En janvier 2011, la population du Sud-Soudan
décidera par référendum si le Sud restera intégré à un Soudan uni ou s’il
deviendra un État indépendant. Ce référendum est la pierre angulaire de l’Accord
de paix global (APG) de 2005 qui avait mis un terme à un conflit armé
dévastateur entre le Nord et le Sud. On ne saurait trop
insister sur l’importance considérable de ce référendum pour le Soudan, ainsi
que pour les pays avoisinants.
Le référendum est imminent, mais les problèmes
demeurent nombreux : retards dans la mise en œuvre des dispositions de l’APG
portant sur le référendum, désaccords qui perdurent entre le Nord et le Sud,
possibilité de contestation des résultats du référendum par certains groupes à
l’intérieur du pays, et, dernier problème, et non le moindre, risque d’une
nouvelle flambée de violence qui mènerait à des déplacements de population
massifs.
Cette étude est motivée principalement par le
souhait du Comité permanent des affaires étrangères et du développement
international (ci-après le Comité) que le référendum sur l’avenir du Sud-Soudan
soit tenu à la date prévue, d’une façon juste et libre. Il est absolument
crucial que la population soudanaise ait confiance dans la fiabilité des
résultats du référendum faute de quoi une reprise de la violence serait à
craindre.
Par ailleurs, le Comité est convaincu que le
Canada peut faire œuvre utile dans cette région d’Afrique. Bien sûr, de
nombreux pays sont aux prises avec les problèmes que causent la pauvreté, l’insécurité
et la mauvaise gestion des affaires publiques, et tous ont besoin de l’aide de
la communauté internationale. Cependant, le Comité estime que le Canada est
particulièrement bien placé pour jouer un rôle utile à long terme dans la
région compte tenu des efforts qu’il déploie déjà pour promouvoir la paix et la
stabilité au Soudan et du type de savoir-faire qu’il peut offrir. Tout
important qu’il soit, le référendum de janvier n’est pas une fin en soi. Il est
donc essentiel que le Canada se donne une stratégie à long terme pour soutenir
le développement du Soudan, quelle qu’en soit l’issue.
Le Comité a tenu des audiences en octobre et en
novembre 2010 durant lesquelles il a entendu des spécialistes, des
représentants d’organisations de la société civile, ainsi que des porte-parole
du gouvernement du Canada et du gouvernement du Sud-Soudan. Il a pu se faire
une idée de l’évolution de la situation sur le terrain grâce à l’information qu’il
a reçue du Carter Center, qui observe actuellement l’inscription et la
préparation des électeurs au Soudan, et au témoignage de fonctionnaires
fédéraux qu’il a rencontrés avant et après leur visite au nord du Soudan et au
Sud-Soudan.
À l’exception d’une brève période de paix entre
1972 et 1983, l’histoire du Soudan est émaillée d’interminables conflits depuis
la déclaration d’indépendance de 1956.
Ces conflits internes sont causés par la marginalisation économique de
certaines régions et la sous-représentation politique de certains groupes. Les
régions périphériques du Soudan réagissent à ce qu’elles perçoivent comme une
tentative du Nord, à savoir le gouvernement central de Khartoum, d’unifier le
pays sous la bannière de l’arabisme et de l’Islam.
La conclusion de l’Accord de paix global (APG) en
2005 entre le gouvernement central et les rebelles du Sud a marqué un tournant.
L’APG porte que le Sud décidera par voie de scrutin en janvier 2011 s’il reste
intégré à un Soudan unifié ou s’il devient un État indépendant. Pour de
nombreux observateurs, le référendum prochain constituera un moment décisif
dans l’histoire du Soudan. L’inquiétude monte cependant depuis quelques mois
devant les retards observés au niveau des mesures institutionnelles et
logistiques nécessaires au déroulement du référendum à la date prévue et de
manière crédible. Qui plus est, d’autres questions clés soulevées par l’APG, notamment
le sort de la région d’Abyei et la démarcation de la frontière, ainsi que
certaines questions qui concernent l’après-APG, comme la question de droits à la
citoyenneté, doivent encore être résolues par les parties concernées.
Ainsi, comme on l’a déjà dit, on ne saurait
exagérer l’importance du référendum prochain et de ses répercussions
éventuelles sur l’avenir du Soudan. Il faut cependant se rappeler que ce
référendum s’inscrit dans un contexte particulier. Le Soudan est le plus grand
pays d’Afrique et il borde neuf autres pays. Son avenir revêt donc une
importance cruciale pour la stabilité du nord et de l’est de l’Afrique. Il
suffit pour s’en convaincre d’observer les conséquences de la longue guerre
civile qui a déchiré le pays, laquelle a été dévastatrice non seulement pour la
population soudanaise, mais aussi pour toute la région environnante. La
sous-ministre adjointe chargée de l’Europe, de l’Eurasie et de l’Afrique au
ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI), Jillian
Stirk, a insisté sur ce point, quand elle a dit au Comité : « Les
crises au Soudan sont une source chronique d’instabilité qui a des implications
régionales, alimentant le commerce des armes légères, la contrebande et les
conflits transfrontaliers. Une telle instabilité perpétue des violations des
droits de la personne et de la souffrance humaine dans cette région du monde. »
Si le rythme et l’intensité de l’activité
diplomatique internationale au Soudan se sont accrus devant l’arrivée à échéance
prochaine de l’APG en juillet 2011, cela reste insuffisant au vu de l’énormité
des difficultés à venir. On observe déjà au Soudan de vastes mouvements de
population qui pourraient s’intensifier après le référendum. Les besoins essentiels
étaient déjà extrêmes au Sud-Soudan avant même que soit amorcé le processus
référendaire, car le développement de l’infrastructure, des services, de l’éducation,
des services de santé et de la gouvernance a pâti des dizaines d’années de
conflits armés. Enfin, en ce qui concerne les pays avoisinants, la situation
soulève des questions très délicates sur le plan politique et sur le plan
diplomatique. Par exemple, certains pays d’Afrique, et l’Union africaine
elle-même, semblent préoccupés par le précédent qu’établirait une sécession du
Sud-Soudan. Les intérêts bilatéraux d’autres pays sont en jeu. L’Égypte, par
exemple, qui borde le Soudan au nord, appréhende les conséquences du référendum
sur le partage des eaux du Nil.
Le Comité insiste sur le fait que le Soudan ne
doit pas affronter ces difficultés seul. Compte tenu des répercussions
éventuelles du référendum sur la région immédiate du Soudan et sur l’ensemble
de l’Afrique, la communauté internationale se doit de venir en aide à la
population soudanaise. Le secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-Moon l’a
d’ailleurs admis implicitement quand il a déclaré devant le Conseil de sécurité
que « [l]es prochains mois seront probablement difficiles pour la
population du Soudan et la communauté internationale présente dans le pays »,
ajoutant que le référendum « peut changer l’avenir du pays et avoir des
répercussions considérables dans l’ensemble de la région ».
La guerre civile qui a opposé l’Armée populaire de
libération du Soudan (APLS), un groupe rebelle, et le gouvernement du Soudan, a
connu deux phases importantes, l’une durant la période 1956-1972 et l’autre
durant la période 1983-2005. La reprise du conflit en 1983 était imputable à la
division du Sud en trois provinces administratives et à l’imposition de la loi
islamique (charia) et de l’état d’urgence. Il faut dire aussi que le Sud
craignait d’être spolié dans la mise en valeur de ses ressources pétrolières
(découvertes près de Bentiu en 1978) et la construction du canal de Jonglei
(censé capter les eaux du Nil blanc pour leur faire contourner le marais du
Sudd. Suivant des estimations, la guerre aurait fait deux millions
de morts et déplacé quatre millions de personnes. L’une des plus longues
guerres civiles de l’histoire, elle est à l’origine d’une catastrophe sur le
plan humanitaire parmi les plus complexes et les plus dévastatrices que le
monde ait connues. Le conflit a pris fin avec la signature de l’APG en janvier
2005, dont la mise en œuvre et le contrôle sont assurés par une importante
force de maintien de la paix des Nations Unies : la mission des Nations
Unies au Soudan (MINUS), laquelle compte presque 9 500 soldats,
486 observateurs militaires et 655 agents de police.
