PARTI LIBÉRAL – RAPPORT SUPPLÉMENTAIRE SUR
LES NÉGOCIATIONS
EN VUE D’UN ACCORD DE PARTENARIAT ÉCONOMIQUE ENTRE
LE CANADA ET LE JAPON
Le rapport du Comité touche à un certain nombre d’enjeux
liés à la promotion du commerce avec le Japon par le truchement d’un accord de
partenariat économique (APE), mais il reste des points auxquels le Comité
aurait dû accorder davantage d’importance. Premièrement, nous devrions
reconnaître que nos résultats ne sont pas aussi bons qu’ils pourraient l’être
dans le cadre des accords commerciaux déjà conclus, et, deuxièmement, le Canada
devrait élaborer une stratégie interne pour étoffer ces accords et en tirer
profit.
Dans la publication Le commerce international
du Canada 2011 de Commerce international, le Ministère donne des prévisions
sur les exportations canadiennes de marchandises. Le document donne les
20 premières destinations des exportations de marchandises du Canada de
2009 et de 2040. Selon la propre analyse du Ministère, le Japon passerait de la
quatrième à la huitième place comme destination de nos exportations de
marchandises. Voilà un point important du présent rapport supplémentaire;
d’ailleurs, le gouvernement lui‑même l’admet : « Les nouvelles économies émergentes deviennent des puissances
mondiales et les économies avancées commencent à voir leur influence
diminuer. »
Dans son témoignage devant le Comité, le
sous-ministre adjoint, Secteur de la politique et des négociations
commerciales, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international,
Ian Burney, a placé l’APE dans un contexte intéressant quand il a dit qu’il
était heureux de parler au Comité des « négociations lancées récemment par
le gouvernement en vue d'un accord de libre-échange entre le Canada et le
Japon, ou, selon la terminologie privilégiée par le Japon, d'un accord de
partenariat économique ». (no 33, p. 1) Apparemment,
les deux pays ont une interprétation fort différente de l’objet des
négociations et le Canada a choisi d’adopter le vocabulaire plus limitatif des
Japonais. Pour comparaison, l’Union européenne décrit son initiative
relativement au Japon comme des « négociations pour un accord de libre‑échange
entre l’UE et le Japon ».
Dans les faits, conclure un ALE – ou, comme les
Japonais insistent pour le qualifier, un APE – avec le Canada n’est pas chose
facile. Le rapport final du Comité ne mentionne pas que la première initiative
visant à conclure une entente entre le Canada et le Japon remonte à 2005,
lorsque les premiers ministres des deux pays ont publié une déclaration commune
annonçant le début des travaux en vue de conclure un APE. Chez nos voisins du
Sud, cela fait également longtemps que le processus est commencé, puisque le
président des États-Unis et le premier ministre japonais ont fait une annonce
similaire en juin 2001 concernant un APE États-Unis—Japon. Le fait est qu’un
APE entre le Canada ou les États-Unis et le Japon n’est pas une chose facile ni
prompte à conclure et qu’il demeure à ce jour hypothétique.
Un arrangement de partenariat efficace devrait
être fondé sur le principe de la réciprocité. Or il n’est question de ce
principe ni dans les évocations d’un arrangement avec le Japon ni dans le
rapport du Comité.
Les Manufacturiers et Exportateurs du Canada,
association qui représente plus de 10 000 entreprises manufacturières et
de services de tout le Canada et des ventes de 571 milliards de dollars l’année
dernière, a déclaré ceci au Comité (no 35, p. 5) :
(…) la réciprocité est l'idée fixe de nos
membres. Que leurs concurrents japonais viennent ici, mais uniquement dans la
mesure où la réciproque est vraie, dans les mêmes conditions.
Le gouvernement a accordé beaucoup trop
d’importance aux prévisions économiques préparées en vue des négociations. Le
gouvernement peut bien utiliser ces études pour faire miroiter les avantages
dont jouiront les Canadiens après la signature d’un accord, mais il faut se
rappeler que ces prévisions ne sont rien d’autre que des prévisions.
