Au Canada, les femmes et les filles autochtones
sont considérablement plus à risque d’être victimes de violence et d’homicides
ou d’être portées disparues que les autres Canadiennes. Assurer la sécurité et
le bien‑être des femmes et des filles autochtones au Canada est une
question urgente, et un large consensus se dégage au Canada sur la nécessité de
s’attaquer au problème sans plus tarder. Cette situation de crise
transcende les considérations politiques partisanes.
Après d’innombrables études, les familles des
femmes et des filles autochtones disparues et assassinées sont frustrées de
constater le peu de progrès accompli. Elles réclamaient de véritables mesures.
Ce Comité a été constitué pour rendre justice aux milliers de femmes
autochtones disparues ou assassinées au cours des dernières décennies. Cette
justice ne pourra leur être rendue que si des mesures décisives sont prises
pour mettre fin à la violence faite aux femmes et aux filles autochtones.
Le 19 février 2013, le Parti libéral a
déposé à la Chambre des communes une motion qui visait à créer une tribune pour
que tous les partis politiques puissent, de concert, trouver des solutions à
cette tragédie.
Cette motion a été adoptée à l’unanimité. On
pouvait espérer qu’enfin les familles des femmes et des filles autochtones du
Canada auraient un lieu sûr pour raconter leurs expériences et sensibiliser les
parlementaires à un problème qui a été passé sous silence beaucoup trop
longtemps. Elles réclamaient justice et demandaient un soutien et des
recommandations quant aux mesures à prendre pour mettre fin à cette tragédie,
afin qu’aucune autre famille n’ait à traverser ce qu’elles avaient subi.
Malheureusement, dès la première réunion, il était
clair que le Comité spécial sur la violence faite aux femmes autochtones (le « Comité ») ne disposerait
pas de la marge de manœuvre nécessaire dans la
conception de son étude, la façon d’entendre les témoins, pour obtenir des
résultats tangibles. Cet état de choses a été sérieusement aggravé par la
partisanerie constante des députés ministériels qui ont refusé d’exercer leur
devoir parlementaire de rendre compte des témoignages entendus, et qui ont, en
sanctionnant les recommandations décevantes formulées par le gouvernement,
refusé de répondre à l’appel en faveur de mesures concrètes. Le titre du
rapport, Un appel à l’action, est donc doublement offensant.
Le mandat général du Comité donnait aux députés
l’occasion de concevoir une étude souple et axée sur la collecte de preuves
selon des modalités créatives et sensibles aux particularités culturelles. Malheureusement,
cela ne s’est pas produit.
D’entrée de jeu, le Parti libéral a dit clairement qu’il
fallait, pour que le Comité soit à même de produire un rapport valable, que les
députés entendent le témoignage des familles et des proches des victimes au
début du processus. Ces témoignages auraient permis aux députés de disposer de
données de base et contextuelles utiles pour concevoir l’étude, et leur
auraient permis de considérer les témoignages subséquents dans une juste perspective.
Plutôt que cela, le Comité n’a entendu les familles des victimes que vers la
fin de l’étude. Même si leurs récits étaient convaincants et qu’ils ont touché
profondément les membres du Comité, le fait que nous ne connaissions pas leurs
histoires quand nous avons conçu l’étude et quand nous avons entendu la
majorité des autres témoins a sérieusement miné notre travail.
De plus, l’insistance du Comité à entendre les témoins selon
des modalités rigides, par groupes de trois pendant une heure, souvent sans
trop de cohérence dans la façon dont ces groupes étaient structurés, a entravé
encore plus la collecte de données probantes utiles et fait fi des sensibilités
culturelles et émotionnelles éveillées par le débat.
Le Parti libéral du Canada a aussi été déçu par l’incapacité
du Comité de tirer profit de l’expertise unique des organisations de femmes
autochtones. Ainsi, l’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC) a
fait un travail approfondi sur cette question pendant de nombreuses années, et
le Parti libéral avait cru comprendre que cette organisation serait appelée par
le Comité à participer la conception et à la réalisation de l’étude ainsi qu’à
la formulation des recommandations. Plutôt que cela, le Comité n’a entendu le
témoignage de l’AFAC que deux mois après le début des audiences. Le manque
subséquent de communication proactive de la part du Comité avec l’AFAC a
conduit cette association à se retirer du processus l’automne dernier.
Le Parti libéral du Canada croît que les
recommandations du rapport du Comité devraient mettre l’accent sur les mesures
concrètes requises pour s’attaquer au niveau disproportionné de violence,
d’homicides et de disparitions chez les femmes et les filles autochtones. Le
Comité a entendu d’innombrables témoignages et un consensus se dégageait dans
leurs recommandations quant aux mesures à prendre. Plutôt que de prendre acte
de ces recommandations et de les incorporer au rapport, le gouvernement a plutôt
consacré un temps outrancier à insérer ses propres priorités dans le rapport.
