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JUST Rapport du Comité

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L’ÉTAT DU CRIME ORGANISÉ AU CANADA : RAPPORT COMPLÉMENTAIRE DE L’OPPOSITION OFFICIELLE

INTRODUCTION

Depuis 2009, les néo-démocrates travaillent de concert avec les autres partis au Comité permanent de la justice et des droits de la personne, dans le but de recommander de nouvelles stratégies au gouvernement fédéral dans sa lutte contre les organisations criminelles. Le rapport qui résulte de ces travaux soulève bon nombre de problèmes de taille qui exigent une action urgente de la part du gouvernement fédéral dans le cadre de nos efforts collectifs à améliorer la sécurité des collectivités partout dans le pays.

Les néo-démocrates ont toujours valorisé une approche efficace et équilibrée dans le combat contre le crime organisé. Cette approche fait appel à la prévention, à la surveillance policière et aux poursuites pénales et repose sur la conviction que la lutte contre le crime organisé doit se mener à la base : le recrutement des jeunes. Les néo-démocrates sont également persuadés de l’importance de fournir les outils nécessaires à l’appareil judiciaire pour poursuivre en justice les membres des organisations criminelles dans toute la mesure permise par la loi. C’est à cet effet que les néo-démocrates ont collaboré avec le gouvernement pour adopter le projet de loi C‑2, sur la tenue de mégaprocès, en juin 2011. C’est par une approche équilibrée et efficace que les néo-démocrates appuient la majorité des recommandations proposées dans ce rapport.

Toutefois, ce rapport ne peut être considéré en lui-même. Au lieu de s’attaquer au crime organisé judicieusement, le gouvernement conservateur a clairement manifesté aux Canadiens, par des projets de loi trop mordants comme le C‑10 et le C‑30, qu’il désire accorder préséance à l’idéologie plutôt qu’à des lois pondérées. Le gouvernement conservateur a également trop volontiers fait fi des traditions de la common law et de la justice criminelle, pourtant tissées avec soin et circonspection au cours des siècles.

Les néo-démocrates s’opposent à certaines des recommandations de ce rapport qui reflètent certaines dispositions des projets de loi C‑10 et C‑30, qui érodent le pouvoir discrétionnaire des juges en imposant des peines minimales obligatoires inefficaces et qui interviennent indûment dans le domaine du droit à la vie privée des citoyens canadiens respectueux de la loi. En outre, les néo-démocrates s’inquiètent, d’une part, de voir certaines recommandations figurer au rapport sans justification textuelle et, d’autre part, de constater l’absence totale, tant dans le rapport que dans les recommandations, de toute mention de certaines autres questions importantes, soulevées par des experts pendant les audiences du Comité. L’Opposition officielle va continuer d’offrir des solutions pratiques, fondées sur des données probantes, qui s’attaquent aux activités du crime organisé à sa racine même au Canada.

DÉTERMINATION DE LA PEINE : PEINES MINIMALES OBLIGATOIRES

Les néo-démocrates se posent de graves questions devant le programme du gouvernement d’imposer des peines minimales obligatoires au lieu de donner priorité à des condamnations appropriées et à la réhabilitation. Toutes les données probantes concluent au prix très élevé des peines minimales, tout particulièrement par suite de l’augmentation des coûts reliés à des taux d’emprisonnement plus élevés et à des peines de durée prolongée. En opposition aux milliards de dollars que devront dépenser les deux ordres de gouvernement, fédéral et provincial, il serait plus efficace de consacrer les maigres ressources financières à des services de réhabilitation des détenus et à des programmes de prévention. Les victimes de crime profiteraient davantage d’une telle démarche que d’une approche fondée sur des modes périmées de sanction pénale et de mesures de dissuasion extrêmement sévères, fondées sur un sens vindicatif de la droiture.

