FEWO Rapport du Comité
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RAPPORT DISSIDENT DU PARTI LIBÉRAL DU CANADA : PRATIQUES PROMETTEUSES POUR PRÉVENIR LA VIOLENCE ENVERS LES FEMMES ET LES FILLES Kirsty Duncan, députée d’Etobicoke-Nord INTRODUCTION Je tiens d’abord, dans ce rapport dissident, à remercier tous les témoins qui ont comparu devant le Comité. Nous avons entendu des témoignages émouvants sur les difficultés que rencontrent les femmes qui tentent de s’affranchir de la violence, mais aussi des témoignages inspirants illustrant le courage et la force des femmes. Je remercie ces témoins d’avoir raconté leur expérience. Je remercie aussi les intervenants de première ligne qui aident les femmes à échapper aux situations violentes, comme les travailleurs des refuges, les maisons de transition, les logements sociaux, ainsi que les services de droit de la famille et les organisations de la société civile pour le travail incroyable qu’ils accomplissent en vue de mettre fin à la violence envers les femmes. Malheureusement, le rapport passe sous silence deux recommandations clés qui ont été maintes fois formulées devant le Comité, à savoir 1) élaborer un plan d’action national pour mettre fin à la violence envers les femmes et les filles, et 2) entreprendre une enquête publique nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Bien que les témoignages demeurent essentiellement intacts dans le rapport, ceux qui portaient sur ces deux questions ont été tout bonnement effacés. On pourrait dire de ce rapport qu’il en est un « de fabrication, d’interprétation et d’abstraction ». Fabrication Lorsque je me suis jointe au Comité de la condition féminine, j’ai proposé une motion visant à mettre fin à la violence envers les femmes et les filles, mais aucune étude n’y a fait suite. Puis, à la Chambre des communes, les conservateurs ont proposé une motion pour étudier les pratiques prometteuses visant à prévenir la violence envers les femmes au Canada. C’est-à-dire que le gouvernement a « fabriqué » une motion pour mettre en lumière ses actions et ses investissements en vue de mettre fin à la violence. Les questions posées par les députés du gouvernement pendant les audiences insistaient sur ces deux domaines. Malheureusement, les faits n’appuient pas cette conclusion. Le niveau de violence envers les femmes n’a guère changé au cours des 10 dernières années. La réponse actuelle à la violence envers les femmes et les filles n’a pas réussi à faire diminuer de façon significative le niveau de violence qu’elles subissent. Mais les femmes et les filles canadiennes qui fuient la violence, tout comme les gens des services sociaux et des services de santé qui leur viennent en aide, méritent mieux qu’un rapport qui reconnaît les initiatives du gouvernement. Ils méritent des actions concrètes pour mettre fin à la violence. L’étude du Comité était donc fatalement biaisée dès le départ, puisqu’elle visait à reconnaître et à protéger le statu quo plutôt qu’à recommander de nouvelles mesures, comme un plan d’action national pour mettre fin à la violence envers les femmes et les filles, et une enquête publique nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées – deux mesures qui sont pourtant susceptibles d’entraîner une réduction de la violence. Interprétation Le Comité a ensuite interprété l’expression « pratiques prometteuses » comme signifiant uniquement les pratiques déjà mises en œuvre au Canada, plutôt que les pratiques prometteuses en cours dans d’autres pays, bien que la motion ne comportait aucun paramètre de cette teneur. Ce qui constitue une pratique prometteuse dans les autres pays, c’est un plan d’action national. Les Nations Unies ont exhorté tous les pays à se doter d’un plan d’action national d’ici 2015. En 2010, le Royaume-Uni et l’Australie ont tous deux élaboré un tel plan d’action national. Dans le cas du Royaume-Uni, le plan d’action a été mis à jour en 2012 et 2013 en consultation avec les principales parties intéressées. L’Australie est en train de mettre en œuvre un plan d’action de 12 ans. En ce moment, le Canada n’a pas de plan national exhaustif ou de stratégie pour répondre à la violence envers les femmes. Les initiatives lancées par le gouvernement du Canada sont mal coordonnées, s’appuient trop sur le système de justice criminelle et ne tiennent pas compte de la dimension sexiste et des causes