Passer au contenu
;

SECU Rapport du Comité

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

PDF

CHAPITRE 4 : APERÇU DE L’INCIDENCE DES TROUBLES MENTAUX ET DE TOXICOMANIE DANS LA POPULATION CORRECTIONNELLE FÉDÉRALE

Le présent chapitre donne un aperçu de l’incidence des troubles mentaux et de toxicomanie dans la population correctionnelle fédérale. On y traite aussi des défis que présente, pour le SCC, la prise en charge d’une population de délinquants dont le profil est complexe et diversifié.

4.1.      INCIDENCE DES TROUBLES MENTAUX ET DE TOXICOMANIE DANS LA POPULATION CORRECTIONNELLE FÉDÉRALE

Lors de sa comparution, le commissaire du SCC, Don Head, a indiqué qu’un peu plus d’un délinquant sur dix (12 %) et une délinquante sur cinq (21 %) ont de graves problèmes de santé mentale au moment de leur admission dans un établissement correctionnel fédéral[25]. Cela représente une augmentation respective de 61 % et 71 % depuis 1997.

De plus, en 2007-2008[26] :

  • 21,8 % des délinquantes et 10,4 % des délinquants avaient un diagnostic de troubles mentaux au moment de leur admission dans un établissement correctionnel fédéral;
  • 30,1 % des délinquantes et 14,5 % des délinquants avaient déjà été hospitalisés en raison de troubles psychiatriques;
  • 33,2 % des délinquantes et 20,6 % des délinquants se sont vu prescrire des médicaments pour des troubles psychiatriques à l’admission, pourcentage qui a presque doublé depuis 1998-1999;
  • 8,7 % des délinquantes comparativement à 5,9 % des délinquants étaient suivis en psychiatrie en tant que patient externe lors de leur admission en détention.

Selon l’information reçue, les troubles mentaux seraient jusqu’à trois fois plus fréquents chez les détenus incarcérés dans le système correctionnel fédéral que dans la population canadienne en général[27]. Aux dires de l’enquêteur correctionnel, « il est même probable que ces établissements abritent les plus grandes populations de malades mentaux au Canada[28] ».

Quoique ces données soient alarmantes, des témoins ont fait valoir qu’elles sous-estiment considérablement l’incidence réelle des troubles mentaux dans le système correctionnel fédéral. Cela tient au fait que le SCC n’a que tout récemment mis en œuvre un système de dépistage de la maladie mentale à l’admission et que les problèmes de santé mentale légers ou modérés sont souvent difficiles à déceler[29]. Enfin, on a également dit au Comité que des pratiques de diagnostic déficientes à l’admission contribuent aussi à la sous-estimation de l’incidence réelle des troubles mentaux.

Selon la définition utilisée de la maladie mentale, James Livingston, chercheur et auteur du rapport Mental Health and Substance Use Services in Correctional Settings: A Review of Minimum Standards and Best Pratices (Services en santé mentale et en toxicomanie dans le milieu correctionnel : Examen des normes minimales et des pratiques exemplaires), a noté que l’incidence rapportée dans la documentation varie de 10 % à 80 %.

Tout au long de l’examen, plusieurs explications ont été avancées pour rendre compte de la forte prévalence des troubles mentaux dans le système correctionnel canadien. Il s’agit notamment du phénomène de désinstitutionnalisation des patients psychiatriques, des coupures dans les services sociaux, de la judiciarisation croissante des rapports sociaux, de l’introduction de politiques de tolérance zéro en matière de drogues et de restrictions en ce qui a trait aux pratiques d’internement involontaire.

Plusieurs témoins ont défendu la thèse de la désinstitutionnalisation psychiatrique au Canada, mais aussi en Norvège et en Angleterre. Ce mouvement qui a suivi le développement de la psychopharmacologie avait pour but d’humaniser les traitements en santé mentale, en abandonnant l’asile comme moyen d’intervention et en limitant le nombre et la durée des hospitalisations. Il n’aurait pas donné les résultats escomptés puisque l’augmentation des services de traitement et de soutien communautaire connexe n’a pas été respectée dans la mesure nécessaire.