De plus, les peines minimales obligatoires s’opposent au pouvoir discrétionnaire des juges d’imposer une peine juste après avoir entendu tous les faits et tous les éléments relatifs à un cas, y compris le rôle et la contribution du crime organisé dans la commission d’une infraction. Au Canada et dans le monde, l’indépendance et le pouvoir discrétionnaire des juges ont de longue date contribué à la réduction des coûts reliés à la justice pénale et au maintien d’une pratique plus humaine et sensée du droit pénal. Les néo-démocrates croient en ces principes et s’opposent aux recommandations qui fragilisent l’indépendance et le pouvoir discrétionnaire des juges.

En conséquence, l’Opposition officielle trouve répréhensible la première recommandation suivant le paragraphe 100 du Rapport, où le Comité recommande de modifier le Code criminel pour qu’il soit possible d’infliger des peines minimales obligatoires dans le cas d’infractions commises par des organisations criminelles. Les membres de ces organisations qui ordonnent de commettre une infraction sont déjà passibles d’une peine d’emprisonnement à vie, en vertu de l’article 467.13 du Code criminel.

MODÈLE DE DIVULGATION PROPOSÉ

La deuxième recommandation suivant le paragraphe 96 du rapport, demandant la création d’un modèle de divulgation électronique qui puisse servir de mémoire type de la Couronne, soulève aussi des inquiétudes chez les néo-démocrates. Dans son application, il n’est pas clair si cette recommandation imposerait aux avocats de la défense de révéler leur défense avant le procès. Si c’est le cas, cette recommandation serait en dissonance avec la tradition établie en justice pénale, parce que le droit à une défense pleine et entière serait compromis. Les néo-démocrates proposent donc d’éliminer l’ambiguïté de la recommandation en y ajoutant la précision suivante : « et il devrait exclure, des exigences de divulgation, les renseignements permettant d’identifier des indicateurs confidentiels ou de révéler les techniques d’enquête policière secrètes, ainsi que la révélation à la Couronne du plan de défense prévu par les avocats de la défense. »

ACCÈS LÉGAL

Les néo-démocrates appuient les changements législatifs visant à assurer que les forces policières disposent des pouvoirs nécessaires pour faire face aux menaces émergentes posées par le cybercrime, et soutiennent les efforts pour les amener à l’ère numérique. Au paragraphe 140 du rapport, il est mentionné que « la législation sur l’écoute électronique n’a pas suivi l’évolution récente des technologies de télécommunication ». Le NPD reconnaît que la structure de la Partie IV du Code criminel, sur la surveillance électronique, est demeurée largement la même depuis 1974. Les droits accordés à l’État pour assurer la sécurité publique sont certes obsolètes, notamment depuis l’avènement de l’ère numérique.

Toutefois, le NPD désire souligner la différence primordiale entre moderniser les outils d’enquête à la disposition des autorités policières et fortifier les pouvoirs de surveillance de l’État, pour ainsi accorder un accès plus grand à la vie privée des Canadiens respectueux de la loi. La nécessité de la modernisation ne doit pas servir de prétexte à la promulgation de pouvoirs accrus. Les néo-démocrates sont persuadés qu’il est important de protéger les libertés et les droits fondamentaux et s’opposent à l’érosion du droit à la vie privée et à l’expansion des pouvoirs de surveillance non contrôlés prévus dans les deux recommandations émanant de ce Rapport.

La recommandation suivant le paragraphe 144 porte sur la création de mécanismes législatifs pour habiliter les forces policières à obtenir, sans mandat, de la part des fournisseurs de services de télécommunication de l’information de base sur leurs abonnés. Les néo-démocrates opposent à cette recommandation les deux objections suivantes :