Pendant les audiences du Comité sur l’accord entre
le Canada et l’Inde, le sous‑ministre adjoint, Politique et négociations
commerciales, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international,
Don Stephenson, a fait l’observation suivante au sujet des études préparatoires
aux négociations :
(…) mais je dois souligner qu’il ne s’agit que
d’études économétriques théoriques. Ce sont des prévisions; j’aimerais vous
dire qu’il s’agit d’analyses fidèles à 100 p. 100, mais ce n’est pas
les cas. (29 septembre 2011, p. 8) Lors d’une autre audience du
Comité, M. Stephenson a fait la même observation : « L'étude
conjointe n'est qu'un exercice de modélisation économique. » (1er décembre 2011,
p. 10)
Le Rapport de l’étude conjointe sur la
possibilité d’un accord de partenariat économique Canada-Japon, disponible
sur le site Web de Commerce international, indique que le modèle informatique
d’équilibre général (IEG) a été utilisé pour arriver à la conclusion que
« les deux pays tireraient des avantages économiques importants d’un
éventuel APE ».
Au sujet des prévisions contenues dans l’étude
gouvernementale, Wendy Dobson a déclaré que « l'étude conjointe
rapporte des avantages très modestes ». (no 37, p. 9)
Au sujet de la mesure dans laquelle le commerce agricole, par exemple,
profiterait d’un accord, Mme Dobson a dit : « Je n'en
ai aucune idée. Cela va se révéler dans le cadre des négociations. Il est très
difficile de le dire en se fondant sur l'étude conjointe. » (no 37,
p. 9) Elle a poursuivi en ces termes : « Comme je l'ai dit plus
tôt, je ne m'attends pas à ce que ces démarches entreprises avec le Japon
donnent lieu à d'énormes retombées. Il n'y aura pas d'accord de
libre-échange. » (no 37, p. 10)
Les attentes relatives à des secteurs donnés de
l’économie font écho aux préoccupations découlant des prévisions optimistes. Un
autre exemple est donné par l’effet de l’APE sur l’industrie automobile.
Dans son témoignage, le SMA de Commerce
international a dit que le Ministère voyait dans un APE avec le Japon une
opportunité pour le secteur de l’automobile, même si l’Association canadienne
de constructeurs de véhicules (ACCV) lui a dit que ce n’était pas les
tarifs qui posaient problème avec le Japon, mais bien les barrières non
tarifaires. Il a également déclaré au Comité (no 33, p. 4)
que les répercussions seraient « minimales » sur le secteur de
l’automobile, ce qui a surpris même les députés conservateurs des
circonscriptions où sont concentrées les industries liées à l’automobile. (no 33,
p. 4)
Le représentant de Manufacturiers et Exportateurs
canadiens a dit au Comité (no 35, p. 5) que c’est
l’ampleur des barrières non tarifaires japonaises qui impose un régime très
restrictif limitant la capacité des manufacturiers canadiens d’accéder au
marché nippon.
L’optimisme exprimé par le SMA du ministère du
Commerce international a suscité une réponse substantielle et contraire de Jim
Stanford, des TCA, qui a souligné le déséquilibre causé par le fait que le
Japon laisse entrer si peu de produits automobiles : « Cette
situation n'est pas attribuable aux tarifs ni à d'autres obstacles au commerce
apparents. En effet, le Japon n'impose aucun tarif sur les véhicules finis,
alors ce n'est pas un accord de libre-échange qui changera quoi que ce soit à
ce déséquilibre. Comment pouvons-nous expliquer l'inégalité des échanges
commerciaux avec le Japon dans le secteur de l'automobile? Il est clair qu'un
éventail de facteurs structurels entrent en jeu, y compris le vieillissement de
la population japonaise, la diminution des achats de produits automobiles, la stagnation
des revenus au cours des dernières années, les goûts des consommateurs en
matière de véhicules — les consommateurs japonais ne sont pas toujours
intéressés à se procurer les modèles que nous fabriquons en Amérique du
Nord — et, bien entendu, l'incidence structurelle de la réglementation,
des pratiques de mise en marché et d'autres obstacles non tarifaires qui sont
très difficiles à déceler et, à mon avis, impossible à éliminer dans la
réalité. » (no 37, p. 6)
En ce qui concerne le déséquilibre commercial
entre le Canada et le Japon, la question des exportations des ressources
naturelles et des exportations de produits manufacturés à valeur ajoutée du
Canada a été soulevée.
Les ressources énergétiques du Canada sont
considérées comme une priorité pour le marché asiatique. Dans un article paru
récemment dans Options politiques (septembre 2012, p. 16), l’ancien
greffier du Conseil privé, Kevin Lynch, écrivait ceci :
Le Canada est très visible sur le radar
énergétique mondial, non seulement en tant que fournisseur potentiel mais, à
bien des égards, en tant que premier choix de préférence à d’autres
fournisseurs de régions troublées de la planète.