Quoique tous les témoins s’entendent pour dire que ce mouvement a eu un impact évident sur le système correctionnel canadien, certains ont souligné que ce phénomène ne peut à lui seul expliquer l’augmentation importante du nombre de délinquants sous responsabilité fédérale aux prises avec des troubles mentaux. Voici ce qu’a déclaré l’enquêteur correctionnel lors de sa comparution :

En fait, je crois qu’une partie de l’augmentation du nombre de malades mentaux qui se retrouvent dans les services correctionnels fédéraux tient à des modifications de politique apportées ailleurs. Toutefois, il n’y a pas que la désinstitutionnalisation. Il y aussi les politiques de tolérance zéro et le fait qu’on fait aujourd’hui intervenir la police là où elle ne serait pas intervenue il y a dix ans ou plus. Et nous avons aujourd’hui recours aux tribunaux de manières qui n’existaient pas il y a dix ans ou plus[30].

Tout au long de l’étude, plusieurs témoins ont aussi mentionné que le système correctionnel fédéral accueille également un grand nombre de délinquants confrontés à une dépendance aux drogues et à l’alcool. Selon les données recueillies, environ quatre délinquants sur cinq sont actuellement admis dans les établissements correctionnels du SCC avec de graves problèmes d’abus de drogues ou d’alcool; la moitié de ces délinquants auraient d’ailleurs commis leur crime sous l’influence de la drogue, de l’alcool ou d’autres substances intoxicantes[31]. En ce qui concerne la situation à l’établissement correctionnel pour femmes Nova, à Dorchester, Adèle McInnis, directrice, a informé le Comité qu’environ 90 % des détenues ont des besoins qui varient de modérés à élevés en matière de drogues et/ou d’alcool.

Bon nombre de témoins rencontrés au Canada, en Norvège et en Angleterre ont fait valoir que plusieurs des détenus atteints de toxicomanie souffrent également de troubles mentaux (les témoins parlaient dans ces cas de troubles concomitants[32]).

Dans certains cas, les troubles mentaux résultent de l’abus de psychotropes, tandis que dans d’autres, la consommation de drogues cache la présence de troubles de santé mentale. C’est le cas, par exemple, d’une personne qui abuse d’une substance pour gérer son anxiété ou encore un trouble dépressif. On verra au chapitre cinq que, pour traiter efficacement ces délinquants, les administrations correctionnelles doivent recourir à des modèles de traitements intégrés, soit le traitement simultané du problème de toxicomanie et du trouble mental[33].

Certains témoins ont aussi avancé que « les problèmes de toxicomanie se manifestent généralement après l’apparition d’un quelconque problème de santé mentale[34] ». Le directeur général de la Société John Howard du Canada, Craig Jones, a d’ailleurs précisé que: « […] si nous interprétons la déclaration du commissaire [du SCC à savoir que 80 % des détenus sous responsabilité fédérale ont des problèmes de consommation de drogues et ou d’alcool lors de leur admission en détention] à la lumière de ce que nous savons actuellement au sujet de l’association entre toxicomanie et santé mentale, nous serions justifiés de croire qu’environ 80 % des détenus actuellement incarcérés souffrent de troubles concomitants[35] ». Cette affirmation a toutefois été contestée par d’autres témoins qui ont noté que tous les détenus qui sont confrontés à des problèmes de consommation de drogue et d’alcool ne sont pas nécessairement toxicomanes. De plus, tous les toxicomanes ne souffrent pas forcément d’un trouble de santé mentale[36] et, dans le même sens, les personnes atteintes d’une maladie mentale ne souffrent pas obligatoirement de toxicomanie. Le Comité n’a pas pu trancher cette question puisque les représentants du SCC rencontrés pendant l’étude n’ont présenté aucune donnée en ce qui a trait à l’incidence des troubles concomitants de santé mentale et de toxicomanie au sein de la population correctionnelle fédérale.

4.2       LA VULNÉRABILITÉ DES DÉTENUS AUX PRISES AVEC DES TROUBLES DE SANTÉ MENTALE

Les délinquants qui souffrent de problèmes de santé mentale sont très vulnérables au sein de la population correctionnelle. Pendant l’examen, tous les délinquants atteints d’un trouble mental avec lesquels le Comité a échangé ont dit ne pas se sentir en sécurité dans les établissements correctionnels traditionnels. Ils ont également souligné être fréquemment victimes d’intimidation et de violence de la part des autres détenus.

En outre, les statistiques compilées par les administrations correctionnelles sur les suicides et les incidents d’automutilation nous apprennent que les délinquants qui ont des troubles de santé mentale risquent davantage de tenter de se suicider ou de s’automutiler comparativement aux autres délinquants.

