ACVA Rapport du Comité
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ANNEXE A : RAPPORT DE VOYAGE : MILLBROOK (N.-É.), HALIFAX (N.-É.), SIX NATIONS OF THE GRAND RIVER (ONT.), BEAUVAL (SASK.), VICTORIA (C.-B.), DU 27 MAI AU 1ER JUIN 2018
Le Comité permanent des anciens combattants de la Chambre des communes désire souligner le parcours remarquable de Freeman Douglas Knockwood décédé le 16 juin 2018, à Indian Brook en Nouvelle-Écosse. Chef spirituel mi’kmak respecté, il était un vétéran du Régiment royal de l’Artillerie canadienne et un conseiller apprécié dont les idées ont influencé un grand nombre de programmes de réadaptation pour les personnes souffrant de dépendances. Il avait 88 ans. Un aperçu de son cheminement unique est disponible à : http://www.mikmaweydebert.ca/home/2015/06/honouring-elder-douglas-knockwood/.
Doug Knockwood, en compagnie de Don Julien, lors de la remise d’un doctorat honorifique à l’Université Acadia. (Crédit photo : Acadia University, avec autorisation)
Introduction
Dans le cadre de son étude sur les besoins et enjeux propres aux vétérans autochtones, le Comité des anciens combattants de la Chambre des communes s’est rendu à Millbrook (N.-É.), Halifax (N.-É.), Six Nations of the Grand River (Ont.), Beauval (Sask.) et Victoria (C.‑B.), pour y tenir des réunions et faire des visites entre le 27 mai et le 1er juin 2018. La délégation était formée du président du Comité, M. Neil Ellis, de M. Robert Kitchen, ainsi que de M. Bob Bratina, M. Scott Duvall, M. Colin Fraser, M. Darrell Samson et Mme Cathay Wagantall. La délégation était accompagnée de Mme Karine Parenteau et de Mme Nathalie Clairoux de la Chambre des communes, ainsi que de M. Jean-Rodrigue Paré, de la Bibliothèque du Parlement.
Le contenu du présent rapport de voyage servira à enrichir l’étude du Comité. Il sera annexé au rapport final qui sera déposé à l’automne 2018.
28 mai : Millbrook et Halifax
A. Matin : Millbrook (Nouvelle-Écosse)
La Première Nation de Millbrook est une communauté mi’kmaq d’environ 1 800 membres, dont la moitié vit sur des terres de réserve à Truro et dans les environs. Elle a développé le Millbrook Power Centre, qui offre 80 acres de terrains commerciaux le long de l’autoroute 102.
Une trentaine de membres de la Première Nation ont participé à la Première Guerre mondiale, à la Deuxième Guerre mondiale et à la guerre de Corée. Plusieurs autres ont participé aux opérations plus récentes, et certains, grâce à leur double citoyenneté, se sont enrôlés dans l’armée américaine. Un cénotaphe a été érigé à Millbrook en 1999.
Donald Julien, un vétéran des Forces armées canadiennes qui a participé, entre autres, à la Mission des Nations Unies à Chypre, a accueilli la délégation. M. Julien est membre de l’Ordre du Canada et a été nommé colonel honoraire du Centre d’instruction de la 5e Division du Canada (Gagetown) en 2016. Il était accompagné d’Allan Knockwood, Joseph Francis, James Stevens, Nolan Martin et Tim Bernard.
M. Julien a d’abord rappelé les injustices dont les vétérans autochtones ont été victimes durant les deux guerres mondiales et la guerre de Corée. Il a particulièrement insisté sur l’importance démesurée accordée aux « agents des Indiens » dont le rôle était de maintenir les Premières Nations sous tutelle en espérant que les efforts d’assimilation des enfants, orchestrés par le directeur de la bureaucratie du ministère des Affaires indiennes, Duncan C. Scott, finissent par porter fruit. Ce traitement des Autochtones, en tant que « pupilles de l’État » sous l’autorité du ministère, fut utilisé pour justifier leur inadmissibilité aux programmes offerts aux autres vétérans.
