellite à l'Île-du-Prince-Édouard ne peuvent regarder la programmation de la station locale de CBC à Charlottetown parce que Bell Télé Satellite ou Shaw Direct ne la distribuent pas. Au Québec, Radio-Canada compte six stations de télévision locales; Bell Télé Satellite en distribue seulement trois, et Shaw, seulement une[31].

CBC/Radio-Canada estime que la distribution de ses stations locales par les entreprises de distribution par satellite devrait être garantie : « l'adoption d'un cadre réglementaire efficace qui garantit aux Canadiens un accès à des contenus canadiens, peu importe à qui appartient le réseau de distribution, est la seule solution[32]. »

La Société a rappelé que les nouvelles plateformes de diffusion représentaient pour la Société une occasion unique de communiquer avec les Canadiens et établir un dialogue avec eux. Elle se dit inquiète que certains des fournisseurs de services Internet réduisent la vitesse de la bande passante, ce qui limiterait l’accès à ses services offerts sur les plateformes numériques[33].

5.         Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes

Le Comité a débuté ses travaux en recevant le président du CRTC, Konrad Von Finckenstein. Il a rappelé que le secteur de la radiodiffusion et des télécommunications au Canada changeait très rapidement avec les fusions de propriété et l’adoption de nouvelles plateformes médiatiques. Il a défini l’intégration verticale de la façon suivante :

Des transactions majeures entraînent une intégration verticale, c'est-à-dire qu'on se retrouve avec une seule entité détenant soit les propriétés de programmation et de distribution, soit les propriétés de production et de programmation, soit les trois — production, programmation et distribution[34].

Le CRTC se demande si les transactions commerciales récentes dans l’industrie de la radiodiffusion peuvent entraîner des pratiques anticoncurrentielles. C’est le cas lorsqu’une compagnie verticalement intégrée accorde une préférence indue aux services offerts par sa branche de communication, au détriment des fournisseurs extérieurs. Le CRTC se dit également sensible à la survie des plus petits radiodiffuseurs dans un marché occupé par des géants des communications.

Par conséquent, le CRTC a annoncé le 22 octobre 2010 qu’il tiendrait des audiences publiques sur l’intégration verticale au début de mai 2011[35]. L’organisme réglementaire veut s’assurer que les objectifs poursuivis dans la Loi sur la radiodiffusion soient respectés sans pour autant s’ingérer dans l’environnement commercial de la radiodiffusion. Dans son Avis public de radiodiffusion de janvier 2008-4, Diversité des voix, le Conseil s’était déjà prononcé en faveur d’une approche visant à préserver la pluralité des voix éditoriales et la diversité de la programmation à l'intention des Canadiens, tant au niveau local que national, tout en permettant une industrie forte et concurrentielle[36].

Le CRTC a conclu son témoignage en abordant la question des pouvoirs à sa disposition lorsque les titulaires ne se conformaient pas à leurs conditions de licence ou lorsqu’ils ne respectaient pas le Règlement sur la distribution de radiodiffusion. Le Conseil aimerait pouvoir imposer des sanctions administratives et pécuniaires afin de sévir contre les contrevenants.

6.         Le Fonds des médias du Canada et le soutien à la création de contenus canadiens

L’équipe de direction du Fonds des médias du Canada est venue témoigner pour expliquer le fonctionnement de ce programme de soutien à la création de contenu pour la télévision et les autres plateformes numériques.

Le Fonds des médias du Canada a révélé qu’il est à même de constater que des transformations se produisent dans l’industrie des communications canadiennes. La part des crédits du Fonds aux télédiffuseurs qui font partie de groupes intégrés verticalement est à la hausse :

Si l'on examine par exemple les enveloppes de rendement que nous avons calculées cette année pour le marché anglophone, en tenant compte de ce que seront probablement les nouvelles structures de propriété, y compris de Bell, les télédiffuseurs de ces groupes intégrés verticalement ont reçu 50 p. 100 des enveloppes de rendement du Fonds des médias du Canada. Cela comprend Bell, évidemment, pour CTV; Quebecor; Rogers; et Shaw pour Corus et CanWest. Si l'on considère également que 35 p. 100 sont allés à CBC, cela laisse 15 p. 100 de nos enveloppes de rendement du secteur anglophone pour les 10 canaux qui ne font pas partie d'un groupe verticalement intégré[37].