Un autre conflit, d’origine plus récente, sévit
par ailleurs dans la province du Darfour, située à l’ouest du Soudan, alimenté
celui-là par l’exacerbation de vieux griefs politiques et économiques, par des
conflits territoriaux et par la désertification croissante du territoire. Lorsque des groupes de rebelles dirigés par le Mouvement pour la
justice et l’égalité (MJE) et Mouvement de libération du Soudan (MLS) se sont
attaqués au gouvernement en 2003, celui-ci a soutenu directement et
indirectement une campagne anti-insurrectionnelle faisant appel aux milices
Janjawid et à d’autres groupes de rebelles armés pour mâter la rébellion. Les
affrontements qui en sont résulté ont entraîné une vague de violence
systématique et de mauvais traitements envers les populations civiles de la
région du Darfour. Depuis le début des combats, entre 200 000 et
300 000 personnes sont décédées des suites du conflit (violence, maladie,
famine) et 2,7 millions de personnes ont été déplacées. Les Nations Unies ont
déployé une force de maintien de la paix au Darfour, l’Opération hybride Union
Africaine/Nations Unies au Darfour (MINUAD), composée d’environ 17 000 soldats,
264 observateurs militaires et 4 747 agents de police.
Fait important à signaler, en mars 2009, la Cour
pénale internationale (CPI) lançait un mandat d’arrestation contre le président
du Soudan Omar El-Béchir pour crime de guerre et crime contre l’humanité; un
second mandat d’arrestation, cette fois pour génocide au Darfour, était lancé
en juillet 2010. Toutes les tentatives de médiation, et elles ont été
nombreuses, ont jusqu’ici échoué et on n’a toujours pas obtenu de règlement
politique global du conflit.
L’APG a été signé le 9 janvier 2005 à Nairobi
par le gouvernement de la République du Soudan et le Mouvement populaire de
libération du Soudan/l’Armée populaire de libération du Soudan (MPLS/APLS). Il est l’aboutissement de six ententes conclues par les parties
entre 2002 et 2004. L’APG, qui prévoyait une période préalable à la transition de six
mois, suivie d’une période de transition de six ans, doit expirer en
juillet 2011.
L’APG est un long document qui compte de
nombreuses dispositions, lesquelles touchent tous les aspects de la vie au
Soudan (gouvernement, administration et vie quotidienne) et prévoient notamment
la création de commissions et tribunaux divers, l’adoption de mesures de
sécurité, l’établissement de processus de démarcation de la frontière, les
étapes menant à la réalisation d’un recensement de la population, le partage
des revenus (dont ceux tirés du pétrole), le partage des pouvoirs et l’établissement
de constitutions provisoires. Les principaux éléments politiques de l’APG sont
l’établissement d’un gouvernement d’unité nationale à Khartoum et la création
de la région semi-autonome du Sud-Soudan, laquelle serait gouvernée pendant la
période de transition par un nouveau gouvernement du Sud-Soudan, à l’intérieur
d’une structure fédérale du pays. À l’échelle nationale et dans le Sud, l’APG
prévoit par ailleurs un système de gouvernement décentralisé associé à une
importante dévolution de pouvoirs. Dans l’ensemble, comme Jillian Stirk du MAECI l’a expliqué au Comité,
l’APG contient des dispositions ambitieuses qui visaient à « à transformer
le Soudan et à rendre l’unité attrayante »
avant l’expiration de l’accord, le 9 juillet 2011.
Donc, conformément aux dispositions de l’APG, le
Soudan a maintenant un gouvernement d’unité nationale reposant sur un
partenariat entre le Parti du Congrès national — le parti majoritaire au sein
du gouvernement d’unité nationale, dirigé par le président Béchir, qui
gouvernait le pays depuis un coup d’État militaire en 1989 — et le parti
minoritaire, le Mouvement populaire de libération du Soudan — le principal
parti sudiste. Des élections présidentielles et des élections législatives au
niveau national et dans la région semi-autonome du Sud-Soudan devaient avoir
lieu en 2009, mais elles ont été reportées à la période du 11 au 15 avril 2010.
Le président national sortant — Omar El-Béchir — a alors été réélu avec
68 % des suffrages. Un bon nombre des autres candidats se sont désistés
dans un mouvement de boycottage des élections peu avant le scrutin. Dans le Sud‑Soudan,
le titulaire des fonctions de président durant la période de transition, Salva Kiir,
a facilement conservé la présidence du gouvernement du Sud-Soudan avec
93 % des suffrages.
Deux référendums sont censés avoir lieu avant l’échéance
du 9 janvier. Le premier doit porter sur l’avenir du Sud-Soudan et le second doit
déterminer si la région d’Abyei, une région qui chevauche le Nord et le Sud,
conservera son statut administratif spécial dans le Nord, tel qu’il est défini
dans l’APG, ou si elle sera intégrée au Sud, indépendamment des résultats du
référendum mené dans le Sud sur sa propre sécession. L’APG prévoit par ailleurs deux consultations populaires pour les
États du Sud-Kordofan et du Nil bleu — deux autres régions contestées situées
dans le nord du Soudan. Faisant le bilan de tous les processus enclenchés par l’APG, Elsadig Abunafeesa,
ancien représentant des Nations Unies, a dit au Comité : « Aujourd’hui,
le Soudan est dans une position où il pourrait être le plus grand pays d’Afrique. »
Le Soudan figure ces dernières années parmi les
priorités de la politique étrangère du Canada. Les efforts déployés par le
Canada visent à soutenir la mise en œuvre intégrale de l’APG et à résoudre la
crise du Darfour. Le Canada a alloué plus de 800 millions de dollars au
Soudan depuis janvier 2006. Jillian Stirk du MAECI a signalé que le Canada a
adopté une approche pangouvernementale à l’égard du Soudan, la situation dans
ce pays présentant de nombreuses facettes, et qu’il dirige son aide vers toutes
les régions du pays.
Comme les fonctionnaires du MAECI l’ont expliqué
au Comité, les activités du Canada au Soudan sont organisées suivant trois
grands axes prioritaires. Premièrement, le Canada travaille « avec les
Soudanais et les partenaires internationaux à limiter la violence et à
améliorer la sécurité », ce qui comprend l’affectation de soldats des Forces
canadiennes et de policiers civils à la mission de maintien de la paix de l’ONU,MINUS,
dans des postes « de formateurs et d’observateurs militaires », ainsi
que le soutien des mesures de désarmement, de démobilisation et de
réintégration. « Le Canada a fourni près de 430 gardiens de la paix
militaires et civils à la MINUS depuis sa mise sur pied. » Deuxièmement, le Canada cherche à réduire la vulnérabilité
des populations par la voie d’une aide au développement et d’une assistance
humanitaire, notamment auprès des réfugiés et des personnes déplacées. Enfin,
le troisième volet de la stratégie du Canada met l’accent sur le rétablissement
de la paix et la reconstruction à long terme au moyen d’activités visant
notamment à augmenter la production agricole, à améliorer « l’accès à des
services de base tels que l’éducation et les soins de santé pour les enfants et
la jeunesse » et à renforcer les capacités au niveau de la gouvernance
dans le Sud-Soudan ».
Dans l’immédiat, le Canada cherche surtout à aider
l’organisation du référendum. Mme Stirk a dit au Comité que le
Canada « a fondé et copréside le groupe de travail des donateurs à
Khartoum » et qu’il a « embauché un coordonnateur à temps plein afin
de faciliter le travail du groupe ». Il a aussi accordé sept millions de dollars au fonds
commun du Programme des Nations Unies pour le développement voué aux
référendums qui soutient les activités nécessaires à la tenue des référendums. Les représentants du MAECI ont ajouté que le Canada a « créé
un partenariat avec le Centre Carter à l’aide d’une contribution de
deux millions de dollars afin d’observer les référendums eux‑mêmes,
et nous prévoyons également déployer des observateurs au sein de la mission d’observation
de [l’Union européenne] ».
Des fonctionnaires du Ministère ont aussi informé
le Comité des dernières activités diplomatiques entourant la visite d’une
délégation au Soudan en novembre. Deux fonctionnaires, Donald Bobiash,
directeur général chargé de l’Afrique et Douglas Scott Proudfoot, directeur du
Groupe de travail sur le Soudan, ont parlé des entretiens qu’ils ont eus avec
divers interlocuteurs gouvernementaux, non gouvernementaux et internationaux
dans le nord et le sud du Soudan, ainsi qu’avec des membres des diverses
missions du Canada dans la région. M. Proudfoot s’est en outre rendu au Caire
où il a rencontré des fonctionnaires égyptiens ainsi que le secrétariat de la
Ligue arabe, laquelle exerce une forte influence en Afrique du Nord et au
Soudan.
