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NDDN Rapport du Comité

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LA DISPONIBILITÉ OPÉRATIONNELLE DES FORCES CANADIENNES

A. Introduction

La préparation opérationnelle est l’élément clé de toute armée efficace. Pourtant, il n’est pas aussi simple de déterminer avec précision ce que constitue l’état de préparation. Comme l’a indiqué le chef d’état-major (CÉM) de la Défense, le général Walter Natynczyk, « la disponibilité opérationnelle est le pilier le plus complexe, et on pourrait même dire le moins bien compris, des quatre piliers sur lesquels reposent les capacités militaires décrites dans la Stratégie de défense Le Canada d’abord ». Il a aussi souligné l’importance du maintien d’un équilibre entre ces quatre piliers incontournables que sont la disponibilité opérationnelle, le personnel, le matériel et l’infrastructure. « En investissant trop peu ou excessivement dans l’un des quatre piliers, les forces armées seront incapables de mener à bien les missions que le gouvernement leur confie[1] ».

Le gén Natynczyk a également fait remarquer que la disponibilité opérationnelle est l'élément le moins tangible et le plus difficile à quantifier. Mais il a conclu que « c’est la disponibilité opérationnelle qui détermine le niveau de préparation et la capacité d’intervention de nos forces et qui permet de les déployer, souvent à court préavis, en réponse aux volontés du gouvernement. C’est la capacité d’amener les bonnes personnes ayant les compétences et l’équipement requis à la bonne place au bon moment et de soutenir cet effort tant qu’il est requis par le gouvernement[2]. Dans la même veine, le Bureau du vérificateur général (BVG) a défini la disponibilité opérationnelle comme étant « la mesure dans laquelle une unité des Forces canadiennes a la capacité d’entreprendre une tâche approuvée. La disponibilité opérationnelle comprend plusieurs éléments, notamment le personnel, la formation et l’équipement[3] ». Quoi qu’il en soit, même si ces définitions du critère de disponibilité opérationnelle sont pleines de bon sens, il convient de rappeler, pour faire écho aux propos tenus par le CÉM devant le Comité, que « la disponibilité opérationnelle n’est pas réalisée uniquement en procédant à de bons investissements dans le personnel, l’équipement et l’infrastructure. Il faut littéralement des milliers d’heures d’instruction dévouée, de la part des militaires et de leurs instructeurs, pour qu’ils soient prêts. Par ailleurs, il faut prévoir de multiples exercices progressifs pour créer des équipes au sein des différentes unités. La disponibilité opérationnelle s’inscrit dans un processus de progression continue par niveaux que les militaires doivent suivre avant d’être déployés. Une fois le déploiement terminé, on recommence le processus en préparation de la prochaine mission. Il faut rétablir la force des unités et du personnel ayant participé aux opérations et investir dans l’instruction requise pour permettre à nos nouvelles recrues de pourvoir des postes non dotés dans des groupes professionnels clés[4].

B. Prêts à quoi?

L’état de disponibilité opérationnelle est toujours une réponse calculée à une situation hypothétique. De plus, il faut se rappeler que la politique détermine la capacité. Si l’état de préparation de nos troupes n’est pas conforme à la « politique », à ce qu’on leur demandera de faire, on pourrait en subir les conséquences : se retrouver dans une position gênante; être dans l’incapacité d’effectuer le déploiement ou, pire encore, déplorer des pertes de vie à cause d’une préparation déficiente ou même pour avoir omis de faire une évaluation éclairée de la situation.

Il n’est pas facile de déterminer ce à quoi nous devons être préparés. Nous conseillons la prudence pour ce qui est de prévoir l’avenir et de formuler des hypothèses trop optimistes. Toutefois, parce que notre jugement repose sur l’expérience, nous avons une bonne idée de ce qui peut nous attendre. Globalement, il est essentiel d’avoir une force polyvalente, entraînée et équipée pour être apte au combat, qu’il soit d’intensité faible ou élevée. La Stratégie de défense Le Canada d’abord énonce les six missions principales des Forces canadiennes :

  • Mener des opérations quotidiennes nationales et continentales, y compris dans l’Arctique et par l’entremise du NORAD;
  • Offrir leur soutien dans le cadre d’un événement international important au Canada, comme les Jeux olympiques de 2010;
  • Répondre à une attaque terroriste importante;
  • Appuyer les autorités civiles en cas de crise au Canada, par exemple en cas de catastrophe naturelle;
  • Diriger et/ou mener une opération internationale importante durant une période prolongée; et
  • Déployer des forces en cas de crise à l’étranger pour une période de plus courte durée[5]. »

Lorsqu’on a demandé au CÉM si les Forces canadiennes seraient en mesure de s’acquitter simultanément des six missions, il a été catégorique : « [N]ous avons les ressources nécessaires pour réaliser simultanément les six missions qui nous sont confiées[6]. » Selon la Stratégie de défense, « les Forces canadiennes devront être entièrement intégrées, souples, polyvalentes et aptes au combat […] L’équipe intégrée de la Défense constituera un élément fondamental d’une approche pangouvernementale visant à répondre aux besoins en matière de sécurité, tant au pays qu’à l’échelle internationale[7]. »

L’assurance démontrée par le CÉM est aux antipodes de ce qu’avaient affirmé à notre prédécesseur, le Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants, le personnel du MDN et d’autres intervenants, lors de la première étude sur la préparation opérationnelle en 2001-2002 (Faire face à nos responsabilités — L’État de préparation des Forces canadiennes). Depuis, les Forces canadiennes ont mené à bien la mission de combat la plus longue de l’histoire militaire canadienne. Les expériences acquises ont ainsi amené le Comité à penser qu’il serait prudent de revoir les objectifs et de réévaluer les priorités.

i. Enseignements tirés des études précédentes

Lorsque le Comité a entrepris son étude en 2001, il cherchait principalement à savoir si les FC seraient parfaitement en mesure de relever les défis qui se présentaient. Lors d’études antérieures, le Comité avait « beaucoup entendu parler […] d’équipement vétuste, de moral à plat, de conditions de vie inadéquates, de formation insuffisante, de rythme insoutenable des opérations, de manque de fonds, etc.[8] ».

Comme aujourd’hui, on reconnaissait à l’époque que « la préparation opérationnelle ne se limite pas à l’équipement et à la stratégie ». Ainsi, « c’est une chose de posséder la meilleure technologie et les commandants supérieurs les plus avant-gardistes, mais il importe encore plus de pouvoir compter sur des troupes en nombre suffisant, bien formées et enthousiastes pour défendre les intérêts du pays. À l’inverse, un bon équipement a certainement des effets positifs sur le moral. L’un ne va pas sans l’autre. » Le Comité avait compris que l’on ne pourrait jamais atteindre la préparation voulue si l’on sacrifiait l’un de ses éléments en faveur d’un autre. À l’époque, il était ressorti que les questions liées à la qualité de vie avaient dû céder le pas à d’autres « considérations essentielles, d’ordre financier ». On avait alors conclu que pour assurer la capacité opérationnelle, il fallait « analyser toutes les facettes : qualité de vie, formation, équipement, éducation et leadership ». Il fallait également bien comprendre ce à quoi on se prépare. La structure d’une force doit pouvoir s’intégrer au cadre stratégique que l’on souhaite lui imposer[9].

ii. Réagir aux défis d’aujourd’hui en matière de sécurité

La Stratégie de défense Le Canada d’abord reconnaît que « [le] monde d’aujourd’hui est instable et incertain, et le Canada fait face à de véritables défis au plan de la sécurité […] tout nouveau développement à l’étranger peut avoir des répercussions importantes sur la sécurité et les intérêts des Canadiens au pays ». Les attentats terroristes du 11 septembre 2001 ont eu un effet effroyable immédiat. Ces attentats et d’autres qui ont été produits par la suite « montrent à quel point l’instabilité et la mise en déroute d’un État peuvent nuire directement à notre propre sécurité et à celle de nos alliés ». La Stratégie de défense cite les menaces suivantes à la stabilité internationale :

  • l’éclatement de conflits ethniques et frontaliers;
  • la fragilité de certains États, la montée du nationalisme et la présence de réseaux criminels mondiaux;
  • l’inégalité d’accès aux ressources et les inégalités économiques;
  • la prolifération des armes à la fine pointe de la technologie et l’émergence potentielle de nouveaux États adverses dotés de l’arme nucléaire et menés par des régimes imprévisibles;
  • l’influence des militants islamistes dans des régions clés;
  • les catastrophes naturelles telles que des inondations, des incendies de forêt, des ouragans et des tremblements de terre [qui] peuvent neutraliser les possibilités d’action des autorités locales;
  • les attaques terroristes, la traite de personnes, le trafic de stupéfiants et les épidémies de maladies infectieuses[10].

Le rapport de 2002 du Comité et la Stratégie de défense reconnaissent tous deux que de tels défis requièrent une connaissance de la sécurité qui dépasse les simples considérations militaires. Comme il est indiqué dans la Stratégie de défense, « [d]e nos jours, les déploiements sont beaucoup plus dangereux, plus complexes et plus difficiles que par le passé et ils ne peuvent se limiter uniquement à une solution militaire ». Par conséquent, la contribution des Forces canadiennes en Afghanistan, même si elle était essentielle, n’était qu’une composante d’une « approche pangouvernementale ». Confronter les menaces actuelles nous oblige à faire appel à « une large gamme d’expertises et de ressources gouvernementales ». En outre, ces opérations se dérouleront souvent « sous l’égide des Nations Unies et de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) ». Toutefois, il arrivera que le « Canada prendra part à des missions conjointement avec des États alignés, lorsque les circonstances l’exigeront, à titre de membre responsable de la communauté internationale », fournissant « les ressources appropriées au soutien des intérêts du pays et des objectifs internationaux[11] ».