profondes de la violence envers les femmes. Voilà pourquoi les services offerts, outre qu’ils sont insuffisants et sous-financés, ne correspondent pas à la réalité des femmes et n’arrivent pas à prévenir la violence et à réduire ses conséquences. Les plans d’action nationaux, eux, prévoient un cadre pouvant renforcer les systèmes d’intervention dans les affaires de violence envers les femmes. Ces plans établissent des normes nationales et favorisent la collaboration entre tous les ordres de gouvernement, la société civile, les survivantes ainsi que les intervenants des services, sans compter qu’ils s’articulent autour des besoins, des expériences et des connaissances des femmes. Abstraction Comme je l’ai déjà mentionné, le rapport fait abstraction de certains témoignages clés. En effet, les appels des témoins sur la nécessité d’élaborer un plan d’action national et d’entreprendre une enquête publique nationale ne se retrouvent pas dans le rapport. Au lieu de faire honneur à ce qu’ont dit les témoins, le rapport rend compte de la position du gouvernement et refuse obstinément d’avaliser une enquête publique nationale. Ce refus tranche nettement avec le vaste consensus selon lequel une enquête s’impose. Les familles en deuil, les dirigeants autochtones, les défenseurs des victimes, la société civile, la communauté internationale ainsi que l’ensemble des premiers ministres des provinces et des territoires ont exhorté le gouvernement à lancer une enquête nationale. Seule une enquête publique nationale aurait la crédibilité, l’envergure et les ressources pour se pencher sur les problèmes systémiques sous-jacents à la violence, fournir les conditions de reddition de comptes nécessaires à la mise en œuvre de ses recommandations et rendre justice aux victimes tout en créant les conditions propices à la réconciliation. Cela fait longtemps que les libéraux, à l’instar des communautés autochtones et de la société canadienne, réclament une enquête publique nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. RECOMMANDATIONS SPÉCIFIQUES Les recommandations 1 à 4 renforcent le statu quo, à savoir : que le gouvernement accorde la priorité à la prévention de la violence envers les femmes et les filles; que le gouvernement travaille avec les organisations (on ne s’attendrait pas à moins); que le gouvernement applique les politiques et programmes (c.-à-d. les politiques et programmes déjà en place, ce qui protège encore le statu quo); et que le gouvernement continue de financer des projets. On n’y trouve aucun objectif ambitieux. La recommandation 5 constitue une occasion ratée. Au lieu de recommander de porter à l’ordre du jour de la prochaine réunion fédérale-provinciale-territoriale de la Condition féminine la question de la violence sexuelle et des agressions sexuelles dans les établissements postsecondaires, le rapport recommande que la ministre « s’efforce » de porter cette question à l’ordre du jour. La ministre de la Condition féminine dispose d’un outil puissant, soit de convoquer des réunions avec ses homologues des provinces et des territoires pour faire avancer des objectifs adoptés d’un commun accord. En mettant cette question à l’ordre du jour, le gouvernement exprimerait haut et fort qu’il ne tolérera pas de tels actes sur les campus canadiens. Selon des données déclarées par la police et publiées par Statistiques Canada en 2013, les femmes de 15 à 24 ans sont celles qui subissent les plus hauts taux de violence sexuelle au pays. C’est pourquoi j’ai écrit à la ministre de la Condition féminine du Canada pour lui demander de porter la question des agressions sexuelles dans les établissements postsecondaires du Canada à l’ordre du jour de sa prochaine réunion fédérale-provinciale-territoriale, puisque près d’une femme sur cinq risque de subir une agression sexuelle alors qu’elle est étudiante. La recommandation 6 ne dit pas grand-chose, si ce n’est que le gouvernement devrait « appuyer les efforts visant à mobiliser les hommes et les garçons ». De quels efforts parle-t-on? De quelle façon le gouvernement devrait-il appuyer ces efforts? Et quelles stratégies devrait-il appliquer pour mobiliser les hommes et les garçons? La recommandation 7 est axée sur la santé des mères, des nouveau-nés et des enfants, une initiative importante à l’échelle internationale. Il est pour le moins ironique, toutefois, de constater que le