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IWFA Rapport du Comité

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ANNEXE C
TÉMOIGNAGE DE COMITÉ

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Comité spécial sur la violence faite aux femmes autochtones


  IWFA            •            NUMÉRO 004            •             2e SESSION            •            41e LÉGISLATURE


TÉMOIGNAGES

Le lundi 9 décembre 2013

Présidente

Mme Stella Ambler

Comité spécial sur la violence faite aux femmes autochtones

Le lundi 9 décembre 2013

● (1105)

[Traduction]

La présidente (Mme Stella Ambler (Mississauga-Sud, PCC)): Bonjour à tous. Laissez-moi remercier de leur présence les membres du comité et, surtout, les familles et les invités spéciaux. Nous sommes heureux et fiers que vous ayez accepté de participer; je crois pouvoir l'affirmer au nom du comité.

Pour commencer, laissez-moi dire que, en tant que comité constitué à l'unanimité par la Chambre des communes, nous sommes particulièrement bien placés pour nous pencher sur la question de la violence à l'encontre des femmes autochtones et, en particulier, pour étudier la situation tragique dont nous devons discuter aujourd'hui, celle des femmes disparues et assassinées.

Cette séance de comité est également unique en son genre parce que, à la suite d'un vote, notre comité a décidé de procéder différemment de ce qui se fait d'habitude. Au lieu de tenir une séance de comité officielle habituelle, avec juste un ou deux témoins, nous voulions adopter une approche différente, comme aujourd'hui, permettant une conversation plus naturelle avec vous, dont les vies ont été affectées de façon si radicale et si tragique par les événements que nous étudions. Nous voulons entendre ce que vous avez à dire aujourd'hui.

Je voudrais aussi commencer par dire que nous ne nous cantonnerions pas dans les formalités. Au lieu d'avoir une période de questions et de réponses, comme d'habitude, nous voulons entendre ce que vous avez à dire.

J'aimerais ouvrir la séance avec une prière de l'aîné Robert Pictou du Cap-Breton, puis enchaîner avec quelques remarques d'un ou deux membres du comité qui transmettent les messages de familles n'ayant pas pu être présentes. Après cela, j'entends vous donner la parole. Je sais que cela va fonctionner. Je vous demande toutefois de ne pas perdre de vue le fait qu'il y a dans la pièce toute une série de personnes qui souhaitent s'exprimer. Nous avons deux heures, ce qui devrait permettre, je l'espère, à chacun de raconter son histoire. Enfin, nous sommes ici pour écouter, pour prêter l'oreille à ce que vous voulez nous dire. Nous sommes profondément honorés, profondément privilégiés que vous ayez accepté de venir ici. Nous savons que certains d'entre vous viennent de très loin et nous sommes très heureux de vous compter parmi nous.

En l'absence de questions, nous allons commencer par vous, Robert.

M. Robert Pictou (à titre personnel): [Le témoin parle en mi'kmaq]

Nous demandons au Créateur de nous pardonner, de nous prendre en pitié et de nous aider, surtout les dames ici qui ont perdu une fille, une mère, une soeur, qui ont perdu le respect que l'on doit à leur sexe et dont tous les hommes sont conscients. Les femmes sont le sexe auquel on doit le respect. Je demande au Créateur de nous aider dans le déroulement des choses aujourd'hui.

[Le témoin parle en mi'kmaq]

La présidente: Merci beaucoup.

Niki voudrait transmettre le message d'une famille qui voulait être présente aujourd'hui mais n'a pas été en mesure de faire le voyage.

Allez-y.

Mme Niki Ashton (Churchill, NPD): Merci, madame la présidente.

J'aimerais vous faire part d'un message au sujet de la famille Nepinak. Gail Nepinak et Joyce Nepinak avaient été invitées à témoigner devant le comité, mais on les en a empêchées.

Le comité a été constitué pour reconnaître une tragédie nationale: celle des femmes autochtones disparues et assassinées. Nous savons tous que l'un des thèmes qui revient constamment est la façon dont les femmes disparues et assassinées ne comptent pas, n'apparaissent pas dans les statistiques, ne figurent pas dans les rapports, parlent dans le désert ou sont bâillonnées.

En tant que députée, j'ai été mortifiée de voir le racisme et la discrimination systémiques réapparaître alors qu'on les croyait bannis. Et dans ce cas, il s'agissait d'empêcher une famille de se faire entendre.

Gail Nepinak est la soeur de Tanya Nepinak, l'une des femmes que l'on suppose victime d'un tueur en série à Winnipeg, il y a environ un an et demi. Gail est une porte-parole qui fait preuve d'une grande force que nous sommes nombreux à connaître, moi, d'autres personnes et les Manitobaines ici présentes. Elle avait été invitée personnellement à participer à la séance de comité. Hélas, quand elle s'est présentée à l'aéroport avec sa mère et des affiches de sa soeur, prête à raconter l'histoire, Air Canada leur a dit qu'elles n'avaient pas les pièces d'identité requises. Air Canada leur a dit que les copies de l'invitation officielle de la Chambre des communes, les billets électroniques enregistrés en leurs noms et même la garantie d'une députée ne suffisaient pas. Ce n'est pas qu'elles n'avaient pas les pièces d'identité; on leur a dit qu'elles n'avaient pas les bonnes pièces d'identité.

J'aimerais quant à moi dire au comité et aux gens qui nous écoutent qu'il faut mettre fin à la façon dont on victimise à nouveau les familles et les gens. C'est comme si le Canada vouait les familles elles-mêmes à l'invisibilité. Les Nepinak m'ont assurée qu'ils avaient bien l'intention de continuer à faire entendre leur voix. Mais je suis horrifiée et profondément honteuse qu'on ne leur ait pas accordé l'occasion de parler au niveau national dans le cadre de notre comité. J'espère que notre comité trouvera une façon de les faire venir, de leur parler. J'espère que notre comité adoptera des recommandations visant à faire sauter les barrières qui cantonnent les Nepinak dans la douleur et qui laissent sur la touche tant de familles partout au pays, sans leur accorder la parole.

Elles revendiquent le droit de parler. Avec notre aide, il faut que leur voix soit entendue.

● (1110)

La présidente: Merci, Niki.

Jean, vous avez une lettre que vous voulez mentionner?

Mme Jean Crowder (Nanaimo—Cowichan, NPD): Je ne vais pas lire la lettre entière, parce que je veux veiller à ce que les membres de familles présents... Je vais transmettre la lettre au greffier qui la remettra à tous les membres du comité. Elle vient de Gladys Radek. Elle voulait dire qu'elle avait commencé à s'impliquer dans la question des femmes disparues et assassinées quand sa nièce, Tamara Lunn Chipman, avait disparu à l'extrémité septentrionale de la Route des pleurs, à Prince Rupert, en Colombie-Britannique, le 21 septembre 2005.

En concluant sa lettre, elle dit: « je voudrais maintenant offrir mes prières et mes condoléances à toutes les familles que ce système a privé d'êtres chers. Un grand merci à mon frère Tom Chipman qui me permet de porter le flambeau au nom de Tamara et de toutes les autres, disparues ou assassinées le long de la Route des pleurs et partout au pays. Bien que Tamara reste disparue, nous poursuivrons toujours nos recherches et jamais nous n'oublierons Tamara. »

Je ferai transmettre la lettre aux membres du comité.

Merci, madame la présidente.

La présidente: Merci.

Y a-t-il une personne courageuse qui veut bien se lancer? Je vous laisserais prendre le relais par la suite.

Très bien, nous avons une plume. C'est vous, Carolyn?

L'hon. Carolyn Bennett (St. Paul's, Lib.): Non, Sharon va partager sa plume avec le comité.

La présidente: Merci d'avoir apporté cela, Sharon. Allez-y.

Mme Sharon Johnson (à titre personnel): Bonjour.

[ Le témoin s'exprime en ojibwa.]

Bonjour tout le monde. Je m'appelle Sharon Johnson. Je viens de Thunder Bay, en Ontario. J'appartiens à la Première Nation de Seine River. Je suis Ojibwa de la zone du Traité 3.

J'ai été invitée à participer par l'AFAC la fin de semaine dernière. C'était la première fois que je participais à leur dialogue pour les familles. J'ai trouvé cela très utile d'assister à l'événement, même si je ne savais pas trop à quoi m'attendre.

En faisant cela, je parle au nom de ma famille de la perte de ma jeune soeur, Sandra Johnson. Cela ne... Ça devient un peu plus facile, j'imagine. Ça devient un peu plus facile et je crois qu'en continuant à rencontrer des familles à des réunions comme celle-ci, je m'aperçois que c'est ce que je peux faire pour m'assurer que ma petite soeur ne soit pas oubliée. Ce drapeau que j'ai ici vient de la marche commémorative que j'ai commencée avec une aînée, à Thunder Bay. Nous avons commencé la marche commémorative en 2005. Ma soeur a été assassinée le 13 février 1992, c'est-à-dire il y a 21 ans maintenant, près de 22 ans, en février.

Depuis que nous avons commencé cette marche commémorative, j'ai reçu beaucoup... Cela a pris de l'ampleur. D'une certaine façon, c'est bien de voir des familles parler de leurs histoires, mais en même temps, c'est triste, car nous ne devrions pas avoir à faire ça. Nous ne devrions pas avoir à marcher pour nous assurer de ne pas oublier des personnes comme une soeur, une mère, une fille ou une petite-fille qui ont été assassinées ou qui ont disparu.

Pour moi, le fait d'être ici aujourd'hui pour ma petite soeur Sandra, j'espère que cela permettra aux gens de guérir, à d'autres gens comme moi et à d'autres familles comme la mienne et qu'un jour nous serons en mesure de tourner la page sur notre deuil.

● (1115)

Nous ne savons pas si cela est même possible, mais entre-temps, se réveiller chaque jour pour se souvenir que nous n'avons pas les réponses, c'est difficile de se lever et de marcher chaque jour et de faire ce que j'ai besoin de faire. Ainsi, bien des fois au fil des ans depuis que j'ai commencé cette marche commémorative, chaque fois que nous finissons une marche, je me dis à moi-même « Ça y est c'est fini. Je n'en ferai plus d'autres », car c'est trop difficile d'organiser la marche et tout le reste que l'on me demande de faire. Je dis toujours « Ça y est c'est fini. Je n'en ferai plus d'autres. C'est trop difficile » et ensuite je reçois un appel ou un courriel, où l'on me dit: « Sharon, voulez-vous venir nous aider? Voulez-vous venir vous joindre à nous? » Et je réponds simplement « Oui, certainement, je serai là. Je viendrai et je le ferai » et me voilà repartie.

Je crois que c'est parce que c'est là-dedans, c'est dans mon coeur. Je porte ma petite soeur dans mon coeur et je sais que chaque fois que j'accepte de faire quelque chose, elle est là, ici, à mes côtés et qu'elle me dit que ça ira.

Je vais en rester là pour l'instant. Je vais vous raconter une petite histoire sur cette plume d'aigle, cette plume blanche. Elle m'a été donnée pour faire le travail au nom de nos femmes disparues et assassinées. C'est la même plume que vous voyez sur le drapeau de notre marche commémorative. Je la porte avec moi partout où je vais et je la tiens lorsque je prie. Celle-ci, ici, m'a été donnée par mon frère et je la porte donc également. Je vais simplement la faire passer pour que d'autres membres de la famille l'utilisent.

Merci, meegwetch.

● (1120)

Mme Bernadette Smith (à titre personnel): Bonjour à toutes et à tous.

Je m'appelle Bernadette Smith. Je viens de Winnipeg, au Manitoba.

Ma soeur s'appelle Claudette Osborne. Elle est sur cette affiche, ici. J'allais apporter une photo, mais je ne savais si on me laisserait rentrer si j'avais du verre avec moi ou pas. C'est ma soeur ici, au bout, et nous connaissons en fait chacune de ces familles. Nous avons tissé des liens au Manitoba, de la même façon que Sharon a décrite, en faisant du travail pour venir en aide à ces familles, car il n'y a pas suffisamment de soutien pour ces familles et ça ne devrait pas toujours nous incomber à nous de faire ça.

Ma soeur a disparu le 24 juillet 2008. Lorsque ma soeur a disparu, on a signalé sa disparition, mais cela a pris 10 jours avant même que son dossier ne soit examiné. Mon autre soeur, Tina, s'est fait dire qu'elle était probablement quelque part par-là; c'est ce que la police nous a dit, qu'ils n'allaient pas faire quoi que ce soit pour l'instant, qu'elle réapparaîtrait, comme elle l'avait toujours fait. Ma soeur a été exploitée à un très jeune âge. Elle a eu recours à la drogue pour y faire face.

Claudette n'était pas du genre à ne pas donner de nouvelles à sa famille. Elle appelait toujours quelqu'un par téléphone. Elle était très proche de ma soeur Tina et restait chez elle très souvent, mais Tina n'avait pas eu de ses nouvelles.

On a signalé sa disparition et 10 jours plus tard... Uniquement parce que nous avons commencé à insister auprès de la police, ils ont commencé à examiner son dossier. Nous avons appris quelques jours plus tard que ma soeur Claudette était dans un hôtel sur la rue McPhillips et qu'elle s'y trouvait avec un conducteur de grand routier. À ce moment-là, ma soeur venait à peine de donner naissance à sa cadette, Patience, qui avait deux semaines lorsque sa mère a disparu.

Ma soeur n'allait pas bien. Elle avait des hémorragies après l'accouchement. Son bébé a été pris en charge à l'hôpital, même si elle avait suivi un traitement pendant 10 mois et s'efforçait de changer sa vie pour le mieux, pour ses enfants. Mais après avoir passé huit mois en traitement et avoir donné naissance à son enfant, notre système s'est dit que ce n'était pas suffisant. Ils ont pris son enfant.

Le partenaire de ma soeur a déménagé à Emerson, au Manitoba, juste pour qu'elle échappe aux pressions de ce qui se passait en ville et à la drogue. Ils avaient un fils ensemble. Elle vivait également avec son fils, sous le même toit. Ils ont fait plusieurs visites aller­retour au centre de traitement où se trouvait ma soeur.

Lorsqu'ils lui ont pris sa fille de l'hôpital, ils ont donné un choix à son partenaire: soit Claudette allait rentrer à la maison avec lui, soit Patience rentrerait à la maison avec lui. Ils en ont parlé. Matt voulait que Claudette rentre à la maison, car il savait qu'ensemble ils arriveraient à faire revenir Patience chez eux et qu'elle avait besoin d'être à la maison avec leur fils, Iziah. Ainsi, Claudette est rentrée à la maison.

Mais le sentiment de culpabilité était beaucoup trop fort pour elle. Elle a quitté Emerson et elle est retournée en ville. Elle est retournée dans la rue et à la drogue.

Ce soir-là, elle a appelé ma soeur Tina. Elle lui a dit qu'elle était avec ce camionneur et qu'il était en train de lui faire des avances insistantes, qu'elle ne se sentait pas en sécurité et qu'elle voulait qu'elle vienne la chercher.