En 2002, le Comité a conclu qu’il fallait continuer de se préoccuper de la sécurité humaine. Aujourd’hui, la notion de sécurité doit être prise dans un contexte beaucoup plus large qu’auparavant. « Il nous incombe de veiller non seulement à notre propre sécurité, mais aussi à la sécurité et au bien-être de tiers[12]. » Le rapport précédent et la Stratégie de défense reconnaissent tous deux le fait que si nous voulons surmonter les défis stratégiques d’aujourd’hui, il nous faut voir la sécurité dans un contexte plus large.

Kerry Buck, sous-ministre adjointe, Secteur de la sécurité internationale et directrice de politiques, Affaires étrangères et Commerce international Canada, a dit ceci au Comité : « Nous formons les forces de maintien de la paix de telle sorte que chacun comprenne bien les aspects des opérations qui touchent les droits des femmes et la manière dont le droit humanitaire international protège les civils sous l'angle des droits de la personne s'appliquant aux femmes[13] ». Lorsque le gouvernement décide d’agir à l’échelle internationale, « dans cette gamme d’engagements qui vont de la sécurité douce à la sécurité dure, la coopération avec le ministère de la Défense nationale fait absolument partie intégrante » de la réussite de la mission. « [L]'intervention en cas de conflits nécessite, presque dans tous les cas, l'adoption d'une approche pluridimensionnelle et une coopération étroite entre les civils et les militaires[14]. »

Selon Jill Sinclair, sous-ministre adjointe, Politiques, ministère de la Défense nationale, les missions de paix complexes qui englobent la protection des civils exigent des militaires qu’ils possèdent une bonne connaissance du peuple dont ils assurent la protection. Elle a souligné que comprendre les droits de la femme est aussi un aspect important de la formation préalable au déploiement. « [L]a sensibilisation aux différences culturelles fait partie intégrante de la formation préalable au déploiement[15]. »

Cette formation permet au personnel des FC, aussi bien les hommes que les femmes, de mieux composer avec les complexités des différentes situations, qu’il s’agisse d’enfants soldats, de différences religieuses ou de conflits tribaux. En fait, il y a des situations où seules les femmes peuvent accéder à certains secteurs ou exécuter certaines tâches. Jill Sinclair a souligné que globalement, les FC ont « établi d'excellentes relations avec les tribus et les aînés », ce qui est attribuable « au respect et à la dignité que nous mettons dans la préparation de nos militaires avant leur déploiement[16] ».

Compte tenu de ce qui précède, il semble que la disponibilité est un aspect multidimensionnel de la préparation et de l’instruction des militaires; sa portée englobe beaucoup plus que les tâches militaires classiques. Il faut par ailleurs être en mesure de s’adapter aux nouveaux principes de gouvernance du comportement des États. L’intervention multinationale en Libye, en 2011, offre un bon exemple. Les mesures prises par la communauté internationale ont été autorisées en vertu de la Résolution 1973 des Nations Unies (2011), qui autorise aux États membres de « prendre toutes les mesures nécessaires […] pour protéger les populations et les zones civiles menacées d’attaque […][17] ».

C. Amélioration de la disponibilité opérationnelle des FC et défis

i. Personnel et équipement

Pouvons-nous honorer les engagements et suivre les orientations que préconise la Stratégie de défense Le Canada d’abord? Et surtout, sommes‑nous en mesure de garantir que les hommes et femmes des FC disposeront des outils nécessaires pour exécuter ce que nous leur demandons? Se demander « comment » nous envoyons nos troupes à l’étranger est aussi important que de se demander « pourquoi ». Le pourquoi repose sur des intérêts stratégiques et nationaux; le comment repose sur l’engagement moral que nous prenons à l’égard des hommes et des femmes qui acceptent une « responsabilité inconditionnelle » en servant leur pays.

Lorsqu’il a comparu devant le Comité, il y a de cela 10 ans, le chef d’état‑major de la Marine de l’époque avait déclaré que la Marine ne pourrait pas « s’acquitter de ses missions de défense si elle [n’obtenait] pas de ressources supplémentaires ». Il s’était dit inquiet par le fait que la Marine faisait face à de graves pénuries de personnel dans un certain nombre de métiers et de spécialités. Il avait conclu en disant que « [l]es réductions imposées à l’égard de la flotte d’aéronefs et des acquisitions ainsi que la pénurie de personnel aur[aie]nt des répercussions directes sur l’aptitude de la Marine à assurer la surveillance et le contrôle du territoire canadien ». Globalement, ces problèmes risquaient « d’entraîner une dégradation importante de la capacité opérationnelle et de l’efficacité de la flotte[18] ».

Le chef d’état-major de la Force aérienne de l’époque avait déclaré au Comité que « la Force aérienne [était] déficitaire dans bien des secteurs et [qu’elle avait] perdu une bonne partie de sa souplesse, de sa redondance et de sa capacité d’augmentation ». Le manque de personnel était susceptible d’entraîner une perte de capacité. De plus, il serait difficile de satisfaire aux « attentes du MDN et du gouvernement en matière de rendement[19] ».

Le chef de l’Armée de terre de l’époque était le plus pessimiste. Selon lui, « le capital humain, autant dans le sens physique que psychologique, de l’Armée de terre est exploité au‑delà de ses limites ». En outre, il affirmait que l’Armée ne pourrait être maintenue en puissance dans ces circonstances et que le niveau d’engagement en Bosnie était impossible à maintenir. Au nombre des problèmes avec lesquels l’Armée devait composer, il y avait l’épuisement du personnel, le stress ainsi que la réduction à des niveaux dangereux des effectifs et des cadres dans les unités des forces régulières et de réserve. Ce témoignage rappelait de façon très révélatrice qu’il est important de toujours faire la distinction entre les capacités théoriques ou planifiées des FC et leurs capacités actuelles ou réelles[20].

À l’époque, le Comité avait été passablement troublé par ce témoignage. De toute évidence, les Forces canadiennes étaient mal en point et, dans l’espoir d’améliorer les choses, il avait formulé une série de recommandations qu’il considérait comme raisonnables, bien que passablement larges.

Dans le cadre de la présente étude, les hauts dirigeants des Forces canadiennes n’ont nullement soulevé ces problèmes. Le vice-amiral Bruce Donaldson, vice-chef d'état-major de la Défense, a déclaré au Comité que maintenant que la mission à Kandahar est terminée, les Forces canadiennes doivent prendre des mesures pour adapter leurs besoins en ressources en fonction des priorités économiques générales des Canadiens et des besoins en capacités à long terme des militaires. Il reconnaît simplement qu'il y aura une période d'austérité et que pour s'adapter à l'après-conflit en Afghanistan, il faudra faire des choix importants. « Bâtir une nouvelle capacité ou même soutenir le niveau actuel de certaines capacités que nous possédons déjà exigera des compromis ailleurs[21]. » Les compromis peuvent se traduire par une spécialisation et des investissements stratégiques.

Lorsqu'il a comparu devant le Comité, le lieutenant-général Peter J. Devlin, chef d'état-major de l'Armée de terre, a dit que l'armée d'aujourd'hui est bien différente de ce qu'elle était il y a 10 ans. À la suite des attaques lancées contre le World Trade Center, le contexte de sécurité mondial a changé du tout au tout et l’Armée canadienne a dû s’adapter. Aujourd'hui, « l’Armée canadienne doit être agile, hautement qualifiée et capable de relever sans préavis une foule de défis nouveaux et imprévus ». Elle doit être en mesure d’intervenir sur différents théâtres et mener souvent plusieurs opérations en même temps. Pour y parvenir, l’Armée synchronise maintenant ses exercices d’entraînement avec l’Aviation royale canadienne qui s’est adaptée à son « plan de gestion de la disponibilité opérationnelle sur 24 mois ». D'après le lgén Devlin, les deux forces se vouent maintenant un respect mutuel et travaillent plus efficacement ensemble[22]. Il a insisté par ailleurs sur le fait que les contacts et la coordination de l’Armée avec ses partenaires pangouvernementaux « se sont beaucoup intensifiés » depuis que le Canada a participé à la mission en Afghanistan.

En ce qui a trait au personnel et à l’équipement, le Comité s’est fait dire que l’Armée « se recharge ». Comme l’a expliqué le commandant : « Nous nous activons actuellement à récupérer nos soldats, notre matériel et nos idées, à la suite de nos opérations de combat en Afghanistan. » En même temps, il s’est montré réaliste par rapport à l’avenir. Il a reconnu que la fin de la mission de combat en Afghanistan entraînera une diminution du recrutement dans l’Armée. Les 1 000 véhicules ramenés d’Afghanistan sont remis en état à Edmonton. Il a déclaré que d’ici l’automne 2012, l’Armée aura une force correspondant à un groupement tactique bien équipé avec la protection nécessaire des véhicules blindés prêts au déploiement. Le commandant s’est également montré réaliste à propos des compressions appliquées au budget de la défense et à leur incidence sur les projets d’acquisition de l’Armée. Il a souligné que pour ses achats de véhicules, l’Armée a prévu un nombre minimum plus une option, ce qui lui donne une souplesse additionnelle. Par exemple, l’Armée a prévu acheter 500 véhicules tactiques et de patrouille, plus une option de 100 véhicules supplémentaires.