La plupart des témoins ont discuté du besoin
impératif de tenir un référendum légitime sur l’avenir du Sud du Soudan à la
date prévue. Par exemple, Jillian Stirk, du MAECI, a souligné qu’« étant
donné l’anticipation qui se fait de plus en plus sentir chez les Soudanais du
Sud à l’approche du 9 janvier 2011, beaucoup redoutent que tout retard dans la
tenue du référendum mène à une violence généralisée et à l’effondrement de l’APG.». Le Canada a toujours insisté sur le respect intégral de l’APG
auprès des deux parties.
De nombreux observateurs considèrent le référendum
imminent comme un tournant historique pour le Soudan. Cependant, les retards et
les conflits entourant le processus référendaire soulèvent des inquiétudes. Mme Stirk
a dit au Comité : « Nous ne pouvons pas sous-estimer les défis d’organiser
ces référendums de manière transparente et crédible. Des divergences politiques
profondes et des soupçons semblent entraver les préparatifs des référendums ». Le secrétaire général de la Commission référendaire du
Sud-Soudan, Mohamed Osman al-Nujoomi, n’a été nommé qu’en septembre, et l’inscription
des électeurs n’a commencé qu’à la mi-novembre. De plus, les défis
géographiques et logistiques associés à l’inscription des électeurs sont
importants. Comme l’a expliqué Mark Simmons, de FAR Sudan :
Le Soudan s’étend sur une superficie équivalente
aux territoires du Québec et de l’Ontario réunis. Le Sud-Soudan, l’équivalent
de l’Ontario en fait de superficie, possède probablement une centaine de
kilomètres de routes pavées. Comment peut-on s’attendre à faire l’inscription
des électeurs là-bas, de même qu’au Canada, en Éthiopie, aux États‑Unis,
au Royaume-Uni et au Nord-Soudan, en six jours seulement […] même si la période
d’inscription a maintenant été prolongée à 17 jours […].
Dans ce contexte, le représentant du gouvernement
du Sud-Soudan, M. Joseph Malok, a déclaré au Comité que la communauté
internationale et le Canada devraient « dépêcher des représentants pour s’assurer
que le processus électoral se déroule sans heurts dans le Nord et dans le Sud
du Soudan ».
Le Carter Center, une ONG américaine chargée d’observer
sur le terrain le processus référendaire au Soudan, a offert au Comité un
compte rendu des progrès de l’inscription et de la sensibilisation des
électeurs, à une étape relativement précoce des deux processus. Depuis septembre,
le Centre a déployé 16 observateurs de longue durée qui seront présents au
Soudan jusqu’en février. Il a envoyé 30 observateurs à moyen terme
supplémentaires pour aider à l’inscription des électeurs, processus qui se
terminera vers le 19 décembre. Durant la période immédiate du vote, le Centre
prévoit « déployer 50 observateurs […] qui se joindront aux observateurs
de longue durée et [au] personnel de base ».
Sarah Johnson, directrice adjointe et chargée du
programme pour le Soudan du Carter Center, et Sanne van den Bergh, directrice
du bureau local pour le Carter Center, ont présenté au Comité un survol des
principales difficultés rencontrées jusqu’ici :
- Sous-financement de la commission et du bureau
référendaires;
- Centralisation extrême de la commission
référendaire;
- « [Q]uelques lacunes sur le plan des
communications entre le président de la commission et les conseillers
techniques internationaux. On a fait traîner les choses en ce qui a trait à l’approbation
d’un certain nombre de documents importants, y compris le manuel d’inscription
des électeurs et les règles s’appliquant aux observateurs»;
- Absence de règlement relatif à la campagne;
- Manque de véhicules pour la livraison des
documents aux centres de scrutin;
- « [C]aractère flou des critères d’admissibilité »
à l’inscription;
- Électeurs « très peu informés » dans
le Sud et le Nord;
- Aucun comité d’examen en place dans le Nord ou
le Sud (pour traiter les appels);
- « Dans le Sud, l’option de l’unité occupe
très peu de place dans l’espace public»;
- Les Sud-Soudanais vivant dans le Nord ont
parfois « peur de s’inscrire » en raison de l’incertitude qui règne à
propos de leur citoyenneté et bon nombre d’électeurs vivant dans le Nord
« ne savent même pas clairement s’ils ont le droit de s’inscrire ».
Mmes Johnson et van den Bergh ont
reconnu que les préparatifs avaient progressé lentement au départ, mais que
« les choses se sont considérablement améliorées au cours des quelques
dernières semaines ». De plus, le personnel électoral « a été formé
en temps opportun. Il semble que les documents ont été livrés dans les comtés
et dans les centres de scrutin […] » M. Bobiash, du MAECI, a qualifié les
progrès d’« efforts héroïques ».
À propos de l’inscription des électeurs, le personnel
du Carter Center a dit au Comité qu’en date du 18 novembre 2010, « les
taux de participation étaient très bas dans chaque État du Nord » du
Soudan, mais « beaucoup plus élevés »
dans le Sud. La période d’inscription des électeurs devait initialement se
dérouler du 15 novembre au 1 décembre, mais la Commission
référendaire a annoncé, le 26 novembre, qu’elle prolongerait la période d’inscription
d’une semaine parce que la participation dans certains centres du Sud avait été
forte et avait entraîné une pénurie de documents d’inscription; il fallait donc
attendre d’en recevoir d’autres. Un membre de la Commission référendaire, Chan Reek
Madut, a déclaré aux médias : « Cela n’aura pas d’effet sur l’échéance
du 9 janvier […] Nous allons diminuer le nombre de jours pour les rapports
et les plaintes avant cette date. Ils seront condensés. »
La formule actuelle du référendum occasionne un
certain nombre de problèmes. Mme Johnson a expliqué que pour que le
référendum soit « considéré comme valide », 60 % des électeurs
inscrits doivent exercer leur droit de vote et que la « victoire de l’une
ou l’autre des options exige l’obtention de 50 p. 100 plus un des votes ». Ce seuil complique l’inscription des électeurs en raison du
nombre de Sud-Soudanais qui habitent dans le Nord et du manque d’information
sur le processus d’inscription et l’admissibilité. James Davis, de l’ONG
canadienne confessionnelle KAIROS, a expliqué ainsi le point de convergence
entre le seuil d’inscription et le nombre de Sud-Soudanais habitant dans le
Nord :
Le problème, c’est que s’ils simplifient la
procédure pour qu’un grand nombre de gens s’inscrivent mais qu’ensuite ils leur
rendent les choses difficiles pour exercer leur droit de vote, on ne pourra pas
obtenir à la fois un taux de participation de 60 % et une majorité de 50 %
des voix plus une.
M. Simmons, de FAR Sudan, a lui aussi mentionné l’inscription
des électeurs dans le Nord, déclarant au Comité que « [d]ans le Nord […] on
incite les gens à demander leur citoyenneté dans le Sud, pour y avoir le droit
de vote, ce qui augmentera le nombre de voteurs inscrits et réduira, en
conséquence, le pourcentage de ceux qui pourraient être plus susceptibles de
voter pour l’indépendance ».
Comme on l’a déjà mentionné, l’APG dispose qu’il
doit y avoir un référendum sur l’avenir de la région d’Abyei, délimitée, au
nord, par le Kordofan du Sud, et au sud, par les États de Unity et de Bahr El
Ghazal Nord. Abyei jouit actuellement d’un statut administratif spécial sous le
régime présidentiel national. Conformément à l’APG, le référendum d’Abyei doit
avoir lieu en même temps que celui sur l’avenir du Sud‑Soudan; le
processus accuse néanmoins des retards considérables. Jillian Stirk, du MAECI,
a fourni l’explication suivante : « Tous les préparatifs pour le
référendum d’Abyei sont actuellement suspendus parce que les deux parties à l’APG
ne peuvent s’entendre sur la formation de la Commission pour le référendum d’Abyei. »
Certains observateurs craignent que les désaccords
au sujet d’Abyei ne ramènent la violence au Soudan. John Lewis, de KAIROS, a
fait état du caractère délicat de la situation, pour les deux parties,
déclarant au Comité que le gouvernement du Sud-Soudan avait « fait le
parallèle entre Abyei et le Cachemire ». Il a ajouté : « Votre
comparaison avec l’Inde et le Pakistan est sans doute pertinente, mais elle est
aussi inquiétante. » Mme Stirk a livré un message semblable,
indiquant que « [l]a question du rattachement d’Abyei au Nord ou au Sud
est une question sensible au Soudan […] ».