● (1125)

Mais ma soeur avait un téléphone qu'elle payait au fur et à mesure et elle n'avait plus de minutes sur son téléphone et n'a donc pas eu le message avant deux jours plus tard, lorsqu'elle a acheté des minutes supplémentaires. C'est ainsi que j'ai appris que ma soeur se trouvait dans cet hôtel. À l'hôtel, ils avaient une caméra de surveillance et donc lorsque la police a été faire enquête sur le cas de ma soeur et quand ils sont finalement allés rendre visite à l'hôtel, l'enregistrement avait été effacé et la preuve avait disparu.

Après il nous a fallu continuellement... Les choses étaient très biaisées. Nous appelions constamment pour voir s'il y avait des mises à jour sur le dossier de Claudette. On ne cherchait pas à obtenir des renseignements sur le dossier, car nous savons que la police ne peut pas divulguer ces renseignements. Ce que nous voulions, c'était une responsabilité de leur part, qu'ils nous disent qu'ils effectuaient des recherches actives pour la trouver. Ensuite la communication s'est détériorée et nous avons dû faire intervenir le chef de la Première Nation de Claudette pour qu'ils viennent faciliter le dialogue entre la police et nous.

Ça a pris 10 mois avant que... Ma soeur avait une carte d'appel, enfin... pas une vraie carte, mais elle en connaissait le numéro. Nous avons dit à la police qu'elle avait ce numéro et que peut-être elle s'en était servie lorsqu'elle avait quitté l'hôtel et que ça pouvait nous fournir des réponses. Étant donné nos lois et notamment la Loi sur l'accès à l'information, entre autres, les policiers n'ont pas pu obtenir de mandat pour avoir accès à ces dossiers. Dix mois plus tard ils étaient... après un travail assidu et le fait que notre famille effectuait des pressions constantes sur eux. Et il y avait des numéros sur cette liste qui depuis avaient été débranchés. Ma soeur était toxicomane, elle consommait du crack cocaïne. Il y avait des numéros là-dessus qui étaient liés à des pseudonymes comme par exemple « Jack Frost ». D'ici à ce qu'ils aient accès à ces dossiers, ces téléphones avaient été jetés et n'étaient plus en service. Une fois de plus, de précieux renseignements ont été perdus, à cause des politiques qui sont en place.

Ma soeur fait désormais partie d'un projet intitulé Project Devote, à Winnipeg. Ce projet est la création de familles qui se sont dit qu'il n'y avait pas suffisamment de travail qui était fait dans notre ville. Le problème, à Winnipeg, c'est qu'il y a quatre personnes chargées d'enquêter sur les cas de disparition et chaque jour ils doivent enquêter sur plus de 80 cas. Comment est-ce que quatre agents peuvent enquêter sur 80 cas et accorder à chacun de ces cas l'attention qui lui est due?

C'est tellement frustrant, car ce n'est pas qu'ils ne fassent pas leur travail; nous savons qu'il y a des agents qui ont leur travail à coeur et qu'ils font de leur mieux, mais ils disposent de ressources limitées.

Claudette a disparu il y a cinq ans maintenant. Nous ne savons pas où elle est ni ce qui lui est arrivé. Nous n'avons aucune réponse.

● (1130)

C'est simplement très difficile de ne pas savoir, au jour le jour, où elle est. Je crois que nous nous perdons en travaillant pour autrui, car c'est tout ce que nous connaissons. C'est très difficile pour nous, car nous sommes tellement absorbés par le fait que nous faisons continuellement des choses et que parfois nous ne prenons pas assez soin de nous-mêmes et nous avons besoin de quelqu'un d'autre pour le faire. Nous avons besoin de plus de ressources pour nos policiers, pour nos femmes qui sont dans des relations conjugales. Il nous faut plus de ressources pour sortir nos femmes de la rue. Ma soeur a attendu un an avant de suivre un traitement. Elle a toujours essayé de se faire traiter. Ça a pris toute une année. Alors à vous de me dire.

Je voulais tout simplement vous remercier de nous avoir écoutés et de nous avoir invités. J'espère réellement que vous allez prendre note de tout ce que nous vous avons dit, de tout ce que nous avons partagé et que vous allez en faire quelque chose, mais pas un autre rapport. J'en ai assez des rapports. Je suis désolée. Les rapports se succèdent et finissent sur une étagère. Je veux des mesures tangibles. Je veux que quelque chose de concret finisse par sortir de ça et que vous mettiez réellement en place quelque chose pour que ces nombres n'augmentent pas.

J'ai une fille de 11 ans et elle court cinq fois plus le risque de sortir de chez elle et d'être assassinée ou de ne pas rentrer. Ce n'est pas juste. Quelque part, et je reviens toujours au concept de réconciliation... Notre peuple s'est fait pousser et pousser et encore pousser et nous sommes encore en train de nous faire pousser. Nous sommes un peuple pacifique.

Merci pour votre attention.

● (1135)

Mme Brenda Osborne (à titre personnel): Je m'appelle Brenda Osborne. Je suis ici au nom de ma fille qui a disparu il y a cinq ans. Elle s'appelle Claudette Osborne. J'ai des chiffres sur les femmes qui ont été assassinées. J'imagine que je pourrais dire qu'elles sont trop nombreuses. Je ne sais pas si parmi vous aujourd'hui il y en a qui ont des filles qui ont disparu ou qui ont été assassinées.

Helen Betty Osborne a été assassinée au parc ou à l'école. Mon oncle a été abattu par une femme qui n'a jamais été en prison. Ma cousine a été assassinée. Le gars a fait cinq ans de prison. Felicia Osborne a disparu en allant à l'école à Winnipeg, où elle essayait de devenir enseignante pour essayer d'aider les jeunes, car elle adorait les enfants. Elle a disparu en rentrant à la maison pour le déjeuner. Elle ne s'est jamais rendu chez elle. Six mois plus tard, nous avons trouvé une de ses jambes et un bras. C'est tout ce que nous avons trouvé et que nous avons enterré.

Ma fille a disparu et nous n'avons aucune réponse. Nous n'avons aucune piste ni reçu aucun indice. J'essaie moi-même de sortir pour enquêter toute seule. Je sors tard le soir. Je pose des questions à ceux qu'elle connaissait. La police m'a demandé d'arrêter, car ils m'ont dit que j'allais être accusée de proxénétisme avec ces filles, car je les nourrissais parfois, car certaines vivent dans la rue. Elles ont faim et c'est donc ce que j'ai fait. J'ai fait des sandwiches et je leur ai apporté du jus simplement comme cadeau. En même temps, je leur posais des questions sur ma fille, qu'elles connaissaient, et les policiers m'ont dit que j'allais me faire accuser de proxénétisme. Ils m'ont forcée à partir. Je ne pouvais plus le faire, car je n'avais pas envie d'être jetée en prison à cause de cela.

Je préférerais faire autre chose. Nous organisons des veillées et des réunions. Nous nous réunissons avec d'autres familles et nous nous entraidons, car il n'y a pas de soutien pour notre famille.

Chaque année, je participe à la marche depuis Norway House jusqu'à Winnipeg. Il y a deux ans de cela, j'étais ici dans la même pièce. Il y a deux ans, j'ai marché depuis Norway House jusqu'à Winnipeg et ensuite de Winnipeg jusqu'à Ottawa, ici. À ce moment­là, ils nous ont dit le genre d'aide qu'ils pouvaient nous offrir. Nous attendons toujours cette aide. Il n'y a rien.

Il y a des familles comme les Nepinaks. Ils souffrent à cause de leur perte, car ils ne savent pas si sa soeur a été... C'est une des femmes avec laquelle nous nous réunissons une fois par semaine juste pour passer du temps ensemble. La seule chose que nous ayons dans la vie... Pour ma part, je n'ai que l'espoir. C'est tout ce que j'ai, car je ne peux pas dire que ma fille a été assassinée. Je ne le sais pas.

Aujourd'hui, je suis honorée d'être ici, car je voulais dire que nous avons besoin d'être entendus et que nous avons besoin d'aide. Nous participons à ces marches tous les ans. Peu importe pour qui on le fait. Nous le faisons pour toutes les femmes disparues et assassinées. J'imagine que c'est désormais ma vie. Je la leur dédie à elles chaque jour. Peu importe la chaleur qu'il faisait; peu importe qu'il pleuve ou pas. Nous avons marché toute la journée, pendant 16 heures par jour. Qui va faire cela pour nous? Personne.

● (1140)

C'est pour elle que nous sommes ici aujourd'hui. Il semble que les meurtriers commettent leur crime en toute impunité. Roberta McIvor été tuée, et la coupable n'a purgé que deux ans.

Il y a un gars qui va être emprisonné pour avoir supposément tué deux femmes mais voyez-vous, ce que je ne comprends pas, c'est que personne n'a jamais mentionné qu'une de ces femmes était enceinte. Ce gars a été condamné à 20 ans. Il en a purgé deux et il sera libre dans huit ans. Est-ce que c'est juste envers nous? C'est nous qui souffrons jour après jour, et lui va être libre.

Le système de justice doit changer.

Nous vivons avec cette douleur tous les jours. Nous portons notre douleur et notre souffrance comme les autres, mais il n'y a personne là pour nous... Cela me fâche lorsque quelqu'un me demande: « Comment allez-vous aujourd'hui? » Comment suis-je censé me sentir? Je ne peux pas répondre: « Je vais bien ».

Les meurtriers tuent en toute impunité et même ils en rient. Ils tuent quelqu'un... Ils arrachent quelqu'un de sa voiture, lui tranchent d'abord la gorge, puis les traînent, leur passent sur le corps avec la voiture, et on appelle ça un accident? Ce n'est pas un accident. C'est un meurtre, et elle a fait deux ans de prison pour cela.

Je ne souhaite pas cela... Vous savez, quelqu'un est accusé de meurtre... Les juges et la police négocient les plaidoyers. Mais est-ce qu'ils pensent aux familles, à ceux qui souffrent? C'est nous qui souffrons aujourd'hui. C'est nous. Nous portons cela tous les jours. La douleur est là lorsque nous nous endormons et elle est toujours là lorsque nous nous réveillons le matin.

Merci beaucoup de m'avoir écoutée.

● (1145)

Mme Brenda Bignell (à titre personnel): [Le témoin s'exprime en Ojibwa.]

Merci de m'avoir invitée. J'apprécie vraiment d'être ici, et je suis heureuse de pouvoir partager mon histoire avec vous tous. J'ai dû écrire mon histoire, car je suis beaucoup trop émotive pour pouvoir simplement laisser parler mon coeur. La vie est dure, la vie a été dure.

Tout d'abord, je veux parler des mères. Je veux parler des femmes qui sont parents. Nous les femmes, nous donnons naissance aux hommes et aux femmes et aux enfants — les garçons, les filles — vous savez, c'est notre rôle; c'est ce que nous faisons; c'est notre vie. Je veux vous dire ce qu'a ressenti ma propre mère lorsque son fils a disparu et qu'il a été retrouvé assassiné sept mois plus tard. C'est une chose très difficile à vivre. Il est mort le jour de mon anniversaire, il y a 40 ans.

Lorsque quelqu'un disparaît, c'est comme si le temps s'arrêtait. C'est comme si c'était hier lorsqu'on voit sa maman et son papa souffrir, lorsqu'on voit la douleur sur leur visage. Comment la famille peut-elle fonctionner? Comment la famille peut-elle fonctionner lorsque les parents sont perdus? Comment est-ce que cela arrive? Vous savez, lorsque vous êtes enfants, vous vous repliez sur vous-même, vous regardez votre papa et votre maman et vous pensez, et vous vous demandez: « Comment faites-vous pour continuer, maman et papa? Comment pouvez-vous vous occuper de nous autres lorsqu'il y en a un qui manque? »

Je ne suis pas venue ici pour parler seulement des femmes. Je dois aussi parler des hommes car nous les femmes, nous avons donné naissance aux hommes. Mon frère Clark a été le premier tué. La police a eu le culot de me dire, 35 ans plus tard, après que j'ai découvert — après que j'ai reçu un appel d'un homme me disant: « Nous savons qui a tué votre frère »... Vous savez ce que la GRC a fait? Ils m'ont téléphonée pour nous dire: « Taisez-vous. Ne parlez à personne de cela ». Je sais qui a tué mon frère, et d'autres savent aussi qui l'a tué. Ces deux hommes subiront-ils un jour un procès? Il n'y a pas une maudite chance que ça arrive, parce que tout le monde s'en fout. Qui se soucie de nous qui avons la peau brune? Est-ce que ça intéresse quelqu'un? J'aimerais bien le savoir. Parce que c'est une mort, c'est un meurtre. Et ces deux hommes sont toujours en liberté, libres de torturer d'autres personnes.

Où est la justice pour notre peuple? Elle n'existe tout simplement pas, n'est-ce pas?

C'est juste un homme, et c'est juste deux parents, ma mère et mon père, mais nous avons tous souffert, nous ses frères et ses soeurs. Nous avons tous souffert, tellement souffert. Mes frères ne peuvent même pas traverser la rivière parce que notre frère a été jeté dans cette rivière. C'est comme cela qu'il est mort; ils l'ont battu puis ils l'ont jeté du pont. Sept mois plus tard, son corps s'est échoué sur le rivage, tout gonflé. C'était mon frère. Mais les gens qui savaient qu'il avait disparu savaient où il était, n'est-ce pas? La famille savait où se trouvait mon frère, mais ils n'ont jamais rien dit à personne. Pourquoi l'auraient-ils fait? Ils avaient commis un crime; ils avaient tué un être humain. Et c'est une honte que la GRC me dise de me taire. C'est le pire péché commis contre nous, citoyens canadiens — lorsque la GRC nous dit: « Taisez-vous. Ne parlez de cela à personne ».

Or, nous savons tous que ce pays n'existerait pas sans nous, les peuples autochtones. Je le sais, nous le savons tous. Nous avons été bons, nous avons été généreux. Nous aimerions qu'un peu de cette générosité nous soit rendue.

Ma nièce Daleen a disparu. Pour que vous ayez une idée de ce que cela coûte de chercher une personne disparue: en quatre ans, ma soeur a dépensé un quart de million de dollars.