Le Comité est heureux d’apprendre du commandant de l’Armée que la Réserve demeurera intégrée à la force régulière et qu’elle pourra ainsi continuer de jouer un rôle important dans les opérations futures au pays et à l’étranger. Les réservistes sont des gens qualifiés dont les compétences et l'engagement n'ont pas toujours été reconnus à leur juste valeur. Sans eux, on n’aurait pas pu mener à bien la mission en Afghanistan. Même s’il recommande que l’Armée renonce à intégrer les deux forces, le lieutenant-général Andrew Leslie, dans son rapport, a reconnu qu’il faudrait encore compter sur les réservistes pour renforcer l’effectif de la force régulière et des opérations internationales. Il a reconnu en ces termes la contribution des réservistes en Afghanistan : « Quiconque a servi avec eux vous dira que oui, ils sont égaux. Ils ont reçu le même entraînement, et lorsqu’ils débarquent en Afghanistan, on ne peut les distinguer de la force régulière. L’Armée n’aurait pu accomplir ce qu’elle a fait en Afghanistan sans la Réserve. Nous nous serions écrasés. Le pays leur est infiniment redevable[23]. »

Nous sommes donc favorables à la décision du gouvernement d'aider les employeurs qui embauchent des membres de la Réserve. Tous ceux qui croient dans la valeur de la contribution des Forces de réserve reconnaissent que nous avons la responsabilité sociétale de veiller à ce que le fardeau de la mobilisation des Forces de réserve n’incombe pas seulement aux employeurs ou aux réservistes eux-mêmes. Le major-général Steve Bowes a reconnu qu’« il y a certains domaines dans lesquels les réservistes sont particulièrement qualifiés pour fournir un bloc de connaissances qu'on ne retrouve pas dans la Force régulière parce que ce ne sont pas des soldats à temps plein, qu'ils ont des carrières à temps partiel — et aussi dans bien des cas à temps plein — et que ces connaissances se traduisent par des expériences très utilisables outre-mer[24] ». La décision du gouvernement, appliquée dans le dernier budget, de fournir une aide aux employeurs lorsque des réservistes sont déployés, et de protéger ainsi les emplois des réservistes, est accueillie très favorablement. De plus, en juin 2012, une loi sur la protection de l’emploi des réservistes a été adoptée par le gouvernement fédéral, ainsi que par toutes les provinces et territoires. Nos alliés britanniques et australiens ont adopté des mesures législatives pour protéger les emplois et soutenir financièrement les employeurs. Nous devrions en faire autant. Le Comité appuie à l’unanimité les initiatives gouvernementales à cet égard.

Le vice-amiral Paul Maddison, commandant de la Marine royale canadienne, a expliqué aux membres du Comité que l'approche de la Marine en matière de disponibilité opérationnelle s'articule autour de trois principes fondamentaux. Premièrement, il faut protéger les intérêts maritimes du Canada au pays; deuxièmement, la protection de ces intérêts suppose que la Marine est prête à mener des opérations dans le monde entier; troisièmement, il faut que les hommes et les femmes de la Marine royale canadienne puissent « compter sur les outils nécessaires pour pouvoir faire leur travail ». Pour atteindre ces objectifs, la Marine gère un groupe opérationnel à haut niveau de préparation qui constitue son principal atout d’intervention maritime en prévision des « contingences majeures au pays ou à l’étranger ». Ce groupe opérationnel se compose des « éléments suivants : un destroyer de défense aérienne qui sert également de plate‑forme de commandement à un commandant embarqué, deux ou trois frégates polyvalentes, un navire de ravitaillement en mer ainsi que leurs hélicoptères embarqués et, si la mission l’exige, un sous-marin[25] ».

Pour ce qui est de la Marine, on se pose depuis longtemps des questions sur la viabilité de ses sous-marins et de la pertinence de poursuivre le programme. Le vam Maddison a assuré le Comité qu’avant la fin 2012, la Marine disposera de deux sous-marins à disponibilité opérationnelle élevée : un sur chaque côte. Un troisième sous-marin ayant une capacité opérationnelle moindre sera en service en 2013. Un des quatre sous-marins subira toujours ce que l’on appelle des « travaux de maintenance majeurs[26] ».

Dans son témoignage, le professeur James Fergusson, professeur à l’Université du Manitoba, a laissé entendre que « l'argument qui a été présenté pour le Canada et les sous-marins relève davantage d'une image de la marine plutôt que des exigences stratégiques dont elle a véritablement besoin par rapport aux ressources disponibles ». Il a indiqué que les sous-marins de la classe Victoria sont en réalité trop petits pour faire de la surveillance et qu’ils ne sont pas non plus efficaces pour défier d’éventuels adversaires. Il a néanmoins admis qu’étant donné les investissements déjà consentis, il vaudrait mieux mener le projet à terme; on ne peut pas échapper aux coûts déjà occasionnés[27]. Si on abandonne le programme, on risque de perdre une capacité qu’il sera ensuite difficile à retrouver. La formation des équipages est un travail de longue haleine, et l’infrastructure côtière coûte cher. Si l’on renonce aux sous-marins de la classe Victoria pour finalement décider par la suite qu’ils sont réellement nécessaires, leur acquisition pourrait se révéler véritablement prohibitive.

Malheureusement, le Comité n’arrive pas à s’entendre sur cette question. Certains membres croient que les sous-marins sont essentiels à la Marine, d’autres qu’il est important pour le Canada de revoir les besoins à cet égard. Néanmoins, face à la décision de renoncer à une capacité importante ou d’en faire l’acquisition, le Comité reconnaît que la prudence est de mise.

En ce qui a trait à la pénurie de personnel dans la Marine révélée par l’étude précédente, le vam Maddison a expliqué qu’entre 2004 et aujourd’hui, la MRC a « rapetissé[28] » tandis que les Forces canadiennes ont pris de l’expansion dans les métiers de combat de l’Armée de terre. Il était devenu évident, deux ou trois ans auparavant, que si les FC n’accordaient pas la priorité au recrutement dans la Marine, « nous ne serions pas en mesure de maintenir la puissance opérationnelle dont nous avions besoin pour déployer les navires en mer afin de remplir les six missions essentielles de la SDCD[29] ». Par conséquent, la Stratégie de défense a accordé la priorité au recrutement dans la Marine, et le commandant était heureux d’annoncer que des progrès ont été accomplis jusqu’ici. Il a aussi prédit que les corps de métiers « en détresse », comme les techniciens de mécanique navale et les électroniciens navals, se rétabliront d’ici 2017. L’arrivée de nouveaux marins a cependant mis à rude épreuve les écoles et les flottes de la MRC, mais selon le commandant, ce genre d’épreuve est actuellement nécessaire.

Le lieutenant-général André Deschamps, commandant de l’Aviation royale canadienne, a répondu à la question visant à savoir si les F-35 sont le meilleur choix pour remplacer les CF-18 vieillissants. Selon lui, les F-35 demeurent un choix approprié pour l’Aviation royale canadienne. Même si certains ont dit préférer le Super Hornet au F‑35, il a soutenu que bien que ce soit un très bon avion, « ce n’est pas l’avion dont aura besoin le Canada pour les décennies à venir ». La capacité furtive du Super Hornet n’est pas à la hauteur de celle du F-35[30].

Comparé à d'autres concurrents possibles, le F-35 a des « capacités tout à fait différentes qu'il met à profit durant les conflits ». L’une des différences majeures, selon le lgén Deschamps, tient à la manière dont l’appareil intègre l’information. Les nouvelles technologies dont est équipé cet avion permettent aux pilotes d’obtenir de l’information très rapidement et efficacement et de la transmettre à d’autres; l’avion « donne beaucoup plus d’informations que ce que nous pouvons recueillir présentement ». Selon lui, les autres avions disponibles actuellement ne sont pas équipés de cette technologie[31].

Le Comité a également entendu le témoignage de Roger Ingebrigsten, secrétaire d'État, ministère de la Défense du Royaume de Norvège, et le contre-amiral Trond Grytling, attaché de la Défense, ambassade royale de Norvège. M. Ingebrigsten a déclaré que les F-35 sont vus comme le meilleur choix pour remplacer la flotte de F-16 que possède actuellement la Norvège. Ce pays entend faire l’acquisition de 52 F-35. M. Ingebrigsten a ajouté que la Norvège avait « évalué trois autres candidats, et que le F-35 s’est classé premier dans tous les domaines[32] ».

Le Comité n'est pas en mesure de déterminer quel est le meilleur équipement pour combler les besoins; il laisse aux experts le soin de se prononcer sur cette question.
Sa responsabilité consiste à formuler des recommandations sur l’équipement que les Forces canadiennes devraient posséder. À cet égard, le Comité estime fermement que le Canada doit remplacer sa flotte actuelle de CF-18 par un appareil qui permettra de combler ses besoins territoriaux et de s’acquitter de ses obligations internationales.