Il faut réaliser que les délinquants atteints de troubles mentaux ont généralement du mal à s’adapter au milieu correctionnel. « [I]ls ne comprennent pas toujours les règlements et ils ont parfois du mal à les respecter et à s’adapter à ce cadre »[37]. La difficulté d’adaptation est d’autant plus grande que certains comportements compulsifs et irrationnels associés à leurs troubles mentaux sont souvent interprétés comme des gestes de violence et non comme un trouble de santé mentale, et conduisent à des interventions axées sur la sécurité plutôt que sur le traitement[38].

4.3       LE DÉFI QUE PRÉSENTE LA GESTION DE CETTE POPULATION POUR LE SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

La gestion de cette clientèle correctionnelle représente un défi d’envergure pour le SCC qui doit assurer sa sécurité et lui offrir les soins et les programmes susceptibles de répondre efficacement à ses besoins. Le défi est aussi complexifié, car le système correctionnel fédéral a été confronté au cours des dernières années à un changement du profil de la clientèle correctionnelle. Les détenus sous responsabilité fédérale seraient devenus plus violents et plus agressifs. Au moment de l’étude, le SCC estimait qu’environ 60 % des délinquants sous sa responsabilité avaient un passé criminel marqué par la violence[39]. Les délinquants étaient plus souvent qu’auparavant placés dans les établissements à sécurité maximale au moment de leur admission[40]. Un plus grand nombre de délinquants étaient affiliés à un gang ou à une organisation criminelle. Tel que noté dans le rapport du Comité d’examen du SCC, le SCC estime qu’il s’agit d’environ un délinquant sur six et une délinquante sur dix[41]. Ces éléments viennent ainsi s’ajouter à l’augmentation importante du nombre de délinquants qui sont aux prises avec de graves problèmes d’abus de drogues ou d’alcool et de profonds troubles de santé mentale au moment de leur admission en détention.

Pour bien comprendre le défi que doit relever le SCC, il faut également tenir compte du fait que les personnes incarcérées sont généralement en moins bonne santé que la population en général[42]. Cette population se caractérise notamment par une forte prévalence de maladies infectieuses comme le VIH et l’hépatite C. Des estimations révèlent que les détenus sous responsabilité fédérale seraient de sept à dix fois plus susceptibles que le reste de la population d’être porteurs du VIH, et près de trente fois plus à risque d’avoir contracté l’hépatite C[43]. De plus, il s’agit d’une population généralement précarisée par rapport à l’emploi, au logement, aux revenus de même que sur le plan social.

Les besoins croissants et criants en santé mentale de la clientèle correctionnelle posent de lourds défis au SCC qui en est pleinement conscient. Il reconnaît ouvertement les conséquences néfastes de l’insuffisance des services en santé mentale dispensés dans ses établissements correctionnels. Voici ce que soutient le SCC dans son rapport sur les plans et priorités :

Les détenus qui souffrent de troubles mentaux non traités ne peuvent s’engager pleinement dans la réalisation de leurs plans correctionnels, compromettent parfois la sécurité d’autres détenus et de la personne de première ligne et peuvent devenir instables dans la collectivité après leur mise en liberté, en particulier lorsque les fournisseurs de services ne considèrent pas les délinquants comme l’un de leurs groupes clients[44].

Pour le SCC, la difficulté de gérer une population qui nécessite davantage de soins et de services tient également à plusieurs éléments. Il convient de mentionner l’infrastructure vieillissante de plusieurs de ses établissements correctionnels, le financement insuffisant de l’organisation, les problèmes de recrutement et de maintien en poste des professionnels en santé mentale et les priorités conflictuelles du système correctionnel qui visent à la fois l’aide et le contrôle des délinquants. Voici ce que l’enquêteur correctionnel a déclaré à ce sujet :

La lenteur et la difficulté des progrès tiennent à bien des causes. C’est beaucoup à cause du moment où l’argent a été débloqué, beaucoup à cause des problèmes de recrutement et de maintien en emploi de professionnels de la santé, beaucoup à cause de priorités concurrentes du système carcéral. Cela tient aussi en partie à la tension dont j’ai parlé: il s’agit d’un système carcéral et non d’un système de santé.