● (1150)

Ma soeur était surintendante des écoles, son mari était éducateur, un enseignant, tous deux avec un très bon salaire... Tous deux ont économisé leur argent tout leur vie en pensant pouvoir prendre leur retraite lorsqu'ils seraient plus vieux. Où sont allées leurs économies pour la retraite? Pour retrouver leur fille, qui a été démembrée, brûlée. C'est dans cet état que l'on a retrouvé ma nièce, dans cet état que ma soeur a retrouvé ma nièce. Mais quand on pense au quart de million de dollars qu'elle a dû dépenser, les gouvernements provincial ou fédéral investiraient-ils un quart de million de dollars par famille? Il a fallu quatre années à ma soeur, et il a fallu le coeur et la compassion de mes frères et soeurs blancs partout au pays pour venir en aide à ma soeur. Je ne marche pas seule; je ne vis pas seule. Nous vivons ici tous ensemble, Indiens et blancs, avec des gens de toutes couleurs de peau. Nous vivons ensemble. Nous devons nous témoigner les uns et les autres la conscience et l'amour que nous avons en faisant attention à chacun de nous. Le lendemain du soir où la fille de ma soeur a été portée disparue, nous étions là. Je suis partie de Le Pas pour aller à Saskatoon. Il a fallu que je fasse du pouce. C'est un trajet qui fait 350 milles aller simple. J'ai marché. J'ai pris la voiture. Je suis allée souvent à

Saskatoon pour aider ma soeur, mais ce soir-là, le deuxième soir où elle avait disparu, ma soeur a dit: « Ma fille n'est pas le genre de personne à sortir et à se prostituer, à se soûler, à être indisciplinée et à disparaître — pas ma fille. » Sa fille allait à l'université.

Personne n'a cru ma soeur. La GRC lui a dit: « Oh non, quelle audace, elle ne pense qu'à elle. »

Si l'un de vos enfants disparaissait... on connaît suffisamment bien une fille ou un fils pour savoir si elle va rentrer à la maison ou non. On le sait. Nous connaissons tous nos enfants et ce dont ils sont capables. Ma soeur savait que sa fille n'était pas le genre de fille à découcher. Comme par hasard, quatre ans plus tard, la GRC a fait une annonce et a trouvé qui a assassiné ma nièce. Ils ont trouvé son assassin parce que c'est lui qui s'est dénoncé. Il se vantait de toute la haine qu'il portait au peuple autochtone.

Dans un pays comme le nôtre où il y a autant de racisme, il est triste de constater que cette personne puisse se vanter d'avoir tué un Autochtone — s'en vanter. Quel culot. Maintenant, grâce à ma soeur et à ses 250 millions de dollars cet homme est en prison. La GRC n'a pas fait grand-chose. Elle est bien intervenue vers la fin, mais ce sont les détectives que ma soeur a payés dès le départ... et j'étais là, assise avec elle à négocier les honoraires de ces détectives. Cela coûte très cher. Il faut beaucoup d'argent pour entrer dans les coeurs et les têtes de frères et soeurs blancs afin que ceux-ci nous considèrent comme des gens.

Elle a diffusé 89 000 dépliants à Saskatoon et ces 89 000 dépliants lui ont coûté 8 000 $. Et qui a distribué ces 89 000 dépliants? Ses deux garçons et ses deux petits-enfants. Quatre personnes pour distribuer 89 000 dépliants pour aider à retrouver sa fille.

Je n'ai pas pu l'aider. Cela me blesse beaucoup, mais on fait tous de notre mieux lorsqu'il s'agit de retrouver un parent disparu. Cela nous prend beaucoup d'énergie.

Il y a ma nièce Daleen.

Il y a aussi celle qui est pratiquement ma belle-mère.

Mon père est un ancien combattant de la Deuxième Guerre mondiale, un ancien tireur d'élite, et lui et ma mère ne s'entendaient pas très bien donc mon père a décidé d'avoir une deuxième femme. Sa deuxième femme a connu la vie la plus difficile et la plus amère qu'elle a jamais pu connaître.

● (1155)

Ce n'est pas mon père qui lui a imposé cette vie. Elle avait déjà une vie difficile avant de le connaître. Un soir d'hiver elle a quitté Pukatawagan, et jamais personne ne l'a revue depuis. Mais tout le monde se moquait bien de la retrouver. Personne ne s'en préoccupait. Personne. Il n'y a même pas eu de recherche. Personne n'est parti à sa recherche. J'imagine que personne ne souhaite savoir ce qui s'est passé. Il s'agit d'Elizabeth Dorian. Maintenant, elle est quelque part, perdue. Personne n'a l'énergie ou le temps d'aller à sa recherche. À ce que l'on sache, elle aurait bien pu sauter d'un pont. Il se peut qu'elle soit dans la rivière à l'heure actuelle. Elle a peut-être été aussi emportée par des animaux. On ne le sait pas. Et tant qu'il n'y aura pas d'enquête sur cette femme, nous ne saurons rien. Mais je pense que ses enfants, deux de ses enfants — mon demi-frère et ma demi­soeur — méritent de savoir ce qui est arrivé à leur mère. Même si on ne trouve que des restes, c'est au moins quelque chose à leur donner pour l'avenir, à mon demi-frère et à ma demi-soeur, un espoir de vie meilleure.

Il y a aussi Andrew Flett, un autre de mes cousins. C'est un homme. Une fois encore il était dans le nord du Manitoba. Il manque à l'appel depuis maintenant deux ans. La fille de mon cousin, Amanda Bartlett, est un autre membre de ma famille. Je suis venue devant vous ici aujourd'hui avec les noms de sept personnes de ma famille que l'on a perdues, qui ont disparu. C'est ce que j'amène à cette table. C'est la douleur qu'endure notre famille en ce moment. Elle n'a pas un quart de million à dépenser comme ma soeur Pauline. Elle ne les a pas. Elle doit compter sur les ressources de la province, du gouvernement fédéral, les organisations de femmes, nos propres collectivités, et tout ce dont nous pouvons bénéficier pour les aider à trouver leurs proches disparus.

Le plus gros problème pour nous, c'est de trouver l'argent nécessaire. Lorsque vous vous mettez à la recherche de quelqu'un pour s'exprimer en votre nom et pour vous aider dans vos recherches, c'est difficile à trouver, car il est difficile de s'engager. Je suis d'accord avec Branda, on ne peut compter que sur soi. Qui va le faire autrement? Qui va marcher pendant 16 ou 20 heures pour nous? Personne, à part nous. C'est la façon dont fonctionne notre système aujourd'hui. Et c'est bien comme cela. Étant donné que nous sommes leur famille, c'est à nous qu'il revient d'aller à leur défense. C'est bien. C'est la chose à faire et c'est quelque chose que j'aime. Je suis fière d'avoir été capable de le faire pendant huit ans. Ma soeur a créé une marche de sensibilisation qui a duré quatre ans. Lorsque sa fille a été trouvée, elle a organisé une course qui a lieu tous les quatre ans pour souligner ce moment. Mais elle est fatiguée.

Pour répondre à la dame qui s'est dite fatiguée, nous savons ce que c'est que d'être fatigué, d'être épuisé. Nous savons ce que c'est que de ne pas pouvoir dormir pendant 20 heures. On a de la chance lorsqu'on est capable de dormir trois ou quatre heures au cours d'une nuit — c'est une véritable bénédiction de pouvoir le faire. C'est excellent de pouvoir s'endormir afin de se réveiller tout revigoré, fort de vos heures de sommeil. Merci, Seigneur. Merci, Créateur. Je suis bénie.

J'aimerais beaucoup qu'ait lieu une enquête sur la GRC et les injustices qui ont été commises envers mon peuple ainsi que le manque d'attention qui nous est porté. Je vois toute la nécessité d'avoir une enquête nationale sur les enfants, nos soeurs, nos mères, nos frères disparus. C'est quelque chose qu'il nous faut. C'est quelque chose que j'aimerais voir mis sur pied.

[Le témoin s'exprime en ojibwa.] C'est tout ce que j'ai à dire. Merci.

M. Wesley Flett (à titre personnel): Bonjour, je m'appelle Wesley Flett, et je viens du Pas, au Manitoba. Une de mes soeurs a disparue il y a quatre ans déjà. Il est difficile de ne pas savoir si elle est encore vivante, question que nous nous posons au quotidien. Je viens de la même collectivité que Brenda et nous sommes ici pour transmettre le message de nos frères et soeurs.

Millie était une femme de coeur. Elle aidait tous ceux dans la rue qui en avaient besoin. Elle faisait sourire les gens sur son passage. Elle aidait les jeunes à retourner à l'école, à sortir de la rue. Un jour, je suis allé en ville pour des raisons médicales. Je suis passé la voir le matin à son appartement de Winnipeg, mais personne n'a répondu. J'ai dû y retourner à une dizaine de reprises. Même chose le jour suivant. Nous avons donc signalé sa disparition à la GRC de la région de Winnipeg.

Nous avons tout fait en notre pouvoir, la famille, ses frères et soeurs. Elle a quatre frères et soeurs. Nous avons posé des affiches pour signaler sa disparition à Winnipeg et un peu partout. Nous l'avons fait pour elle, pour notre famille, afin d'obtenir des réponses. Nous avions besoin de réponses.

Un jour, ma femme a appelé la police à Winnipeg. Un des agents au bout du fil lui a dit qu'il ne gérait pas une garderie. Elle pleurait, elle voulait savoir pourquoi personne ne pouvait nous aider. Nous n'y avons pas pensé pendant un certain temps, nous étions simplement sous le choc. Nous avons recommencé à téléphoner à la GRC à Winnipeg pour leur demander de l'aide, des renseigne­ments. On ne faisait que nous mettre en attente. Nous n'avons jamais obtenu de réponses. C'est pourquoi nous avons décidé de parcourir les rues, de poser toutes ces affiches, d'en parler aux gens.

Une conférence s'est tenue au Pas. Une fille avait perdu une de ses soeurs pendant cinq ans. Grâce au bouche à oreille, en en parlant à d'autres un peu partout au Manitoba, cette femme qui avait disparu pendant cinq ans a été retrouvée. Elles sont maintenant réunies. Rien ne pourra plus jamais les séparer. Voilà le genre d'histoire qui nous réjouit. J'ai du mal à parler. La plupart des gens n'ont pas besoin de sillonner les rues simplement pour obtenir des bribes de rensei­gnements. Ils nous disent qu'ils ne l'ont pas vue. Parfois, dans la rue, on aperçoit quelqu'un qui lui ressemble et on l'interpelle, mais ce n'est pas elle. C'est si difficile de prononcer le mot « soeur ».

● (1200)

Nous vivons simplement au jour le jour. C'est plutôt difficile. Ma soeur était une femme très humble. Nous n'allons pas abandonner nos recherches. Nous continuons à parcourir les rues pour poser des affiches, pour en parler aux gens. Nous n'allons pas baisser les bras. Nous avons de grandes affiches à l'effigie des femmes disparues, nous voulons faire passer le mot. De magnifiques femmes ont disparu. Elles ne sont jamais rentrées chez elles. Nous diffusons les renseignements pour qu'elles rentrent chez elles, pour en avoir le coeur net. C'est si difficile, particulièrement lorsqu'il s'agit d'un être cher, mais même quand c'est l'ami d'un voisin qui disparaît pendant quelques heures ou même toute une journée. On veut savoir où se trouve la personne à tout moment.

Quand ma soeur quittait la ville, elle nous appelait systématique­ment pour nous dire où elle allait et quand elle rentrerait. Cet été-là, elle nous a téléphoné pour nous dire qu'elle allait à tel endroit. Je lui ai dit de bien prendre soin d'elle et de nous rappeler à son retour. C'est ce qu'elle a fait. Puis, un jour, comme je l'ai dit, nous sommes allés frapper à sa porte. Nous étions là les quelques semaines précédentes. Mes fils et mes cousins sont allés frapper à sa porte. Nous pensions qu'elle était sortie faire des courses, mais elle n'est plus jamais rentrée. Nous ne savons toujours pas où elle se trouve.

Nous n'allons pas abandonner nos recherches. Notre famille ne va pas tourner la page. Je n'abandonnerai jamais, c'est certain. Nous avons besoin de l'aide de tous.

Nous en parlons autour de nous. Deux années de suite, nous avons organisé une marche du Pas à Winnipeg. L'aînée la plus âgée avait 78 ans. Elle a marché avec nous du Pas à Winnipeg. Des athlètes, des coureurs et même une petite fille ont participé. Elle était toute jeune et elle a marché avec nous. Leurs mères ont marché avec nous. Leurs frères ont marché avec nous. Tous ceux qui désiraient nous accompagner étaient les bienvenus. Nous avons besoin de ces gens pour garder espoir.

Même le chef et le conseil nous ont félicités pour notre bon travail lorsque nous sommes partis pour Ottawa. Il vous demande de faire de votre mieux. Le Parlement à Winnipeg également. Toute la collectivité veut savoir ce que nous allons faire. On nous dit de le faire, de continuer notre travail.

Il est très difficile de réunir tout le monde, de tout organiser. Mais je ne vais pas baisser les bras. Je ne vais pas abandonner la recherche. Je ne laisserai personne tomber, je n'oublierai pas nos femmes et nos frères assassinés. Je continuerai à travailler d'arrache­pied.

En février de l'année dernière, on m'a diagnostiqué un cancer. Je continue à me battre malgré la maladie. Je vais recouvrer la santé. Je n'arrêterai jamais.

● (1205)

Le Créateur m'a donné la force de poursuivre et c'est ce que je vais faire.

Je tiens à remercier tous les membres du comité.

Du Pas, au Manitoba, je suis Wesley Flett. Merci beaucoup.

(1210)

Robert Pictou: Je m'appelle Robert Pictou. Je suis de la Première Nation Chapel Island. C'est en Nouvelle-Écosse.

Voici une photo de ma fille. Elle a disparu il y a 20 ans et 8 mois. Elle avait sept enfants. Cinq d'entre eux n'ont aucun souvenir de leur mère.

Elle a disparu dans l'État du Maine. Quand le Bangor Daily News a publié la nouvelle, j'y ai vu beaucoup de contradictions. Je ne suis pas très instruit, mais on m'a appris nos traditions, ce qui est mieux, à mon avis. Je sais qui est le coupable, mais je ne peux pas le prouver. Pour le prouver, il faudrait qu'on retrouve le corps de ma fille. On ne l'a pas trouvé. Le coupable s'en est d'ailleurs vanté, disant qu'on ne la retrouverait jamais.

Quand je vais à des pow-wows à Caribou, dans le Maine, je vois mes petites-filles. Je leur donne des informations et des photos de leur mère. L'autre jour, elles m'ont envoyé des photos d'elles, et l'une d'entre elles est le portrait tout craché de sa mère.

Je suis convaincu — je ne vous demande pas de le croire, mais c'est ce que moi je crois — que ma petite-fille est la réincarnation de ma fille. Elle a le même aspect physique que ma fille. Ma fille avait une marque sur une dent. Sur la photo de sa fille, de ma petite-fille, il y a une marque sur la même dent, mais de l'autre côté. Est-ce une coïncidence? Peut-être, mais moi, je la vois grandir et je revois ma fille à son âge.

Vingt ans de souffrance, c'est long. J'éprouve de la haine, mais chaque fois, je demande au Créateur [Le témoin s'exprime en micmac] de faire disparaître cette haine. J'éprouve maintenant beaucoup moins de haine, mais encore de la colère. Les Autochtones pardonnent très très facilement, mais ils n'oublient pas. Nous n'oublions pas. Je sais que l'esprit de ma fille est toujours vivant.

On me dit de ne pas faire ceci, de ne pas faire cela, de ne pas ressentir de haine, de ne pas faire de vagues. J'ai beaucoup de croyances. Une de mes amies m'a donné un livre et m'a conseillé de le lire. Après l'avoir lu, j'ai décidé d'aller voir cette femme qui est clairvoyante.