Selon M. Julien, 83 membres des Premières Nations de Nouvelle-Écosse ont participé à la Première Guerre mondiale, et 10 y ont perdu la vie. Durant la Deuxième Guerre mondiale, 126 y ont participé, et cinq y ont perdu la vie. Pour la guerre de Corée, 26 y ont participé, et un y a perdu la vie.
Allan Knockwood a servi comme infirmier dans la marine américaine durant la guerre du Vietnam, et a servi brièvement à Gagetown dans la Force de réserve canadienne. Sa motivation première pour joindre l’armée américaine était simplement que plusieurs membres de sa famille l’avaient fait par le passé. Il a également rappelé les injustices vécues par les vétérans autochtones des conflits passés. Il a finalement déploré les difficultés liées à la pénurie de spécialistes de la santé qui sont capables de comprendre la spécificité des problèmes vécus par les vétérans.
James Stevens a servi au sein des Marines américains de 2000 à 2004. Il a affirmé ne pas avoir vécu de tensions raciales en tant qu’Autochtone dans l’armée américaine. Il s’est dit heureux que, malgré les blessures qu’il a subies en service, il s’en soit bien sorti et ait pu partager ses expériences plus douloureuses avec d’autres vétérans, contrairement à la génération de ses parents et grands-parents qui, selon lui, ont étouffé leurs souvenirs par l’alcool.
Nolan Martin a également servi au sein des Marines, mais a vécu quelques épisodes de racisme. Il a choisi l’armée américaine après qu’on lui eut offert un bonus à l’enrôlement. Il a subi une opération au dos à la suite d’un problème lié à son service militaire, et le département américain des Anciens combattants s’est entendu avec un hôpital d’Halifax pour y procéder à l’opération.
Tim Bernard est le directeur du programme Culture et Histoire de la Confederacy of Mainland Mi’kmaq. Il a expliqué que, depuis la guerre du Vietnam, l’une des motivations importantes à joindre l’armée américaine pour les membres des Premières Nations était le « GI Bill » qui, moyennant le paiement d’une prime, offre une garantie de 36 mois de soutien financier à l’éducation après le service militaire. Il a lui aussi rappelé certaines injustices subies par les vétérans autochtones des deux guerres mondiales et de la guerre de Corée. Selon lui, au lieu des montants supérieurs qui étaient versés aux autres vétérans pour mettre sur pied une ferme, les vétérans autochtones recevaient 2 850 $ pour s’acheter un bateau et un permis de pêche.
À Millbrook, durant la Semaine du Souvenir, 25 bannières sont accrochées sur les artères principales de la municipalité. Chacune représente un vétéran, décédé ou encore vivant, que la communauté veut honorer. Les membres de la délégation ont affirmé qu’ils aimeraient voir une telle initiative s’étendre au plus grand nombre de communautés possibles, autochtones ou non.
B. Après-midi : Mi’kmaw Native Friendship Centre (Halifax)
La délégation a été accueillie au Centre par Mme Debbie Eisan, ancienne adjudante-chef ayant servi 26 ans au sein des Forces armées canadiennes. Sous sa direction, les membres de la délégation ont participé à une cérémonie de purification (smudging).
Mme Eisan a fait ressortir l’importance d’adapter les soins offerts en santé mentale à leur contexte culturel. Par exemple, sans exclure le recours à la psychothérapie et à l’approche médicale, le fait de permettre à un vétéran autochtone de retourner sur le territoire de sa communauté et de rencontrer les chefs spirituels (Elders) peut grandement favoriser la guérison. Mme Eisan a donné l’exemple de la hutte à sudation (sweat lodge) dont le rituel complexe encourage la personne à donner un sens à ses difficultés en les rattachant à son passé individuel, à celui de sa communauté et de sa famille grâce au soutien des chefs spirituels, et en amenant la personne à établir un lien entre cet héritage, les difficultés présentes et les manières d’apprendre de ces expériences afin de rouvrir un avenir qui pouvait lui sembler bloqué.
Les membres de la délégation ont été heureux d’apprendre qu’Anciens Combattants Canada avait déjà recours à un réseau de chefs spirituels provenant de diverses Premières Nations à travers le pays. Le ministère peut se référer à ces personnes-ressources lorsqu’une situation exige une sensibilité culturelle particulière.