Ainsi, le discours animé sur le sort d’Abyei véhicule
les positions bien arrêtées des parties, mais aussi le fait qu’Abyei est
reconnue comme une pièce maîtresse des négociations dans le contexte plus vaste
des questions encore en suspens qui concernent l’APG et ses suites. Le 14 octobre
2010, des représentants du Nord ont fait une déclaration aux médias selon
laquelle « il ne fait plus de doute qu’on ne pourra tenir le référendum d’Abyei
le 9 janvier 2011. Tous reconnaissent que cela n’est plus pratique. »
Un membre du SPLM, Deng Arop Kuol, a toutefois répondu : « Retarder
le vote n’est pas acceptable. Le peuple d’Abyei s’attend toujours à ce que le
référendum ait lieu le 9 janvier. Si le gouvernement ne leur offre pas cette
possibilité, nous pourrions nous en charger nous-mêmes. »
Les observateurs doutent fort que le référendum d’Abyei
aura lieu à la date prévue, et les spéculations sur le fait que le territoire
pourrait faire partie d’une solution négociée entre le Nord et le Sud vont bon
train. À son retour du Soudan, un autre responsable du MAECI, M. Bobiash, a dit
au Comité : « Étant donné que la tension monte à Abyei, car il
devient de moins en moins probable que le référendum puisse commencer le
9 janvier, on craint que des flambées de violence puissent éclater dans
cette région et provoquer un conflit plus étendu. » Il a résumé ainsi les
intérêts véritables des parties aux négociations :
Pour le Nord, Abyei est utilisée comme un atout
pour obtenir davantage de concessions dans le cadre des négociations sur l’après-référendum,
tandis que pour le Sud, Abyei est la patrie de membres clés du SPLM et est
perçue comme le cœur de la lutte pour la libération du Sud.
Les efforts de médiation se sont intensifiés au
cours des derniers mois. Sous l’égide des États-Unis, les deux parties ont
entamé un dialogue en marge de la réunion de haut niveau des Nations Unies sur
le Soudan, à la fin de septembre 2010. En octobre, les parties et les
dirigeants locaux se sont engagés dans des pourparlers plus officiels, à Addis-Abeba,
en Éthiopie, mais malgré les différentes propositions, ils n’ont conclu aucun
accord. Ces discussions font désormais partie d’un processus de négociation
plus vaste dirigé par le Groupe de haut niveau de l’Union africaine sur le
Soudan.
Des témoins ont dit au Comité que la plupart des
questions en litige, à Abyei, portent sur la citoyenneté et les droits de
pâturage. M. Proudfoot, du MAECI, a expliqué que la majorité des
populations établies à Abyei sont issues du groupe ethnique des Dinka et
« s’identifient au Sud », mais le principal point d’achoppement porte
sur le statut d’un important groupe nomade du Nord, les Misseriya, qui font
paître leur bétail à Abyei plusieurs mois par année. M. Proudfoot a
déclaré : « Les Misseriya, qui ont toujours migré dans la région d’Abyei,
s’identifient au Nord et sont arabophones. Mais combien d’entre eux peuvent
être considérés comme des résidents d’Abyei pour le scrutin? Ils ne sont
toujours pas arrivés à une conclusion à ce sujet [...] » L’APG nomme
spécifiquement les Ngok Dinka comme des « résidants » d’Abyei, mais
il dispose également que les critères de résidence doivent être examinés par la
Commission référendaire d’Abyei, laquelle n’a pas encore été établie. Mme
Stirk, du MAECI, a déclaré que « l’impasse est due principalement » aux désaccords
sur la situation de résidence et la qualité d’électeur des Misseriya.
S’ajoutent à toutes ces questions la délimitation
exacte des frontières d’Abyei. L’APG prévoit la création d’une Commission des
frontières d’Abyei pour délimiter le territoire. La Commission a fait connaître
sa décision en juillet 2005, mais elle a été rejetée par le Parti du Congrès
national (NCP). Après trois années d’impasse marquées d’épisodes de violence,
les parties ont soumis le différend à l’arbitrage. La Cour permanente d’arbitrage
d’Abyei a rendu sa décision finale en 2009. Mme van den Bergh,
du Carter Center, a déclaré au Comité : « À l’heure actuelle, la
décision rendue par la Cour permanente d’arbitrage, la CPA, est toujours admise
par les deux parties. Personne n’y a encore dérogé officiellement. Cependant,
plusieurs autres propositions ont été formulées […] Aucune de ces propositions
n’a été acceptée ou catégoriquement rejetée par l’une ou l’autre des parties. » Le SPLM et le
NCP ont déclaré qu’ils acceptaient la décision, mais les Misseriya l’ont
rejetée, estimant qu’une trop grande partie de leurs pâturages se
retrouveraient ainsi à Abyei.
Poursuivant son témoignage, Mme van den Bergh a
déclaré que pour le moment « la décision de la CPA tient toujours, et la
loi sur le référendum adoptée à Abyei prévoit toujours qu’une commission soit
établie et que le référendum se tienne en même temps que celui du Sud-Soudan ». Pour éviter
qu’Abyei ne devienne « un point chaud dans les années à venir », M.
Malok, un représentant du gouvernement du Sud-Soudan, a insisté sur le fait que
« [l]a communauté internationale, et le Canada en particulier, doivent
exercer des pressions politiques à la fois sur le NCP et sur le Mouvement
populaire de libération du Soudan, le SPLM, pour que le référendum dans la
région d’Abyei ait lieu en même temps que le référendum dans le Sud‑Soudan ».
Pour la communauté internationale, la priorité
immédiate en ce qui concerne le Soudan est d’empêcher le retour de la violence
et de veiller à ce que l’échéancier référendaire, tel que convenu dans l’APG,
soit respecté. Dans son témoignage, Jillian Stirk, du MAECI, a
déclaré : « Que la population du Sud-Soudan choisisse l’unité ou la
séparation, le principal désir du Canada est de maintenir la paix et la
stabilité au Soudan et dans la région. »
Reconnaissant la fragilité de la situation, le
Secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon a tenu une réunion de haut
niveau sur le Soudan au siège des Nations Unies le 24 septembre 2010. Il a
décrit les attentes de la communauté internationale à l’égard des processus
référendaires dans le Sud-Soudan et à Abyei et a déclaré :
Nous espérons que les référendums seront
pacifiques et menés dans un environnement exempt d’intimidations et d’autres
violations des droits. Nous espérons que les deux parties accepteront les
résultats et feront la planification qui s’impose. Enfin, nous espérons que les
parties respecteront l’Accord de paix global, sans poser de geste unilatéral ni
dans le Nord ni dans le Sud.
Il a poursuivi en disant que « peu importe l’issue
du processus, le Nord et le Sud doivent coexister de manière pacifique ».
Le Comité souhaite donner suite à cette volonté et
demande instamment aux deux parties à l’APG de veiller à ce que le référendum
sur l’avenir du Sud Soudan se déroule à la date prévue et d’une façon libre,
juste et crédible pour tous les Soudanais. Le Comité demande également aux deux
parties à l’APG de respecter pleinement l’issue du référendum et de comprendre
que peu importe le résultat, une période de négociations entre le Nord et le
Sud suivra inévitablement le scrutin et permettra de régler, de manière
pacifique, toutes les questions résiduelles en suspens. Enfin, le Comité est
convaincu qu’une solution négociée sur la situation de la région d’Abyei catalysera
de façon déterminante les efforts de préservation de la paix.