● (1215)

Pendant 20 ans, j'ai gardé mes sentiments en moi. Je ne voulais pas en parler.

J'ai donc pris des dispositions pour voir cette femme clairvoyante. Mon fils est venu de Vancouver et nous y sommes allés ensemble. J'avais vu, à la télé, l'émission Long Island Medium dont la vedette est une femme élégante, aux cheveux bouclés bien coiffés vivant dans une grande maison luxueuse. Elle a plusieurs grosses voitures. Son fils a une moto et sa fille vient de finir ses études au collège. Je ne savais pas trop à quoi m'attendre quand je suis allée voir cette dame.

Elle vit dans un appartement délabré. J'ai frappé à sa porte et elle nous a laissé entrer, Robert et moi. J'ai regardé autour et il y avait un coffre dans le coin où elle avait mis son téléviseur.

Elle a dit: « Je n'ai pas grand-chose, mais c'est à moi. Je sais pourquoi vous êtes venus. »

Pendant qu'elle parlait, elle ne nous regardait pas. Elle écrivait. Je pense qu'elle ne savait même pas ce qu'elle écrivait. Elle nous a dit que l'esprit de ma fille guidait sa main.

Elle m'a ensuite remis le papier. Je l'ai montré à mon fils, puis nous l'avons payé et remercié. Mon coeur a été rempli de haine pendant 20 ans, mais ce n'est plus le cas, même si le sentiment n'est pas complètement disparu. La clairvoyante m'a dit que, pendant que j'étais chez elle, l'esprit de ma fille l'a encerclé et que ma fille lui a parlé. Ma fille lui a dit quoi écrire et, elle, nous l'a dit, à moi et à mon fils.

Quand je suis arrivé là, je n'avais aucune attente, et voilà ce qui s'est passé. Comment pouvait-elle savoir tout cela? Cette dame vit à Truro, en Nouvelle-Écosse. Elle, elle vit à Truro et ma fille a été assassinée à Bangor, dans le Maine, près de 600 miles plus loin. Elle ne l'a jamais rencontrée, elle ne la connaît toujours pas. La clairvoyante ne la connaissait pas.

J'ai toujours avec moi cet exemplaire du Bangor Daily News. La police de l'État avait été appelée dans un bar du centre-ville de Bangor, le bar Judy's, parce qu'il y avait eu des troubles. Les policiers y ont trouvé ma fille qui saignait; elle avait été coupée au­dessus de l'oeil et sur la lèvre et avait une grosse ecchymose sur la tête. On lui a demandé ce qui était arrivé.

Elle a répondu que son mari et son beau-frère l'avaient battue et quand on lui a demandé pourquoi, elle a dit qu'ils étaient ivres.

Les deux hommes sont alors arrivés. Les policiers ont fait entrer le mari de ma fille dans la voiture de police, et il a tenté de casser la lunette arrière à coups de pied. On l'a amené à la petite cellule de Bangor. Ma fille, elle, a été transportée à l'hôpital de Bangor. Ma fille ne laissait jamais ses enfants plus de deux ou trois heures. Elle ne les aurait pas laissé seuls toute la nuit. Elle était à l'hôpital pour observation, mais personne ne savait qu'elle souffrait d'une grave commotion cérébrale. C'est ce que la voyante m'a dit.

● (1220)

Elle n'était pas du genre à rester à l'hôpital. Elle est donc partie et a fait de l'autostop pour rentrer chez elle. L'hôpital est à environ une heure et demie de voiture de chez elle. Au même moment, son mari a été libéré. Moi, je crois que son mari et son beau-frère, qui étaient en voiture, l'ont prise en chemin, l'ont battue encore une fois — c'est ce qu'on m'a dit — et, comme elle avait déjà une commotion cérébrale, ils l'ont tuée. Ils ne savaient pas. Ils n'avaient pas l'intention de la tuer. Il y avait trois hommes: son beau-frère, son mari et un autre homme.

Ils l'ont cachée quelque part dans l'immeuble jusqu'à la tombée de la nuit. À ce moment-là, dans l'obscurité, ils l'ont transportée sur un petit bateau. Ils sont allés très loin sur l'océan; c'était à marée haute. Ils l'ont dévêtue et l'ont enveloppée dans un drap aux motifs de fleurs.

Pendant qu'ils étaient sur l'eau, l'un d'entre eux n'a cessé de vomir. Une fois assez loin en mer, ils l'ont laissée tomber à l'eau comme un sac de patates. À leur retour sur terre, ils ont brûlé tous ses vêtements. Des années plus tard, ils se vantaient encore qu'on ne la retrouverait pas.

Mais moi, j'ai reçu les enseignements traditionnels. Je suis allé voir un homme qui comprend ces choses. Il m'a fait asseoir sur un lit fait de plumes d'aigle. Il m'a dit de m'y asseoir mais de ne pas m'asseoir sur les plumes d'aigle. Il m'a dit: « Je sais ce que tu as en tête, mais si tu passes à l'acte, tu passeras le reste de ta vie en prison ». Je l'ai regardé et lui ai dit que j'avais l'esprit en paix. Il m'a dit: « Les autres te croient peut-être sur parole, mais moi, je ne te crois pas ». Il a ajouté: « Je sais à quoi tu penses. Abandonne ces idées. Le créateur s'en occupera ».

En effet, je pensais encore à ces deux hommes, mais je ne voulais pas m'en prendre à eux, car, selon les enseignements de mon peuple, quand on fait du mal à d'autres, on se fait faire deux fois plus de mal plus tard. J'ai donc laissé tomber.

J'ai appris plus tard que c'est son beau-frère qui l'a tuée. Il a longtemps souffert. Il a contracté le sida et en est mort. L'autre, son mari, n'a jamais l'esprit en paix, car il est constamment perturbé par l'esprit de ma fille. Il se saoule et tente de dormir, mais ne cesse de crier le nom de ma fille parce qu'elle ne le laisse pas en paix. C'est ce qu'elle a dit à la voyante. Elle lui a dit qu'elle ne le laisserait jamais en paix, et qu'elle le hanterait jusqu'à sa mort.

Je tiens à vous remercier tous, surtout les femmes qui m'ont invité et mon ami de la Nouvelle-Écosse. Je vous remercie tous et toutes de partager votre histoire.

[Le témoin s'exprime en Mi'kmaq]

● (1225)

Mme Patricia Isaac (à titre personnel): Je m'appelle Patricia Isaac et je suis de la Première Nation Membertou.

Virginia Sue Pictou était ma cousine. Le sourire que vous voyez sur cette photo, c'est le sourire qu'elle avait quand je l'ai vue la première fois. C'était dans le Maine, dans les années 1980. Ma giju', ma maman, s'apprêtait à aller cueillir des bleuets. Virginia est venue me voir avec son sourire et m'a dit: « Je m'appelle Virginia, je suis ta cousine. Ma mère est ta tante ». Nous avons jasé un peu. J'étais étonnée, et très émue. Nous étions nombreux dans le champ et, elle, elle m'a remarquée. J'étais très heureuse d'avoir une cousine. Et je n'oublierai jamais son sourire.

En 2009, j'ai organisé une vigile des soeurs par l'esprit pour Virginia et il y a eu pas mal de monde. Je venais d'avoir 48 ans, et une quarantaine de personnes étaient là, y compris des hommes et des enfants. Cela a été un bel événement.

Puis, l'AFAC m'a demandé de venir à Ottawa et j'ai produit un document numérique sur Virginia.

J'ai parlé aux représentantes de l'AFAC ce week-end. Moi et Robert leur avons demandé si elle ne pourrait pas envoyer une lettre à la police de l'État du Maine ou au FBI pour leur demander d'intervenir. J'espère que le procureur de l'État ou quelqu'un d'autre s'intéressera à l'affaire de Virginia. Le dossier est encore ouvert et on pourrait reprendre l'enquête. J'espère qu'ils feront quelque chose. Ils ont accès à son dossier et à toutes les informations.

Moi, je ne peux partir du Cap Breton pour aller jusque dans le Maine. Je ne peux pas. Moi, je suis au Canada et eux sont aux États-Unis. Il y a des obstacles. Je ne connais pas les lois américaines. Je n'y connais rien. Je suis coincée. J'espère que l'AFAC enverra des lettres et qu'elle obtiendra des réponses. J'espère que Robert et moi, et que toute la famille, auront des réponses. Je serai la voix de Virginia. Je continuerai à chercher et à poser des questions, en son nom.

Je remercie toutes les familles de l'AFAC, ainsi que les membres du comité. Merci de m'avoir invitée. J'espère que vous nous aiderez dans la poursuite de nos efforts.

Merci.

Mme Susan Martin (à titre personnel): Bonjour.

J'aimerais souligner que nous nous retrouvons sur nos terres, un territoire algonquin non cédé.

J'aimerais remercier le comité. Mais j'aimerais tout d'abord remercier ma famille. C'est ma famille qui me soutient et qui m'aide à me relever lorsque je touche le fond du baril, car c'est un combat de tous les instants.

Un grand nombre de députés me connaissent. Je m'appelle Susan Martin. Ma fille Terrie Ann Dauphinais a été assassinée le 29 avril 2002 à Calgary, laissant dans le deuil trois enfants en bas âge.

Avant que Terrie ne soit assassinée, elle avait téléphoné à la police de Calgary le 8 mars 2002 pour porter des accusations de violence conjugale contre mon gendre. Personne n'a été accusé, personne n'a été retiré de la maison. Ma fille avait dit à son amie en Alberta, Theresa Ross, qui a pris soin de mes petits-enfants pendant six mois après l'assassinat de ma fille, qu'elle allait en payer le prix. Ken lui a dit qu'elle allait en payer le prix.

Mon enfant a été violemment assassinée 52 jours plus tard. Son corps nu gisait en bas devant la porte d'entrée étalé comme une ordure et ses trois enfants sont restés enfermés dans la maison pendant 12 à 14 heures. Le bébé était âgé de 10 mois. Deux heures de plus et mon petit-fils serait mort.

Gideon et Gabriel étaient en haut enfermés dans une chambre à coucher. Lorsque la police a appréhendé les bébés, Gabriel leur a dit que leur père les avait enfermés dans leur chambre. Mes deux petits­enfants les plus âgés étaient recouverts d'urine et d'excrément et criaient pour qu'on les laisse sortir, qu'on les laisse sortir. Le bébé pleurait [Note de la rédaction: inaudible] loin du cadavre de sa mère.

Je mène cette bataille depuis 11 ans. Vous n'êtes pas sans savoir que j'ai apporté les restes de mon enfant à la colline du Parlement. Je fais ceci depuis huit ans. J'ai réclamé des changements. J'ai demandé de l'aide. Bernadette, Brenda, moi-même et ma petite-fille Kaden sommes allées à la cérémonie de commémoration vendredi soir pour les femmes assassinées à Montréal. Qu'est-ce que j'y ai vu? Une jeune maman qui racontait que son enfant avait été violemment assassiné lors de violence familiale. Sa tête était ailleurs, l'homme l'avait coupée et elle arrivait à peine à s'accrocher avec sa fille à ses côtés.

Souvent je veux abandonner et dire que je n'en peux plus. Créateur je n'en peux plus. Comme Robert l'a dit, nous sommes habités par la rage. Nous ne pouvons pas le montrer en public, nous devons la canaliser d'une façon appropriée. Lorsque je vois une autre mère, un autre enfant, un autre frère, un autre fils porté disparu ou assassiné ici au Canada, il me semble que tout le monde se fiche des gens comme nous à la peau foncée. Tout le monde s'en fiche. On doit se débrouiller seul.

Au nom de ma fille, j'assiste à des vigiles ici à Ottawa. C'est mon mari et moi qui payons les frais. Nous ne demandons pas aux membres de notre famille de nous aider. Je vends aussi mes charquis. Jean le sait, Carolyn le sait. Les gens savent que je me débrouille seule. Nous devons nous débrouiller seuls, car nous avons déjà crié à l'aide.

Je vous le dis et je vous l'ai déjà dit le 4 octobre, je dois donner une petite partie du crédit à Stephen Harper qui a aidé les familles pour qu'elles ne perdent pas tout mais les familles peinent à s'en sortir. Nous avons toujours besoin d'aide pour avoir un toit au-dessus de nos têtes, de la nourriture dans notre estomac et pour payer les factures, car nous peinons au quotidien à sortir du lit et à affronter le monde. C'est une situation très difficile.

Il faut aussi former les policiers qui s'occupent des familles pour qu'ils ne disent pas, eh bien votre fille était une prostituée. Je me fiche de ce que cette personne... Personne n'a le droit de prendre la vie d'un autre être humain et d'écoper de seulement cinq ans pour cette vie humaine. Une personne qui essaie de nourrir sa famille et paie avec un chèque sans fonds est davantage pénalisée qu'un pédophile, un meurtrier ou un violeur. Qu'est-ce qui cloche dans ce pays? Qu'est-ce qui cloche dans ce pays?

Voyez combien... Si on remplissait cette salle, il y a plus de 6 000 dans la base de données, 6 000 hommes, femmes et enfants dans cette base de données et on ne fait rien. Une vie devrait valoir une vie ici au Canada. Les auteurs de ces actes ne changent pas.

Où sont mes petits-enfants? J'ai pu les voir deux fois. Ils sont à Saskatoon avec le meurtrier. J'attends toujours que justice soit rendue. Mon mari aussi. La police à Calgary nous a dit que si mon mari allait faire le pied de grue devant la maison et tentait d'agir, il serait arrêté et envoyé en prison. C'est de la foutaise. Désolée pour le langage mais c'est de la foutaise.

● (1230)

C'est mon enfant. Non seulement cela, Terrie est mon deuxième bébé. Cette famille le sait. Hier cela faisait 34 ans que j'avais mis la soeur de Terrie en terre à Calgary — il y a 34 ans. Sherry est morte en raison de problèmes de santé. Terrie n'est pas morte de la même façon. Terrie a été assassinée. On lui a enlevé la vie et les auteurs de ce crime doivent répondre de leurs actes. Cinq ans, deux ans, trois ans — cela ne change pas les gens. Ils ne changent pas, donc cessez de les écouter. Cessez de les écouter parce que ce sont les enfants qui restent qui sont ciblés.

Mes petits-enfants, les petits-enfants de Brenda, la fille de Bernadette, les petits-enfants d'Amy et de Glen, la fille de Lorna, la famille de Connie... Nos enfants sont ciblés. Les petits-enfants de Pauline et Herb Muskego seront ciblés. Il faut que cela cesse. Il faut arrêter cela. Je vous implore. Il y a longtemps, longtemps que je le fais. Je vous implore de nous soutenir. Faisons du vacarme et changeons la situation au Canada.