gouvernement se préoccupe de protéger la santé et la sécurité des enfants sur la scène internationale alors qu’il refuse, ici, de créer un poste indépendant d’ombudsman fédéral pour les enfants, comme le recommande l’ONU et comme l’a préconisé mon collègue libéral Marc Garneau. Ce refus est particulièrement inquiétant quand on sait qu’en 2012, après avoir examiné le rendement du Canada à l’égard de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, l’ONU a dit craindre « que les enfants canadiens en situation de vulnérabilité ne soient pas pris en charge par un système canadien jugé tatillon, dénué d'imputabilité et sans stratégie bien définie ». De même, le Comité des Nations Unies sur les droits de l'enfant a dit qu'il fallait « que le Canada hausse la barre quant à la protection des droits des enfants, en particulier dans le cas des enfants autochtones, handicapés et immigrants ». La recommandation 8 porte que le gouvernement continue de lancer des appels de propositions dans le but de prévenir la violence envers les femmes et les filles, en mettant l’accent sur les femmes autochtones. Combien d’argent Condition féminine peut-elle consacrer à ces appels de propositions, et est-ce seulement une fraction de ce qui serait nécessaire? La recommandation 9 est particulièrement offensante, puisqu’elle exhorte le gouvernement à appuyer son propre plan d’action pour contrer la violence à l’endroit des femmes et des filles autochtones. Malheureusement, ce plan d’action ne prévoit rien de nouveau pour mettre un terme à la violence envers les femmes et les filles autochtones. Ce n’est qu’une longue liste de mesures gouvernementales déjà en place, dont plusieurs ne sont même pas axées sur les femmes et les filles autochtones. De plus, les 25 millions de dollars évoqués dans l’annonce de l’automne 2014 ne constituent pas de l’argent neuf. Le gouvernement s’est contenté de répéter son annonce de financement provenant du budget de 2014, qui constitue une prolongation d’un financement temporaire de 25 millions de dollars sur cinq ans d’abord annoncé en 2010. La recommandation 10 protège aussi le statu quo, puisqu’elle laisse entendre que le gouvernement devrait aider les nouvelles arrivantes par l’entremise de publications qui existent déjà, ce qui ne fait pas bouger les choses. Comment une nouvelle arrivante pourrait-elle entendre parler de ces publications, surtout avec les compressions draconiennes imposées aux services d’établissement? CE QUI MANQUE La pauvreté et la pénurie de logements abordables, de refuges et de maisons de transition empêchent les femmes et leurs enfants d’échapper à leurs agresseurs; or le rapport ne contient aucune recommandation pour faire front à ces questions fondamentales. L’absence de recommandations en ce sens tranche nettement avec les besoins exprimés par les témoins tout au long de l’étude. Dans notre pays, peu importe le jour, 4 600 femmes et 3 600 enfants sont forcés de dormir dans des refuges d’urgence à cause de la violence. Et en une seule journée, 379 femmes et 215 enfants se sont vu refuser l’accès à un refuge au Canada, habituellement par manque de place. CONCLUSION La violence contre les femmes et les filles est répugnante; c’est une violation des droits de la personne qui entraîne des conséquences graves et dévastatrices pouvant durer des générations. Le temps est venu d’arrêter de parler de réduire la violence envers les femmes, et plutôt de mettre fin à la violence émotionnelle, financière, physique, psychologique et sexuelle. Pour y parvenir, il nous faut entreprendre une démarche concertée et soutenue en vue d’élaborer un plan d’action national pour mettre fin à la violence envers les femmes et les filles, tenir de véritables consultations auprès des femmes qui fuient la violence, des refuges et des services de soutien ainsi que des provinces et des territoires, entre autres, et amorcer sans attendre une enquête publique nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Le temps est venu pour nous tous de nous lever et d’affirmer que la violence envers les femmes, c’est mal, et qu’il faut passer à l’action immédiatement pour que plus aucune femme ne soit violentée par un homme. Ce rapport aurait pu envoyer un message audacieux et recommander que l’on repense l’approche du Canada à l’égard de la violence. Mais il se veut plutôt une prise de position obstinée en faveur du statu quo. |