Pour ce qui est des autres plates-formes, l’acquisition des C-17 et des C‑130J a permis de répondre aux exigences de l’ARC en matière de transport stratégique et tactique, tel que le Comité l’avait recommandé il y a 10 ans. En outre, les Chinook arriveront bientôt, s’ajoutant à la capacité de transport et permettant aux FC de disposer d’une grande souplesse lorsqu’il faut transporter des personnes et de l’équipement dans un court laps de temps. Selon le commandant, ces plates-formes ont déjà prouvé leur utilité, particulièrement en Afghanistan. L’ARC attend également le Cyclone d’ici quelques années. Toutefois, dès qu’une nouvelle flotte est intégrée à la Force aérienne, il y a des défis à relever quant au personnel et à l’instruction, ce qui met à l’épreuve la disponibilité opérationnelle de l’ARC[33].

Pour ce qui est du personnel, l’ARC compte 26 corps de métier, dont 9 ont été désignés « en détresse » l’an dernier. Cette année, on en dénombre 7. Grâce à la rationalisation des processus d’instruction, le commandant a dit avoir « bon espoir » que l’ARC pourra « combler l’écart pour les autres groupes professionnels[34] ». Produire des pilotes, cependant, continuera de comporter des défis. Selon le commandant, « l’actuelle pénurie de 250 pilotes prévaut depuis au moins 10 ans[35] ». Il espère produire au total environ 105 pilotes par année de façon à combler l’écart tout en absorbant les pertes normales causées par les départs à la retraite et les changements de carrière.

Les membres du Comité ont exprimé un intérêt particulier pour la recherche et le sauvetage (SAR) et notamment les composantes aériennes et maritimes qui relèvent de la responsabilité du MDN. Nous sommes tous au courant des questions suscitées récemment par les délais de réaction et la disponibilité immédiate des équipages. Le lieutenant-général Walter Semianiw, commandant du Commandement Canada, a expliqué les critères en fonction desquels les ressources SAR sont disposées et les niveaux de préparation établis. En ce qui a trait au personnel, le lgén Deschamps a assuré le Comité que le groupe des techniciens en recherche et sauvetage se porte bien, et qu’il se trouve en fait « légèrement au-dessus du niveau établi[36] ». Toutefois, l’an dernier, l’ARC n’a pu retenir ses mécaniciens de bord pour le Cormorant ou en former suffisamment pour compenser les pertes causées par des difficultés techniques en raison desquelles il a fallu limiter les heures de vol. Selon le commandant, seulement 7 des
14 hélicoptères étaient disponibles pour les missions. Depuis, le gouvernement a fait l’acquisition de pièces de rechange auprès des États‑Unis, qui ont fermé leur flotte d’hélicoptères EH-101. Le commandant pense que la disponibilité des Cormorant va continuer à augmenter au fur et à mesure de l’utilisation des pièces de rechange[37]. Pour la présente étude, le Comité n’a pas examiné en détail le dossier de la recherche et du sauvetage, mais il peut avancer sans craindre de se tromper qu’il est essentiel de disposer de l’équipement adéquat; la réussite ou l’échec des missions de recherche et de sauvetage en dépend. En ce qui a trait aux aéronefs à voilure fixe, l’ARC commence à voir les retombées favorables du remplacement des vieux Hercules par les nouveaux modèles J. À propos des flottes vieillissantes de Buffalo, le commandant a affirmé : « [N]ous tenons le coup[38]. » Le Comité croit que le remplacement des Buffalo tarde depuis trop longtemps.

Enfin, les FC ont également la responsabilité de protéger leur infrastructure cybernétique. Le major-général Jonathan Vance, directeur d’état-major, État-major interarmées stratégique, a dit au Comité : « Avec le temps, il faudra accroître notre cybercapacité de façon à ce qu'elle demeure proportionnelle à la cybercapacité du reste du monde. »  Le Canada dispose d’une bonne cybercapacité. Mais c’est un domaine que nous devrons continuer à développer et dans lequel nous devrons investir[39]. Le professeur David Skillicorn, de la School of Computing de l’Université Queen’s, a fait une remarque semblable. Il a aussi ajouté que si nous voulons contrer efficacement les menaces cybernétiques, nous avons besoin d’analystes ayant une formation à la fois dans le domaine des sciences sociales et dans l’analyse des données. Par tradition, on a fait appel jusqu’à présent à des analystes formés d’abord en sciences sociales, mais avec les aptitudes techniques requises maintenant pour comprendre le monde cybernétique, il nous faut des analystes capables de faire le lien entre les sciences sociales et le traitement des données. Il a également fait remarquer qu’il existe « beaucoup de ressemblances entre les façons de faire en matière de cybersécurité et les façons de faire en matière de renseignements d’origine électromagnétique ». Il a conclu qu’il faudrait « donner au Centre de la sécurité des télécommunications la responsabilité de la cybersécurité ainsi que de toutes les autres questions connexes[40] ».

ii. Transformation

Le témoignage que nous a livré le haut commandement des FC a contribué à valider nos conclusions initiales et plus particulièrement, la nécessité d'avoir une force plurifonctionnelle équilibrée et prête à être déployée rapidement; la pertinence continue de la formation et de l'instruction; et la nécessité de se doter d'équipements modernes. Steven Staples, président de l’Institut Rideau, a rappelé au Comité : « Comme l'a dit le lgén Leslie dans son rapport, si nous sommes sérieux au sujet de l'avenir — et comment pourrions-nous ne pas l’être? —, la réaffectation de milliers de personnes et de milliards de dollars de ce que nous faisons maintenant à ce que nous voudrons faire demain exigera certains changements spectaculaires[41]. »

La préparation des FC ne se limite pas à l’entretien des grandes plates‑formes. Dans son témoignage, le mgén Vance a déclaré qu'on a toujours tendance à voir les « grands segments des Forces canadiennes : les bataillons, les navires, les avions » comme les éléments les plus importants de la disponibilité opérationnelle, et à oublier un peu les « facilitateurs » qui permettent aux forces d'intervenir efficacement. Le commandement et le contrôle en font partie. Selon lui, « on ne peut travailler au sein d’une alliance ou d’une coalition sans avoir des capacités techniques très sophistiquées pour le commandement et le contrôle[42] ».

Le Comité trouve donc encourageante l'annonce récente, datant du 11 mai 2012, sur la rationalisation de la structure de commandement et de contrôle des opérations des FC. Ces dernières considèrent ces changements comme la suite logique du processus de transformation amorcé en 2005-2006 par le général Rick Hillier. Les changements instaurés par le général visaient à relever les défis liés au contexte de sécurité et à assurer la pertinence des FC. C’est ce qui explique la création des nouveaux commandements opérationnels : Commandement Canada, Commandement de la Force expéditionnaire du Canada, Commandement des Forces d’opérations spéciales du Canada et Commandement du soutien opérationnel du Canada[43].

En 2010, dans le cadre de l'examen continu de la défense, le gén Natynczyk a nommé le lgén Leslie chef de la Transformation. Le Rapport sur la transformation du lgén Leslie a été publié en septembre 2011, et en mai 2012, les FC annonçaient « le lancement d’une structure remaniée de commandement et de contrôle pour les opérations se traduisant par la création d’un seul commandement, le Commandement des opérations interarmées du Canada (COIC) ». Le COIC regroupe les activités du Commandement Canada, du Commandement de la Force expéditionnaire du Canada et du Commandement du soutien opérationnel du Canada. Il « sera responsable de mener toutes les opérations des FC au Canada, en Amérique du Nord et ailleurs dans le monde, de concert avec des partenaires nationaux et internationaux[44] ».

L'une des principales préoccupations exprimées par le lgén Leslie dans son rapport concernait la réduction des frais généraux administratifs et le retour du personnel militaire en uniforme au sein des unités opérationnelles. Il souhaitait « rationaliser le nombre d’organisations et de gens qui prennent part à la planification, la réalisation et la supervision des opérations; assurer une gestion cohérente et efficace des nombreuses capacités militaires diverses et disparates qui sont réparties dans l’ensemble de l’organisation; mettre davantage l’accent sur les opérations et les capacités interarmées, et améliorer l’efficacité de celles-ci, non seulement à titre de catalyseurs, mais également comme capacités futures clés; améliorer la cohérence de l’analyse, la priorisation et le respect des exigences quant aux capacités futures[45] ».

Selon le Ministère, la nouvelle structure « permettra de réduire de 25 p. 100 (au maximum) le nombre d'officiers des FC dans les états-majors stratégiques et de mieux utiliser les ressources administratives ». Le personnel des FC pourra donc être réaffecté à de « nouvelles capacités et demandes opérationnelles[46] ». Le Comité trouve que c’est un progrès encourageant. Le Comité entend suivre le processus de transformation de près, et s’attend à recevoir des exposés et des rapports d’étape détaillés de la part de tous les responsables qui y participent. Il souhaite également entendre le point de vue de ceux qui seront les plus touchés par cette transformation.

Le Comité s’attend également à recevoir une mise à jour sur la façon dont le processus de transformation se répercutera sur les réserves, en particulier sur la Milice. Le Comité a déjà pris bonne note de la contribution essentielle de l’Armée de réserve à la campagne en Afghanistan; il demande donc instamment que la formation de la Réserve ne soit pas sacrifiée sur l’autel des compressions budgétaires. Couper dans la composante administrative du service de réserve de classe « B » au quartier général est justifiable; cela fait des années qu’on en discute. Toutefois, si la Milice doit demeurer partie intégrante de la force totale, ce qu’elle a su démontrer, il faudra prévoir l’instruction et les ressources nécessaires pour conserver cette capacité.

iii. Formation et instruction

Selon Michael Hennessy, professeur au Collègue militaire royal du Canada, nous en savons assez sur les incertitudes pour proposer des « stratégies d’adaptation essentielles afin d’être prêts à réagir vigoureusement en cas de situation nouvelle ou imprévue[47] ». Depuis la publication de la Stratégie de défense Le Canada d'abord, en 2008, plusieurs grands changements significatifs sont survenus sur l'échiquier mondial.

