FEWO Rapport du Comité
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RAPPORT DISSIDENT DU PARTI LIBÉRAL DU CANADA : LEADERSHIP ÉCONOMIQUE ET PROSPÉRITÉ DES CANADIENNES Kirsty Duncan, députée d’Etobicoke‑Nord INTRODUCTION Les rapports des comités ont changé depuis que je suis arrivée au Parlement. Les membres des comités avaient l’habitude de poser des questions exploratoires afin de susciter des recommandations de la part des témoins, et les rapports donnaient normalement une véritable orientation au gouvernement. Depuis quelque temps, les comités produisent ce que j’appellerais des rapports destinés à inspirer la réflexion, ce qui a pour effet de maintenir le statu quo. Aucune direction réelle n’est montrée au gouvernement. En ce qui concerne cette étude en particulier, il est apparu très clairement que le gouvernement avait l’intention 1) de mettre en œuvre un programme de mentorat, puisque trois des huit recommandations du rapport (soit 38 %) traitent de cette question; et 2) d’adopter une approche consistant à « se conformer ou s’expliquer », dans le but d’accroître la représentation des femmes au sein des conseils d’administration. Selon une telle approche, le gouvernement devrait fixer des objectifs en matière de diversité, et les sociétés cotées devraient les atteindre ou expliquer publiquement pourquoi elles ne s’y sont pas conformées. Les thèmes qui intéressent le gouvernement sont traités au début rapport, tandis que les problématiques de longue date, comme celles concernant les services de garde d’enfants (un enjeu auquel notre pays est confronté depuis plus de 40 ans), la parité salariale (une question que l’on cherche régler depuis 100 ans au Canada) et la pauvreté sont reléguées à la fin du rapport. Il n’y a aucune recommandation sur ces questions fondamentales. Malgré cette omission flagrante, dans sa soumission concernant la révision au bout de 20 ans de la mise en œuvre de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing, le gouvernement reconnaît les défis qu’il doit relever au chapitre de l’équité salariale, et le fait que la pauvreté continue de frapper les femmes autochtones, immigrantes, âgées et handicapées. RECOMMANDATIONS DU RAPPORT Comme c’était le cas dans des rapports précédents, ce rapport emploie des expressions comme « envisager de se concentrer sur », « envisager de mettre sur pied », « poursuivre le travail effectué », « promouvoir » ou « mettre l’accent sur ». Quelles mesures précises émaneront de recommandations utilisant ce genre de termes? Je vais maintenant passer en revue la teneur de chacune des huit recommandations du rapport. La recommandation 1 demande que l’on « appuie les programmes fondés sur des données probantes pour favoriser l’augmentation de la participation des femmes au marché du travail ». J’ose espérer que tous nos programmes se fondent bien sur des données probantes, et je suis extrêmement déçue de voir qu’une recommandation se limite à ‘favoriser’ une augmentation, au lieu de parler directement ‘d’augmenter’ cette participation. Recommandation 2 : Encore et encore, nous avons entendu que les entrepreneures canadiennes ont de la difficulté à obtenir des capitaux et qu’on cherche des solutions concrètes à ce problème. Or, à la recommandation 2, on demande que le gouvernement « envisage de se concentrer sur des programmes destinés à encourager les entrepreneures à accéder à des capitaux ». Les femmes n’ont pas besoin qu’on les encourage; elles ont besoin de vrais programmes d’accès à de vrais capitaux. La recommandation 3 porte sur l’approche consistant à « se conformer ou s’expliquer ». À ce propos, le 14 octobre 2014, sept provinces et deux territoires ont convenu de nouvelles règles en vertu desquelles les sociétés cotées devront faire rapport annuellement sur les mesures qu’elles prennent pour accroître la représentation des femmes au sein de leur conseil d’administration et dans les postes de direction. Ainsi, cette recommandation semble plus que redondante. La recommandation 4 vise à favoriser le mentorat, et la recommandation 5 demande que le gouvernement « envisage de mettre sur