M. Lynch reconnaît également que l’Asie est
plus intéressée par nos ressources naturelles que par nos biens manufacturés et
évoque un contexte très particulier (Options politiques,
septembre 2012, p. 14) :
Le Canada a échappé à une récession plus grave en
2009 en partie grâce à la demande robuste de l’Asie – et en particulier de la
Chine – pour ses ressources naturelles.
Prié de commenter le fait que les importations
japonaises du Canada sont très largement constituées de ressources, par
opposition aux produits manufacturés, le SMA de Commerce international a
commencé par déclarer que les échanges totaux entre les deux pays étaient
actuellement équilibrés, mais, prié de préciser, il a dit qu’il n’avait
« pas la ventilation détaillée par secteur ». (no 33,
p. 3)
Dans sa présentation au Comité, Manufacturiers et
Exportateurs canadiens n’a eu aucun mal à éclairer le Comité sur la situation
du commerce entre le Canada et le Japon, par secteur (no 35,
p. 1) :
Nos cinq premières exportations vers le Japon,
58 p. 100 du total vers ce pays, sont le charbon, le canola, le
cuivre, le bois d'œuvre et la viande de porc. Les automobiles, les pièces
d'automobile, l'équipement lourd, l'équipement d'imprimerie, les pneus, les
pièces d'équipement aérospatial et l'équipement de télécommunications — ces
sept produits pris ensemble — représentent 52 p. 100 des
exportations japonaises au Canada. Comme vous pouvez voir, la majorité de nos
exportations vers le Japon sont des ressources naturelles.
Dans un article paru récemment dans Options
politiques, Charles McMillan a dit qu’Industrie Canada, s’aidant de données
compilées entre autres par l’OMC, a conclu que les principales exportations
canadiennes vers le Japon étaient constituées de charbon et de graines et que
nos principales importations de ce pays étaient constituées d’automobiles, de
pièces et d’appareils électroniques. (Options politiques,
septembre 2012, p. 61)
Le fait est que le Japon continuera probablement
d’exporter davantage de produits à valeur ajoutée au Canada qu’il n’en
importera de notre pays.
À la lecture des recommandations du rapport, on ne
peut que reconnaître la nécessité de conclure avec le Japon un APE qui
procurera « un avantage net au Canada ».
Même dans son rapport, le Comité confirme que la
sécurité énergétique du Japon est l’un des sujets les plus critiques pour ce
pays et que « le Canada est perçu comme un fournisseur fiable ».
Dans un article paru récemment, Roger Gibbins,
ancien président de la Canada West Foundation (Options politiques,
août 2012, p. 35) posait une question cruciale quant au déclin de la
base manufacturière canadienne :
Comment faire face à un avenir dans lequel les
bûcherons et les puisatiers de l’Ouest canadien réussissent très bien et les
manufacturiers se débattent avec des difficultés?
M. Gibbins fait référence à la
« marchandisation » de notre économie d’exportation, une politique
d’exportation dictée par la demande asiatique en ressources et non pas en biens
manufacturés.
L’élargissement de la passerelle commerciale du
Canada vers l’Asie, dit M. Gibbins, est perçu comme un geste
incontestablement positif dans l’Ouest, tandis que la libéralisation du
commerce avec l’Asie est vue avec des sentiments mitigés par un secteur
manufacturier déjà aux prises avec la concurrence internationale.
Le commentaire de Roger Gibbins semble être appuyé
dans un document interne du gouvernement fédéral produit par de hauts
fonctionnaires d’Environnement Canada. Selon des articles des médias en faisant
état, le secteur manufacturier demeure un élément important et crucial de l’économie
canadienne, mais la croissance du secteur du pétrole et du gaz est plus rapide.
Le secteur du pétrole et du gaz a crû en moyenne de 0,2 % par année au
cours de la dernière décennie, alors que le secteur manufacturier s’est
contracté de 1,7 % par année pendant la même période. (Manufacturing
leads growth: memo, Ottawa Citizen, 16 janvier 2013)
« L'avantage comparatif du Canada réside dans
ses ressources naturelles et énergétiques, à condition que nous nous dotions de
politiques judicieuses comme celles qu'a décrites M. Stanford », a
dit Wendy Dobson au Comité. (no 37, p. 9)
La question demeure : à quelle fin devrait
être conclue une initiative commerciale élargie, avec le Japon ou tout autre
pays : améliorer les exportations de ressources, les exportations des
produits à valeur ajoutée ou les deux?