Quel que soit le résultat du référendum de
janvier, il aura des répercussions politiques, économiques, humanitaires et en
matière de sécurité pour le Soudan et les environs, et la communauté
internationale, dont le Canada, doit s’y préparer. Nombre de ces répercussions
seront abordées ultérieurement, mais en ce qui a trait aux conséquences
politiques éventuelles, M. Abunafeesa, membre retraité de la MINUS, a fait état
de répercussions symboliques d’un référendum en Afrique liées directement à l’unité
plutôt qu’à l’indépendance. Affirmant que le Sud a le « droit d’autodétermination »,
il a prévenu le Comité que le référendum pourrait avoir « des implications
ou des ramifications possibles pour l’Afrique, tout particulièrement pour les
pays voisins, comme le Congo, l’Ouganda, le Kenya et même l’Éthiopie — qui
compte aussi des minorités — ainsi que le Tchad [...] »
Après avoir pris en compte les questions qui
précèdent, le Comité recommande :
1. Que le gouvernement du Canada prenne toutes les mesures possibles pour
aider les autorités pertinentes à tenir le référendum sur l’avenir du Sud-Soudan,
prévu pour le 9 janvier 2011, à la date convenue et d’une façon libre, juste et
crédible. Dans cette optique, le gouvernement doit intensifier son engagement
diplomatique auprès du gouvernement de l’unité nationale de Khartoum et du
gouvernement du Sud-Soudan, et continuer d’appuyer le Carter Center et la
mission de surveillance de l’Union européenne pour que ces deux organismes
puissent contribuer à l’éducation des électeurs et surveiller le référendum au
Soudan.
2. Que le gouvernement du Canada travaille de concert avec ses
partenaires internationaux pour encourager le gouvernement de l’unité nationale
et le gouvernement du Sud-Soudan à respecter le résultat du référendum du 9 janvier 2011.
3. Que le Canada envoie une délégation de haut niveau formée de
ministres et de parlementaires dans le Nord et le Sud du Soudan immédiatement
après le référendum pour manifester son intérêt soutenu envers un avenir
pacifique pour le peuple soudanais, y compris au Darfour. De concert avec la
société civile, la délégation devra évaluer les besoins sur place et définir
avec les gouvernements comment le Canada pourrait le plus efficacement
contribuer à l’atteinte de résultats optimaux.
4. Que le gouvernement du Canada assure une surveillance étroite et offre
son soutien en vue d’une conclusion juste et opportune des négociations entre
les parties à l’APG en ce qui a trait à la région d’Abyei.
Sans présumer que la violence éclatera, le Comité
croit fortement que le Canada et ses partenaires internationaux doivent prendre
des mesures immédiates pour prévenir les conflits, tout en mettant en place une
solide stratégie d’urgence en cas de conflit armé. Comme on l’a mentionné à
maintes reprises, les répercussions du référendum pourraient prendre d’énormes
proportions.
Le Comité tient aussi compte des témoignages qui
lui ont été livrés à propos du fait qu’il est toujours possible de faire fond
sur la voie de consolidation de la paix envisagée par l’APG. Au moment de leur
seconde comparution devant le Comité après une visite au Soudan au début de
novembre, des responsables du gouvernement du Canada se sont dits plus
optimistes quant à l’avenir immédiat du pays par rapport à octobre. M. Bobiash,
du MAECI, a déclaré qu’il se fondait sur « la très nette impression qu’aucune
des parties en présence ne veut le retour à la guerre ». Malgré les
signes et les discours alarmants des derniers mois, « les deux parties ont
réalisé des gains considérables au cours des cinq dernières années de paix et
ne peuvent que bénéficier du maintien de la stabilité au Nord et au Sud ». En même temps, les
responsables continuent d’insister sur le fait que la situation est complexe et
imprévisible, et qu’elle peut se détériorer rapidement. En fait, après le
récent rapport d’un bombardement qui se serait produit dans la province de Bahr
al-Ghazal occidental (Sud-Soudan), l’ONU a dépêché une équipe pour faire
enquête. Au moment de terminer le présent rapport, le Comité prend note du fait
que le 14 décembre 2010, un porte-parole des Nations Unies, Kouider
Zerrouk, a déclaré aux médias « qu’après
vérification, il a été établi [par
les membres de la commission conjointe de cessez-le-feu] que des attaques aériennes ont eu lieu ». Le Comité trouve
cet incident et tout autre semblable très préoccupants et c’est dans cet esprit
qu’il recommande :
5. Que le gouvernement du Canada continue à suivre de près les
événements entourant le référendum et porte une attention particulière aux
actes d’intimidation ou de violence commis au Sud-Soudan.
La planification d’urgence est nécessaire devant
la possibilité du déplacement à grande échelle de populations au moment du
référendum et par la suite. Ces déplacements pourraient être occasionnés par l’incertitude
que pourraient éprouver les Nord-Soudanais qui vivent dans le Sud et les
Sud-Soudanais qui vivent dans le Nord, de même que la volonté de vivre dans un
État plutôt que dans l’autre, si le Sud s’exprimait en faveur de l’indépendance.
M. Proudfoot, du MAECI, a dit au Comité : « Même si la question de la
citoyenneté est résolue de manière satisfaisante, il pourrait y avoir de vastes
mouvements de population après le référendum, soit du sud au nord, soit du nord
vers le sud. »
Les mouvements sont déjà entamés. Mark Simmons, de
FAR Sudan, une ONG œuvrant sur
le terrain dans le Sud-Soudan, a déclaré au Comité à son retour au pays :
« Nous observons […] une augmentation spectaculaire de gens qui prennent
la direction du Sud. »
M. Proudfoot a souligné que le Canada a déjà des programmes en place au
Soudan qui visent les déplacements de populations. Il a déclaré que l’ACDI s’était
rendu compte qu’il était plus efficace de concentrer les efforts sur les
services aux personnes déplacées « pour assurer le retour [de ces]
personnes dans leurs collectivités [plutôt] que de cibler précisément les
personnes déplacées
». Ce raisonnement s’appuie sur le fait que si les collectivités ne sont pas
bien outillées pour répondre aux arrivées massives, les personnes déplacées ne
se réinstalleront pas nécessairement et pourraient se diriger ailleurs.
Compte tenu de l’ampleur et de la complexité des
enjeux liés aux déplacements de populations au Soudan, il ne fait pas de doute
que le Canada et la communauté internationale devront fournir un soutien
immédiat et à long terme pour répondre aux besoins humanitaires qui s’ensuivront.
Les défis à long terme, qui émanent de questions de citoyenneté non résolues,
sont abordés dans la prochaine partie de ce rapport.
Le Comité est fermement convaincu que le Canada
aura un rôle prolongé à jouer pendant la période post-référendaire au Soudan,
particulièrement en matière d’aide au développement, d’aide humanitaire et de
renforcement des capacités. C’est le message que tous les témoins ont transmis
au Comité, notamment M. Davis de Kairos, qui a déclaré ce qui suit :
Les garants de l’Accord, les Nations Unies et la
communauté internationale, doivent réitérer leur volonté politique et leur
engagement, non seulement jusqu’au référendum, mais aussi pendant les mois et
les années de transition qui suivront .
M. Abunafeesa, fonctionnaire des Nations
Unies à la retraite, a lui aussi soutenu que les « pays dignes de
confiance » ont un rôle à jouer « pour rétablir la paix » et
faire en sorte que le développement se poursuive. C’est aussi le
sentiment exprimé par le représentant du gouvernement du Sud-Soudan, M. Joseph
Malok. Selon lui, le Canada a beaucoup à offrir pour régler les problèmes
actuels entre le Nord et le Sud, « car il est respecté et sait faire
preuve de leadership » et « n’a pas d’ambitions personnelles dans le
Nord ou dans le Sud ». Pour reprendre ses termes, « [s]on seul objectif [celui
du Canada] est le maintien de la paix dans l’ensemble
du Soudan ».
Le Comité se réjouit de voir que les représentants
du gouvernement reconnaissent la nécessité d’un engagement canadien à long
terme au Soudan au-delà de la date du référendum. Voici comment M. Douglas
Scott Proudfoot du MAECI a décrit la position du Canada :
Si ce référendum est important dans l’histoire du
Soudan, par contre, la suite des choses le sera encore beaucoup plus. C’est
pour cette raison que le Canada oriente son action de façon non seulement à
appuyer le référendum, mais aussi à favoriser un Soudan stable, propice au
développement, quelle que soit l’issue du référendum.
Comme des témoins l’ont mentionné au Comité, le
principal enjeu consistera à favoriser le développement de relations
constructives entre le Nord et le Sud dans les années et les décennies à venir,
étant entendu que les deux camps devront continuer à composer l’un avec l’autre,
ne serait-ce qu’en raison de leur proximité et des terres, de l’eau et du
peuple qu’ils partagent.
