Dans le cadre de son mandat, le Comité s’est
également penché sur la question du vote obligatoire. Comme l’a fait remarquer
l’ancien directeur général des élections, Jean‑Pierre Kingsley,
l’appellation « vote obligatoire » est quelque peu erronée, puisque là
où le vote est obligatoire, les électeurs ne sont pas tenus de voter pour un
candidat, mais plutôt de faire acte de présence[360]. D’ailleurs, dans un grand nombre d’administrations, les électeurs
ont le choix de cocher la case « aucun des candidats » (qui pourrait
aussi se lire « je ne souhaite pas voter »). Autrement dit, il est
plus juste de parler de « présence obligatoire aux [bureaux] de vote[361] ».
Bon nombre de pays ont adopté des lois sur le vote
obligatoire, y compris l’Australie, la Belgique, Chypre, le Luxembourg et le
Brésil[362].
Les 23 pays ayant actuellement une loi qui oblige les gens à voter à
l’échelon national ont opté pour différentes approches d’application, la forme
la plus courante de sanctions étant la possibilité d’une amende modeste (par exemple,
en Australie, les électeurs qui ne se présentent pas aux urnes se voient
imposer une amende de 20 $ AUS, à moins d’une excuse valide, par
exemple leur absence ou la maladie).
En général, les pour et les contres du vote
obligatoire touchent deux des principes définis dans le mandat du Comité. Premièrement,
à savoir si la mesure proposée accroîtra (ou empêchera) la participation (principe 2)
en encourageant le vote et la participation au processus démocratique,
notamment en offrant des possibilités d’inclusion des groupes sous-représentés
dans le processus politique. Deuxièmement, si elle accroîtra (ou entravera) l’accessibilité
et l’inclusion (principe 3) en favorisant l’accès par tous les
électeurs admissibles, peu importe leur condition physique ou sociale.
Le directeur général des élections, Marc Mayrand,
a suggéré ce qui suit au Comité dans le cadre de son examen du vote
obligatoire :
J’encouragerais le Comité à prêter attention à
quelques considérations durant son étude, y compris la prestation d’un
mécanisme de conformité au moyen de sanctions ou d’incitatifs positifs, le fait
qu’il devrait ou non y avoir des exceptions pour certains groupes d’électeurs
et, bien entendu, l’acceptation par les Canadiens[363].
Les considérations soulevées par M. Mayrand
ont été évoquées à maintes reprises durant les délibérations du Comité.
Les tenants du vote obligatoire considèrent en
général le vote comme un devoir de citoyen (au même titre que le devoir de juré
ou l’obligation de remplir le formulaire de recensement)[364]. Ils ont insisté sur le fait que les électeurs ne sont pas obligés
de voter pour un candidat quelconque, mais plutôt de se présenter aux urnes.
Ils ont offert plusieurs arguments en l’appui au vote obligatoire, les plus
importants étant :
- l’augmentation de la participation électorale
(la hausse du taux de participation pourrait atteindre 20 % selon des
données présentées)[365];
- une meilleure représentation des vues de
l’électorat au Parlement; la participation obligatoire des électeurs aux
élections pourrait accroître leur participation au processus politique; et,
- les campagnes électorales pourraient mettre
davantage l’accent sur les enjeux au lieu de chercher à motiver les citoyens à
aller voter le jour venu.
Les détracteurs du vote obligatoire considèrent
généralement le vote non pas comme un devoir, mais plutôt comme un droit que la
personne peut exercer comme bon
lui semble[366],
allant jusqu’à penser que le vote obligatoire est « irrespectueux des
citoyens[367] ».
Comme il est précisé plus loin, certains ont fait remarquer que même si le vote
obligatoire a pour effet d’accroître la participation électorale, il ne règle
pas les problèmes sous-jacents qui expliquent pourquoi certains citoyens
ne votent pas. D’autres ont ajouté que le vote obligatoire ne permet pas en soi
de sensibiliser l’électorat pour permettre aux citoyens de faire des choix
éclairés au sujet des enjeux politiques.
Enfin, plusieurs témoins ont insisté sur le lien
entre le vote obligatoire et l’accessibilité, à savoir que le vote doit être
rendu le plus accessible possible. En effet, divers témoins craignaient que le
vote obligatoire puisse avoir pour effet pervers de pénaliser des groupes déjà
sous‑représentés au sein du processus politique, en particulier les Canadiens
ayant un handicap, autochtones et à faible revenu, s’il était imposé sans en
assurer en même temps l’accessibilité et prévoir des exceptions.