Nos femmes ne devraient pas être sans-abri. Personne ne devrait être sans-abri au Canada. Chacun devrait avoir un toit. Chacun devrait manger à sa faim et être vêtu comme il convient mais il me semble — et je ne vous vise pas directement, vous tous — que c'est la corruption qui est récompensée. Quand de l'argent s'égare, quand vous volez, quand vous mentez aux Canadiens et Canadiennes, que vous soyez maires ou politiciens, on vous donne un million.

Eh bien sachez que je me moque de cela. Je souhaite que justice soit faite à nos proches. Je veux que les choses changent et je veux que ce comité appuie les familles, les gens qui protestent pour sensibiliser les autres. Je veux que vous disiez: « Assez, c'est assez » et je vous dis cela parce que vous travaillez pour nous. Vous travaillez pour les Canadiens et les Canadiennes.

En tant que femme canadienne crie sioux je vous exhorte à nous aider à changer la situation. Aidez-nous afin qu'aucun autre membre d'une famille se trouve ici, afin que je n'aie pas à revenir pour parler de ce sujet, afin que je n'aie pas à raconter l'histoire de mon enfant pendant huit heures sur la Colline parlementaire. Si ce que j'ai fait aide à sauver la vie d'une femme, bravo. Merci, Terrie. Merci, mon bébé.

Comment des hommes et des femmes peuvent disparaître de la planète sans laisser de traces? J'ai fait des recherches quand Laura Spence et Nicole — je ne me rappelle plus son nom de famille — ont disparu à Maniwaki. J'ai cherché pendant 16 heures. C'est une amie qui m'a téléphoné pour me relater les faits parce qu'elle savait que cela allait me donner du coeur au ventre. Je vous dirai que j'ai interrompu mon travail et que j'ai laissé mon repas de côté et j'ai marché jusqu'à deux heures du matin pour afficher des photos. Rien ne m'arrêtait et les gens avaient du mal à croire à quelle allure je marchais et à quelle vitesse.

J'ai 53 ans. Je dépassais ceux qui étaient plus jeunes que moi. Seules deux personnes ont refusé de m'aider et j'ai répondu: « Honte à vous. Que feriez-vous si c'était votre maman, votre tante, votre fille ou votre soeur? » On me répondait alors: « Vous avez raison. Mettez la photo sur le poteau ». Et je disais: « Non, je préfère la mettre ici pour qu'on la voie. » Les gens ne regardent pas les poteaux. Dès qu'une femme est portée disparue, il devrait y avoir une alerte d'urgence. Peu importe votre âge, je dis, comme la soeur de Pauline qu'il s'agit de nos enfants. On devrait décréter l'état d'urgence.

Facebook, les médias... Ce sont les membres de la famille qui trouvent nos proches. Ce sont nos familles qui s'entretiennent et disent: « D'accord, nous avons ceci et cela sur la personne disparue... » N'ai-je pas raison, vous qui faites partie des familles? Ce sont les familles qui savent quand l'un d'entre nous est à terre. Nous ne savons peut-être pas lequel mais soudainement, apparaît quelque chose sur Facebook si vous n'avez pas de téléphone ou de téléphone portable. Nous allons aux nouvelles. Chacun de nous va répondre mais nous ne nous portons pas bien car la lutte est pénible.

Regardez-moi... Je n'ai pas apporté de photos de mon enfant. Jean et Carolyn savent à quoi ressemble mon enfant. Ma fille me ressemble. J'ai survécu à de la violence familiale quand j'étais enfant et pendant mon premier mariage et maintenant je me pose des questions. Mon premier mari a essayé de m'enlever la vie et je me demande si mon bébé serait vivant si je l'avais laissé faire. Ce sont là des conjectures. Celles d'une mère. Que se serait-il passé si j'avais agi différemment? Que se serait-il passé si j'avais laissé mon premier mari me tuer? Que se serait-il passé si j'étais morte enfant? Très jeune, j'ai vécu dans une famille très violente. Que se serait-il passé si j'avais laissé mes parents me tuer...

● (1235)

Ces interrogations me hantent continuellement.

Je ne veux donc plus faire face à de telles situations. Je ne veux plus avoir à venir ici mais je le ferai tant que des gens disparaissent. Vous allez donc me revoir mais je me montrerai toujours positive. Je vous communiquerai les sentiments qui nous habitent quotidienne­ment. Croyez-moi: tous les soirs je me mets au lit et je demande au Créateur de me donner de l'endurance, des yeux pour voir, un coeur pour aimer, des oreilles pour entendre et la voix pour dire la vérité — les gens n'aiment pas entendre la vérité. La vérité fait mal.

Meegwetch.

Merci.

● (1240)

Mme Amy Miller (à titre personnel): Tout d'abord, je tiens à vous remercier de m'avoir invitée. Je m'appelle Amy Miller et je suis de Kitchener-Waterloo.

Mon récit commence avant l'assassinat de Denise. Six mois avant l'assassinat de Denise, j'avais, à grand-peine, tiré ma plus jeune fille de la même situation. L'homme lui avait donné un coup de bâton de baseball en pleine figure. On a dû lui reconstruire entièrement le visage et elle a subi une lésion au cerveau. L'homme a été emprisonné pendant trois mois — c'est tout, trois mois. Toutefois, il avait porté atteinte à sa vie.

Six mois plus tard, ma fille Denise, en relation de fait depuis deux ans, subissait les attaques et les coups de son conjoint à tel point qu'elle avait dû être transportée en ambulance à l'hôpital plus d'une fois. À ces occasions, la police se présentait pour l'accompagner chez moi ou chez ses enfants, alors qu'elle était ensanglantée et rouée de coups, ce qui traumatisait l'enfant de cinq ans ou on l'accompagnait chez un ami, car la police disait: « Il suffit de les séparer pendant une nuit » quand on sait que la violence, une violence incessante et épouvantable durait depuis deux ans.

Il est arrivé une fois que l'homme soit mis en prison pendant trois mois, après quoi il a écopé de six mois de probation. L'ordonnance de probation comportait une interdiction de consommer de l'alcool, un cours sur la gestion de la colère, une interdiction de s'approcher de Denise ou de l'appartement. Après coup, j'ai appris qu'en quittant le tribunal, il avait acheté deux bouteilles de 40 onces d'alcool, s'était rendu à l'appartement, et y était entré.

À ce moment-là, un détective s'occupait du dossier. Or nous ne savions pas qu'il le faisait depuis neuf mois et demi. Il n'y avait pas de communication entre nous et la police. Toutefois, deux mois plus tard, le détective a rencontré notre famille et il nous a demandé de prendre en note des questions que nous avions car il y répondrait, dans la mesure où cela n'entravait pas l'enquête. Après la troisième question, j'ai demandé pourquoi la probation de cet homme n'avait pas été révoquée quand la police avait été appelée de nouveau parce que Denise avait été battue une fois de plus. Il s'est montré très arrogant. Il s'est mis les mains derrière le dos et il a dit: « Eh bien, honnêtement, je n'ai pas lu le dossier. »

Que dire d'un détective à qui on confie un dossier et qu'il ne le lit pas? Je ne comprends pas. Ces policiers sont désormais chargés d'enquêter sur le meurtre de Denise alors qu'ils bâclaient les choses et ne communiquaient pas avec nous. Il s'est écoulé plus d'un an sans que nous ayons de communication avec la police. Un soir, un policier a téléphoné et Glen et moi-même avions convenu que nous n'allions pas accueillir Denise chez nous car cela n'était qu'une solution provisoire, sachant qu'elle retournerait chez elle. Elle souffrait nettement du syndrome de la femme battue, et la police est censée être sensibilisée à cela par formation. C'est risible. La police s'en moquait.

Pourquoi ne le sortait-il pas de la maison? En deux ans, ce n'est arrivé qu'une fois et sa probation n'a pas été révoquée.

● (1245)

Qu'est-ce qui cloche dans cette histoire?

Un soir, un agent de police féminin a téléphoné et elle a forcé Glen, après 45 minutes de pourparlers, à accepter d'accueillir Denise chez nous. J'étais au lit. Je me suis précipitée en bas du lit et j'étais furieuse. J'ai dit: « Il n'en est pas question. » J'ai récupéré le numéro qu'elle avait composé, en composant étoile 69.

J'étais très polie. J'ai dit: « Êtes-vous un agent? » Elle a répondu: « Qui êtes-vous et comment avez-vous obtenu ce numéro? Il s'agit de mon numéro privé de téléphone cellulaire. » J'ai dit: « Êtes-vous un agent? » Elle a dit: « Oui. Qui êtes-vous? » J'ai dit: « Je suis la mère de Denise. » Elle a dit: « Eh bien, nous sommes en route pour votre résidence en ce moment. »

J'ai dit: « Absolument pas. » Elle a dit: « Eh bien, votre mari a dit que nous pouvions déposer Denise chez vous. » J'ai dit: « Je dois vous dire que je suis sa mère biologique et que Glen est son beau­père. J'ai donc la priorité et je vous dis de ne pas l'amener chez nous. Ramenez-la chez elle et sortez-le de là. »

Elle a dit: « Eh bien, pouvons-nous venir et en discuter? » J'ai dit: « Non. » Elle a dit: « Pouvons-nous la laisser chez vous jusqu'à ce que sa soeur de Niagara vienne la chercher? » J'ai dit: « Non, je n'ai pas le numéro de téléphone de Jennifer. » Elle a dit: « Eh bien, Denise, elle, l'a. » J'ai dit: « Excellent. Utilisez votre portable privé, mais rappelez-vous d'en masquer le numéro, pour téléphoner à Jennifer. Entre-temps, gardez Denise en sûreté jusqu'à ce que sa soeur puisse venir la chercher, faites votre travail en retournant à la maison pour le faire sortir, le mettre derrière les barreaux et permettre à Denise d'être en sécurité chez elle. »

Je ne sais encore pas ce qui est arrivé à Denise ce soir-là. Je me rappelle avoir reçu bon nombre de coups de téléphone pendant la nuit. Quand il était ivre, elle me téléphonait et me disait: « Maman? » Je répondais: « Oui? » Elle disait: « Maman, j'ai peur, j'ai tellement peur. » Je disais alors: « Veux-tu que je vienne chez toi? » Elle répondait: « Non, cela ne va que faire empirer les choses. »

Eh bien, je ne savais pas qu'il y avait une serrure à l'intérieur de l'appartement dont il était le seul à détenir la clé. La police devait le savoir car elle avait très souvent visité cet appartement. Rien n'a été fait, absolument rien. Les choses ont continué jusqu'à la veille du premier de l'An en 2006. L'homme m'a téléphoné ainsi qu'à mes deux filles et a dit: « Denise est-elle là? J'aimerais lui souhaiter Bonne Année. » J'ai dit: « N'est-elle pas avec toi? » Il a dit: « Non, mais je sais qu'elle est par ici et je sais exactement où elle ira ce soir. »

Il l'a trouvée. Il l'a pourchassée comme une bête et il l'a sauvagement traînée dans un endroit désert où il l'a assassinée. Cela s'est produit trois jours après qu'elle avait eu le courage de le quitter, ne voulant plus jamais le revoir.

Effectivement, moi aussi j'ai contacté une voyante, sauf qu'elle était de Scottsdale en Arizona. Quand je l'ai contactée pour lui expliquer la situation, elle m'a dit que l'homme l'avait suppliée ce soir-là. Il l'avait suppliée de rentrer à la maison et elle lui avait répondu, les yeux dans les yeux: « Je préférerais être morte. » Bien entendu, il a rétorqué: « Si je ne peux pas t'avoir, personne d'autre ne t'aura. » Il l'a assassinée et a jeté sa dépouille dans Grand River. Nous ne l'avons retrouvée que trois mois et demi plus tard.

Pendant tout ce temps, lasse de ne pas avoir de nouvelles de la police, j'ai téléphoné à l'ombudsman qui m'a donné le nom de deux organisations pour que la police de Waterloo fasse enquête.

● (1250)

L'une d'elles était l'Office indépendant d'examen de la police de l'Ontario; l'autre, la Commission civile des services policiers de l'Ontario. J'ai envoyé ma plainte aux deux organisations en réclamant que l'on fasse enquête sur la police régionale de Waterloo. En effet, personne n'était chargé du dossier et la plainte continuait d'être renvoyée d'un côté à l'autre jusqu'au moment où finalement on m'a dit: « Vous avez laissé passer le délai. »

Quel est le délai de prescription pour un meurtre? Je parle d'une enquête. Où est la limite? On ne m'a pas répondu. Finalement, j'ai reçu une réponse de la Commission civile des services policiers de l'Ontario. On m'a dit que la puce électronique qui contenait ma plainte avait été égarée. Qui donc devait faire enquête sur la police régionale de Waterloo?

J'ai attendu quelque temps. Ensuite, on nous a assigné deux nouveaux détectives, qui eux aussi ont laissé traîné les choses. Aucune communication avec eux. Ils ne téléphonaient pas non plus. Le premier détective était excellent. Il venait prendre un café avec nous tous les trois mois pour garder le contact, pour nous dire qu'on pensait à nous. Après cela les contacts se sont arrêtés. Ils mentaient à la presse en disant qu'ils étaient en liaison constante avec nous. Les responsables de la liaison nous disaient quand aller au tribunal, quand assister à l'enquête préliminaire et quand se présenter à l'avant procès. C'est tout ce qu'ils faisaient. Pas d'interlocuteur, pas de communication.

Un jour, Glen est allé au poste de police et a demandé à parler au chef de l'escouade des homicides.

La jeune fille derrière le comptoir a dit: « À quel sujet? »

Glen a dit: « Pourquoi devrais-je vous le dire? Vous n'êtes que la secrétaire. Vous n'avez qu'à lui dire de sortir car je voudrais lui parler. »

Il est sorti et Glen lui a dit: « Je vous demande tout simplement de téléphoner à Amy une fois par mois, seulement une fois par mois, afin qu'elle sache que vous travaillez encore sur l'affaire. » Pensez­vous que nous avons reçu un coup de téléphone après cela? Non. Rien.

Finalement, en juillet 2011, quatre mois et demi après le meurtre de Denise, j'ai téléphoné au poste de police, un dimanche. J'ai téléphoné aux deux détectives et j'ai laissé ce message: « Je suis Amy Miller et un jour vous regretterez d'avoir entendu mon nom. Vous êtes congédiés sur-le-champ. Je ne veux plus aucun contact avec vous. Je ne veux pas que vous sonniez chez moi non plus. Je ne veux pas que vous m'envoyiez de courriels. Je ne veux pas que vous me téléphoniez. »

Je pensais que je ne risquais pas grand-chose en disant cela car on ne m'avait jamais contactée auparavant. Le lendemain, un détective m'a téléphoné à trois reprises et l'autre aussi en me disant qu'ils voulaient s'entretenir avec moi au sujet du message que j'avais laissé dans leur boîte vocale. J'étais furieuse. Je me demandais quelle partie de mon interdiction de contact ils n'avaient pas comprise. Ils étaient congédiés! Je leur disais que je ne voulais plus savoir quoi que ce soit d'eux. Bien entendu, je n'ai pas répondu à leurs appels.