Nous jugeons très inquiétante la décision prise
par le Comité d’insérer ou de mettre en évidence autrement dans les
recommandations du rapport les messages partisans du gouvernement quant aux
priorités de sa politique. Leur inclusion ne reflète aucunement les témoignages
entendus, et constitue donc une violation flagrante du principe parlementaire
voulant que l’on rendre compte des témoignages de façon objective.
Quelles que soient les mesures concrètes requises,
les recommandations devraient essentiellement proposer de nouvelles initiatives
ou de nouveaux moyens de mettre en œuvre celles qui existent, plutôt que de
mettre en évidence ce qui se fait déjà.
RECOMMANDATIONS
1. Enquête publique nationale
Le Parti libéral du Canada recommande que le
gouvernement du Canada mette sur pied une commission d’enquête publique
nationale sur la question des femmes et des filles autochtones disparues et
assassinées. Cette commission d’enquête doit avoir
l’envergure et les ressources requises pour trouver les causes premières de
cette tragédie, rendre justice aux victimes et permettre à leurs proches
d’amorcer un vrai processus de guérison. Cette enquête ne concerne pas
seulement la réconciliation qui s’impose, mais aussi la mise en place d’un
mécanisme non partisan d’élaboration de solutions à une crise qui persiste.
Il est malheureux que les recommandations du
rapport final du Comité ne tiennent pas compte de l’appel en faveur d’une
commission d’enquête publique nationale sur la question des femmes et des
filles autochtones disparues et assassinées. Cette question a été soulevée à
maintes reprises par les témoins qui, les uns après les autres, ont souligné
avec passion la nécessité d’une telle enquête.
Lorsqu’elle s’est adressée au Comité le
30 mai 2013, Michèle Audet, présidente de l’AFAC nous a dit :
« Notre présence ici aujourd’hui ne fait pas
en sorte de mettre de côté l’enquête nationale publique pour faire la lumière
sur la question des femmes assassinées ou disparues. Cela reste pour nous une
priorité. […] On parle ici d’un grand nombre de femmes qui disparaissent et qui
n’ont jamais obtenu justice. Le problème est peut-être systémique. Une enquête
nationale publique permettrait donc de faire la lumière et d’amener des
solutions. »
Le 3 décembre 2013, nous avons entendu
le chef national de l’Assemblée des Premières Nations (APN), Shawn Atleo,
déclarer :
« L’APN ne dit pas que nous devons rester
passifs et ne pas entreprendre les efforts nécessaires pour mettre fin à la
violence faite aux femmes et aux filles autochtones. Je veux plutôt que vous
sachiez qu’une commission d’enquête publique nationale est essentielle à la
responsabilisation et au changement. Qu’est-ce qui nous a empêchés d’aller de
l’avant par le passé? Est-ce une question de coût, de la négligence ou est-ce
une question de surveillance? »
L’ombudsman fédéral des victimes d’actes
criminels, Susan O’Sullivan, a déclaré au Comité le
30 janvier 2014 :
« Une commission d’enquête nationale
permettrait d’entendre, de respecter et de prendre en considération la voix des
femmes et des collectivités autochtones canadiennes dans le cadre de processus
et de structures conçus pour répondre à leurs besoins. De cette façon, les
stratégies de prévention et de réaction à cette crise pourraient être
spécialement adaptées aux besoins des femmes autochtones et s’appuyer sur une
compréhension des conditions sociales et économiques qui ont contribué à leur
vulnérabilité. Le gouvernement du Canada a un rôle de leadership de premier
plan à jouer dans la prévention et la réaction à la crise que constituent les
femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Par conséquent,
j’estime que la mise sur pied d’une commission d’enquête nationale et inclusive
sur les femmes autochtones disparues et assassinées au Canada, assortie de
l’engagement correspondant de mettre en œuvre les recommandations de la
commission, constituerait une prochaine étape appropriée et nécessaire. »
2. Plan d’action national pour mettre fin à la
violence faite aux femmes autochtones
Les extraits qui suivent ne sont que quelques
exemples des plaidoyers passionnés que le Comité a entendus de la part de
témoins qui recommandaient la création d’une commission d’enquête publique
nationale. En plus des témoignages entendus par le Comité, les premiers
ministres provinciaux et territoriaux ont unanimement et publiquement demandé
au gouvernement du Canada de mettre sur pied une commission d’enquête publique
nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
Le Parti libéral du Canada recommande que l’on
s’emploie immédiatement à élaborer et à mettre en œuvre un plan d’action
national pour mettre fin à la violence faite aux femmes et aux filles
autochtones, trouver les causes structurelles premières de cette violence et
assurer la coordination et l’imputabilité des organismes gouvernementaux
chargés de prévenir la violence et d’intervenir.