La réalisation de cet objectif fondamental exigera
un soutien international concret à l’égard du développement dans le pays, en
particulier en ce qui concerne l’amélioration de la gouvernance. En fait, même
si la communauté internationale s’est surtout employée à surveiller le
déroulement de l’inscription des électeurs et du référendum lui-même, de même
que les enjeux immédiats liés aux déplacements, il ne faut pas oublier que les
défis humanitaires actuels au Soudan sont énormes. Jillian Stirk du MAECI a dit
au Comité qu’encore aujourd’hui « [o]n estime à 5,2 millions le nombre
de personnes déplacées à l’intérieur du Soudan, dont 2,7 millions d’individus
au Darfour et quelque 430 000 réfugiés soudanais dans les pays voisins,
dont plus de la moitié au Tchad ».
Zaynab Elsawi de l’organisme Sudanese Women Empowerment for Peace a tenu des
propos semblables lorsqu’elle a affirmé au Comité que « [t]out le Soudan a
besoin d’appui », pas seulement les régions touchées par la guerre. C’est précisément
pour toutes ces raisons que Mme Stirk a rappelé au Comité que « [f]ace à un pays possédant autant de potentiel et qui a connu tant de
souffrance, nous devons demeurer déterminés à l’aider à trouver les solutions à
long terme complexes qui leur procureront un brillant avenir ».
Les parties suivantes traitent des principaux
enjeux qu’il faudra prendre en compte dans le cadre d’une stratégie d’engagement
à long terme envers le Soudan.
Même si le référendum sur l’avenir du Sud-Soudan
est l’objet principal de l’APG et aussi la question qui a le plus retenu l’attention
de la communauté internationale, plusieurs autres enjeux liés aux négociations
post-référendaires demeurent en suspens, les plus importants étant la
démarcation de la frontière, le partage de la dette nationale, la répartition
des revenus tirés de l’exploitation du pétrole et les droits à la citoyenneté. Ce
sont toutes là des questions qui doivent encore faire l’objet de négociations
entre le Nord et le Sud. Jillian Stirk a dit au Comité que ni l’APG ni la
constitution nationale intérimaire n’établissent de cadre précis quant aux
mesures à prendre pour régler ces questions après la tenue du référendum.
Chacun de ces enjeux est délicat et pourrait compromettre la paix. Des
négociations en présence de médiateurs doivent donc se poursuivre dans les
prochains mois.
En ce qui concerne précisément la question de la
démarcation de la frontière, qui est censée être réglée dans les six mois
suivant la signature de l’APG, M. Proudfoot a mentionné au Comité que le
désaccord qui subsiste porte sur 20 % de l’ensemble du territoire, en l’occurrence
là « où il y a des populations frontalières [vivant] des deux côtés ». Les pierres d’achoppement
en ce qui concerne la démarcation de la frontière découlent des considérations
stratégiques et pratiques de l’un et l’autre camp, notamment à l’égard des
droits fonciers et des droits de pacage, des sources d’eau et des ressources
naturelles.
Même si les réserves pétrolières du pays se
concentrent principalement au Sud‑Soudan, l’infrastructure nécessaire à l’exportation
du pétrole vers les marchés se trouve dans le Nord et est contrôlée de là-bas.
L’APG établit un régime provisoire de répartition des revenus tirés de l’exploitation
du pétrole en vertu duquel les revenus du pétrole extrait dans le Sud seront
répartis également entre les gouvernements du Nord et du Sud (2 % étant
réservés à la région d’où provient le pétrole). Étant donné l’importance
cruciale des revenus pétroliers pour l’économie soudanaise, il faudra élaborer
un mécanisme de répartition des revenus qui s’appliquera après le référendum.
Certains observateurs ont bon espoir que des progrès sont possibles dans ce
dossier étant donné les intérêts économiques mutuels qui sont en jeu ici.
La plupart des questions encore en suspens qui
concernent l’APG et ses suites n’ont pas été abordées en détail lors des
audiences du Comité, si ce n’est pour souligner que le référendum est loin d’être
l’aboutissement du processus de paix entre le Nord et le Sud. La quête de
solutions négociées doit donc continuer à retenir l’attention si nous voulons
que la paix dure. La citoyenneté est l’une des questions litigieuses que tous
les témoins ont soulevée. Comme l’a expliqué M. Proudfoot au Comité, la
citoyenneté est « peut-être [...] la question la plus importante pour ce
qui est de la période suivant 2011 ». Comme il est mentionné précédemment, les Sud-Soudanais qui
vivent dans le Nord et inversement, les Nord-Soudanais qui vivent dans le Sud,
s’inquiètent de ce qu’il adviendra de leur citoyenneté, si le Sud vote en
faveur de l’indépendance en janvier. M. Lewis de Kairos a résumé la
situation de la façon suivante :
[E]nviron 1,5 million de Soudanais du Sud vivent
dans le Nord. Ce sont des gens qui ont été déplacés par la guerre qui ravage le
Sud depuis des décennies. Leur avenir est incertain. Nous devons encourager les
dirigeants soudanais du Nord et du Sud à faire la promesse qu’ils n’expulseront
pas les citoyens de l’autre camp une fois que les résultats du référendum
seront connus. Des membres du gouvernement du Sud-Soudan ont annoncé […] qu’ils
étaient prêts à considérer comme des citoyens les Soudanais du Nord qui vivent
dans le Sud. Nous n’avons pas reçu ce genre de garanties de la part du
gouvernement du Nord-Soudan.
Pour sa part, Mark Simmons de l’organisme FAR
Sudan a souligné le fait que certains Sud-Soudanais qui vivent dans le Nord ne
seront pas nécessairement les bienvenus dans le Sud pour des raisons
politiques. Il entrevoit certaines complications, qu’il a décrites de la façon
suivante :
Le même problème se pose toujours pour les réfugiés
[…], ils inspirent de la méfiance lorsqu’ils reviennent chez eux parce qu’ils
ne sont pas restés se battre pour l’indépendance, si vous voulez […] Pour ce
qui est des chiffres, environ un demi-million de gens probablement partiraient
d’eux-mêmes et un autre million seraient probablement expulsés si le
gouvernement du Nord estimait qu’ils ne sont pas les bienvenus dans le Sud.
M. Simmons a en outre attiré l’attention du
Comité sur le problème inhérent à cette situation, à savoir qu’il est difficile
de savoir pour l’instant vers où se dirigeront ces populations. On craint qu’elles
« se retrouvent dans un no man’s land le long de la frontière [...] ». Le Canada a fourni quelques conseils techniques aux deux
camps sur les enjeux touchant la citoyenneté. Toutefois, comme il est expliqué
précédemment, les questions non résolues en ce qui concerne la citoyenneté pourraient
avoir un effet déstabilisant dans les prochains mois.
Dans l’ensemble, malgré la croissance économique
enregistrée ces dernières années en raison principalement des revenus
pétroliers, le Soudan est confronté à des défis de taille en matière de
développement. Le pays se classe au 154e rang sur
169 pays, selon l’Indice de développement humain des Nations Unies
en 2010. Dans le Sud, si les résultats du référendum penchent en faveur d’une
sécession, les besoins immédiats auxquels sera confronté le nouvel État en
matière de développement seront énormes. Après des décennies de guerre et de
sous-développement, la région est en effet l’une des plus pauvres au monde.
C’est là un aspect sur lequel tous les témoins ont
insisté. Voici ce que M. Bobiash du MAECI a dit au Comité à ce
sujet :« En un mot, les indicateurs de développement au Sud-Soudan
sont parmi les plus bas au monde. L’accès aux soins de santé de base, à l’eau
potable et à des routes est essentiellement inexistant pour la majorité des
localités du Sud-Soudan. » De même, une autre fonctionnaire du MAECI, Mme Stirk,
a écrit que bien que le Sud-Soudan a à peu près la même taille que l’Europe de
l’Ouest, rien ne saurait mieux illustrer ses besoins criants en matière d’infrastructure
que le fait qu’il ne possède que 100 kilomètres environ de routes pavées.
Selon son estimation, le taux d’alphabétisation y serait inférieur à 25 %. Le problème de la scolarisation se pose aussi lorsque vient le
temps d’évaluer la capacité des fonctionnaires du gouvernement dans le Sud.
Philip Baker de l’ACDI a dit au Comité que plus de la moitié des fonctionnaires
n’ont pas terminé l’école primaire « et […] seulement 5 p. 100 d’entre
eux détiennent un diplôme universitaire ». C’est là, selon lui, le défi
qui se pose à tout gouvernement qui, après avoir d’abord été un gouvernement
militaire, amorce sa transition pour devenir un gouvernement civil.