Il sera difficile de surmonter ces difficultés, mais comme l’a fait observer Michael Hennessy, « sauf en ce qui concerne les opérations dans l'Arctique et les patrouilles de souveraineté, la structure de nos forces est principalement conçue en vue de déploiements à l'étranger hautement discrétionnaires ». Les FC, qui comptent 15 ans de déploiements de grande envergure à l’étranger, « sont sans doute mieux organisées que jamais pour participer à de telles opérations, notamment à long terme ». Il ajoute particulièrement « non seulement les forces déployées, mais aussi notre quartier général, à Ottawa, et l’autorité nationale de commandement, disposent maintenant de capacités de commandement, de contrôle, de communications, d’informatique et de renseignement bien meilleures qu’en 1995, 2001 ou 2008[48] ».

La disponibilité opérationnelle « n’est pas une simple question d’équipement ou de commandement et de contrôle ». Le personnel des FC en est l’élément le plus important. Plusieurs de nos témoins ont fait valoir que pour que les FC demeurent efficaces, elles doivent être en mesure de recruter les meilleures personnes. En outre, ces personnes doivent posséder « les forces nécessaires, l’agilité mentale, la dextérité et la solidité émotive pour être en mesure de s’exposer à des risques tout en défendant le meilleur des valeurs canadiennes ». Les militaires actifs doivent avoir une excellente préparation cognitive, à savoir la disposition intellectuelle et mentale permettant de relever les défis et d’imaginer de nouvelles solutions[49]. Selon Michael Hennessy, « la préparation cognitive aux niveaux tactique et opérationnel ainsi qu'au niveau supérieur » reçoit très peu d'attention; pourtant elle est « le fondement de l'agilité des Forces canadiennes ».

L'instruction des forces armées repose sur la doctrine, laquelle s'inspire « de l'expérience acquise et de la réflexion qu'elle suscite ». Toutefois, les connaissances enseignées accusent souvent un certain retard par rapport à l’expérience contemporaine. À mesure que nos forces se retireront des déploiements de grande envergure à l’étranger, « l’étendue de notre expérience tendra à diminuer, et nous oublierons possiblement des leçons durement apprises ». C’est particulièrement vrai dans le cas de l’armée. La marine et la force aérienne devront toujours continuer à naviguer et à piloter, même si les régimes d’instruction actifs sont coûteux. Les régimes d’instruction actifs sont néanmoins tout aussi essentiels pour l’armée.

Le mgén Steve Bowes a déclaré au Comité que les capacités acquises par l'Armée de terre au cours des dernières années « ne sont pas éternelles ». Dans son instruction, l’Armée de terre doit relever le défi de poursuivre ses succès tout en continuant à s’adapter à un environnement changeant. En même temps, l’Armée a fait des progrès pour ce qui est de travailler de concert avec les autres services et d’instaurer le respect mutuel entre la Force régulière et la Force de réserve de l’Armée de terre[50].

Le Comité a été à même de le constater lors de sa visite au Centre canadien d’entraînement aux manœuvres, à Wainwright, lorsqu’il a assisté à deux exercices d’entraînement. L’entraînement dont le Comité a été témoin n’était pas le même que celui dispensé par l’Armée, il y a quelques années, alors que les opérations anti-insurrectionnelles en Afghanistan étaient la priorité. Même si les aptitudes développées pendant cette période demeurent utiles, l’Armée est maintenant revenue à un entraînement plus complet que ce qui était requis pour l’Afghanistan, c’est-à-dire qui couvre l’ensemble du spectre opérationnel, depuis l’assistance humanitaire jusqu’au combat, y compris la capacité de se battre contre un adversaire de force presque égale, aux côtés de nos alliés et partenaires. Le mgén Bowes a déclaré « qu’on mettra en avant l’instruction pour des opérations dans l’Arctique et la jungle, la guerre en montagne et les opérations en littoral ainsi que d’autres, parachutées et aéroportées[51] ».

Les deux exercices auxquels le Comité a assisté englobaient une série de tâches du spectre opérationnel. Pour le premier exercice, les soldats devaient aider les autorités civiles à transférer des réfugiés vers un camp voisin. Durant l’opération, deux bombes humaines ont attaqué le secteur. Le second exercice comprenait l’évacuation et le sauvetage de civils à bord d’un autobus qui avait été la cible d’un engin explosif improvisé. Les militaires devaient procéder à une évacuation médicale au moyen d’un hélicoptère Sea King et devaient ainsi coordonner l’opération avec l’Aviation royale canadienne. Durant les deux exercices, les instructeurs observaient et évaluaient silencieusement les soldats au travail; une rétroaction suivrait l’entraînement. Le Comité a ainsi eu une occasion en or de se familiariser avec l’entraînement des soldats. Ces exercices sont planifiés et organisés de manière à ce que les soldats acquièrent le plus d’expérience possible du travail de terrain, et ce, dans le moindre détail. Les difficultés et les frustrations associées à la culture et à la langue en terre étrangère, ainsi que le choc éprouvé par suite d’une attaque sont autant d’expériences auxquelles les soldats doivent être confrontés à l’entraînement. On embauche des acteurs, certains s’exprimant dans une langue étrangère, ainsi que des artistes-maquilleurs qui recréent des saignements, des blessures et des amputations, afin de rendre les scénarios les plus réalistes possible. Le Comité s’estime privilégié d’avoir pu assister à ces exercices, et est encouragé par la façon dont l’entraînement pousse nos militaires à développer leur façon de penser et de se comporter en situation de crise, qu’ils combattent un ennemi ou participent à des activités humanitaires.

Michael Hennessy a affirmé que pour être « en mesure » de participer à un déploiement, surtout à une mission imprévue exigeant une intervention rapide, il faut avoir investi dans « une préparation psychologique en vue des épreuves de la guerre ». Un tel investissement est tout aussi essentiel pour la participation au sein « d'alliances ou de coalitions, la définition des nouvelles tactiques, les techniques opérationnelles, l'intégration de nouveaux systèmes d'armes jamais imaginés ou les mesures prises pour s'en défendre ». Tous ces éléments reposent sur des militaires bien formés[52]. Il a déclaré qu'au cours des 15 dernières années, des progrès considérables ont été réalisés « dans le développement d'une capacité nationale de commandement, de contrôle […] et de renseignement ». Ces progrès sont encourageants. Des avancées considérables ont été réalisées pour diverses capacités, et si l’on veut être prêt pour l’avenir, il est important de ne pas oublier « les leçons durement apprises au cours des 15 dernières années ». En fin de compte, « ce sont les gens renseignés qui détermineront si nous sommes ou non préparés[53] ».

L'intervention militaire en Libye, une autre mission à laquelle le Canada a apporté une grande contribution en matière d’équipement et de personnel, est la plus récente illustration de l'importance de ces compétences. En effet, les FC ont été appelées à collaborer non seulement avec les membres de l’Alliance, mais aussi avec des partenaires régionaux non-membres de l’OTAN. De plus, c’est le lieutenant-général Charles Bouchard, de l’Aviation royale canadienne (ARC), qui a occupé le poste de commandant de l’opération Unified Protector, depuis le quartier général du Groupe de forces interarmées multinationales, à Naples, en Italie. À propos de l’opération, le lgén Bouchard a déclaré : « Je pense que cette mission a prouvé dans les faits que nous pouvons rapidement monter une opération et rassembler des gens, leur fixer un objectif commun et atteindre cet objectif[54]. »

L'intervention en Libye a fait ressortir l'importance de maintenir les forces à un niveau de préparation adéquat. Par exemple, lorsque le NCSM Charlottetown a été déployé pour prêter main-forte à une opération d’évacuation sans combat, « une fois sur le théâtre, sa mission a évolué substantiellement pour assister directement la campagne aérienne et les forces de terre de Misratah […] dans les environnements de sécurité complexes d’aujourd’hui, les membres des FC doivent être prêts à l’éventail le plus large possible de contingences ». Il est donc important pour les FC de « maintenir quelques unités capables d’effectuer une gamme complète d’opérations internationales nécessaires, qui pourrait inclure l’aide en cas de catastrophe, l’évacuation de non combattants, l’interdiction navale et aérienne et le sauvetage d’otages, entre autres[55] ».

L'adaptabilité est une pièce maîtresse de la disponibilité opérationnelle. Les conditions de combat peuvent changer très rapidement, d’où la nécessité de pouvoir s’adapter. On peut alors déduire que l’expérience opérationnelle est essentielle à la durabilité et à l’efficacité d’une force. Toutefois, cette expérience doit reposer sur l’éducation. Selon James Fergusson, présumer qu’un scénario d’instruction basé, par exemple, sur l’expérience afghane s’appliquera nécessairement à d’autres environnements de combat futurs pourrait se révéler problématique. Il ne faut pas se laisser piéger par les expériences passées, mais valoriser plus largement l’éducation. Il a exprimé certaines inquiétudes : « Au sujet de la question de l'éducation, je crois que ce volet est le plus vulnérable en ce moment, car c'est l'avenir. Il faut éduquer le personnel recruté, mais avant tout, les officiers, les jeunes officiers, qui dans 5 à 10 ans assumeront de plus en plus des postes de commandement. » À son avis, on a plutôt tendance à donner préséance à l’expérience opérationnelle sur l’éducation. En période de restrictions budgétaires, et compte tenu des pressions exercées sur les forces pour qu’elles accomplissent tout ce qu’on attend d’elles, elles ont tendance à miser sur l’expérience passée pour se préparer aux imprévus et, donc, à accorder moins d’importance à l’éducation. Cette façon de faire pourrait entraîner une perte de capacité importante qui sera difficile à restaurer[56].