Le Parti libéral du Canada recommande en outre
qu’un comité du Cabinet soit établi et chargé de créer un tel plan d’action
national en étroite collaboration avec les leaders et les collectivités
autochtones et qu’un rapport d’étape de ce comité du Cabinet soit déposé au
Parlement au plus tard le 21 juin 2015.
Ces questions sont complexes et les solutions
nécessiteront la collaboration de nombreux ministères gouvernementaux ainsi que
de toutes les administrations au Canada. Bien que le rapport du Comité réclame
la constitution d’un groupe de travail chargé de mettre en œuvre un « plan
d’action », ce plan a été restreint à l’application des recommandations du
rapport du Comité. Il est indéniable que le rapport du Comité contient des
recommandations positives; toutefois, en limitant à la mise en œuvre de ces
recommandations un plan d’action global et plurigouvernemental, on néglige de
reconnaître l’ampleur des questions soulevées. Qui plus est, le fait qu’aucune
date n’est prévue, ne serait‑ce que pour le début des travaux du groupe
de travail mentionné dans les recommandations du rapport du Comité, montre
qu’on refuse de reconnaître l’urgence du problème ou d’intégrer à la
recommandation le processus de reddition de comptes nécessaire.
3. Comme l’a signalé le chef national de l’APN dans
son témoignage :
« Nous demandons un engagement clair et
indéfectible à l’égard de l’action, démontré par la création d’un plan d’action
publique national. Les collectivités et les organisations autochtones, les
provinces et les territoires proposent des stratégies pour mettre fin à la
violence, mais, sans l’établissement d’objectifs nationaux explicites et sans
effort coordonné, dirigé par le gouvernement fédéral, ces initiatives ne seront
pas à la hauteur de l’intervention nécessaire pour prévenir la violence à
l’égard des femmes et des filles autochtones et y mettre fin et rendre des
comptes aux familles des femmes et des filles disparues ou assassinées. »
Le gouvernement fédéral a un rôle de leader à
jouer dans les efforts requis pour faire en sorte que non seulement des divers
ministères et organismes gouvernementaux, mais aussi les partenaires
provinciaux, territoriaux et autochtones travaillent de concert pour mettre fin
à ce scandale national.
Le Parti libéral du Canada tient aussi à souligner
plus particulièrement, comme l’ont fait les témoins, que l’élaboration d’un tel
plan d’action national ne remplacerait pas la mise sur pied d’une commission
d’enquête publique nationale, mais serait une initiative complémentaire.
Comme le chef national de l’APN l’a dit au Comité
le 3 décembre 2013 : « Juste pour être clair, je crois que le
plan d’action est absolument parallèle à l’appel à l’établissement d’une
commission d’enquête publique nationale ».
4. Création d’un groupe de travail
Que le gouvernement fédéral, de concert avec les
collectivités autochtones, mette sur pied un groupe de travail sur la violence
faite aux femmes et aux enfants autochtones, formé de représentants des
ministères intéressés (Sécurité publique Canada, Affaires autochtones et
Développement du Nord Canada, Condition féminine Canada et Santé Canada) et
d’organismes nationaux autochtones, dont l’Association des femmes autochtones
du Canada;
Que le groupe de travail soit chargé d’élaborer
une stratégie concertée visant à prévenir et à enrayer la violence faite aux
femmes et aux filles autochtones;
Que le groupe de travail rende compte au Parlement
de ses travaux au plus tard le 30 juin 2015.
5. Campagne de sensibilisation
Que le gouvernement fédéral, en collaboration avec
des organismes autochtones, crée une campagne de sensibilisation et de
prévention nationale sur la violence faite aux femmes et aux filles autochtones
du Canada.
6. Soutien aux familles des victimes
Que le gouvernement fédéral appuie une rencontre
nationale dirigée par les familles de femmes autochtones assassinées et
disparues.
Que le gouvernent fédéral crée un fonds destiné à
aider les familles des femmes et filles autochtones disparues et assassinées
qui ont des dépenses liées à la perte de leur proche.
7. Soutien aux communautés
Que le gouvernement fédéral investisse davantage
de ressources dans le programme administré par Sécurité publique Canada qui
permet aux collectivités autochtones d’élaborer des plans de sécurité et des
équipes de gestion des urgences pour répondre à la violence.