Comme la plupart des intervenants rencontrés par le Comité dans le cadre de cette étude, l’accès aux services dans les communautés éloignées fut abordé comme un enjeu majeur. Cela vaut tout particulièrement pour les services de santé. Il s’agit là d’un problème difficile qui affecte tous les Canadiens, mais qui peut prendre des proportions critiques pour les vétérans des communautés éloignées.
29 mai : Six Nations of the Grand River, Ohsweken (ontario)
Six Nations of the Grand River est la plus grande Première Nation du Canada. Les nations membres sont celles de la Confédération iroquoise du xvie siècle (Mohawk, Oneida, Cayuga, Seneca et Onondaga) rejointe par la Nation Tuscarora au début du xviiie siècle. Elles comptent plus de 27 000 membres inscrits, dont 12 000 vivent sur les réserves[1].
Les Six Nations ont fourni 300 recrues pendant la Première Guerre mondiale, le plus grand nombre de recrues parmi toutes les Premières Nations. Elles ont tenté de financer la création d’un bataillon composé uniquement de leurs membres. Le gouvernement fédéral a refusé, puisque les chefs des Six Nations voulaient recevoir une demande officielle, ce qui aurait été assimilable à une négociation « de Nation à Nation ». Quatre-vingt-huit (88) volontaires des Six Nations ont perdu la vie durant la Première Guerre mondiale.
En réaction au traitement injuste des anciens combattants autochtones après la Première Guerre mondiale, le lieutenant Frederick Ogilvie Loft, un Mohawk des Six Nations, a fondé la Ligue des Indiens du Canada, l’une des premières organisations de défense des droits des Premières Nations.
Le nombre de recrues fut également élevé pendant la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée, mais les chiffres exacts ne sont pas connus. Plusieurs membres des Six Nations se sont également enrôlés avec les Américains pendant la guerre du Vietnam.
A. 10 h 30 à 12 h : Six Nations Veterans Association
La délégation a été reçue dans les locaux de la Six Nations Veterans Association par son premier vice-président, Bruce Patterson. Il était accompagné d’Ed English, un vétéran de la guerre de Corée, de Marwood White Jr., d’Ellwood Froman et de Vera Monture. Les discussions ont surtout porté sur les relations entre la communauté et les vétérans, surtout ceux des conflits plus récents, ainsi que sur ce qui a pu motiver les jeunes à joindre les Forces américaines plutôt que les Forces canadiennes.
M. Patterson est un vétéran de la guerre du Vietnam. Il fut conscrit en 1968, alors qu’il habitait Detroit. Comme beaucoup d’autres de sa communauté qui se sont joints aux forces américaines, il a affirmé être revenu sur la réserve pour être plus proche de sa famille. M. Froman, lui aussi un vétéran américain de la guerre du Vietnam, est revenu pour les mêmes raisons. Ce retour lui a été grandement bénéfique et lui a permis de se libérer des médicaments qui lui étaient prescrits pour ses blessures de stress opérationnel. Selon lui, plusieurs des jeunes qui ont quitté la réserve pour s’enrôler dans les forces américaines ou canadiennes voudront retrouver leur famille lorsqu’ils seront plus vieux. Ils participent peu aux cérémonies du Souvenir, et il est difficile d’avoir une bonne idée de la situation de ces vétérans des conflits plus récents, comme le conflit en Afghanistan.
Des cérémonies du Souvenir sont organisées chaque année à Six Nations le troisième dimanche d’octobre. Selon Mme Monture, le choix de cette date permet aux vétérans de se rendre par la suite aux cérémonies qui se déroulent en novembre aux États-Unis.