Lee Windsor, professeur à l'Université du Nouveau-Brunswick, a tenu des propos semblables lorsqu'il a parlé de la tendance actuelle, en cette époque de guerre technologique très sophistiquée, qui consiste à voir la disponibilité militaire sous l'angle presque exclusif de l'équipement. Selon lui, on a tort de presque toujours ramener cet aspect « à une question d’équipement ». Il a dit au Comité : « D'après ce que j'ai observé, les composantes les plus importantes de la disponibilité opérationnelle, c'est-à-dire les composantes qui, plus que n'importe quels autres facteurs, déterminent si une unité peut réussir dans sa mission et remporter la victoire sur le champ de bataille, ces composantes, donc, sont l’entraînement et l’éducation. Ces deux préparations intellectuelles très distinctes servent à forger la volonté et la capacité mentale de surmonter l'obstacle afin de mener à bien la mission[57]. »

iv. Recherche et développement

Si l'investissement dans l'éducation est important, la recherche et le développement le sont tout autant. Durant sa visite des installations de Recherche et développement pour la défense Canada (RDDC) à Toronto, le Comité a été très impressionné par le travail qui y est accompli. Ce qu’il a vu et entendu l’a convaincu que les projets de RDDC contribuent énormément à l’efficacité et au mieux-être de nos militaires. Le CEDM lui-même a fait l’éloge du travail de RDDC, en déclarant : « Vous sauvez d’innombrables vies, et pour cela, vous avez toute ma gratitude[58]. »

Toutefois, les réductions de financement pourraient faire disparaître certains programmes importants. Le RDDC a cessé de travailler sur un projet de détection d’explosifs dans ses installations de Suffield, en Alberta, et le Centre de technologie antiterroriste, qui « fait de la recherche sur les incidents chimiques, biologiques, radiologiques, nucléaires et explosifs, subira aussi des compressions[59] ». Les travaux de recherche réalisés à Suffield et dans d’autres sites visent à protéger les soldats en première ligne et à accroître leur efficacité.

D. Dépenses en défense et équilibre budgétaire

Enfin, il y a tout lieu de se demander si la Stratégie de défense est viable à la lumière des réductions budgétaires annoncées dernièrement. Le professeur Douglas Bland a fait une mise en garde, disant que « les Canadiens devraient s’inquiéter de ce vieux bobard concernant la défense, c’est-à-dire des compressions déguisées en mesures de transformation ». Au sujet de cet adage concernant la réalisation d’économies et le souci de « faire plus avec moins », M. Bland a simplement conclu en disant : « Comme on en a toujours eu la preuve depuis 1962, toutes les politiques du gouvernement visant à permettre aux Forces canadiennes d’en faire plus avec moins ont fait en sorte qu’elles n’ont pu en faire que moins avec moins[60]. » D’autres, après avoir soigneusement analysé les répercussions éventuelles des réductions budgétaires, ont affirmé que les économies se feront en grande partie au détriment de la disponibilité opérationnelle à cause des compressions massives imposées au fonctionnement et à l’entretien. David Perry en est arrivé à la conclusion que les décideurs ont choisi de réduire la capacité de déploiement des militaires aujourd’hui afin de préserver les capacités pour l’avenir[61].

Il se pourrait aussi qu'en ciblant le fonctionnement et l'entretien, le gouvernement ait simplement l'intention de rétablir les dépenses militaires une fois qu'il aura atteint l'équilibre budgétaire, et donc de ne pas sacrifier les capacités nécessaires. Selon lui, ce serait logique parce que cela permettrait de préserver le personnel et l’équipement qui prennent beaucoup plus de temps à renouveler qu’il n’en faut pour rétablir la disponibilité opérationnelle[62]. C’est une approche que les membres du Comité trouvent sensée. À la dernière législature, le Comité a mené une étude intitulée Le rôle des Forces canadiennes après 2011. Ce qui est revenu le plus souvent dans tous les témoignages, c’est que nos soldats ont besoin d’un répit. Il est très peu probable que nous menions bientôt une opération semblable à celle de l’Afghanistan. Mais en même temps, les FC ont besoin de l’équipement requis pour intervenir efficacement lorsqu’on fera de nouveau appel à elles.

Tous nos alliés s'adonnent à des exercices similaires de réductions des dépenses, et nous sommes d'avis que l'approche prise en l'occurrence est celle qui, à long terme, servira le mieux les hommes et les femmes des FC. En outre, le Comité est déterminé à suivre de près le processus de transformation afin de s’assurer qu’on règle les problèmes sans sacrifier les intérêts et le bien-être de nos militaires actifs.

Un consensus général est ressorti des témoignages, à savoir que si nous devons maintenir une force militaire efficace en cette période de restriction, il faudra établir un équilibre entre la taille globale de l’effectif et les besoins en équipement, la préparation et l’entraînement. De même, les témoins ont été nombreux à admettre que la portée des attentes à l’égard de nos militaires s’est élargie de manière appréciable. En plus du combat et de la responsabilité traditionnelle « d’aide aux autorités civiles », les FC peuvent aussi être appelées à restaurer l’ordre dans les États en déroute, empêcher les activités criminelles internationales ou participer à la reconstruction d’un pays etc…

Des observateurs ont laissé entendre qu'au lieu d'essayer de maintenir des forces polyvalentes, nous devrions miser sur ce que le secrétaire général de l'OTAN, Anders Fogh Rasmussen, qualifie de « défense intelligente ». Comme l’a indiqué Philippe Lagassé, professeur à l’Université d’Ottawa, plusieurs membres de l’Alliance ont constaté qu’ils « ne peuvent plus vraiment se permettre de maintenir en service des forces polyvalentes modernes ». Résultat : ils doivent soit « accepter d’avoir des forces polyvalentes dotées de capacités moindres et d’une technologie moins avancée, soit trouver des moyens de partager leur fardeau[63] ».

Il estime que le Canada, pour sa part, devrait maintenir des capacités de base pour ses missions au pays et sur le continent, mais se montrer plus sélectif dans ses capacités à maintenir pour ses missions à l'étranger[64]. Samir Battiss, Chaire de recherche du Canada en politiques étrangère et de défense canadiennes, reconnaît les avantages de la défense intelligente et voit le concept comme étant chose faite. « Le concept de mutualisation est plus approprié. Que ce soit une bonne ou une mauvaise idée, là n'est pas la question : je pense que c'est une nécessité […] C'est une bonne idée si on veut garder l’OTAN capable d'opérer là où elle doit le faire et où les dirigeants politiques décident qu'elle va le faire[65]. »

Comme il est impossible de déterminer avec certitude à quoi nous devons nous préparer au juste, le Canada peut encore contribuer efficacement à diverses opérations multilatérales. Comme l’a rappelé Joel Sokolsky, professeur au Collège militaire royal du Canada, « il existe un important pouvoir discrétionnaire quand il s’agit des exigences en matière de disponibilité opérationnelle et des opérations à l’étranger ». Nous ne pouvons pas, bien entendu, être prêts pour toutes les éventualités, ni répondre à toutes les demandes, mais, étant donné notre position privilégiée quant à notre propre sécurité nationale, « nous avons le luxe de choisir les forces à acquérir et les opérations auxquelles nous participerons, et nous avons l’option d’adapter la taille et la composition des déploiements militaires à l'étranger[66] ». Le Canada jouit d’une relative sécurité régionale et peut donc décider où et dans quelle mesure les FC seront déployées. En outre, les Canadiens considèrent qu’il s’agit d’une responsabilité de la communauté internationale d’intervenir dans les situations où un État échoue à protéger ses citoyens contre des atrocités de masse. Cet engagement et tous les déploiements des FC doivent être solidement ancrés dans les valeurs et les intérêts du Canada, et refléter nos capacités et nos ressources. Comme il l’a souligné : « [N]ous pouvons et devons prendre les décisions en fonction des capacités qu'il nous faudra conserver et des opérations auxquelles nous participerons, puisqu'il est impossible d'être prêts pour toutes les éventualités, ni de répondre à toutes les demandes[67]. »

Élaborer une politique de défense ne se fait pas du jour au lendemain. Contrairement à la politique étrangère, qui guide la politique de défense, on ne peut changer facilement son orientation et ses priorités. Les changements de politique étrangère peuvent survenir rapidement; ils peuvent résulter de l’arrivée d’un nouveau gouvernement, d’un nouveau ministre ou d’un changement à la définition d’intérêts ou de la vision d’ensemble. À l’opposé, il faudrait plusieurs années pour apporter des changements radicaux à nos forces aériennes ou maritimes, surtout si cela suppose d’acquérir de nouveaux équipements. En outre, il ne serait pas facile de remédier à une erreur grave dans la politique de défense. Lors de sa parution devant le Comité, David Bercuson, professeur à l’Université de Calgary, a expliqué qu’il y avait trois raisons pour lesquelles nous semblons avoir, au Canada, « tellement de difficulté à établir ou à appliquer de façon durable une politique de défense[68] ».