Dans son témoignage, Jim Stanford a soutenu
l’observation de Mme Dobson au sujet du rôle de nos exportations de
ressources naturelles (no 37, p. 5) :
En ce qui a trait à la composition de nos échanges
commerciaux, je crois que les accords de libre-échange ont également contribué
à accentuer la tendance du Canada à exporter des ressources et à importer des
produits à valeur ajoutée et plus complexes sur le plan technique. J'estime que
cette situation finira par désavantager le Canada à la longue. Et, comme vient
tout juste de le mentionner le témoin précédent, nos échanges avec le Japon
suivent en grande partie cette tendance. Cela correspond à ce que j'appellerais
le sous-développement structurel de nos relations d'exportation.
Et en quoi consistaient ces politiques
judicieuses?
Voici ce que M. Stanford a proposé précisément au
sujet de notre secteur primaire (no 37, p. 5) :
En réalité, le bilan commercial peu reluisant du
Canada ne peut aucunement être imputé à l'absence d'accords de libre-échange ni
même à l'existence d'obstacles au commerce dressés par nos partenaires
commerciaux. Je crois que cette situation tient plutôt au fait que les
entreprises canadiennes sont incapables de mettre au point et de vendre des
produits et des services innovateurs de grande valeur que le reste du monde
serait prêt à leur acheter à un prix élevé. Il s'agit d'une faiblesse
structurelle de notre économie qu'on ne pourra pas compenser en signant des
accords de libre-échange, et je crois d'ailleurs que ces accords pourraient
même affaiblir davantage notre économie.
Jusqu'à maintenant, les
pays du monde qui sont de gros exportateurs — par exemple l'Allemagne, les
pays scandinaves, la Corée, le Brésil et la Chine — n'ont pas bâti leur
réputation dans ce domaine en signant le plus grand nombre possible d'accords
de libre-échange. Ils se sont plutôt employés à encourager la création
d'entreprises nationales tournées vers le monde qui sont capables de vendre des
choses que veulent se procurer les autres pays. Voilà ce que devrait faire le
Canada plutôt que d'essayer de signer autant d'accords de libre-échange que
possible.
Plus loin dans son témoignage, M. Stanford revient
sur ce point (no 37, p. 7) :
Vous m'avez demandé quelles sortes de politiques
devraient être mises en œuvre. Ma réponse est qu'il n'y a pas de solution
miracle. Si on examine l'expérience d'autres pays exportateurs qui ont connu du
succès — comme je l'ai dit, il y a l'Allemagne, le Japon, la Corée, le
Brésil moderne, la Scandinavie —, on voit qu'ils ont tous eu recours à
diverses interventions proactives auxquelles ont participé le gouvernement, le
milieu des affaires et d'autres intervenants. Au nombre de ces mesures,
mentionnons la mise en œuvre de politiques en matière de technologie et
d'innovation, l'injection de capitaux dans certaines industries stratégiques et
la tenue proactive de formations visant à répondre aux besoins d'entreprises
novatrices axées sur l'exportation, ainsi que la protection, le soutien et
l'encadrement d'entreprises dont le siège est au pays afin de stimuler la fabrication
de produits de grande valeur.
Le fait que le gouvernement a entamé une série
presque interminable de négociations commerciales ne fait pas disparaître la
preuve croissante montrant qu’il n’a pas de politique visant à donner aux
exportations de produits à valeur ajoutée la priorité sur les exportations de
ressources brutes ou semi‑transformées. Pour avoir une relation
commerciale solide et réciproque avec le Japon, il faut s’appuyer sur le
principe de la réciprocité des biens et des produits échangés.
Recommandations
- Que le gouvernement canadien négocie un accord fondé sur le principe
de la réciprocité d’accès au marché de l’autre pays.
- Que, parallèlement aux négociations entre le Canada et le Japon en
vue d’un accord de partenariat économique (APE), le gouvernement du Canada
élabore une stratégie commerciale et industrielle nationale. Cette stratégie
devrait notamment viser à renforcer le secteur manufacturier canadien de
manière que, lorsqu’un APE aura été conclu, les entreprises canadiennes de
valorisation puissent profiter au maximum des avantages de l’APE.