Ces diverses
opinions ont été exprimées par les 22 247 répondants à la consultation en
ligne du Comité. La plupart des répondants étaient fortement en accord
(36,2 %) ou en accord (14,1 %) avec l’affirmation « les
Canadiens devraient être obligés de déposer un bulletin de vote lors des
élections fédérales (même si c’est un bulletin nul)[368] ».
Les Canadiens
devraient être obligés de déposer
un bulletin de vote lors des élections fédérales
Échelle de cotation : 1 (fortement
en désaccord) – 5 (fortement en accord); s.o
Toutefois, la majorité
était également fortement en désaccord (43 %) ou en désaccord
(11,8 %) à l’idée que « les Canadiens devraient encourir une amende
ou une autre sanction s’ils ne déposent pas de bulletin de vote lors des
élections fédérales, à moins d’avoir une excuse acceptable (p. ex. maladie,
absence)[369] ».
Les Canadiens
devraient être pénalisés s’ils ne déposent pas de bulletin de vote lors des élections fédérales
Échelle de cotation : 1 (fortement
en désaccord) – 5 (fortement en accord); s.o.
À l’opposé, un fort
pourcentage de répondants était fortement en accord (41,9 %) ou en accord
(15,5 %) avec l’affirmation « Il faudrait prendre des mesures
incitatives pour encourager les Canadiens à déposer un bulletin de vote lors
des élections fédérales[370] ».
Il faudrait
prendre des mesures incitatives pour encourager les Canadiens à déposer un bulletin de vote
Échelle de cotation : 1 (fortement
en désaccord) – 5 (fortement en accord); s.o.
Durant son étude, le Comité a entendu
Tom Rogers, commissaire électoral de l’Australian Electoral Commission,
qui a expliqué que l’inscription et le vote sont obligatoires en
Australie :
En Australie, il est obligatoire d’être inscrit
sur la liste électorale et de voter aux élections fédérales. L’inscription
obligatoire des citoyens australiens, à l’échelon fédéral, a été adoptée
en 1918; le vote obligatoire a été adopté ensuite, en 1924.
Aux dernières élections, nous estimons qu’environ
95 % des électeurs admissibles étaient inscrits. Cela représente
15,6 millions de personnes. C’est le nombre d’électeurs le plus élevé que
nous ayons jamais vu, et c’est probablement la liste électorale la plus
complète que nous ayons jamais eue dans toute l’histoire de l’Australie. Chaque
citoyen a la responsabilité de mettre à jour les détails concernant son
inscription; toutefois, nous avons également mis en place un système
d’inscription et de mises à jour directes de la liste fédérale, ce qui soutient
le processus. Nous nous fondons sur des données réunies par des tiers de
confiance, par exemple l’information sur le permis de conduire, pour
l’inscription ou la mise à jour des renseignements sur les électeurs.
Selon les lois en vigueur, nous ne disposons en
réalité d’aucun moyen de poursuivre avec succès des électeurs admissibles qui
ne se sont pas inscrits. Si je dis cela, c’est que l’inscription est une
défense absolue contre toute accusation de défaut d’inscription, ce qui fait
que, si nous décidons d’aller au bout de ce processus et de traîner quelqu’un
devant les tribunaux, bien souvent, cette personne va en fait s’inscrire une
fois rendue au tribunal, et c’est une défense absolue contre le défaut
d’inscription[371].
M. Rogers a indiqué
que le vote et l’inscription obligatoires étaient perçus comme faisant partie
de la culture :
L’inscription et le vote obligatoires sont
considérés comme un aspect normal de la culture politique de l’Australie. De
nombreuses données probantes permettent de croire que les gens soutiennent le
vote obligatoire : en 2013, la dernière fois où nous avons fait une
enquête, environ 70 % des gens se disaient en faveur du vote obligatoire.
Aux toutes dernières élections fédérales, qui viennent tout juste d’avoir lieu,
environ 90 % des électeurs sont allés voter, mais nous devrons confirmer
ce chiffre dans les semaines à venir, lorsque nous aurons terminé tous les
processus liés à cette élection[372].
Finalement, il a expliqué les sanctions imposées
aux personnes qui ne votent pas, précisant que leur portée et application sont
limitées :
Selon notre système de vote obligatoire, les
électeurs inscrits qui ne sont pas allés voter reçoivent une lettre le leur
signifiant. Les électeurs doivent alors soit répondre en fournissant une excuse
valide pour ne pas avoir voté, soit payer une très légère amende de 20 $.
Un faible nombre des électeurs qui ne paient pas cette amende font alors
l’objet d’une poursuite; je crois qu’aux dernières élections, nous avons poursuivi
jusqu’au bout environ 3 000 personnes[373].