Premièrement, toute menace directe au Canada est, bien sûr, une « menace abstraite ». Nous vivons dans un environnement géographique relativement sécuritaire comparativement à d'autres pays, comme l’Australie. Lorsque nous allons en zones de conflit, nous estimons le faire pour des raisons d’intérêt national. Dans le cas de grandes guerres, la population comprend la menace et l’impact qu’elle peut avoir sur elle. Toutefois, dans le cas de conflits de moindre envergure dans des endroits éloignés comme l’Afghanistan, l’impact sur les intérêts canadiens est moins évident; la menace demeure abstraite pour la plupart des gens. Autrement dit, « il est plus difficile pour les Canadiens de comprendre ce qui est en jeu[69] ». Lorsque nous participons aujourd’hui à des opérations multilatérales, il peut être très difficile de préciser soit les avantages nationaux correspondant aux efforts consentis, soit les coûts probables d’une participation où nous serions davantage en position de « resquilleurs».

Deuxièmement, selon M. Bercuson, « le calendrier décisionnel politique n'est pas adapté aux phénomènes stratégiques de longue durée ». En effet, le calendrier décisionnel politique repose en grande partie sur les cycles électoraux et budgétaires, mais peu importe quel parti est au pouvoir, les considérations restent les mêmes. Autrement dit, les progrès stratégiques de longue durée, qu’ils nous prennent par surprise, comme le printemps arabe, ou qu’ils évoluent graduellement, comme la montée de la puissance navale de la Chine, n’attendent pas le cycle politique canadien[70].

Troisièmement, il faut beaucoup de temps pour bâtir une capacité militaire. Cela s’applique à l’équipement, mais aussi à l’instruction. On ne peut en quelques semaines ni même en quelques mois disposer d’une infanterie prête à faire campagne. Il s’agit d’un processus à long terme qu’on ne peut facilement adapter aux aléas des cycles budgétaires et des ralentissements économiques. D’un autre côté, ce sont là des circonstances avec lesquelles les gouvernements doivent composer, et souvent dans l’immédiat. En guise d’exemple, il a évoqué la Stratégie de défense Le Canada d’abord. Plus il s’écoule de temps, depuis l’annonce de la politique en 2008, plus elle devient désuète. On entend par là qu’il faudra remettre à plus tard certaines acquisitions, comprimer les budgets alloués à l’instruction, diminuer l’effectif et abandonner des programmes. Elle deviendra par ailleurs déconnectée en ce sens que les engagements initiaux deviennent irréalistes en période de récession mondiale. Dans la Stratégie de défense, le gouvernement s’engage à revoir le plan sur une base régulière.

Robert Huebert, professeur à l'Université de Calgary, soutient que dans le contexte actuel, nous devrions commencer à penser de façon « stratégique » plutôt que « tactique ». Dans le passé, nous avons eu tendance à trop nous fier à nos alliés pour décider de nos capacités. Selon lui, nous devrions mener notre propre analyse stratégique. Bien que nous devions maintenir notre interopérabilité avec nos alliés, il n’empêche que nos forces doivent aussi être en mesure « d’agir à titre d’unité indépendante ». Cela s’explique par le fait que nos alliés, en raison de restrictions budgétaires ou d’autres contraintes, ne seront pas toujours en mesure, ou disposés, à nous donner le soutien requis. Nous continuerons de collaborer avec nos alliés, mais nous devons également veiller à donner à nos forces la protection dont elles ont besoin; en ce sens, « agir à titre d’unité indépendante sera d’autant plus essentiel à la sécurité du personnel militaire canadien en déploiement[71] ».

Il estime également important de maintenir une force polyvalente capable d'intervenir sur plusieurs plans. Pour cela, nous avons besoin d’un processus décisionnel qui nous permettrait de nous poser les « grandes questions », mais aussi d’apporter des ajustements au gré des circonstances. Nous aurions donc avantage à repenser, sinon à abandonner, le recours aux « livres blancs » comme base à l’élaboration de nos politiques. Selon lui, dans le passé, ces livres blancs ont eu tendance à nuire aux changements de cap, plutôt qu’à les encourager. En ce qui concerne la Stratégie de défense Le Canada d’abord, il convient de le considérer comme un document capable d’évoluer sans devenir prisonnier de ses éléments particuliers[72].

E. Conclusions et recommandations

Notre principale conclusion est que la disponibilité opérationnelle n’est pas simplement un des quatre piliers de la Stratégie de défense Le Canada d’abord. Elle représente aussi un effort essentiel pour les Forces armées canadiennes qui, s’il n’est pas maintenu et adapté aux besoins futurs, pourrait compromettre la capacité des Forces d’exercer les trois rôles et de remplir les six missions principales qui leur sont maintenant confiés.

On ne pourra maintenir la disponibilité opérationnelle sans offrir, aux membres des Forces, l’accès à des formations à la fois exigeantes, complexes et intéressantes. Il est impératif que l’Armée canadienne tienne des exercices réguliers d’entraînement aux manœuvres en présence de l’ensemble des capacités nouvelles et renouvelées de l’Aviation royale canadienne. La Marine royale canadienne doit aussi tenir des séances d’entraînement interallié avec le soutien de l’Aviation et de l’Armée de terre, sans oublier les Forces spéciales canadiennes. Les missions militaires à venir continueront quasi certainement d’appeler à la coopération de l’ensemble de nos alliés et de nos partenaires; elles consisteront aussi à entraîner les forces de pays encore fragiles et à les aider à se doter d’institutions fortes. Les exercices mixtes avec les alliés de l’OTAN et un éventail croissant de partenaires serviront à améliorer les chances de succès des missions.

Bien avant la guerre de 1812, le Canada a compté sur la milice et les forces autochtones — nos soldats citoyens — pour l’appel aux armes. La mission en Afghanistan a rendu la Force de réserve d’aujourd’hui plus prête que jamais. Pour conserver et attirer de nouveaux talents, les Forces canadiennes devraient offrir à la Réserve un éventail croissant d’occasions d’entraînement reflétant pleinement les besoins des grandes missions. Nous devons, en outre, continuer de faire en sorte que la société et les employeurs canadiens soient prêts à soutenir notre Force régulière et notre Force de réserve durant tout le cycle d’une période de service — du recrutement et de la formation aux diverses missions et à leur réintégration comme anciens combattants — une attention spéciale étant accordée aux difficultés familiales, aux blessures physiques et aux problèmes de santé mentale causés directement par leur service militaire. Il nous tarde de nous pencher, dans des rapports subséquents, sur les questions liées aux soins nécessaires pour les malades et les blessés et sur les questions liées à la Force de réserve.

Le Comité a décidé de conclure son étude en présentant les observations et les recommandations suivantes :