Rien de plus facile que de dire que le Service correctionnel a échoué ou a mal géré le dossier. Ce serait trop facile et ce serait inexact. [Le SCC] est très conscient du défi […].

e vous dirai que ce ne sont pas les bonnes intentions qui manquent. Il y a des problèmes d’ordre structurel et opérationnel, mais il manque aussi un sentiment d’urgence, une prise de conscience du caractère immédiat et prioritaire du problème.[45].

Le Comité conclut que le gouvernement fédéral doit reconnaître l’urgence du problème en contribuant à la recherche et à la mise en œuvre de solutions novatrices et efficaces en matière de santé mentale et de toxicomanie et en augmentant substantiellement le budget alloué au SCC en vue de la prise en charge de la clientèle correctionnelle confrontée à ces troubles. Afin de réduire à plus long terme le fardeau imposé aux institutions correctionnelles fédérales, provinciales et territoriales, le Comité croit que les gouvernements devraient investir davantage en amont, à savoir dans la prévention des troubles de santé mentale et de toxicomanie et dans les initiatives de déjudiciarisation. Le chapitre suivant présente les observations du Comité et des recommandations en ce qui a trait aux services de santé mentale et de toxicomanie dispensés dans la collectivité et au sein du système correctionnel fédéral.


[25]           Don Head, Commissaire, Service correctionnel du Canada, Témoignages, 11 juin 2009. SCC, Cahier d’information présenté au Comité en novembre 2009.

[26]           Les statistiques présentées ci-après ont été compilées à partir du document de Sécurité publique Canada, Aperçu statistique : Le système correctionnel et la mise en liberté sous conditions 2009, Comité de la statistique correctionnelle du portefeuille ministériel de Sécurité publique Canada, décembre 2009.

[27]           Ibid.

[28]           Témoignages, 2 juin 2009.

[29]           Il faut penser entre autres aux troubles de l’humeur (troubles dépressifs, troubles bipolaires, etc.), aux troubles névrotiques (troubles anxieux, obsessionnel-compulsif, etc.) et aux troubles de la personnalité et du comportement.

[30]           Témoignages, 2 juin 2009.

[31]           IIvan Zinger, directeur exécutif et avocat général, Bureau de l’enquêteur correctionnel, Témoignages, 2 juin 2009.

[32]           L’expression « trouble concomitant » s’applique à des personnes qui souffrent de plusieurs troubles à la fois. Il peut s’agir d’un ou de plusieurs troubles de santé mentale ou de troubles de santé mentale combinés à l’un des troubles de toxicomanie, de santé ou des déficiences intellectuelles.

[33]           James Livingston, chercheur, Services en santé mentale et en toxicomanie, Commission des services de psychiatrie médicolégale de la Colombie-Britannique, Témoignages, 29 octobre 2009.

[34]           Craig Jones, directeur général, Société John Howard du Canada,Témoignages, 27 octobre 2009.

[35]           Témoignages, 27 octobre 2009.

[36]           Bien que la toxicomanie soit associée à la santé mentale, elle n’est pas considérée en soi comme une « maladie mentale ». La recherche démontre néanmoins que les toxicomanes risquent davantage de développer une maladie mentale, tous comme les personnes qui souffrent d’une maladie mentale risquent davantage d’avoir une toxicomanie. Pour plus d’information au sujet des troubles concomitants de santé mentale et de toxicomanie, consulter le site Web du Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH) à l’adresse suivante http://www.camh.net/fr/About_Addiction_Mental_Health/Concurrent_Disorders/index.html.

[37]           Howard Sapers, enquêteur correctionnel du Canada, Témoignages, 2 juin 2009.

[38]           Ivan Zinger, Témoignages, 2 juin 2009.

[39]           Comité d’examen du Service correctionnel du Canada, Feuille de route pour une sécurité publique accrue, octobre 2007, p. 3.

[40]           Ibid.

[41]           Ibid.

[42]           Dre Ruth Martin, enseignante clinique, Department of Family Practice and Collaborating Centre for Prison Health and Education, Université de la Colombie-Britannique, Témoignages, 16 mars 2010.

[43]           oir notamment la publication du SCC, Lignes directrices spécifiques pour le traitement d’entretien à la méthadone, 2003,à l’adresse suivante http://www.csc-scc.gc.ca/text/pblct/methadone/index-fra.shtml.

[44]           Service correctionnel du Canada, Rapport sur les plans et les priorités 2008-2009, 2007.

[45]           Témoignages, 2 juin 2009.