Le renforcement de la capacité du gouvernement du
Sud-Soudan, qui est déjà une entité semi-autonome investie de responsabilités
officielles en matière de gouvernance, demeure donc un élément clé du soutien
de la communauté internationale. Mme Stirk a insisté sur le
fait qu’« [e]n dépit de cette autonomie, le gouvernement du Sud-Soudan
souffre d’un manque profond des capacités de base nécessaires pour répondre
efficacement aux besoins de la population du Sud ». Joseph Malok, du gouvernement du Sud-Soudan, réclame l’appui
du Canada et de la communauté internationale à cet égard parce que, selon lui,
il est impossible « d’assurer la bonne gouvernance du pays […] sans
renforcement de nos capacités […] ». De retour d’un récent voyage au Soudan, M. Proudfoot
du MAECI a expliqué de quelle façon le Canada soutient les efforts de
renforcement des capacités du Sud en matière de gouvernance, et a précisé que,
peu importe les résultats du référendum, ce besoin allait demeurer. La perspective
de l’indépendance n’a fait qu’amplifier l’urgence de cette aide.
Des témoins ont dit au Comité qu’après le
référendum, toute la pression retombera sur les épaules du gouvernement du
Sud-Soudan; les attentes de la population sont très élevées dans le Sud, et les
gens là-bas espèrent que leur vie changera pour le mieux une fois le référendum
passé. M. Bobiash du MAECI a dit au Comité qu’au cours d’une mission, lui
et d’autres fonctionnaires du gouvernement canadien ont entendu beaucoup de
gens « exprimer leur frustration à l’égard de l’appareil politique et des
attentes non comblées quant aux dividendes de la paix qui ne sont toujours pas
perceptibles dans la plupart des collectivités […] » Il a décrit au Comité les défis qui se posent au Sud-Soudan
en matière de gouvernance de la façon suivante : « Tant et aussi
longtemps qu’il continuera d’avoir accès à ses richesses pétrolières, le grand
défi pour le Sud-Soudan consistera à pouvoir traduire ces revenus et ceux
reliés à l’aide internationale en prestations de services durables pour
améliorer les conditions de vie de sa population, qui habite en grande partie
dans des localités isolées éparpillées dans ce vaste territoire. »
C’est dans ce contexte général que s’inscrit l’observation
de M. Simmons de FAR Sudan selon laquelle l’amélioration de la gouvernance
dans le Sud-Soudan, même si elle revêt une importance cruciale, doit s’accompagner
de progrès en ce qui concerne la prestation de services régionaux, la
gouvernance sous-nationale et la décentralisation. À son avis, l’une des choses
qui fait obstacle aux efforts du Sud pour instaurer une gouvernance efficace c’est
qu’il « copie le Nord, et que le Nord est fortement centralisé; le Sud a
donc appris à gouverner de cette façon. Il répète la même erreur. »
De fait, d’autres témoins ont aussi insisté sur la
nécessité pour les donateurs de soutenir les organismes de la société civile
soudanaise. Mme Elsawi de la Sudanese Women Empowerment for
Peace a insisté sur le fait que les donateurs doivent entretenir des « relations
au niveau de la base », s’ils veulent suivre et évaluer efficacement les
résultats des dépenses engagées au titre de l’aide étrangère. Elle a recommandé
la mise sur pied d’« une tribune de consultations entre les donateurs et
les organismes de la société civile ». Dans la même veine, M. Davis de Kairos a affirmé qu’«
[i]l faut […], lors de la mise en place de nouveaux mécanismes de financement,
prêter une oreille attentive aux organisations locales, y compris aux églises
du Soudan, qui sont proches de la population et qui sont représentées par le
Conseil, et leur donner un accès direct aux fonds disponibles ».
Dans le contexte général de sa récente mission au
Sud-Soudan portant sur l’introduction d’une nouvelle devise, le professeur
émérite de l’Université Simon Fraser, James Dean, a insisté sur le fait que le
renforcement des capacités doit favoriser le développement économique à plus
long terme. Il a mentionné au Comité que jusqu’ici, le Sud-Soudan a beaucoup
compté sur les revenus pétroliers et sur l’aide étrangère — ces deux sources
génèrent l’équivalent de quatre milliards de dollars par année au total — pour
financer la presque totalité de son budget de fonctionnement, d’où l’émergence
de certains problèmes liés à la corruption.
M. Dean a évoqué la possibilité de concentrer
les efforts sur le développement du secteur agricole au Soudan. Voici ce qu’il
a dit à ce propos :
Tout pays qui s’appuie largement sur le pétrole ou
l’aide étrangère est soumis à des mesures dissuasives pour trouver d’autres
sources de revenus […] Il est donc impératif que le Soudan se dote d’une autre
industrie d’exportation. Le secteur le plus prometteur est l’agriculture. Le
Soudan n’est pas seulement le plus grand pays d’Afrique, il est l’un des plus
fertiles.
Il a aussi souligné par ailleurs que les efforts
pour étendre les activités du secteur agricole au Soudan devront tenir compte
des enjeux liés aux droits fonciers et à la présence d’une importante industrie
agroalimentaire contrôlée par des intérêts étrangers, qui est particulièrement
bien implantée dans le Nord. Il a expliqué que des centaines de milliers d’hectares
de terres arables avaient été vendus à des investisseurs étrangers, de sorte qu’en
pratique « les collectivités, les tribus et les agriculteurs de subsistance
ont pour ainsi dire perdu leur droit traditionnel d’occupation des terres ». De même, le gouvernement a accepté de louer des terres à
long terme « principalement dans le Nord mais de plus en plus dans le Sud ».
La situation est d’autant plus compliquée qu’« [i]l n’y a pratiquement pas
de lois foncières dans le Nord du Soudan ». Même s’il existe des lois
foncières au Sud-Soudan, M. Dean doute que « l’esprit de la
loi » soit observé.
Certaines des tensions auxquelles est actuellement
confronté le Sud dans la foulée de ses efforts pour instaurer une unité
politique suscitent des inquiétudes et font craindre à certains témoins une
possible flambée de violence dans le Sud dans la période précédant ou suivant
le référendum. M. Proudfoot du MAECI a dit au Comité que « [c]’est un […] problème, qui dure depuis le début du conflit — pendant la guerre
civile et après. En 2009, qui a été une année de paix,
2 500 personnes ont été tuées dans le Sud du Soudan à la suite de
violence interethnique ».
M. Malok du gouvernement du Sud-Soudan a dit
au Comité que le président du gouvernement du Sud-Soudan, M. Salva Kiir, a
récemment « proposé un dialogue Sud‑Sud avec tous les partis
politiques du Sud-Soudan pour essayer de trouver un terrain d’entente ». M. Malok
a également souligné au Comité qu’un pardon présidentiel a été accordé aux
commandants de l’APLS et à ceux qui se sont rebellés contre le gouvernement du
Sud-Soudan. Au dire de M. Malok, ce pardon a été « bien
accueilli ». À son avis, « dans la perspective du référendum, il [faut] que la population du Sud-Soudan forme un bloc uni ».
Lors de la séance de clôture du Forum des
gouverneurs de six jours tenu à Djouba à la fin d’octobre, M. Kiir a
réfuté les affirmations qui avaient cours alors dans les médias nord-soudanais
selon lesquelles un désaccord serait apparu entre lui et son député, Riek
Machar, et affirmé que ces reportages étaient une « tentative désespérée d’un
groupe de personnes à court d’idées pour empêcher le déroulement du référendum
en temps opportun ».
M. Kiir a ensuite réaffirmé que la population sud-soudanaise demeure unie
et déterminée à relever « les défis associés au référendum et à la période
qui suivra ».
Les observateurs surveilleront néanmoins de près la situation pour détecter le
moindre signe de division dans le Sud.
L’autre facteur qui pourrait avoir un effet
déclencheur et provoquer un nouveau conflit dans le Sud est la relative
domination politique et militaire exercée par un groupe ethnique, en l’occurrence
les Dinkas, sur les autres ethnies comme les Nuers et les Shilluks, qui est une
source de tensions. M. Abunafeesa, fonctionnaire des Nations Unies à la
retraite qui a fait partie de la MINUS, a dit au Comité « [i]l faut donc consolider les assises du
Sud, au niveau local, en raison des conflits tribaux et de la rivalité entre
les trois principales tribus [...] » À la lumière de cette analyse, il a
soutenu qu’« [i]l importe
surtout de veiller à la stabilité du Sud avant de voir à celle du Nord ».