La situation des membres des Premières Nations qui possèdent la double citoyenneté est particulière puisque la responsabilité des services revient au gouvernement du pays pour lequel la personne a combattu. Ainsi, les vétérans de la guerre du Vietnam qui habitent au Canada doivent contacter le département américain des Anciens combattants pour obtenir leurs prestations et leurs services. Anciens Combattants Canada offre des services pour les vétérans alliés, mais ces programmes sont limités aux vétérans de la Deuxième Guerre mondiale et de la guerre de Corée. Selon M. Patterson, il semble que certaines ententes aient pu se conclure selon lesquelles le gouvernement américain rembourse les services provinciaux ou Anciens Combattants Canada pour des services dispensés au Canada à des vétérans de la guerre du Vietnam.
M. White s’est joint à l’armée américaine dans les années 1990, et est revenu à Six Nations pour se joindre aux forces de police locales. Sa motivation principale pour joindre l’armée américaine fut l’image de force qu’elle dégage. De plus, les références militaires qui sont véhiculées au sein de la communauté sont essentiellement des références à l’armée américaine. Les programmes d’éducation (GI Bill) offerts ont également joué un rôle.
Selon M. Patterson, les Forces armées canadiennes (FAC) ont l’avantage de pouvoir mener des campagnes de recrutement sur la réserve, alors qu’il est interdit aux Forces américaines de le faire. Il n’y a cependant aucune manière de savoir précisément combien de membres de la communauté se sont joints aux FAC en comparaison du nombre de ceux qui se sont joints à l’armée américaine.
Étant donné la prépondérance des références à l’armée américaine, les membres des Six Nations connaissent peu les programmes offerts par Anciens Combattants Canada, et connaissent peu les organisations nationales qui s’occupent des vétérans canadiens, qu’ils soient autochtones ou non. Étant donné l’historique de tensions avec la Légion royale canadienne, qui, jusque dans les années 1950, pouvait refuser d’admettre des Autochtones, une certaine méfiance persiste encore. M. English, un vétéran de la guerre de Corée, s’est joint à la Légion une dizaine d’années après son retour au pays. M. Froman affirme quant à lui avoir vécu une mauvaise expérience avec la Légion.
Les discussions se sont conclues sur la nécessité de favoriser de meilleurs liens entre les associations locales de vétérans autochtones et les associations provinciales ou nationales. Anciens Combattants Canada doit également déployer plus d’efforts pour faire connaître ses programmes auprès de ces communautés.
B. 13 h à 14 h : visite du parc des Vétérans et de la réserve
La délégation s’est rendue au Parc des vétérans où des monuments commémorent le sacrifice des membres des Six Nations qui ont participé aux Première et Deuxième Guerres mondiales, à la guerre de Corée et à la guerre du Vietnam. Après avoir fait un tour de ville en compagnie de M. Patterson, la délégation s’est rendue aux locaux du Conseil de bande.
C. 14 h à 14 h 30 : Conseil de bande des Six Nations
La délégation fut reçue aux locaux du Conseil de bande par les conseillers Carl Hill et Helen Miller, ainsi que par l’administrateur en chef (Senior Administrative Officer) du Conseil de bande, Dayle Bomberry. Fran Henry et Paul General étaient également présents. Ils ont dit regretter le décès l’année précédente du conseiller Robert Johnson qui fut très actif auprès des vétérans des Six Nations.
Selon Mme Miller, les activités du Conseil de bande envers les vétérans sont limitées. Il soutient la Six Nations Veterans Association et entretient le parc des Vétérans. Entre 40 et 50 personnes participent aux cérémonies du troisième dimanche d’octobre, mais peu de jeunes y participent. Les soins offerts aux vétérans s’organisent essentiellement avec les familles. Les discussions se sont conclues sur le constat qu’il devait y avoir une meilleure collaboration entre le Conseil de bande, la Six Nations Veterans Association et Anciens Combattants Canada afin de mieux faire connaître les programmes auxquels les vétérans de la communauté pourraient être admissibles.
30 mai : Beauval (Saskatchewan)
Le village de Beauval (756 habitants) est situé sur la rive ouest de la rivière Beaver, alors que la réserve de la Première Nation dénée de La Plonge 192 (148 résidents) est située sur la rive est. Près de 150 membres de ces communautés revendiquent le cri, le mitchif ou le déné comme langue maternelle.