Le lendemain, un article paraissait dans le journal sur le fait que tous les printemps je vais décorer l'arbre de Denise. J'ai classifié ces photographies et je les ai encadrées. J'ai plastifié ces poèmes et je les ai encadrés.

● (1255)

Je décore l'arbre de fleurs et de rubans, et je célèbre sa vie parce que je veux lui rendre hommage. Elle a eu la force de s'éloigner de lui physiquement puis elle a eu la force de s'éloigner de lui émotionnellement. « Je préférerais mourir. »

Ce jour-là, le deuxième jour où les journaux se sont déplacés péniblement au bas de l'immense colline accidentée qui mène à la rive des hautes eaux pour prendre des photos de moi portant Denise sur mon épaule et des fleurs et me passaient en entrevue. J'ai dit au public exactement ce que je pensais de notre force policière. Elle est incompétente. Elle ne connaît rien au syndrome des femmes battues. Pourquoi toujours sortir Denise de chez elle? Je croyais que c'était l'agresseur qui devait sortir, et non pas la victime. Ça n'a pas de sens, mais c'est ce qui se passe quand on traite avec la police, n'est-ce pas?

Dans le cadre de cette entrevue, j'ai dit au public ce que la police faisait, et ce qu'elle ne faisait pas, pourquoi? J'ai aussi dit à la police lorsque je l'ai congédié que j'appellerais l'émission The Fifth Estate et que j'allais faire connaître mon histoire partout au Canada. Le soir où j'ai signalé la disparition de Denise, un agent a eu le culot de dire à un autre agent et ce, devant Glen et moi: « Elle est probablement au centre-ville en train de faire ce qu'elle a à faire pour obtenir sa prochaine dose ».

Il ne la connaissait pas et n'avait donc pas le droit de dire cela. La police nous a traités de façon inappropriée. Lorsque la femme agent a dit: « Denise est davantage votre problème que le mien », j'ai répondu: « Et pourquoi? » Et elle a rétorqué: « C'est votre fille ». Lorsqu'ils ont voulu déposer Denise chez moi et que j'ai dit non, j'ai dit « Vous avez raison, c'est ma fille, toutefois, c'est à vous de vous en occuper. Chaque jour, il arrive à quelqu'un d'avoir une mauvaise journée au travail, et aujourd'hui, c'est votre tour, vivez avec. » Elle a raccroché. J'allais la rappeler, mais je me suis dit qu'on allait probablement m'accuser de harcèlement. Alors je n'ai pas insisté.

Mesdames et messieurs, lorsque vous signalez la disparition de votre fille, la force policière devrait être là pour faire tout en son pouvoir. Toute ma vie, on m'a appris que les policiers étaient là pour aider, servir et protéger. Les policiers ont-ils protégé ma fille? Après deux ans d'abus, les policiers ont-ils protégé ma fille? Elle a été victime d'un homicide délictuel. Son meurtre aurait pu être évité. Un détective m'a dit récemment « Amy, lorsque le procès sera terminé, je vais tout vous dire ». Il n'y a rien qu'il puisse me dire qui justifiera ce qui est arrivé. Je m'en fous s'ils attendaient de faire une saisie de drogue chez lui, rien ne va justifier ce qui est arrivé.

Lorsque le procès sera terminé le mois prochain, je vais rendre mon histoire publique parce que lorsqu'on m'a offert de l'argent, je l'ai refusé. Il s'agissait d'argent sale. C'était de l'argent pour me faire taire. C'était de l'argent pour qu'on se débarrasse de moi, et je lui ai dit de partir et parce que je ne l'ai pas poursuivie ils n'ont pas fini d'entendre parler de moi.

● (1300)

Je vais parler publiquement de mon histoire, une fois le procès terminé. Quelqu'un doit être tenu responsable de l'inaction de ces agents de police. Il est temps que les gens commencent à écouter. Ce n'est pas une question qui touche exclusivement les femmes et les filles autochtones; elle touche également les femmes blanches et hispaniques. À Kitchener, des femmes blanches ont été tuées, coupées en morceaux et jetées dans des bennes à rebuts. Denise a été tuée en 2006, et deux ans plus tard, le père d'une de ses amies, qui était un criminaliste bien connu, a réussi à mettre les assassins en prison. Il n'a fallu que deux ans pour un criminaliste bien connu. Pourquoi ai-je dû me battre pendant sept ans?

Je suis déçue de voir qu'il y a des gens qui ne veulent pas que le système de justice rende des comptes. Je crois qu'on devrait rétablir la peine de mort parce qu'ainsi, les gens penseraient à deux fois avant de commettre des meurtres.

Merci beaucoup de m'avoir écoutée.

La présidente: J'aimerais informer toutes les personnes ici présentes qu'il est maintenant 13 heures. Je veux m'assurer que tout le monde pourra faire ses commentaires, mais je sais qu'il y a quelques membres qui doivent partir parce qu'ils ont des réunions à 13 heures. Certains d'entre eux m'ont avisée qu'ils reviendront ici plus tard, soit pour le dîner, soit pour le reste de la réunion, mais je voulais juste vous expliquer pourquoi ils quittent la salle.

Merci; veuillez poursuivre.

Mme Lorna Martin (à titre personnel): Bonjour, je m'appelle Lorna Martin.

Je suis ici pour vous faire part de l'histoire de ma mère. Elle s'appelle Marie Jean Saint Saveur, et elle fait partie de la Nation crie de Bigstone à Wabasca-Desmarais, en Alberta. Je fais également partie de cette Première Nation.

Ma mère a disparu en 1987, il y a 26 ans. Nous venons juste de passer trois jours à une réunion familiale avec l'Association des femmes autochtones du Canada. Il s'agit d'un travail épuisant, et vous me voyez épuisée aujourd'hui, mais je suis honorée d'être ici et je n'hésiterai jamais à parler de l'histoire de ma mère. Toute notre famille habite à Edmonton, en Alberta et j'ai une soeur à Lillooet, en Colombie-Britannique. D'habitude, c'est moi qui raconte son histoire, parce que c'est moi qui ai la plus grande gueule. Des fois, il y a un membre de la famille qui, pour une raison ou une autre, est mieux placé pour expliquer des choses au nom de la famille.

Ma mère a fréquenté le pensionnat St. Martin sur les terres de la Nation crie de Bigstone. Elle parlait sa langue crie. Ma soeur aînée, Sharon, était ici en fin de semaine pour raconter d'autres histoires au sujet de ma mère, parce que Sharon et ma mère étaient très proches. Sharon est ma demi-soeur, mais nous avons grandi ensemble dans la même maison, et la langue maternelle de Sharon est le cri, alors ma mère pouvait parler avec elle. Je pense que quand nos peuples parlent leur langue, c'est quelque chose qui les lie plus étroitement.

Sharon a mentionné quelque chose au sujet des femmes du côté de ma mère, quelque chose qui représente pour moi des souvenirs de mes tantes. Elles sont reconnues comme étant des guérisseuses, et quand elles entrent dans une pièce, elles amènent avec elles de la lumière, des émotions positives et une bonne énergie qui se propage dans la pièce. J'ai toujours senti cette énergie pendant mon enfance...

Ma mère était peut-être en route vers l'hôpital à Edmonton, où on traite les gens ayant des problèmes de santé mentale; elle avait fait une tentative de suicide la veille. Elle m'a raconté des histoires cauchemardesques de l'époque où elle et ses frères et soeurs ont fréquenté le pensionnat. Pour elle, la vie était une lutte quotidienne, en raison des mauvais traitements qui leur étaient infligés par les religieuses, les prêtres et les gens qui travaillaient dans ces pensionnats. Son frère a perdu l'usage d'un oeil à l'âge de huit ans, car une des religieuses lui a donné un coup de poing et il est tombé en bas de l'escalier. Sa soeur a raconté qu'on les enfermait dans les garde-robes, des fois parce qu'ils ne voulaient pas se coucher ou simplement parce qu'ils jouaient de mauvais tours, comme tous les enfants. Ce sont des choses que ma mère a dû... Elle buvait parce que ses souvenirs étaient difficiles à revivre quotidiennement.

● (1305)

Au moment de sa disparition, elle avait des problèmes d'alcoolisme depuis de nombreuses années. Lorsqu'on a signalé sa disparition, la GRC est venue à Edmonton pour rédiger un rapport, et ma pauvre soeur Arlene a mentionné la date et l'heure auxquelles elle avait vu notre mère pour la dernière fois. Une des premières questions qu'a posées la GRC à ma soeur était de savoir si elle buvait. Arlene ne pouvait pas le nier. Elle n'a pas menti; elle a dit que oui. L'agent a ajouté: « Ces gens-là, ils se paient une cuite pendant deux ou trois jours et ensuite ils reviennent. » Le fiancé de ma soeur — ce n'est pas un Autochtone, il s'appelle Tom Pearson et il vient d'Athabasca — a demandé ce que cela voulait dire et ce que cela avait à voir avec la disparition de Mary.

Tom n'est pas mon frère. Il était le fiancé de ma soeur. Alors voilà ce qu'a répondu la GRC lorsqu'on leur a demandé de l'aide pour trouver notre mère; c'était un genre de racisme bizarre de leur part. Lorsqu'on est rongé par l'anxiété, lorsqu'on a mal, c'est comme un coup de pied dans le ventre ou à la tête lorsqu'on demande de l'aide et qu'on se fait répondre de la sorte. Dès cet instant, toutes les possibilités de se faire confiance, toutes les lignes de communication sont... Il y a tout de suite un obstacle. Il n'y a pas d'aide à recevoir là. Les agents ont dit que notre mère était une Indienne saoule.

Nous ne savions pas trop quoi faire. C'était en 1987, et l'Association des femmes autochtones du Canada n'existait pas. En fait, elle existait, mais on ne parlait pas des femmes disparues et assassinées. Il n'y avait pas de ressources. Personne ne savait comment aider. Je venais juste de déménager en Ontario en 1987 avec mon mari et j'étais enceinte de notre deuxième enfant. Pendant cette année-là, je ne pouvais pas aider. Mon deuxième fils est né avec une cardiopathie congénitale, alors il a dû subir une chirurgie à coeur ouvert à l'âge de deux semaines; je devais donc m'occuper de sa vie délicate et précieuse. Aujourd'hui, c'est un jeune homme en santé.

L'affiche de la GRC sur les personnes disparues et les restes non identifiés contient toujours de l'information erronée. On n'y trouve pas des renseignements comme la date de naissance de ma mère, etc. L'affiche comporte quelques erreurs, parce que certains des renseignements avaient été fournis par l'homme qui était le conjoint de fait de ma mère à l'époque. Nous croyons que c'est lui qui l'a tuée parce qu'il a brûlé ses vêtements; d'ailleurs, les agents de la GRC ont dit à ma soeur que c'est ce qu'ils croient aussi. Cet homme a dit à la police qu'il avait brûlé les vêtements de ma mère et qu'il avait encaissé son dernier chèque de paie.

● (1310)

Il était là, lors d'une enquête de la GRC. On a découvert qu'il avait été violent à l'égard de certaines de ses ex-conjointes, comme son ex­épouse. Il l'avait frappée avec un pistolet. La dernière femme avec qui il a habité en Colombie-Britannique, là où il s'est réfugié après que ma mère... il a dit à la GRC que la dernière fois qu'il l'avait vue, elle était montée à bord d'un camion avec des camionneurs, en direction de la Colombie-Britannique. Bref, cet homme avait des enfants d'âge adulte, qui habitaient en Colombie-Britannique. La dernière femme avec qui il a habité en Colombie-Britannique, après ma mère, a indiqué à la GRC qu'elle avait, elle aussi, très peur de lui. Il avait défoncé la porte en sortant de chez elle, après qu'elle lui avait dit de ne plus revenir. La police avait donc des preuves contre lui. En fait, il est décédé dans un accident de voiture, une collision frontale, à peu près au même moment où on commençait à enquêter sur lui.

La GRC n'aurait pas dû le lâcher d'une semelle, dès qu'elle a su qu'il avait brûlé ses vêtements. J'ai entendu une autre famille dire que la personne avait brûlé les vêtements de la victime. Je ne sais pas ce que cela signifie, mais je suis certaine qu'une unité d'enquête criminelle sur les homicides comprendrait.

Je sais aussi qu'il faut beaucoup d'argent pour... lorsque les gens disparaissent, lorsque les gens sont assassinés. Je sais, parce que mon mari a été assassiné en 1998, et nous avions trois jeunes garçons à l'époque; donc, je sais de quoi il s'agit. Et nous savons tous qui était le meurtrier; c'était quelqu'un qui avait des liens de parenté avec Ted Rogers, de Rogers Communications... C'était son neveu. Nous savons à quel point cette famille a de l'argent — et je suis pas mal certaine que c'est pour cela qu'il s'en est tiré et qu'il est libre. C'est difficile de réveiller ces souvenirs, parce qu'un de mes fils a aussi été maltraité par la même personne qui a assassiné son père.

Pour ma part, la famille, vous savez... la personne est assassinée... pour la famille, cela gobe beaucoup d'énergie, et la douleur physique de faire face à ce genre de contrainte et de stress, cela nuit au système immunitaire. Je le sais. J'ai la chance d'avoir l'aide des proches de mon mari — des gens très bien instruits qui m'ont aidée, même à la disparition de ma mère. J'ai une belle-soeur qui a un doctorat et un beau-frère qui est très bien instruit et qui connaît le droit, qui connaît des personnes-ressources qui ont de l'énergie et qui savent des choses... ils savaient quoi faire pour m'aider lorsque ma mère a été portée disparue.

Mais quand même... Ils se renseignaient toujours à son sujet en me posant des questions comme: « Qu'est-ce qui est arrivé à votre mère? Qui vous aide actuellement? »... je ne sais pas. Personne d'autre ne m'aidait à la retrouver. Elle a été l'une des premières femmes inscrites auprès de l'Association des femmes autochtones du Canada. À partir de là, c'était l'endroit où je pouvais parler de ma mère après toutes ces années. Cela a commencé en 2005 et, tout à coup, les gens voulaient en savoir plus sur ma mère. C'était un phénomène nouveau, mais bien accueilli.

● (1315)

Pendant des années, je n'arrivais pas à raconter l'histoire de ma mère sur la Colline du Parlement ni même à côtoyer toutes ces femmes lors de vigiles. C'était vraiment terrifiant pour moi. Je ne savais pas quoi dire. J'étais terrifiée de partager ma perte et tous ces sentiments, la colère. Mais avec le temps, j'ai écouté. Je me suis renseignée sur les choses à faire et j'en ai parlé avec ma famille dans l'Ouest.

Je me suis mise à bien organiser mon information. Ça m'a fait du bien, et je me suis sentie plus forte. L'union fait la force. Je me sens plus forte lorsque je suis entourée d'autres membres de la famille. On organise et on peaufine l'information, et on a l'énergie spirituelle de nos êtres chers.

Ma mère me rend souvent visite dans mes rêves. C'est une bonne chose; il s'agit de rêves remplis d'amour.