C’est précisément pour ces raisons que les efforts
des donateurs internationaux pour renforcer la capacité de gouvernance du Sud
sont si importants. M. Proudfoot a avancé le même argument lorsqu’il a
parlé de l’aide canadienne et affirmé que : « C’est l’une des raisons pour lesquelles il est
si important de renforcer les capacités de la force de police du Sud du Soudan
par l’entremise de formation, et d’appuyer et de renforcer la mission des
Nations Unies au Soudan, ainsi que sa loi sur la stabilisation. » Une
gouvernance efficace à laquelle l’ensemble de la société est partie prenante,
ainsi que la mise en place de programmes de désarmement, de démobilisation et
de réinsertion adaptés et d’une réforme des services de sécurité, pourraient
faire contrepoids aux tensions politiques actuelles dans le Sud.
Quelques témoins ont insisté sur le rôle que les
femmes peuvent et doivent jouer en matière de prévention des conflits et de
développement au Soudan. Le Comité a appris que pendant la guerre civile, les Soudanaises
du Nord et du Sud ont réussi à unir leurs efforts dans la poursuite de leurs
buts communs. Elles tentent maintenant de réaliser le même exploit dans le
contexte du prochain référendum. Zaynab Elsawi a parlé de la difficulté pour
les ONG comme la sienne d’évoluer dans un contexte où l’emprise de l’État est
omniprésente comme au Soudan, et émis l’hypothèse que les groupes de femmes du
Nord et du Sud « devron[t]
peut-être [se] réunir à l’extérieur
[du pays], comme par le
passé ». À tous ces égards, ces femmes « méritent que le Canada et la
communauté internationale les appuient ».
Des témoins ont décrit les gains relatifs obtenus
en faveur des droits des femmes dans le Sud-Soudan depuis 2005, comparativement
à la situation des Nord-Soudanaises à cet égard. La constitution intérimaire du
Sud-Soudan garantit la participation politique des femmes et leur réserve
25 % des sièges de l’Assemblée législative du Sud-Soudan et du Conseil des
ministres.
Le Comité a de plus appris que le Cabinet compte sept femmes ministres et qu’il
y a maintenant un ministère des genres. Toutefois, Mme Elsawi a
souligné que ces progrès n’avaient pas eu d’écho dans le Nord. En effet, « les
femmes du Nord n’en [des conséquences positives de l’APG]
ont pas profité autant [que les
femmes du Sud] ». En fait, Mme Elsawi
n’a laissé planer aucun doute lorsqu’elle a décrit la situation des femmes au
Nord-Soudan :
Nous, les femmes du Nord, y perdrons assurément.
Le régime a commencé à nous traiter comme dans les années 1990, à l’époque où
ses membres exerçaient leurs pleins pouvoirs sur les femmes […] Donc, je pense qu’ils attendent que les
Soudanais du Sud prennent une décision avant de retourner à leur ancienne
manière de traiter les femmes.
M. Lewis de Kairos a exprimé la même préoccupation
lorsqu’il a dit au Comité :
Quand on parle à des habitants du Nord-Soudan, on
sent très nettement qu’ils craignent que, sans le Sud, leur pays ne devienne,
et ce sont leurs propres mots, « une autre Arabie Saoudite »,
notamment en ce qui concerne les droits des femmes. Ils redoutent que les
gouvernements occidentaux—en l’occurrence les ONG occidentales—n’abandonnent le
Nord au Parti du Congrès national, c’est-à-dire celui du gouvernement actuel.
Dans ce contexte, il est d’avis que le Canada
pourrait « jouer un rôle de chef de file » pour soutenir la cause des
femmes au Soudan et pour les aider, en particulier, à obtenir une plus grande
place dans le processus de prise de décisions. Cela irait de pair avec la
résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes,
la paix et la sécurité, qui a fait l’objet d’un récent plan d’action de la part
du gouvernement du Canada.
Le Comité est aussi d’avis qu’un plus grand nombre de partenariats officiels
entre les femmes parlementaires du Canada et celles du Soudan pourrait être un
mécanisme de soutien utile.
Pour encourager les femmes du Soudan à se prendre
en charge, M. Lewis est aussi d’avis que le Canada devrait soutenir les
initiatives proposées par les organisations féminines elles-mêmes. L’accès des
groupes de femmes aux fonds destinés au développement a aussi été soulevé par Mme Elsawi.
Elle a dit au Comité que la plupart des donateurs internationaux acheminent
actuellement leur aide au développement par le biais de mécanismes de financement
qui fonctionnent par paniers, en particulier le Fonds fiduciaire
multidonateurs. Selon son analyse, « [p]our les petits groupes de femmes, il est très difficile d’avoir
accès à ce fonds pour de très nombreuses raisons ».
Le Comité souhaite conclure le présent rapport par
une déclaration sur la violence et l’instabilité qui perdurent au Darfour. Bien
que ses audiences aient surtout été axées sur le référendum au Sud‑Soudan,
les témoins ont rappelé au Comité que la crise humanitaire au Darfour est
directement reliée à la stabilité générale du pays. Comme l’a fait valoir Mme Stirk
du MAECI, « il est très important pour la communauté internationale de
continuer à rappeler au gouvernement soudanais ses obligations relativement au
Darfour ».
Le Comité est d’accord et exhorte vivement le gouvernement de Khartoum à cesser
toutes ses activités militaires au Darfour, à garantir l’accès aux travailleurs
humanitaires dans toutes les régions du Darfour et à négocier avec les groupes
rebelles pour parvenir rapidement à une solution juste pour régler le conflit.
De l’avis de M. Malok, représentant du gouvernement du Sud‑Soudan :
« Le conflit du Darfour se
résume à un problème d’inégalité aux niveaux du développement, de la représentation
politique, de la participation aux décisions au centre, et de l’accès aux
ressources et aux richesses nationales. »
Le Comité est donc d’avis que pour s’attaquer à ces griefs de longue date dans
la région, il faut que le processus de paix soit aussi inclusif que possible et
permette la participation de tout un éventail d’intervenants sociaux différents
au Darfour, de façon à en accroître la viabilité.
Ayant examiné les enjeux à plus long terme dont il
est question ci‑dessus, le Comité recommande :
6. Qu’après la visite de la délégation de haut niveau proposée ci-dessus,
le gouvernement du Canada, en partenariat avec la communauté internationale,
élabore une stratégie pangouvernementale à long terme à l’égard du Soudan,
comportant des mesures de soutien pour le Nord et pour le Sud. Cette stratégie
doit comprendre les éléments suivants :
- Maintien de l’engagement à l’endroit du Nord et
du Sud-Soudan;
- Maintien de l’aide pour répondre aux besoins
humanitaires énormes dans toutes les régions du pays;
- Soutien possible des mesures de renforcement des
capacités afin de consolider la gouvernance au Sud-Soudan, notamment dans les
secteurs de la justice et de la sécurité;
- Conseils et soutien techniques axés sur la
productivité agricole et le renforcement des lois foncières;
- Mécanismes pour permettre aux organismes de la
société civile, notamment aux organisations féminines, d’avoir directement
accès au financement;
- Soutien à la médiation et conseils techniques
pour aider les deux parties à l’APG à résoudre les questions encore en suspens,
comme la démarcation de la frontière, les droits à la citoyenneté, le partage
de la dette et la répartition des revenus pétroliers;
- Mise en œuvre intégrale au Soudan du Plan d’action
du gouvernement du Canada relativement à la résolution 1325 du Conseil de
sécurité des Nations Unies et attention particulière accordée à la promotion du
rôle des femmes dans la prise de décisions et dans le processus démocratique;
- Maintien de la pression sur le gouvernement d’unité
nationale de Khartoum pour arriver à un règlement politique immédiat, durable
et inclusif du conflit au Darfour;
- Maintien de la pression sur le gouvernement d’unité
nationale de Khartoum et le gouvernement du Sud-Soudan pour garantir le plein
accès aux organisations d’aide humanitaire à l’œuvre dans toutes les régions du
Soudan;
- Maintien des efforts pour répondre aux besoins
pratiques découlant de la redistribution et du déplacement massif de la
population à l’intérieur du Soudan, notamment grâce à un soutien financier accru
aux organisations multilatérales œuvrant auprès des populations déplacées dans
ce pays.