  1. Maintien de la supervision judiciaire. Le NPD est persuadé que la supervision et le pouvoir discrétionnaire judiciaires sont essentiels au maintien de l’équilibre entre les pouvoirs de surveillance de l’État et le droit à la vie privée des Canadiens. En soi, le NPD ne peut appuyer une recommandation qui cherche à esquiver la surveillance judiciaire en accordant aux autorités l’accès aux identificateurs personnels sans mandat. Les dispositions relatives à l’obtention de mandats pour obtenir des renseignements, qui sont rigoureuses dans la loi actuelle, pourraient être simplifiées en permettant l’utilisation de mandats téléphoniques, pour accélérer une intervention policière, si besoin est.
  2. Expansion inutile des pouvoirs. Le Rapport indique au paragraphe 142 : « [S]elon les organismes d'application de la loi, il est difficile d'obtenir des fournisseurs de services de télécommunication, de façon constante, l'information de base sur les noms et adresses de leurs clients ». Le NPD respecte l’opinion des responsables de l’application des lois qui ont témoigné devant le Comité de la justice en faveur de l’accès sans mandat aux identificateurs personnels, mais d’autres éléments laissent croire que ces mesures ne sont pas nécessaires. Selon des données obtenues auprès du ministre de la Sécurité publique et de la protection civile, actuellement 95 % des demandes de renseignements concernant l’identité adressées aux fournisseurs de services de télécommunication sont acceptées. Il ne semble donc pas que le statu quo judiciaire mette systématiquement en péril les enquêtes policières.

À la première recommandation suivant le paragraphe 141 du Rapport, le Comité demande une loi obligeant les fournisseurs de services de télécommunication et les fabricants d’appareils de télécommunication à intégrer à leurs réseaux une capacité d’intercepter les télécommunications.

Les néo-démocrates s’inquiètent des répercussions financières de cette recommandation auprès des fournisseurs de services de télécommunication et Internet et, en fin de compte, auprès des Canadiens. Intégrer une capacité d’interception aux réseaux de fournisseurs de services de télécommunication ou Internet s’avérera coûteux, particulièrement pour les plus petits fournisseurs de services. En effet, le 22 février 2012, Sécurité publique Canada a admis que la mise en œuvre du projet de loi C‑30 coûterait à l’industrie des télécommunications au moins 80 millions de dollars sur quatre ans. Dans un marché dominé par un petit nombre de grosses compagnies, ce sont les petites entreprises du domaine qui offrent le choix aux consommateurs et, ultimement, leur font profiter d’un marché plus concurrentiel, donc de prix à la baisse. L’application de cette recommandation, traitée de façon isolée, pourrait engendrer un coût disproportionné pour les petits fournisseurs, risquant de les faire se retirer du marché ou d’augmenter leurs tarifs. Ultimement, les utilisateurs d’Internet devraient assumer le fardeau financier de l’accroissement des capacités de surveillance.

De plus, le NPD s’inquiète de l’absence d’une recommandation concomitante créant un mécanisme amélioré de surveillance pour garantir la responsabilisation et le respect des droits à la vie privée des abonnés, lors du recours à ces nouvelles capacités d’interception de la part des forces de l’ordre et des fournisseurs de services de télécommunication et Internet. L’augmentation de ces capacités d’interception par l’État doit être contrebalancée par un mécanisme de surveillance efficace et crédible entièrement acquis à la protection des droits à la vie privée des Canadiens.

Enfin, le Comité a entendu des témoignages laissant croire que la facilité d’accès tout comme la capacité de conserver l’anonymat à l’achat de téléphones cellulaires constituaient de sérieux obstacles aux efforts des forces de l’ordre dans le cadre de leurs enquêtes sur les organisations criminelles. Les néo-démocrates trouvent problématique la recommandation suivant le paragraphe 145 du Rapport demandant au gouvernement d’examiner la possibilité de demander aux marchands de cellulaires, et possiblement aux fournisseurs de services de télécommunication, de vérifier l’identité des acheteurs et des abonnés. Aux yeux des néo-démocrates, cette recommandation manque nettement de prévoyance. Les faits permettent de croire que la mise en œuvre de cette recommandation imposerait des coûts faramineux aux entreprises de télécommunication, particulièrement les petites et les moyennes entreprises, coûts qui seraient inévitablement transférés aux consommateurs.