Norm Bolen, président-directeur général de la Canadian Media Production Association (CMPA), a fait part des inquiétudes du secteur de la production indépendante. Il a rappelé que les producteurs étaient une composante du système canadien de radiodiffusion. La consolidation et l'intégration du secteur de la télévision entraînent un déséquilibre entre les producteurs indépendants et les télédiffuseurs qui mine l'innovation en matière de contenu. Le CMPA a fait quatre recommandations pour remédier à la situation, dont une concerne le Fonds des médias :

Premièrement, reconnaître le déséquilibre existant actuellement entre les producteurs indépendants et les télédiffuseurs du point de vue de la négociation des droits, et son effet préjudiciable sur la diversité et l'innovation dans le système. Deuxièmement, recommander au ministre de Patrimoine canadien qu'il adresse au CRTC, au titre de l'article 7 de la Loi sur la radiodiffusion, l'instruction de veiller à ce que les télédiffuseurs prennent toutes les mesures voulues pour parvenir à un arrangement équitable avec le secteur de la production indépendante au sujet de la propriété et de l'exploitation de leurs droits. Troisièmement, appuyer le renouvellement de la contribution de Patrimoine canadien au Fonds des médias du Canada, sur une base continue. Cela assurera la stabilité tant nécessaire du système de financement et permettra aussi à toutes les parties prenantes de dresser des plans à long terme et de continuer à rehausser l'efficacité du Fonds. Quatrièmement, endosser la proposition voulant que toutes les plates-formes de distribution, y compris celles qui ne sont actuellement pas réglementées, soient tenues de contribuer financièrement à un fonds de soutien de la création de contenu canadien[38].

L’Association des producteurs de films et de télévision du Québec (APFTQ) a corroboré les propos tenus par le CMPA. Elle a insisté sur le fait que quatre grands groupes de communication contrôlaient six des sept réseaux nationaux et régionaux conventionnels.

Ils accaparent 80 % des revenus totaux des services facultatifs privés. Ce sont ces mêmes entreprises qui contrôlent l'accès Internet, la télédistribution et la téléphonie mobile[39].

L’APFTQ a souligné les pratiques abusives de certains télédiffuseurs lorsqu’ils négocient des droits d’exploitation commerciale avec les producteurs. Des producteurs se font imposer des conditions en vertu duquel ils ne peuvent tenir aucune discussion contractuelle avec d’autres télédiffuseurs pendant une période déterminée[40].

Par ailleurs, l’APFTQ demande au CRTC que les fournisseurs de services Internet soient considérés comme faisant partie intégrante du système canadien de radiodiffusion. Ils auraient donc l’obligation de contribuer au financement de la création de contenu canadien. Le gouvernement du Canada devrait également donner au CRTC des pouvoirs de pénaliser les diffuseurs qui ne respectent pas leurs conditions de licence[41].

La question de l'accès aux services de radiodiffusion pour les personnes aux prises avec un handicap visuel ou auditif a également été soulevée devant le Comité. Le Media Access Canada (MAC), qui dirige la Coalition Accès 2020, s’est donné comme objectif de rendre les émissions de télévision totalement accessibles sur toutes les plateformes de diffusion d’ici 2020. L’organisme demande au CRTC de fixer des exigences en matière d’accessibilité aux services de radiodiffusion lorsqu’il étudie des demandes de transfert et d’acquisition de propriétés médiatiques[42].

Mme Ferne Downey, présidente nationale de l’Alliance des artistes canadiens du cinéma, de la télévision et de la radio (ACTRA), admet que l’intégration verticale est une nouvelle réalité. Un cadre réglementaire fort est nécessaire pour que les Canadiens puissent avoir accès à une diversité de voix indépendantes et canadiennes. L’organisme demande le maintien de quatre mesures générales pour veiller à un contenu canadien fort :

Premièrement, il faut adopter une réglementation efficace et pratique de la radiodiffusion, tant sur les plateformes conventionnelles que numériques. Deuxièmement, il faut maintenir le contrôle canadien sur nos entreprises de télécommunications. Troisièmement, il convient d'accroître les investissements publics et privés dans la production de nouveau contenu canadien. Quatrièmement, il faut offrir le soutien nécessaire aux voix locales et indépendantes[43].