Elle me manque tellement.

C'est tout ce que je peux dire pour l'instant.

Meegwetch. Hai hai. Merci.

● (1320)

Mme Lisa Big John (à titre individuel): [Le témoin s'exprime en cri.]

Je m'appelle Lisa et je viens d'une Nation crie à Edmonton, en Alberta. Je suis la soeur de Mona Lee Wilson, qui a été brutalement assassinée par Robert Picton. Elle était sa dernière victime.

Je commencerai par vous décrire mon cheminement très difficile pendant plusieurs années. Je suis très fatiguée. J'ai toujours voulu venir ici pour faire entendre ma voix. Un de mes plus grands rêves était de venir ici pour m'exprimer et pour parler au nom de ma soeur. De son vivant, elle était marginalisée. Elle ne comptait pas pour la société. Elle a résidé dans le Downtown Eastside de Vancouver pendant plusieurs années. De plus, nous avons grandi dans un foyer brisé. Je viens d'un milieu violent, et j'ai dû donc quitter ma collectivité. Je n'y avais aucune protection. Lorsque j'avais huit ans, j'ai subi un viol brutal. J'ai connu beaucoup d'expériences pénibles dans le cycle sordide de la vie.

Je me reconnais dans les histoires très violentes des familles qui se sont exprimées ici aujourd'hui. Moi aussi, j'ai connu la violence conjugale et j'ai failli en mourir. Avec les années, j'ai essayé de me remettre de mes expériences pénibles. Je suis très amère. J'ai lutté contre le système pour que mon message soit pris au sérieux. Les suites du décès de ma soeur ainsi que les problèmes auxquels j'avais fait face au cours des années ont failli me détruire.

Je suis sobre depuis 15 ans. J'ai arrêté de boire pour honorer la mémoire de ma soeur. Ces femmes, dans le quartier Downtown Eastside, ont subi beaucoup de choses inacceptables. Il y a eu beaucoup d'injustices.

J'ai participé, moi aussi, à l'enquête à Vancouver, il y a quelques années. L'enquête n'a rien donné. Je n'étais pas très impressionnée par ce que j'ai vu. Je me suis sentie trahie. Beaucoup de gens ont essayé de me rabaisser. Je commence enfin maintenant à sortir du petit trou où j'avais l'habitude de me cacher. Je ne peux rien dire à personne parce que depuis si longtemps, j'ai accepté de me faire maltraiter par des gens, comme des policiers de la GRC, sans réagir. La GRC m'avait traumatisée à l'époque où je buvais. Les policiers m'ont fait mal. Ils ne m'ont pas protégée. Chaque fois que j'avais affaire à eux, tous ce qu'ils faisaient quand je m'emportais, c'était de me jeter en prison ou de me battre.

● (1325)

J'ai vu beaucoup de choses dans ma vie. J'ai vécu dans la rue aussi. C'est quand je suis devenue kookum, ou grand-mère, pour la première fois, à l'âge de 45 ans, que j'ai commencé à gagner des forces. L'amour que j'ai pour mes petits-enfants me donne de la force.

Je ne mérite pas de vivre dans un monde violent à l'avenir. La violence se poursuit sans cesse et je m'inquiète pour mon avenir.

On a parlé du comportement des policiers. J'en ai été témoin à l'époque où je me saoulais. Leur façon de parler aux gens et leur manque de respect envers les filles de la rue sont incroyables, ingérables. J'emploie le mot « ingérable » pour décrire leurs actions.

Le système m'a souvent abandonnée. J'ai toujours essayé d'agir et de faire ce que je devais faire. Je ne viens pas d'une collectivité compatissante. Les gens s'intéressent à eux-mêmes. Ils veulent surtout s'occuper de leur famille. Où est notre place dans ce cercle? Nulle part. Nous en sommes exclues.

J'essaie de m'en sortir et de prendre soin de ma famille et de moi­même depuis des années. Je lutte fort tout simplement pour vivre ici. Compte tenu de ce que le gouvernement me donne, je ne devrais pas avoir à vivre comme ça, à dépendre des droits de quelqu'un d'autre, puisque j'ai bien le droit de mener une bonne vie avec mes petits­enfants.

Il y a beaucoup de choses qui doivent être corrigées dans le système, surtout en ce qui concerne les policiers. Ils ont pour mission de servir et de protéger les gens. En effet, ils protègent beaucoup de gens, mais dans mon cas, ce n'est pas ce que j'ai constaté la plupart du temps. J'ai fait beaucoup d'efforts pour lutter contre la corruption que j'ai constatée dans notre système de justice.

Il faut dire aussi que j'habite dans une ville très raciste, c'est-à-dire à Edmonton. Il y a beaucoup de gens racistes à Edmonton. J'évite de côtoyer beaucoup de gens en raison de leur attitude. Il y a beaucoup de trahison et de méchanceté. Les gens doivent se rendre compte qu'il faut agir pour corriger la situation.

Je me rappelle que, quand j'étais petite, je ne savais pas distinguer le bien du mal. Quand je demandais de l'aide, ce n'était jamais pour moi, mais toujours pour quelqu'un d'autre. J'ai, moi aussi, quitté ma collectivité, parce que j'y ai subi de grandes trahisons. C'était grave.

Au moment où je lutte pour surmonter ces expériences et ces problèmes qui durent depuis tellement longtemps, ma collectivité devrait être là pour moi. Elle devrait me soutenir. Elle devrait faire preuve de compassion. Ce sont ses membres qui se font assassiner. Mais elle protège seulement les siens.

● (1330)

J'avais un ami qui a été porté disparu à Calgary. Je ne me souviens plus de l'année. J'ai posé des questions à quelqu'un, mais il ne m'a

pas donné de réponses. On a dépensé des milliers de dollars pour essayer de retrouver cette personne-là. C'était de l'argent volé aux membres de la bande. Je sais très bien que les chefs et les membres des conseils utilisent mon argent à mauvais escient. Ils peuvent intimider d'autres personnes dans ma collectivité, mais, je ne l'accepte plus. Je ne me laisse pas marcher sur les pieds. Je me laissais faire maltraiter depuis des années. Avant, j'acceptais l'attitude des gens...

C'est la première fois que je viens à Ottawa, mais je remercie le Créateur de m'avoir aidée à venir ici pour sensibiliser les gens. Nous devons mettre fin à la violence qui perdure encore. Bien des gens ne sont pas conscients du fait que ça peut arriver à n'importe qui. Je remercie le Créateur de m'avoir protégée pour que je puisse voir mes petits-enfants de mon vivant.

Mais ma soeur n'a pas eu autant de chance. Elle ne voulait pas être assassinée sauvagement. Elle avait un copain qui dépendait d'elle pour son bonheur et pour nourrir sa toxicomanie.

Le gouvernement a déchiré notre famille, l'a brisée et l'a détruite. Au fil des ans, j'ai toujours essayé de tendre la main à ma soeur pour l'aider à améliorer sa condition. Quand on me l'a enlevée, je suis devenue encore plus amère. Je ne savais pas comment gérer la situation. Je n'arrête pas de revivre ma peine, mon traumatisme, ce cercle vicieux qui me met à l'épreuve constamment.

C'était très difficile pour moi d'en parler comme je le fais aujourd'hui. Avant, je n'arrivais pas à en parler en public. J'avais l'habitude de me faire dire de me taire, que je n'avais pas le droit de parole. Même les membres de la collectivité me parlent ainsi quand je demande de l'aide. On manque de respect envers moi, on me ridiculise et on m'insulte. Ils devraient se regarder dans le miroir et se préoccuper de ce qu'ils font derrière des portes closes et du fait qu'ils vivent de mon argent et de celui de mes enfants et de mes petits­enfants. Pourtant, nous n'avons jamais demandé de souffrir des conséquences.

Pourquoi suis-je encore ici? C'est le Créateur qui m'a épargnée. Il l'a fait pour une raison. Vous devez vous rendre compte que nous essayons de mener une lutte pour la justice depuis des années. La lutte se poursuit, mais quand sera-t-elle finie? Bien des gens ont été détruits par des prédateurs. Il y a beaucoup de prédateurs dans la vie. Je suis passée par là. Dans la vie que je menais autrefois, je devais lutter pour survivre.

● (1335)

C'était devenu insupportable, au fil des ans, d'après mon expérience. La collectivité nuit à son peuple. C'est le cas de ma collectivité d'origine, mais ce ne sont pas toutes les collectivités. J'ai renoncé à demander de l'aide à ces gens. Pourquoi? Parce qu'ils ont prouvé qu'ils ne se préoccupent pas de nous et qu'ils ne se préoccuperont jamais de nous. Des aînés y vivent. Ils sont censés guider les jeunes, leur apprendre à discerner le bien du mal.

Il y a beaucoup de suicides dans la collectivité. Mon neveu s'est pendu en raison de son amertume. Des aînés étaient présents dans la collectivité. Ils sont censés aider les jeunes, qui représentent notre avenir. Quand je vois ces gens, j'essaie de dire quelque chose, mais parfois je me rétracte parce que... Les gens aiment souvent faire du mal aux autres. Dans ma Première Nation, les gens s'amusent à jouer avec des médicaments. Ils les tiennent pour acquis, ils les administrent aux autres et ils deviennent furieux. D'autres personnes doivent subir les conséquences de leurs gestes néfastes. Pourquoi je vous raconte ces histoires? Parce que je les ai vécues dans ma jeunesse. Mon grand-père était un guérisseur.

Mon frère a été tué par balle devant mes yeux. Mon petit frère a été assassiné sauvagement, battu à mort dans une réserve. La justice n'a jamais été faite dans ce dossier. Parfois, quand je pense à ma vie actuelle et à ce que je vois, je perds tout espoir en l'avenir. Je dois rester ici pour protéger mes petits-enfants et ma famille.

Ma soeur est décédée en mars dernier. Elle a souffert énormément. Elle s'est repliée sur elle-même, elle s'est isolée complètement derrière des portes closes. Elle était dévastée par le meurtre de notre soeur. Elle a bu jusqu'à la mort. Maintenant, mes deux neveux doivent apprendre à surmonter ce drame et à l'accepter. On souffre beaucoup quand on n'a pas de parents. Ma mère m'a abandonnée à ma naissance. Au fond, j'ai grandi toute seule dans ma collectivité à partir de l'âge de cinq ans. J'étais entourée de prédateurs malfaisants.

Si les choses continuent ainsi, il n'y aura aucun espoir pour l'avenir. Ces personnes méritent de vivre dans un monde meilleur. Elles méritent une vie positive et paisible. Moi, j'ai vécu dans ce monde, et j'en ai souffert énormément. La mort de ma soeur m'a presque détruite; j'ai presque succombé à ma souffrance. J'étais sur le point de m'isoler de ma famille. Je l'ai repoussée. Je n'avais plus le goût de parler à qui que ce soit. Je suis tombée malade. Je suis encore aux prises avec ces difficultés, et je dois commencer à l'accepter.

● (1340)

Le Créateur vit en moi, ma soeur vit en moi et elle m'a dit de commencer à me défendre parce que ma famille a besoin de moi. Je ne suis pas prête à mourir. Mon travail ici n'est pas accompli. J'attends toujours que justice soit faite. Depuis combien d'années est­ce que j'attends? Et il n'y a toujours pas eu de progrès.

Pour ceux et celles qui ont raconté leurs douloureuses histoires, j'aurais beaucoup d'autres commentaires sur ce qu'ils ont vécu. Il est très difficile de sortir de ce cycle vicieux. La seule façon pour moi de l'éradiquer, c'était de commencer à croire en moi, de me concentrer sur ce que j'allais faire à l'avenir. Cet avenir, je le vis déjà en tant que kokum, avec mes petits-enfants. Les petits-enfants sont très importants. Ils représentent une grande partie de ma guérison. Beaucoup de gens, les collectivités, le système, ne pensent pas aux petits-enfants et à ce qu'ils doivent vivre. Quel genre de vie mèneront-ils à l'avenir?

J'ai quitté la collectivité à 15 ans. Je n'avais aucun espoir de savoir où aller. Mes grands-parents m'ont quittée. Ils sont morts quand j'étais très jeune. Je ne savais pas quoi faire là-bas, donc je suis partie. Je n'allais pas demeurer dans une collectivité qui m'avait tant blessée. Je n'ai aucun respect pour cette collectivité encore aujourd'hui, parce qu'elle m'a énormément endommagée, et non pas seulement un petit peu; elle m'a vraiment fait beaucoup de tort. J'ai tenté de parler aux membres de ma collectivité, mais ils se sont retournés contre moi. Quand j'essaie de leur parler, ils se mettent sur la défensive, et ils me regardent avec un air bête. J'essaie de leur parler des bonnes choses qu'ils doivent commencer à faire. Quand je vais dans cette collectivité, c'est à ce moment que je sens cette méchanceté, cet esprit médicinal qui entoure le bureau de la bande. Je n'y vais presque jamais. Ce n'est pas ma vie, ce n'est pas ma culture.

Je tente de me faire entendre autant que possible par la nation. Je participe à des rassemblements comme celui-ci, et je tiens à remercier l'Association des femmes autochtones d'être présente pour les familles. Il est très utile de rencontrer d'autres personnes et de partager avec elles ce qu'on a vécu, parce qu'elles sont les seules à savoir et à comprendre de quoi il s'agit.

Mais on essaie tout le temps de parler à notre place. Il fallait que j'accepte cela aussi. Les policiers tentaient toujours de parler en mon nom, de parler au nom de ma soeur, en disant des choses comme: « Peut-être qu'elle est partie vers la ville. Elle en a probablement assez de vivre ici. » Moi, j'étais debout là, en me disant: « Comment pouvez-vous le savoir? Vous ne pensez pas comme elle. Vous ne pouvez pas parler en son nom. »

Je me souviens d'avoir été jetée en prison à quelques reprises, parce que j'avais un problème d'attitude: je prenais le parti de ma soeur. Je me souviens qu'ils me disaient: « Et alors? »

● (1345)

Quel genre de policiers diraient à quelqu'un qu'ils s'en moquent?

Vous savez, nous avons des agents de police de la bande chez nous, quelques-uns qui... C'est incroyable de voir comment ils collaborent avec le système des Blancs. Ils sont là pour protéger les familles de la collectivité. C'est tout simplement inimaginable de voir des agents de police intervenir et tirer sur qui ils veulent. Cela vient me chercher, quand je pense qu'une fois de plus, la vie d'autres Autochtones sera détruite à cause de ce qu'ils doivent voir et de ce qu'ils doivent apprendre.

Les gens doivent commencer à prendre conscience de la réalité. Nous ne sommes pas dans un rêve. Ce que nous avons connu, ce que j'ai connu, est bien réel — un cycle de mauvais traitements, un cycle de violences familiales. Mes filles ont été victimes d'agressions sexuelles à l'époque où je buvais, et maintenant, à cause de cela, elles sont en colère. Elles sont amères. Qui doit travailler avec elles? C'est moi. Les organisations autochtones des collectivités sont payées pour le faire, pour venir en aide aux jeunes des Premières Nations, pour les guider vers une vie positive, sur un chemin positif.