JUSTIFICATION INSUFFISANTE

Les néo-démocrates estiment que la recommandation suivant le paragraphe 132, ainsi que la recommandation suivant le paragraphe 160 ne sont pas suffisamment justifiées. Les néo-démocrates s’inquiètent du fait que ces recommandations ne proviennent pas de témoignages entendus pendant les audiences sur cette étude. Par suite, ces recommandations et leur contenu surgissent sans justification. Dans ce cadre, les néo-démocrates s’opposent à la recommandation suivant le paragraphe 132, selon laquelle il faudrait abaisser à 7 500 $ ou plus au lieu de 10 000 $ ou plus le seuil d’obligation de déclaration, par diverses entreprises, de toutes les transactions en espèces. Cette recommandation est particulièrement préoccupante, lorsqu’on l’étend aux cabinets d’avocats, à cause des répercussions potentielles sur les règles de confidentialité et du secret professionnel. Dans le même esprit, cette recommandation va à l’encontre de l’entente actuelle entre CANAFE et les barreaux provinciaux. Les néo-démocrates jugent cette recommandation aussi injustifiée qu’irréaliste.

En ce qui concerne la première recommandation suivant le paragraphe 160, les néo-démocrates remettent tout simplement en question la pertinence, aux fins d’une étude sur le crime organisé, d’une recommandation visant à accorder à la Cour supérieure de justice la compétence de statuer sur les allégations de privilège relatif à la sécurité nationale et d’interdire la possibilité de porter en appel ces décisions.

De plus, en ce qui concerne la deuxième recommandation suivant le paragraphe 160, qui vise à modifier le Code criminel pour conférer le pouvoir de désigner un avocat à un accusé se représentant lui-même, les néo-démocrates ne croient pas qu’il existe un fondement probatoire suffisant pour annuler les dispositions du Code criminel et la décision de la Cour suprême sur la question.

AIDE JURIDIQUE

Au cours des deux ans qu’ont duré les témoignages, le Comité permanent de la justice et des droits de la personne a entendu bon nombre de témoins experts qui ont soulevé des questions primordiales pourtant absentes du Rapport et des recommandations. Parmi ceux-ci, des témoins ont parlé du sous-financement croissant des programmes d’aide juridique partout dans le pays. Les témoignages des réunions du Comité révèlent que les accusés appartenant à des organisations criminelles voient souvent leurs biens saisis et n’ont aucun autre moyen de payer leur défense. Le sous‑financement de l’aide juridique peut provoquer des pénuries d’avocats de la défense, ce qui entraîne des retards dans les procès et donne souvent lieu à des procès plus longs parce que moins d’avocats de la défense expérimentés sont disponibles pour les services d’aide juridique. Les néo-démocrates sont certes convaincus que les personnes accusées d’activités liées au crime organisé doivent être poursuivies avec toute la rigueur de la loi; toutefois, l’affaiblissement de l’administration appropriée de la justice causée par le sous-financement des programmes d’aide juridique, perpétué par le gouvernement conservateur réduit l’équité du système.

Les néo-démocrates continueront à presser le gouvernement à adopter des stratégies équilibrées et efficaces pour lutter contre les activités liées au crime organisé qui compromettent la sécurité des rues et des communautés au Canada. Notre parti considère que la plupart des recommandations de ce rapport oriente le Canada dans la bonne direction. Toutefois, le gouvernement conservateur, dans des projets de loi tels C-10 et C-30, a confirmé son penchant pour les mesures législatives couteuses, abusives et idéologiques. Les néo-démocrates sont contre cette approche, que l’on retrouve dans certaines des recommandations du Rapport. Pour être efficace, la lutte au crime organisé doit être fondée sur les preuves, être pragmatique et respecter les droits des Canadiens qui respectent la loi. L’Opposition officielle continuera à demander des comptes au gouvernement afin de le presser à adopter des mesures législatives sensées qui permettent de lutter contre le crime organisé, tout en respectant les recherches fondées sur les faits, les droits des Canadiens qui respectent la loi ainsi que l’argent des contribuables.