Certes, le CRTC a tenté d’intervenir en 2008 lorsqu’il a émis sa politique réglementaire sur la diversité des voix. Or, l’ACTRA estime que celle-ci est inefficace. Le CRTC doit être en mesure d’imposer des amendes plus sévères. Il doit en outre adopter une approche plus vigoureuse pour interdire les accords sur le contenu exclusif et assurer une séparation structurelle entre les entités d’une même entreprise médiatique :

Il ne devrait pas être possible pour ces conglomérats de garder du contenu pour eux-mêmes, surtout lorsque ce sont les contribuables qui en ont payé la création. Nous voudrions également que les entreprises intégrées verticalement conservent des structures de gestion distinctes pour leurs activités de câblodistribution, de transmission par satellite, de radiodiffusion et de télécommunications[44].

L’ACTRA recommande que tous les fournisseurs de services internet contribuent à la création de contenu canadien en versant une partie de leurs revenus au Fonds des médias du Canada[45].

De son côté, le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier (SCCEP) doute que l’intégration verticale ait été bénéfique pour les Canadiens : « l'emploi dans la programmation, les dépenses pour la programmation locale et les heures de diffusion locale ont tous diminué au gré de la concentration de la propriété[46]. » Le SCCEP remet d’ailleurs en question la volonté réelle du CRTC de réglementer ce secteur. Son vice-président, Peter Murdoch, y est allé d’une intervention sans équivoque, allant même jusqu’à questionner la transparence du CRTC :

Nous avons appris que le CRTC a dépensé 2,7 millions de dollars pour des experts-conseils et des recherches depuis janvier 2007. Pourtant, comme l'indique notre tableau, il n'a pas effectué ni commandé de recherches sur l'impact de la concentration de la propriété, de la propriété mixte des médias, ou de la propriété des services de programmation par les EDR. On n'a pas non plus mené de recherches sur l'impact de l'intégration verticale sur les investissements dans la programmation; on ignore combien il existe de bureaux de nouvelles et combien de journalistes y travaillent. Le CRTC n'a pas non plus évalué la diversité des nouvelles ou l'impact de sa politique sur la diversité des voix. Alors, comment le CRTC ou les Canadiens peuvent-ils comprendre l'effet de l'intégration verticale? Le CRTC ne publie même pas les données brutes nécessaires pour établir si la réglementation fonctionne ou à quel moment elle donne des résultats. Cette lacune s'explique en partie du fait que c'est devenu impossible de le faire. En effet, le CRTC a récemment détruit la plupart de ses propres données des années 1968 à 1990. Depuis 2007, le CRTC s'est opposé aux demandes d'accès à l'information qu'il lui reste[47].

Le SCCEP ne demande pas de mettre fin abruptement à l’intégration verticale, mais plutôt de mener des études basées sur des données empiriques solides dans le but de comprendre les impacts de celle-ci :

Nous préconisons que le Canada commande des recherches expliquant la dynamique de la propriété et du contenu des médias. Nous proposons pour ce faire la création d'un institut national indépendant qui aurait pour mandat de mener des recherches quantitatives impartiales sur la réglementation et les politiques régissant les médias électroniques[48].

La Guilde canadienne des médias exhorte le gouvernement fédéral et le Parlement à intervenir activement pour que les Canadiens puissent continuer à bénéficier d'une diversité des voix médiatiques. Elle demande une règle imposant une séparation des opérations et de la gestion entre la distribution du contenu et la programmation au sein d'une même entreprise intégrée. Le CRTC devrait pouvoir intervenir lorsque cette règle est enfreinte[49]. La Guilde canadienne des médias demande aussi une augmentation des investissements dans la programmation locale, notamment par l’intermédiaire du Fonds pour l’amélioration de la programmation locale. Les revenus tirés de la vente aux enchères du spectre de radiodiffusion libéré par la transition au numérique est une autre option à considérer pour améliorer la programmation locale et augmenter les ressources financières attribuées à CBC/Radio-Canada.

De son côté, la directrice de la Writers Guild of Canada, Maureen Parker, a invité le Comité à considérer le système canadien de radiodiffusion comme une entité intégrée où:

[Toutes] les composantes, y compris les fournisseurs de service Internet et les diffuseurs utilisant les nouveaux médias, soient visées par la réglementation établie en vertu de la Loi sur la radiodiffusion de telle sorte que tous contribuent équitablement à la création et à la mise en valeur du contenu canadien[50].

7.         Les recommandations du Comité

Le Comité est reconnaissant des témoignages éclairés qu’il a entendus et souhaite remercier les témoins de leur excellent travail. Le 9 mars 2011, le Comité a adopté les recommandations suivantes :

Recommandation 1

Que le gouvernement du Canada fasse en sorte que le contenu financé par les fonds publics soit disponible sur autant de plateformes de distribution que possible.