En 1905, année de l’adhésion de la Saskatchewan et de l’Alberta à la Confédération, les Pères Oblats construisirent une école dans la « belle vallée » qu’ils appelèrent Beauval. Elle devint un pensionnat destiné aux enfants des Premières Nations, tandis que les enfants métis fréquentaient l’école voisine de l’Île-à-la-Crosse, construite dans les années 1860. En réalité, les enfants métis et des Premières Nations ont fréquenté les deux écoles. Au début, il y avait environ 40 enfants d’origine dénée et métisse, et plus de 100 par la suite. Les Sœurs Grises de Montréal étaient responsables de l’éducation. L’anglais et le français étaient enseignés à l’école. En 1927, les 19 garçons de l’école sont morts dans un incendie. Sœur Lea, qui était responsable du dortoir des garçons, a également péri. L’école a été reconstruite et est restée en activité jusqu’en 1983. Elle a été démolie en 1995 par les anciens élèves du pensionnat.
On estime que près de 2 000 Métis de la Saskatchewan ont participé à la Première Guerre mondiale, à la Seconde Guerre mondiale et à la guerre de Corée.
A. 10 h à 10 h 30 : Visite du monument commémoratif
La délégation a été accueillie par Alex Maurice, un vétéran des missions de paix des Nations Unies et récipiendaire de la Mention élogieuse du ministre des Anciens Combattants en 2009. Après une cérémonie de purification, le président du Comité, Neil Ellis, a déposé une couronne de fleurs au pied du monument érigé en l’honneur des vétérans de la communauté en compagnie de M. Maurice, de Lawrence et Maxime Morin, dont le père, Vital Morin, fut un vétéran de la Deuxième Guerre mondiale. La délégation s’est également entretenue avec le maire de Beauval, Nick Daigneault, qui a présenté les projets de développement de la communauté, axés sur le tourisme.
B. 11 h à 14 h : Rencontre au Centre communautaire de Beauval
Grâce aux remarquables efforts de M. Maurice et d’autres leaders de la communauté, une cinquantaine de personnes, des vétérans et des membres des familles des vétérans, se sont présentées à la rencontre. Une collation et un dîner ont été servis par les étudiants et les étudiantes d’un programme en tourisme et hôtellerie.
M. Maurice a ouvert la séance en remerciant les personnes présentes, et en soulignant la présence de Duane Favel, maire de la municipalité voisine de l’Île-à-la-Crosse. Une prière a été récitée par Jimmy Durocher, et Jason et Marcy Lafleur ont ensuite procédé à une cérémonie de purification. Mervin « Tex » Bouvier, de la Nation Métis de la Saskatchewan, a souhaité la bienvenue aux participants et a remis des ceintures fléchées métisses aux membres de la délégation.
L’assemblée a ensuite salué la présence de Louis Roy, un vétéran de la Deuxième Guerre mondiale âgé de 98 ans. Comme plusieurs autres résidents de Beauval, dont Alex Malbeuf, Prosper Larivière, Joe Malbeuf, Vital Morin, Léon Bélanger, J.B. Maurice et Cyprien Corrigal, M. Roy a marché plus de 160 km pour aller s’enrôler.
Durant son allocution, M. Durocher a demandé aux membres de la délégation d’avoir le courage de faire tout en leur pouvoir pour corriger les torts endurés par les membres de sa communauté, rappelant en particulier les souffrances des pensionnats. Les vétérans métis ont été les oubliés parmi les oubliés. Ne résidant pas sur les réserves administrées par le ministère des Affaires indiennes, mais étant considérés comme des Autochtones, ils ont subi les mêmes injustices que celles commises envers les autres Autochtones, mais n’ont pas eu droit aux indemnisations partielles que le gouvernement a consenties aux vétérans des Premières Nations.
Ray Campbell a ensuite retracé l’histoire du traitement des vétérans autochtones depuis la Première Guerre mondiale, soulignant que les blessures du passé, surtout celles liées aux pensionnats métis et aux pensionnats autochtones, nourrissent encore une résistance à faire confiance à tout ce qui émane du gouvernement.