À Edmonton, je vois beaucoup de choses qui ne fonctionnent pas dans le système. Les membres des Premières Nations se font envoyer en prison, dans des centres de détention. Ils n'ont pas leur mot à dire. Ils sont invisibles. C'est la loi qui s'exprime à leur place au tribunal.

Je suis assise ici, et je réfléchis, vous savez; je me demande bien pourquoi nous avons des droits ancestraux. C'est mon opinion. On nous a donné le droit à la vie. Mes droits sont bafoués. Les gens se moquent de moi lorsque je leur dis que l'on tente réellement d'obtenir justice.

J'ai entendu un certain nombre de gens se moquer de ces jeunes filles du quartier Eastside, à Vancouver. Ils ne sont pas conscients de la force de la culture autochtone. Je devrais le savoir. Les connaissances médicinales qui ont été offertes à un aîné — c'était mon [Le témoin s'exprime en cri.]

D'un autre côté, le système tente littéralement de les détruire afin qu'à l'avenir, les gens n'aient aucun moyen de vivre leur vie de façon positive. Je pense sincèrement que parfois, et alors que je vous parle ici dans cette salle — car mon [Le témoin s'exprime en cri.] me disait cela aussi — les gens vont nous détruire autant qu'ils veulent, autant qu'ils le peuvent. Ils vont littéralement nous détruire.

Lorsqu'ils me disaient ça, je n'y croyais jamais vraiment. Mais j'ai vu les abus du système envers ces gens et ce qu'on leur a fait. Ils sont impunis. Je pourrais rester ici et vous parler toute la journée — jusqu'à ne plus pouvoir respirer — mais que va-t-il falloir pour vous faire comprendre le message?

● (1350)

Je parle des gens qui sont suicidaires, parce qu'ils ont perdu leurs parents, leurs soeurs, ou autres... Pourquoi? Je me suis sentie comme ça bien souvent. Bien souvent, je n'avais plus d'espoir. Je demande de l'aide, mais un certain nombre de ces gens sont des imposteurs. Je me détourne des gens.

Il y a trop de mal dans cette nation. C'est ce qui détruit les Premières Nations et ce qui leur enlève tout espoir. Je suis tout à fait consciente de ce que j'ai vu, mais que va-t-il vous falloir pour que vous commenciez à changer le système? Il faut commencer à dire à ces gens que s'ils ne sont pas capables de faire le travail qu'ils sont censés faire, eh bien, ils n'ont pas leur place ici. C'est ce qu'ils sont censés faire.

La présidente: Lisa, je vous demanderais juste de permettre à Connie de prendre quelques minutes, parce que nous devrons conclure à 14 heures, pour le début de la période de questions. Il y aura un peu de temps pour s'exprimer, de façon plus informelle, pendant le repas, mais les députés ne peuvent pas rester plus longtemps. Je m'en excuse.

J'aimerais laisser à Connie quelques instants, et ensuite...

Amy, avez-vous une question?

Mme Amy Miller: Oui, c'est le cas.

J'aimerais demander à ce jeune homme là-bas au fond pourquoi il sourit et envoie des textos sur son téléphone alors que c'est une rencontre très sérieuse.

Une voix: [Note de la rédaction: inaudible]

La présidente: Poursuivons la réunion et nous aurons une conversation par la suite.

Lisa, j'espère que cela ne vous dérange pas. S'il y a du temps par la suite, nous poursuivrons.

Merci.

Mme Lisa Big John: Je suis d'un abord facile.

La présidente: En effet, je peux le voir. Merci.

Mme Connie Greyeyes (à titre personnel): Je m'appelle Connie Greyeyes et je viens de Fort St. John, en Colombie-Britannique. Ma collectivité des Premières Nations est située à Wabasca, en Alberta. Je suis membre de la Nation crie de Bigstone. Je suis mère de deux garçons. J'ai 12 frères et soeurs et environ 33 nièces et neveux.

Je crois que les histoires que vous allez entendre aujourd'hui découlent directement de la façon dont le pays a traité les Autochtones dès le départ. L'effet domino des pensionnats, de l'éclatement de nos familles ont eu des répercussions phénoménales sur nous tous. Je sais que ma propre expérience — avec ma mère qui m'a quittée et mon père, et mes tantes qui ont été stérilisées au pensionnat — a créé la personne que vous avez devant vous aujourd'hui. Je suis bien différente maintenant, 10 ans plus tard, que je l'étais avant. J'ai cessé de boire et de consommer de la drogue il y a 11 ans.

J'ai vécu une vie difficile. J'ai été victime de viol et de viol collectif. J'ai été battue. Je suis allée à la police, mais on ne m'a pas prise au sérieux. Je me revois à l'hôpital, avec la lèvre fendue, un oeil au beurre noir, sachant très bien qui était le coupable; je le dénonce à la police, mais on me dit que l'alcool est un facteur, que nous étions probablement saouls. Je ne peux pas vous dire l'effet que cela a sur une personne, après l'avoir entendu autant de fois. Alors que j'étais assise ici aujourd'hui à tout regarder — parce que je regarde tout — ces objets exposés dans des boîtiers, c'est une insulte de savoir que vous puissiez faire preuve d'autant de respect pour ces possessions, mais que vous ne puissiez pas faire de même pour les peuples autochtones du pays. Vous savez, il faut arrêter de penser avec la tête et sentir avec le coeur.

Je vais vous raconter l'histoire de ma belle cousine, Joyce, qui habitait à Edmonton, en Alberta. En novembre 1993, elle se promenait dans un petit édifice à logements et elle s'était perdue. Elle a cogné à une porte pour demander des instructions. Le jeune homme lui a dit quelle direction prendre, et elle s'en est allée. Il a décidé de la suivre et de la voler; alors, il l'a battue, et a fouillé dans ses poches — je présume — et l'a laissée là. Il est retourné à l'appartement où il restait ce soir-là. Il a réfléchi et s'est demandé si elle serait en mesure de l'identifier. Il s'est emparé d'un réservoir à essence et est retourné là où elle gisait, battue. Il a versé l'essence sur elle et a allumé le feu. Il faisait tellement froid ce soir-là, que lorsque les pompiers sont arrivés, ils n'ont pas voulu l'éteindre avec de l'eau — ce qui l'aurait sûrement tuée — alors ils l'ont recouverte de neige, ne sachant pas qu'il s'agissait d'une personne. Lorsqu'ils ont compris l'horreur de la scène, ils ne pouvaient y croire. Ils ont dit que les flammes atteignaient une hauteur de six pieds. Ma belle cousine n'est pas décédée ce soir-là. Mes ancêtres se sont occupés d'elle. Elle est décédée 22 jours plus tard à l'hôpital. Dieu merci, vous savez, les membres de ma famille ont pu aller la voir avant son départ, pour la réconforter et lui faire savoir qu'elle n'était pas seule. Je pense souvent à ma cousine ce soir-là, et j'ai fabriqué une paire de hauts de mocassins pour l'exposition Walking with our Sisters qui fait sa tournée. C'est grâce à elle que je tiens le coup dans cette lutte.

Ma tante Nora a été écrasée par un centre de traitement mobile. Trois personnes étaient dans l'unité. L'unité lui a reculé dedans, l'écrasant entre le véhicule de mon oncle et le centre de traitement mobile. Ils avaient 82 ans. Lorsque le médecin et le conducteur du camion sont sortis et l'ont vue étendue là, ils ont choisi de ne pas ouvrir la porte arrière de l'unité pour la transporter à l'hôpital; ils ont choisi de remonter à bord de leur véhicule et de s'en aller.

● (1355)

Le pire, c'est que c'est un ami de la famille qui conduisait le véhicule et qui a tué ma tante. Il l'a reconnu en cour. J'ai fait un plaidoyer sur vidéo dans lequel je lui dis qu'il y a un an, quand nous avons marché dans la rue Principale avec nos tambours pour réclamer la fin de la violence contre les femmes et le respect pour les femmes et que j'ai pensé à lui, parce qu'il avait laissé ma tante mourir. Il l'a reconnu. Il a été condamné à deux ans de prison. Il a été libéré, et ma famille lui a demandé de vivre sa vie de façon honorable et lui a accordé son pardon.

J'ignore quelles sont les réponses, et je sais que vous ne le savez pas non plus. Mais nous pouvons faire des suggestions. Quand j'ai donné naissance à mes fils, j'ai prié pour qu'ils ne soient pas des filles. J'ai aussi prié pour qu'ils aient la peau claire afin qu'ils aient des privilèges. Ils ne se laissent pas marginaliser. J'ai deux fils. L'un a la peau pâle et l'autre, la peau foncée. Mon fils à la peau claire laisse pousser ses cheveux pour pouvoir les tresser. Je suis très fière de lui.

Si nous ouvrons nos coeurs et que nous suivons les enseignements nous montrant comment vivre une vie honorable, il y a de l'espoir. Il y a toujours de l'espoir.

En terminant, j'ai récité ce poème sur la Colline l'an dernier. Je l'ai aussi récité hier et j'aimerais le faire maintenant pour que, peut-être, en l'écoutant les yeux fermés, vous sachiez ce que c'est que d'être une femme autochtone au Canada. C'est ma nièce, Helen Knott, qui en est l'auteur. Elle m'a donné ce poème en me disant qu'elle l'avait écrit pour toutes les femmes qui étaient disparues. Elle m'a demandé de le lire et de lui dire ce que j'en pensais. Je l'ai lu à beaucoup de gens. Ma nièce est elle-même une femme remarquable qui a survécu à la maltraitance. Elle termine son baccalauréat en travail social.

Le poème s'intitule Invisible.

Tes yeux me contournent
Je vois que tu ne sais pas où poser ton regard
Qui, comme des eaux vives, coule sur moi,
Sous moi, à travers moi, et me consume.
On dit que devant la résistance, les rivières serpentent et les hommes plient.
Je suis là. J'ai résisté. Je résiste.
Tu ne plies pas.
Pourquoi des structures et des géants?
Pourquoi cette protection criblée de trous?
Pour ces fausses perceptions?
Quelles croyances attaches-tu à mon corps?
De quelle pathologie as-tu pigmenté ma peau?
Par quelle potion maléfique tes aïeux m'ont-ils fait disparaître?
Tu ne veux pas me voir.
Toi, tu peux choisir de me voir ou pas.
Je suis une victime de ta cécité,
De la négligence univoque que te donne le privilège de la vision sélective.
Tu exclus les couleurs qui ne correspondent à ta préférence périphérique.
Je n'apparais pas dans ton arc-en-ciel, tes promesses tordues de lendemains meilleurs et lumineux.
Je suis sur les affiches qui te disent à quoi ressemblent mes traits,
Ce que je portais quand on m'a vue pour la dernière fois
Et où on m'a vue pour la dernière fois.
Ton choix est fait: tu passes ton chemin,
Sans me voir, sans souci.
Mon patrimoine, visible dans mes cheveux d'un noir corbeau,
N'attire pas ton attention.
Tu ne me vois pas.
Pourtant, tu me vois au coin de la rue,
Lèvres rouge sang, rêves brisés comme une seringue usagée, Névrosée comme un vitrail d'église,
Silencieuse et soumise.
Tu me vois faire la file à l'aide sociale, attendant mon dû,
Boire des concoctions mortelles dans la ruelle.
Tu me vois, une statistique, un stéréotype vivant.
Tu me vois dans les bars, sujet de blagues pour toi et tes amis.
Je ne suis qu'une squaw parmi d'autres, mais pour la baise, je suis ta Pocahontas.
À tes yeux, je suis insignifiante.
Voilà comment tu me vois.
Je ne mérite pas d'étoiles.
Je ne sers qu'à prendre ton plaisir à la belle étoile.
J'ai les yeux tournés vers le ciel, les lèvres enflées, le corps gonflé, le visage meurtri, méconnaissable.
Je passe encore inaperçue.
Elle a succombé à son désir.
Elle ne cherchait qu'à avoir du plaisir.
Elle vivait entourée de dangers.
C'était inévitable, tu sais.
Voilà comment tu me vois.

● (1400)

Jamais la fille de quelqu'un, jamais la mère de quelqu'un, jamais la tante, la soeur, l'amie.
Jamais ne suis-je perçue comme étant forte, fière, résiliente.
Jamais comme je suis.
Enfin, on me donne les étoiles,
Je me couche sur les routes de campagne et dans les caniveaux pour les regarder,
Sur des bouts fantomatiques de sentiers empierrés et oubliés.
Je suis avalée par ton immensité.
Suis-je dans ta ligne de vision? Me vois-tu maintenant?
Car j'ai le sentiment que tes yeux glissent sur moi sans me voir.

Dans ma collectivité, une douzaine de femmes ont disparu ou ont été assassinées. Je viens d'une collectivité de 18 000 personnes. Je suis certaine que cela a quelque chose à voir avec l'industrie pétrolière et l'arrivée massive de travailleurs en hiver. Malheureu­sement, ils essaient d'y construire un énorme barrage, et nous sommes inquiètes pour nos femmes. Nous sommes très inquiètes. Nous sommes entourées de quatre réserves, et j'espère qu'un jour, les gens de ce pays commenceront à respecter nos femmes et nos peuples autant que vous respectez les biens qui sont affichés sur ces murs.

Merci de m'avoir donné l'occasion de prendre la parole aujourd'hui. Je vous en suis très reconnaissante.

La présidente: Merci.

Merci à tout le monde. Avant de terminer, je veux dire quelque chose.

D'abord, je voudrais remercier particulièrement l'Association canadienne des femmes autochtones, parce que sans elle et sans son aide, nous n'aurions pas pu tenir cette rencontre. Alors, je lui en suis très reconnaissante.

Merci également à notre aîné, Robert. Je voudrais vous présenter ce gage d'appréciation de la part de notre comité. Merci beaucoup d'avoir récité la prière en début de cette réunion. Je pense que c'était la façon tout appropriée de commencer la réunion et je vous remercie beaucoup au nom du comité.

● (1405)

M. Robert Pictou: C'est comme ça... vous avez la prière aussi.

La présidente: Merci.

Je voudrais remercier également et surtout tous ceux et celles qui sont venus aujourd'hui pour nous parler, les familles, pour votre force, votre courage, et pour avoir partagé vos histoires avec nous.

Veuillez rester pour le dîner.

Robert, je vous demanderais de bien vouloir terminer notre réunion.

M. Robert Pictou: [Le témoin s'exprime en micmac.]

Nous avons demandé au Créateur... merci pour tout ce qui s'est produit aujourd'hui, merci pour les femmes qui ont pris la parole ici, et les hommes aussi, qui s'ennuient de leurs êtres chers.

J'ai aussi demandé au Créateur de veiller sur nous pendant notre chemin du retour. Il y en a qui vont voyager en auto, en autobus et en avion. J'ai demandé au Créateur de veiller sur nous tous.

Merci.

La présidente: Merci.

La séance est levée.

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Publié en conformité de l’autorité
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