  • Nous convenons unanimement que les réservistes ont montré qu’ils sont une composante essentielle des Forces canadiennes. Ils ont montré leur valeur au combat et nous n’aurions jamais pu remplir notre mission en Afghanistan sans leur inestimable contribution. Pour renforcer la disponibilité opérationnelle de notre Force de réserve, le Comité recommande donc :
    • 1) Que le gouvernement du Canada continue d’assurer le soutien financier des employeurs des réservistes pour éponger les coûts liés à l’embauche et à la formation de travailleurs de remplacement ou aux heures supplémentaires que doivent faire les autres employés pour compenser l’absence des réservistes.
    • 2) Que le gouvernement du Canada invite les provinces et les territoires à renforcer les lois qui protègent l’emploi des réservistes.
  • Le Comité reconnaît l’importance de la menace grandissante des cyberattaques et du cyberterrorisme. Le Comité reconnaît certes que la Sécurité publique du Canada constitue la principale organisation de lutte contre la cybercriminalité. Cependant, compte tenu de l’importance de la question, le Comité recommande :
    • 3) Que le gouvernement du Canada accorde au Centre de la sécurité des télécommunications (CST) les ressources nécessaires afin qu’il tienne des séances de formation et d’entraînement avec les alliés pour veiller à ce que le Canada soit prêt à défendre son infrastructure essentielle contre des cyberattaques.
  • Comme l’a dit le major-général Vance dans son témoignage, les FC sont responsables de la protection de leur cyberinfrastructure. De plus, les cyberanalystes doivent pouvoir combler le vide entre la formation en sciences sociales et l’analyse des données comme l’a souligné cette fois-ci le professeur David Skillicorn dans son témoignage. Le Comité recommande donc :
    • 4) Que le gouvernement du Canada continue de développer et d’investir dans la protection et la sécurité de la cyberinfrastructure des Forces canadiennes.
    • 5) Que le gouvernement du Canada continue de développer la cybercapacité des Forces canadiennes en ce qui a trait au personnel. Dans le cadre de ce développement, il importe d’investir dans des analystes capables d’intégrer les sciences sociales et l’analyse de données.
  • Nous avons conclu à l’unanimité que l’intérêt supérieur du pays serait servi par le maintien d’une force de combat polyvalente, équilibrée et rapidement déployable. Notre disponibilité pour des missions futures reposera essentiellement sur nos capacités de renseignement, de surveillance et de reconnaissance (RSR) pour mener à bien des missions, souvent à bref préavis, dans les trois éléments que sont la terre, l’air et la mer. Compte tenu de notre géographie et de nos engagements envers l’alliance, il importe que nous puissions déployer nos efforts de surveillance et d’interdiction dans toutes les conditions. Le Comité recommande donc :
    • 6) Que le gouvernement du Canada continue de maintenir une force de combat polyvalente, équilibrée et rapidement déployable.
    • 7) Que le gouvernement du Canada maintienne une unité aéromobile à haut niveau de préparation, capable d’intervenir, à brève échéance, en cas de catastrophe naturelle, d’urgence humanitaire, de prêter main-forte à des missions de l’OTAN ou d’autres opérations à l’étranger.
    • 8) Que le gouvernement du Canada améliore la disponibilité et la portée des capacités de RSR des Forces canadiennes et continue de promouvoir le rôle de l’OTAN comme point de convergence des ressources de RSR des alliés dans l’éventail le plus large possible de missions éventuelles.
  • Étant donné que les FC sont une force moderne censée interopérer avec les alliés dans toute l’étendue des intensités de combat, le Comité recommande :
    • 9) Que le gouvernement du Canada veille à maintenir la capacité sous-marine de la Marine royale canadienne.
    • 10) Que le gouvernement du Canada veille à maintenir la capacité d’avions de chasse de l’Aviation royale canadienne et que cette capacité soit pleinement interopérable avec nos alliés.
  • Nous convenons que la Stratégie de défense Le Canada d’abord (SDCD) doit être tournée vers l’avenir; cependant, compte tenu du temps qui s’est écoulé depuis sa publication ainsi que des restrictions budgétaires, nous estimons qu’il est souhaitable pour la population que la SDCD soit mise à jour. Le Comité recommande donc :
    • 11) Que le gouvernement du Canada publie une mise à jour de la Stratégie de défense Le Canada d’abord, l’accent étant mis sur les nouvelles capacités, des projections plus rapides et efficaces des forces et la disponibilité opérationnelle.
  • Dans la mesure où il arrive souvent que nos forces soient déployées outre-mer uniquement avec nos alliés, il importe qu’elles restent interopérationnelles et qu’elles puissent obtenir la formation et le matériel voulus pour assurer leur efficacité. Le Comité recommande donc :
    • 12) Que le gouvernement du Canada veille à ce que les FC continuent de participer régulièrement aux exercices de l’OTAN et à d’autres exercices d’entraînement internationaux avec leurs alliés et partenaires.
  • Nous convenons tous que l’éducation et la formation sont indispensables au maintien de la disponibilité opérationnelle d’une force moderne. Le Comité recommande donc :
    • 13) Que le gouvernement du Canada continue de promouvoir des programmes individuels et collectifs de formation, d’études supérieures et d’apprentissage de compétences spécialisées de base et de haut niveau, comme condition sine qua non de la disponibilité opérationnelle globale des Forces armées canadiennes.
  • Nous sommes d’accord pour dire que le défi de la formation militaire consistera à répéter les succès obtenus dans les missions antérieures tout en adaptant les forces aux nouvelles situations à mesure que se présenteront les missions à venir. Le Comité recommande donc :
    • 14) Que les Forces canadiennes veillent à ce que des exercices annuels soit tenus au niveau des brigades ou à des niveaux supérieurs.
    • 15) Que les Forces canadiennes veillent à ce que les unités de l’armée de terre, préférablement un groupement tactique, participent à un exercice international commun à l’extérieur du Canada et sur une base annuelle.
    • 16) Que les Forces canadiennes continuent de veiller à ce que la Force régulière et la Force de réserve s’entraînent et opèrent ensemble le plus souvent possible pour assurer la disponibilité opérationnelle et l’interopérabilité, ainsi que pour améliorer leur capacité d’adaptation aux nouveaux environnements.
    • 17) Que le gouvernement du Canada veille à ce que les Forces canadiennes continuent de se restructurer, d’accroître le ratio dirigeants — combattants (« tooth to tail ratio » en anglais) et d’accorder la priorité à la formation au combat et aux exercices mixtes combinés des unités déployables pour assurer que la disponibilité opérationnelle de l’Armée canadienne, de l’Aviation royale canadienne, de la Marine royale canadienne et des Forces spéciales demeure sans pareille.

Que le gouvernement du Canada veille à ce que le ministère de la Défense nationale évalue les pénuries en membres des FC dans les métiers en difficultés et présente un plan d’action visant à combler ces pénuries.


[1]              Walter Natynczyk, Témoignages, 3 novembre 2011, 0850.

[2]              Ibid., 0855.

[3]              Bureau du vérificateur général du Canada, Automne 2011 — Rapport du vérificateur général du Canada, chapitre 5, « L’entretien et la réparation de l’équipement militaire — Défense nationale », p. 5.

[4]              Walter Natynczyk,Témoignages, 3 novembre 2011, 0855.

[5]              Gouvernement du Canada, Stratégie de défense Le Canada d’abord, 2008.

[6]              Walter Natynczyk, Témoignages, 3 novembre 2011, 0910.

[7]              Ibid., p. 3-4.

[8]              Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants de la Chambre des communes, Faire face à nos responsabilités : L’état de préparation des Forces canadiennes, mai 2002, p. 6.

[9]              Ibid., p. 2.

[10]           Stratégie de défense Le Canada d’abord, p. 6.

[11]           Ibid., p. 9.

[12]           Faire face à nos responsabilités : L’état de préparation des Forces canadiennes p. 6.

[13]           Kerry Buck, Témoignages, 8 mars 2012, 1125.

[14]           Ibid.

[15]           Jill Sinclair, Témoignages, 8 mars 2012.

[16]           Ibid., 1125.

[17]           Nations Unies, Résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations Unies (2011) sur la Libye.

[18]           Ibid., p. 24.

[19]           Ibid.

[20]           Ibid., p. 25. En 1995, 1 029 militaires canadiens ont servi au sein de la force de stabilisation de l’OTAN (SFOR). Après 2001, ce nombre a été réduit graduellement pour atteindre 650 militaires en octobre 2004. Le déploiement était connu sous le nom d’opération PALLADIUM (Bosnie-Herzégovine).

[21]           Bruce Donaldson, Témoignages, 15 décembre 2011.

[22]           Peter Devlin, Témoignages, 22 novembre 2012, 0950.

[23]           Cité dans David Pratt, Canada’s Citizen Soldiers: A Discussion Paper, Canadian Defence and Foreign Affairs Institute, mars 2011, p. 69. [traduction]

[24]           Steve Bowes, Témoignages, 20 octobre 2012, 0925.

[25]           Paul Maddison, Témoignages, 6 décembre 2011, 0855.

[26]           Ibid., 0905.

[27]           James Fergusson, Témoignages, 1er mars 2012, 1200.

[28]           Paul Maddison, Témoignages, 6 décembre 2011, 0910.

[29]           Ibid.

[30]           André Deschamps, Témoignages, 13 décembre 2011, 0950.

[31]           Ibid., 0930.

[32]           Roger Ingebrigsten, Témoignages, 24 novembre 2011, 0855.

[33]           André Deschamps, Témoignages, 13 décembre 2011, 0855.

[34]           Ibid.

[35]           Ibid.

[36]           Ibid.

[37]           Ibid.

[38]           Ibid., 1025.

[39]           Jonathan Vance, Témoignages, 1er novembre 2011, 0910.

[40]           David Skillicorn, Témoignages, 14 février 2012, 1430.

[41]           Steven Staples, Témoignages, 9 février 2012, 1210.

[42]           Jonathan Vance, Témoignages, 1er novembre 2011, 0850.

[43]           Ministère de la Défense nationale, Transformation des Forces canadiennes : Nouvelle structure de commandement et de contrôle pour les opérations, 11 mai 2012.

[44]           Ibid.

[45]           MDN, Rapport sur la transformation 2011, p. xi.

[46]           Ibid.

[47]           Michael Hennessy, Témoignages, 14 février 2012, 1410.

[48]           Ibid., 1410-1415.

[49]           Ibid.

[50]           Steve Bowes, Témoignages, 20 octobre 2011, 0855.

[51]           Ibid.

[52]           Michael Hennessy, Témoignages, 14 février 2012, 1410.

[53]           Ibid., 1415

[54]           OTAN, Nous avons répondu à l'appel – Fin de l'opération Unified Protector, 31 octobre 2011.

[55]           David Perry, Mener depuis l’arrière, c’est encore mener — Le Canada et l’intervention internationale en Libye, Institut de la Conférence des associations de la défense, 2012, p. 5.

[56]           James Fergusson, Témoignages, 1er mars 2012, 1120.

[57]           Lee Windsor, Témoignages, 6 mars 2012, 1105.

[58]           David Pugliese, « DND Will Cut 242 Civilian Jobs », Postmedia News, 14 avril 2012. [traduction]

[59]           Ibid.

[60]           Douglas Bland, Témoignages, 16 février 2012, 1425.

[61]           David Perry, Defence After the Recession, Canadian Defence and Foreign Affairs Institute, avril 2012, p. 4.

[62]           Ibid.

[63]           Philippe Lagassé, Témoignages, 16 février 2012, 1105.

[64]           Ibid.

[65]           Samir Battiss, Témoignages, 28 février 2012, 1200.

[66]           Joel Sokolsky, Témoignages, 14 février 2012, 1405.

[67]           Ibid., 1405-1410.

[68]           David Bercuson, Témoignages, 28 février 2012, 1105.

[69]           Ibid.

[70]           Ibid.

[71]           Robert Huebert, Témoignages, 15 mars 2012, 1105-1120.

[72]           Ibid., 1125.