Recommandation 2

Que le gouvernement du Canada se penche sur la question des accords commerciaux équitables signés entre les producteurs indépendants et les entreprises médiatiques intégrées verticalement au moment d’examiner le Fonds de médias du Canada.

Recommandation 3

Que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes fixe des échéances ponctuelles pour que le système de communications canadien soit pleinement accessible aux personnes atteintes de déficience visuelle ou auditive.

Recommandation 4

Que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes examine l’émergence grandissante des entreprises de radiodiffusion non canadiennes dans la nouvelle sphère numérique et mette sur pied un processus de consultation publique pour savoir si et comment ces compagnies devraient soutenir la production d’émissions culturelles canadiennes.

Recommandation 5

Que le gouvernement du Canada réaffirme l’importance et la nécessité que le contrôle et la propriété du secteur canadien de la radiodiffusion soient concentrés au Canada.



[1]              Jamie Sturgeon, « Canwest segues into Shaw », The Province (Vancouver), 29 octobre 2010, http://www.theprovince.com/Canwest+segues+into+Shaw/3744529/story.html.

[2]              CRTC, « Avis de consultation de radiodiffusion CRTC 2010-783 », 22 octobre 2010, http://www.crtc.gc.ca/fra/archive/2010/2010-783.htm.

[3]              Procès-verbal, Comité, réunion no 24, 40e législature, 2e session, 21 octobre 2010. /HousePublications/Publication.aspx?DocId=4712130&Language=F&Mode=1&Parl=40&Ses=3

[4]              Témoignages, Comité, réunion no 31, 40e législature, 3e session, 23 novembre 2010, 1650.

[5]              Ibid., 1710.

[6]              Témoignages, Comité, réunion no 32, 40e législature, 3e session, 25 novembre 2010, 1530.

[7]              Ibid., 1540.

[8]              Ibid., 1545.

[9]              Ibid., 1620.

[10]           Ibid., 1630.

[11]           Ibid.

[12]           Ibid., 1710.

[13]           Ibid., 1635.

[14]           Ibid.

[15]           Ibid., 1715.

[16]           Témoignages, Comité, réunion no 34, 40e législature, 3e session, 2 décembre 2010, 1530.

[17]           Ibid., 1550.

[18]           Ibid., 1535.

[19]           Ibid.

[20]           Quebec Media Inc., Pour un système de radiodiffusion canadien dynamique et profitable, 21 janvier 2011.

[21]           Ibid., p. 3.

[22]           Ibid., p. 4.

[23]           Témoignages, Comité, réunion no 30, 40e législature, 3e session, 18 novembre 2010, 1640.

[24]           Ibid. 1640.

[25]           CRTC, « Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2010-629 », 27 août 2010, http://www.crtc.gc.ca/fra/archive/2010/2010-629.htm

[26]           Témoignages, Comité, réunion no 30, 40e législature, 3e session, 18 novembre 2010, 1700.

[27]           Témoignages, Comité, réunion no 34, 40e législature, 3e session, 2 décembre 2010, 1645.

[28]           Ibid., 1645.

[29]           Ibid.

[30]           Témoignages, Comité, réunion no 35, 40e législature, 3e session, 7 décembre 2010, 1530.

[31]           Ibid.

[32]           Ibid.

[33]           Ibid., 1550.

[34]           Témoignages, Comité, réunion no 30, 40e législature, 3e session, 18 novembre 2010, 1530.

[35]           CRTC, « Avis de consultation de radiodiffusion CRTC 2010-783 », 22 octobre 2010, http://www.crtc.gc.ca/fra/archive/2010/2010-783.htm.

[36]           CRTC, « Avis public de radiodiffusion CRTC 2008-4 », 15 janvier 2008, http://www.crtc.gc.ca/fra/archive/2008/pb2008-4.htm.

[37]           Témoignages, Comité, réunion no 31, 40e législature, 3e session, 23 novembre 2010, 1535.

[38]           Ibid., 1545.

[39]           Ibid., 1630.

[40]           Ibid., 1715.

[41]           Ibid., 1645.

[42]           Témoignages, Comité, réunion no 34, 40e législature, 3e session, 2 décembre 2010, 1635.

[43]           Témoignages, Comité, réunion no 35, 40e législature, 3e session, 7 décembre 2010, 1635.

[44]           Ibid., 1640.

[45]           Ibid.

[46]           Ibid.

[47]           Ibid.

[48]           Ibid.

[49]           Ibid., 1650.

[50]           Ibid., 1700.