En tant que président de la National Aboriginal Veterans Association (NAVA) pour la Saskatchewan, M. Maurice a lu un document contenant les informations compilées après l’envoi d’une série de questions aux membres de son organisation[2]. La conclusion de ce document est la suivante :
Le comité parlementaire effectue une première visite, ce qui est une excellente nouvelle pour les anciens combattants de l’ère moderne. Il est encore temps de corriger les erreurs du passé pour les anciens combattants autochtones qui sont encore parmi nous. Leurs derniers jours seront peut-être meilleurs avec une aide du ministère des Anciens Combattants. Les anciens combattants autochtones qui nous ont quittés NE DOIVENT PAS ÊTRE OUBLIÉS. Leur apport doit être reconnu sous la forme d’une indemnité versée aux anciens combattants métis. Les anciens combattants métis n’ont pas reçu d’indemnité, contrairement aux Premières Nations, aux bûcherons de Terre-Neuve, aux marins marchands et aux Asiatiques internés durant la Seconde Guerre mondiale. L’Association nationale des anciens combattants autochtones, Section de la Saskatchewan, a adressé une proposition d’indemnisation au cabinet des ministres O’Regan et Bennett. Nous espérons que les anciens combattants survivants et leurs familles recevront une communication reconnaissant la valeur de leur service militaire. Accorder aux bûcherons de Terre-Neuve, aux marins marchands, aux Premières Nations et aux Asiatiques internés une plus grande importance qu’à nos ANCIENS COMBATTANTS MÉTIS constituerait l’insulte suprême.
Maxime Morin, lors de son allocution, a recommandé qu’une section sur les vétérans métis soit ajoutée au Musée se trouvant à Juno Beach, en Normandie. Il a également répété la phrase qui est revenue comme un leitmotiv tout au long de cette étude : « Durant la guerre, nous étions tous égaux; après la guerre, nous ne l’étions plus. » Il croit également que le gouvernement devrait offrir aux vétérans métis les mêmes indemnisations que celles qui ont été consenties au début des années 2000 aux vétérans des Premières Nations qui ont participé à la Deuxième Guerre mondiale et à la guerre de Corée.
Mervin Bouvier s’est dit heureux de constater l’intérêt d’un comité parlementaire pour la question des vétérans autochtones, mais il demeure inquiet quant aux actions réelles et au suivi qui sera donné aux engagements pris par le Comité et le gouvernement.
Selon Lloyd Bishop, la décision des Métis et des autres Autochtones à s’enrôler dans les Forces armées canadiennes constitue la meilleure preuve de leur engagement à faire pleinement partie de la société canadienne. Lorsque les vétérans reviennent brisés, et qu’ils ne peuvent pas compter sur le soutien de leur gouvernement, c’est cet engagement qui est directement affaibli.
Alex Maurice est intervenu à nouveau afin de souligner que les cas de racisme à l’intérieur des Forces armées canadiennes sont certes encore présents, mais les personnes qui commettent ces actes ne le font plus désormais au grand jour, ce qui démontre une volonté de la chaîne de commandement de ne plus tolérer ce genre de comportement.
L’adjudant-chef Belanger a déploré que sa mère, veuve d’un vétéran de la Deuxième Guerre mondiale, n’ait reçu aucun soutien de la part d’Anciens Combattants Canada malgré son âge avancé. Selon lui, des centaines de veuves de vétérans autochtones se trouvent dans la même situation.
Dave Bona, un vétéran de la Somalie qui faisait partie du Régiment aéroporté, a voulu sensibiliser les personnes présentes aux risques associés à la méfloquine, cet antipaludique administré aux militaires déployés dans des zones à risques, et qui a été associé à certains troubles psychiatriques. Il a présenté Marjorie Matchee, épouse de Clayton Matchee, accusé du meurtre d’un prisonnier somalien en 1992. Mme Matchee a affirmé que la méfloquine était responsable des agissements de son mari et que le médicament continuait d’affecter la santé mentale de nombreux vétérans. Selon elle, les problèmes liés à la méfloquine sont mal diagnostiqués parce qu’ils s’apparentent aux symptômes du stress post-traumatique.