pied une campagne nationale de mentorat »; quant à la recommandation 6, elle préconise que le gouvernement « s’efforce de mieux soutenir le mentorat des femmes ». Les questions qui se posent sont de savoir comment, par qui et avant quand? La recommandation 7 concerne l’amélioration de la reconnaissance des titres de compétences étrangers, et notamment la reconnaissance interprovinciale de ces titres. Il est urgent de prendre des mesures à ce chapitre, mais la recommandation ne donne aucun détail concernant les objectifs à atteindre ainsi que les processus ou les calendriers à respecter. La recommandation 8 porte sur la fixation d’échéanciers pour la reconnaissance interprovinciale des titres de compétences ainsi que la reconnaissance des titres de compétences obtenus à l’étranger. Pourquoi ne pas recenser les défis par secteur, se donner des objectifs et prendre des mesures, plutôt que de fixer des échéanciers? CE QUE LES TÉMOINS ONT DEMANDÉ Il y a un écart considérable entre ce que les témoins ont demandé et ce que l’on retrouve dans les recommandations du rapport. Voici quelques exemples qui illustrent cette différence entre les témoignages recueillis et la teneur des recommandations, et plus précisément l’absence de recommandations sur les services de garde d’enfants, l’équité salariale et le travail non rémunéré. Services de garde d’enfants Plus de 10 témoins ont parlé de la nécessité d’avoir des services de garde d’enfants abordables et de qualité, et six pages du rapport sont consacrées à cette question; pourtant, aucune recommandation ne porte là-dessus. C’est très troublant, surtout qu’avec 75 % des mères canadiennes sur le marché du travail, les services de garde d’enfants sont une nécessité pour d’innombrables familles, dont beaucoup sont forcées de dépenser près de 20 000 $ par année et se retrouvent à la limite de leur capacité de payer. Qui plus est, il est clairement démontré que le statu quo ne fonctionne pas. En 2006, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a révélé que parmi les pays comparables, le Canada est celui dont la part des dépenses publiques pour l’éducation de la petite enfance est la moins élevée (0,25 % du PIB). En 2008, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance a classé le Canada bon dernier, parmi 25 pays riches, pour l’éducation de la petite enfance et les services de garde d’enfants; notre pays n’a atteint qu’une seule des 10 cibles concernant l’accès, le financement et la qualité. En 2010, il n’y avait de places en services de garde agréés que pour 21,8 % des enfants de moins de six ans au Canada. Les spécialistes du développement de la petite enfance et les économistes reconnaissent que l’accès à des services de garderie de qualité est essentiel à la prospérité du Canada. Ils sont tout à fait convaincus du fait qu’investir dans la petite enfance, c’est d’abord et avant tout investir dans le bien-être émotif, intellectuel, physique et social de nos enfants; de plus, c’est s’assurer que le Canada continue de soutenir la concurrence des autres économies modernes. Le gouvernement actuel semble bien être le seul à ne pas le comprendre. Le gouvernement pourrait également songer à des horaires de travail et à des lieux de travail flexibles. Le télétravail est une formule efficace pour bien des gens de nos jours. Équité salariale Plus de dix témoins ont parlé de la nécessité de combler l’écart salarial entre les sexes; or, le rapport ne renferme aucune recommandation à cet égard. Selon le Forum économique mondial (FEM), le Canada se classe au 19e rang sur 142 pays sur le plan de l’écart entre les sexes, au 42e pour la représentation des femmes au Parlement et, ce qui est consternant, au 100e pour la santé et l’espérance de vie. Selon le même rapport de 2014 du FEM, le Canada se classe 17e pour la participation économique et les perspectives d’emploi, 25e pour la participation à la population active et 27e pour l’égalité salariale pour un travail semblable. Les femmes se battent certes pour l’équité salariale depuis 100 ans au Canada, mais il reste que l’écart salarial entre les hommes et les femmes au