8. Financement des services de lutte contre la
violence
Que tout nouveau financement accordé à des
services de lutte contre la violence offerts à des femmes autochtones comporte
un volet de formation pour que les femmes autochtones puissent être employées
au sein de ces services.
9. Investissement dans les services aux victimes
Que le gouvernement fédéral prévoit suffisamment
de fonds pour les refuges et les services de première ligne destinés aux
victimes de la violence, afin qu’il soit possible de créer de nouveaux refuges
et pour que le financement des refuges existants soit comparable au financement
des refuges hors réserves.
10. Financement des organismes d’aide à l’enfance
des Premières Nations
Que le gouvernement fédéral accroisse le
financement des organismes d’aide à l’enfance des Premières Nations.
11.
Élimination des obstacles au développement
économique
Que le gouvernement fédéral propose les
modifications qui s’imposent pour éliminer les obstacles au développement
économique des Autochtones vivant dans les réserves, en portant une attention
particulière aux obstacles à la pleine participation des femmes autochtones
12. Mesures pour enrayer la pauvreté
Que le gouvernement fédéral mette en place des
mesures comme le microcrédit pour enrayer la pauvreté.
13. Services de police
Que le gouvernement fédéral, en collaboration avec
les gouvernements provinciaux et territoriaux, augmente le financement des
services policiers dans les collectivités inuites et des Premières Nations.
14. Collecte de données
Que le gouvernement fédéral, en collaboration avec
des organismes autochtones et les gouvernements provinciaux et territoriaux,
examine la possibilité de colliger des données policières comprenant une
variable ethnique sur la violence contre les femmes et les filles autochtones.
15. Protocoles pour des enquêtes multipartites
Que le gouvernement fédéral, en collaboration avec
des organismes autochtones et les gouvernements provinciaux et territoriaux,
élabore des protocoles entre les services policiers pour faciliter les enquêtes
multipartites.
16. Formation des policiers
Que le gouvernement fédéral, en collaboration avec
des organismes autochtones et de défense des droits de la personne, le Collègue
canadien de police et les gouvernements provinciaux et territoriaux, développe
la formation des policiers ainsi que des protocoles incluant des sanctions
sévères en cas de dérogation pour contrer le racisme et le sexisme dans le
traitement des femmes et des filles autochtones.
Comme nous l’ont dit les familles qui ont eu le
courage de dévoiler leur histoire au Comité, cette tragédie concerne des
filles, des mères, des tantes, des cousines, des nièces et des amies qui
disparaissent. Le Comité avait pour mandat de mettre un terme à la tragédie des
femmes et des filles autochtones disparues et assassinées, dont les familles et
les amis vivent jour après jour avec une douleur poignante au cœur, et celle des femmes et des filles qui continuent
d’être les victimes de cette violence au quotidien. Tous veulent que justice soit
rendue à leurs êtres chers qui ont été victimes de violence, mais ce à quoi
tous tiennent surtout, c’est à faire en sorte que personne d’autre n’ait pas
vivre l’expérience douloureuse de perdre un être cher ou n’ait à subir le
terrible cycle de la violence qui est le lot d’un trop grand nombre de femmes
et de filles autochtones. Nous avions espéré que ce Comité spécial du Parlement
offrirait au gouvernement l’occasion de faire preuve de leadership en mettant
un terme à cette terrible et constante offensive contre la justice sociale. Je
constate avec tristesse qu’encore une fois nous avons laissé tomber ces
familles.
Il est profondément décevant de voir que le
gouvernement conservateur profite de sa majorité pour remplacer les
recommandations réfléchies, précises et axées sur l’action proposées par les
témoins par des recommandations partisanes et intéressées qui maintiennent le
statu quo. Plutôt que de mettre de l’avant des mesures concrètes, les
recommandations du rapport offrent seulement une série d’énoncés exploratoires
visant à maintenir le statu quo. Dans seize recommandations, les mots
« continue » et « poursuive » figurent quatre fois, et à
cinq reprises il est question d’examiner les options. D’autres termes aussi
vagues comme « mettre en œuvre », « maintenir »,
« encourager » et « appuyer » foisonnent dans le rapport.
Aucun de ces termes ne sert à formuler des résolutions qui appellent à
l’action; en fait, bon nombre d’entre eux laissent plutôt supposer que des
mesures importantes sont d’ores et déjà en place.
Le fait que les recommandations comprennent un si
grand nombre de références à des programmes actuels du gouvernement montre
clairement que ce rapport n’est pas le travail d’un comité parlementaire, mais
bien le produit des bureaux ministériels.
Malheureusement, les familles devront attendre que
le gouvernement soit remplacé pour obtenir la commission d’enquête publique
nationale et le plan d’action national qu’elles réclament depuis si longtemps
et qu’elles méritent pleinement.