Alex Maurice a conclu les discussions en reprochant au gouvernement du Canada d’avoir invité des politiciens métis, au lieu de vétérans métis, lorsqu’il s’est rendu à l’étranger pour des cérémonies de commémoration.
La délégation est ensuite retournée faire une seconde visite au monument commémoratif en compagnie de membres de la communauté qui n’avaient pas pu s’y présenter lors de la visite du matin. Le président du Comité, Neil Ellis, a remercié les personnes présentes de leur chaleureux accueil.
31 mai : Base des forces canadiennes Esquimalt (Colombie-Britannique)
A. 10 h à 12 h : Rencontre avec des vétérans autochtones
Une dizaine de personnes sont venues rencontrer la délégation au Musée naval et militaire de la Base d’Esquimalt. Après les présentations d’usage, Joe Thorne, représentant pour la Colombie-Britannique d’Aboriginal Veterans Autochtones (AVA), a rappelé les injustices subies par les vétérans autochtones durant les grands conflits du xxe siècle. Il a salué la volonté du gouvernement du Canada de reconnaître certains torts en offrant une indemnisation symbolique de 20 000 $ aux vétérans des Premières Nations au début des années 2000, mais a déploré l’absence d’entente similaire pour les vétérans métis qui ont dû endurer les mêmes injustices. Réitérant les défis supplémentaires que doivent relever les vétérans autochtones lorsqu’ils vivent dans des régions éloignées, M. Thorne a dit souhaiter l’unification des associations qui représentent les vétérans autochtones au Canada. Il a également demandé le soutien financier du gouvernement du Canada pour y parvenir.
Certaines barrières semblent freiner cette unification, et elles se sont manifestées lors de la rencontre. En effet, au moment où Richard Blackwolf, président de la Canadian Aboriginal and Serving Members Association, a pris la parole, les représentants d’AVA ont insisté pour dire qu’ils ne reconnaissaient pas à cette organisation le droit de parler au nom des vétérans autochtones du Canada.
Kelly White a décrit la situation de plusieurs membres de familles de vétérans qui ont vécu des problèmes de santé mentale et d’itinérance.
Dave Armitt, de la Métis Nation of British Columbia, a demandé que le gouvernement fédéral finance une initiative visant à identifier les vétérans métis, de manière à leur offrir une indemnisation comparable à ce qu’ont reçue les vétérans des Premières Nations. Selon M. Armitt, depuis le jugement de la Cour suprême dans Daniels c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), en avril 2016, les vétérans métis sont en droit de demander d’être intégrés aux groupes consultatifs ministériels d’Anciens Combattants Canada.
M. Blackwolf a ensuite lu un document déposé comme mémoire au Comité[3]. Il y est question des préoccupations de son organisation en ce qui touche les ordonnances suite à un diagnostic de stress post-traumatique, d’investissements gouvernementaux dans des refuges pour vétérans en itinérance et des délais inacceptables dans le traitement des demandes d’indemnisation par Anciens Combattants Canada.
Clifford Rose, de la Légion royale canadienne, a confirmé l’information anecdotique selon laquelle les délais de traitement des demandes d’indemnisation s’étaient rallongés. Selon lui, en raison des multiples changements législatifs adoptés au cours des dernières années, le personnel d’Anciens Combattants Canada est submergé de demandes. Ce problème affecte tous les vétérans.
B. 12 h à 13 h : Dîner informel au Mess des officiers
La délégation a été chaleureusement reçue à dîner au Mess des officiers de la Base d’Esquimalt par le contre-amiral Art McDonald, commandant des Forces maritimes du Pacifique et de la Force opérationnelle interarmées du Pacifique. Des discussions informelles ont eu lieu en présence du capitaine Brian Costello, chef d’état-major, du capitaine Jason Boyd, Commandant de la Base, du capitaine Martin Drews, Commandant du Groupe d’instruction du personnel naval, ainsi que de trois membres du Groupe consultatif des Autochtones de la Défense : le caporal-chef Brendan Ryan-Lewis, le matelot de 1re classe Brandon Stracevic et la maître de 2e classe Marielle Audet.