Canada s’établit toujours à 19 %. Dans un rapport de 2005 de la Banque Royale du Canada, on estime que le manque à gagner des femmes en raison de l’écart salarial s’élève à quelque 126 milliards de dollars par année. La réalité, c’est que l’écart salarial entre les sexes se répercute sur les ménages au niveau microéconomique, et sur l’économie au niveau macroéconomique. Il est donc impératif sur le plan économique de combler cet écart. Travail non rémunéré Trois pages de témoignages sont consacrées au travail impayé. Or, le rapport ne renferme aucune recommandation à cet égard. Pas moins des deux tiers – ce qui est énorme -- des 25 milliards d’heures de travail impayé accompli par les Canadiens chaque année sont attribuables à des femmes. On estime que cela pourrait représenter jusqu’à 319 milliards de dollars pour l’économie, soit 41 % du PIB. En 2009, près de 60 % des femmes, soit plus de 8 millions de femmes au Canada, étaient employées sur le marché du travail. Après leur journée de travail, les femmes comme les hommes doivent accomplir d’autres tâches à la maison, comme prendre soin des enfants, faire le ménage, gérer le foyer et assurer l’entretien de la maison, préparer les repas et faire d’autres travaux non payés pour d’autres ménages. D’après une étude de 2011 de l’Organisation de coopération et de développement économiques, les Canadiennes « travaillent beaucoup plus que les femmes des autres pays prospères, faisant des travaux ménagers en plus de leur travail rémunéré » [traduction]; en fait, les femmes au Canada consacraient 248 minutes par jour à du travail non payé, et les hommes, 146. Le fait qu’une bonne partie du travail des femmes soit impayé a un effet direct sur leur sécurité financière, voire sur leur santé. Quand elles font du travail non rémunéré, les femmes ne peuvent pas travailler contre rémunération et, partant, leur potentiel de gains s’en trouve réduit considérablement. De plus, les femmes sont souvent forcées d’étirer leur journée pour faire du travail rémunéré en plus de leurs autres responsabilités, ce qui rend leur vie de plus en plus stressante. Une étude canadienne montre que près de 40 % des mères qui travaillent sont gravement stressées par le temps, accomplissant en moyenne 74 heures de travail rémunéré et de travail impayé par semaine; les mères célibataires sont particulièrement touchées parce qu’elles n’ont pas de partenaire avec qui partager le travail. Soulignons qu’à l’été 2010, le gouvernement a éliminé le recensement obligatoire et l’a plus tard remplacé par l’Enquête nationale auprès des ménages (ENM). La question 33, qui permettait de recueillir des données sur le temps consacré au travail non rémunéré, a été supprimée de l’ENM, en dépit des engagements pris par le Canada à la Conférence mondiale des Nations Unies sur les femmes de 1995 à Beijing. Comment saurons-nous ce que font les femmes sur le plan social et économique, comment saurons-nous dans quelle mesure leur situation s’est améliorée, comment saurons tout le travail qui leur reste à faire et pourquoi payons-nous plus cher pour avoir moins d’information? CONCLUSION Le Comité a eu l’occasion d’avoir une influence déterminante sur les familles canadiennes et sur l’économie du pays en cernant les obstacles à la prospérité économique des femmes et en proposant des solutions. Malheureusement, le gouvernement s’est surtout employé à poser les questions susceptibles de faire avancer son programme bien connu consistant à établir un programme de mentorat et à mettre en œuvre une démarche « se conformer ou s’expliquer » pour accroître la participation des femmes aux conseils d’administration des sociétés, deux objectifs qui sont admirables certes, mais qui ne résoudront pas d’autres problèmes plus structurels. Ce dont les familles canadiennes ont besoin, c’est que les problèmes fondamentaux soient résolus : les femmes doivent gagner le même salaire que les hommes pour un travail d’égale valeur, elles doivent avoir accès à des services de garde de qualité à un coût abordable et le travail non rémunéré des femmes doit faire l’objet d’un suivi et être reconnu. |