C. 13 h 15 à 14 h : Rencontre sur les programmes de recrutement destinés aux Autochtones
Les membres de la délégation se sont entretenus avec le sergent Farid Karmali, recruteur au Détachement de Victoria du Centre de recrutement des Forces canadiennes. Différents programmes ont existé depuis 1971. Depuis 2002, le programme principal est le Programme d’enrôlement des Autochtones des Forces canadiennes (Canadian Forces Aboriginal Entry Program). Son objectif est de permettre aux candidats intéressés d’expérimenter la réalité d’une carrière militaire. Cela leur permet de prendre une décision éclairée quant à leur intérêt réel à poursuivre dans cette direction. Quatre-vingt-dix-sept pour cent (97 %) des participants prennent la décision de se joindre à la Force régulière.
Le Programme d’initiation au leadership à l’intention des Autochtones (Aboriginal Leadership Opportunities Year) est destiné aux Autochtones souhaitant entreprendre la formation d’élève-officier. Il est similaire à un programme offert aux autres recrues, mais durant un an, l’apprentissage d’une langue seconde est remplacé par un module axé sur la culture autochtone.
Trois programmes d’instruction d’été sont destinés aux Autochtones : Bold Eagle (Wainwright (Alberta)), Raven (Esquimalt (Colombie-Britannique)) et Black Bear (Oromocto (Nouveau-Brunswick)). D’une durée de six semaines, ils permettent aux participants de se familiariser avec l’entraînement militaire sans engagement préalable à se joindre aux Forces armées canadiennes par la suite. Une rémunération de 3 500 $ est offerte aux participants, ce qui équivaut à la solde d’un soldat.
Tous ces programmes sont distincts de celui des Rangers qui s’occupent de leur propre recrutement. Selon M. Karmali, l’un des enjeux liés au recrutement est la concurrence exercée par les États-Unis pour les Autochtones qui bénéficient de la double citoyenneté. Les exigences initiales étant plus élevées au Canada, il peut sembler plus alléchant de se joindre aux forces américaines.
D. 14 h à 15 h : Visite des installations de la base navale d’Esquimalt
Les membres de la délégation ont été heureux de pouvoir bénéficier, dans le cadre de cette visite, des connaissances approfondies et de l’enthousiasme communicateur de Jamie Webb, agent principal du protocole.
E. 15 h à 16 h : Rencontre avec le personnel du Centre intégré de soutien du personnel
Les membres de la délégation ont rencontré le personnel du Centre intégré de soutien du personnel (CISP) d’Esquimalt dans un local adjacent à celui où se trouvent les employés d’Anciens Combattants Canada rattachés au CISP. Aucun représentant d’Anciens Combattants Canada n’était cependant présent à la rencontre, malgré les demandes du Comité.
Des discussions très constructives ont permis aux membres de la délégation de mieux saisir la réalité du travail quotidien qui se faisait au sein du Centre intégré de soutien du personnel (CISP). Ce CISP est l’un des 31 qui ensemble forment l’Unité intégrée de soutien du personnel (UISP). Les membres furent heureux de pouvoir confirmer les conclusions de leur plus récent rapport sur la transition qui affirmait que les militaires blessés qui sont affectés à l’UISP obtiennent des services hors pair et un suivi personnalisé. Toutefois, le niveau de services offert aux militaires en transition dont les besoins sont moins complexes reste difficile à établir. Environ 300 militaires sont libérés chaque année à Esquimalt, Comox et Vancouver, dont 100 pour des raisons médicales. Parmi ces derniers, 30 sont affectés à l’UISP. Il y a donc 10 % des militaires en transition qui reçoivent des services de suivi systématiques.
[1] Ces données doivent toutefois être traitées sous toutes réserves car elles ne sont pas validées par Statistique Canada. Les membres des Six Nations ne participent habituellement pas au recensement.
[2] Ce document a été déposé au Comité comme mémoire et peut être consulté à http://www.noscommunes.ca/Content/ Committee/421/ACVA/Brief/BR9990221/br-external/NationalAboriginalVeteransAssociation-9851650-f.pdf.