Le Comité a aussi entendu
Anna Keenan, une défenseure de la réforme électorale d’origine
australienne qui a participé au processus de réforme électorale à l’Î.‑P.‑É.
Parlant du vote obligatoire, elle a mentionné sa surprise lorsqu’elle a appris,
à son arrivée au Canada, que le vote était « facultatif ». Elle a
expliqué qu’elle était favorable au vote obligatoire en raison des changements
qu’il opère sur les campagnes :
Je suis tout à fait favorable au vote obligatoire.
J’ai trouvé choquants les systèmes de vote facultatif quand je me suis
installée dans d’autres pays. Si c’est la norme dans votre pays d’origine, on
trouve très surprenant de constater que, dans la majorité des autres pays, le
vote soit facultatif.
La raison pour laquelle je suis extrêmement
favorable au vote obligatoire est la façon dont cela change les campagnes
électorales. Je n’avais jamais entendu parler de « sortir les votes »
avant de quitter l’Australie. Au lieu de faire campagne pour convaincre les
gens de voter et risquer de prendre des positions très populistes ou extrêmes
susceptibles d’attirer des fanatiques à certains égards, on sait que tout le
monde va voter, et la campagne porte beaucoup plus sur les enjeux et les
politiques[374].
Elle a ajouté que le vote facultatif ne permet pas
de connaître les raisons pour lesquelles les gens ne vont pas voter. Selon
elle, le vote obligatoire pourrait aider
les citoyens à exprimer leur désengagement ou leur désenchantement à l’égard du
système politique :
À mon avis, le vote optionnel n’indique pas pour
quelle raison les gens ne vont pas voter. Il n’y a pas moyen de savoir s’il
s’agit d’un désengagement ou d’un acte de protestation contre les candidats,
qu’ils ne trouvent pas à la hauteur d’une fonction de député.
Je suggérerais que si l’on instaure le vote obligatoire au Canada, on ajoute
aux bulletins de vote une case indiquant « Aucun de ces candidats »
pour permettre aux électeurs de protester activement.
Il est aussi arrivé qu’en Australie, pendant
certaines campagnes électorales, les gens mènent une campagne active exhortant
les électeurs à jeter un bulletin de vote vierge dans l’urne. Les gens allaient
voter pour qu’on inscrive à la liste qu’ils s’étaient présentés, mais leurs
bulletins de vote vides étaient une forme de protestation. Si l’on instaure le
vote obligatoire, il faudra expliquer clairement aux électeurs qu’ils ne sont
pas tenus de choisir. Mais au moins ils seront obligés de s’engager et de
s’informer, puis de se présenter. On les obligera à accomplir leur devoir de
citoyens[375].
De nombreux témoins ont fait valoir qu’avant de
décider s’il y a lieu de rendre le vote obligatoire, il faut d’abord veiller à
rendre le vote le plus accessible possible. De plus, si le vote obligatoire est
adopté, il importe de prévoir des exceptions appropriées pour ne pas porter
préjudice aux Canadiens qui sont déjà sous-représentés au sein du système
électoral, notamment les personnes ayant un handicap, les jeunes et les
personnes âgées, les Autochtones et les personnes à faible revenu.
Un moyen d’assurer l’accessibilité consiste à
rendre le vote « facile » et « attrayant » dans la mesure
du possible. Comme l’a indiqué Ruth Dassonneville dans sa présentation au
Comité, laquelle portait exclusivement sur le vote obligatoire :
Bien sûr, chaque fois qu’il est obligatoire de
voter dans un pays, il faut faciliter le plus possible cette opération. Le
Canada est, d’après moi, un bon exemple d’un pays où il est relativement facile
de voter. Il serait toutefois possible d’adopter des mesures qui faciliteraient
davantage la participation au vote.[376]
Maryantonett Flumian, selon qui le vote
obligatoire « ne devrait être envisagé qu’en dernier recours pour régler
la faible participation au scrutin », a affirmé que « d’autres
mesures […] pourraient être adoptées » afin « d’améliorer le taux de
participation au fil du temps ». En particulier, elle a préconisé de
rendre le vote plus convivial :
Autrement
dit, si le vote est plus accessible et convivial, plus de gens seront
susceptibles de voter. Il ne faut rien négliger pour faciliter le vote, de
l’inscription au geste même de voter. Avec les technologies de l’information
modernes, de nombreux obstacles au vote pourraient être levés ou fortement
réduits[377].
Autre condition préalable au vote
obligatoire : s’assurer que le processus de vote soit le plus accessible
possible aux Canadiens ayant un handicap. Par exemple, Diane Bergeron, au nom
de l’Institut national canadien pour les aveugles, a fait remarquer que les
aveugles au Canada n’ont pas accès au scrutin secret (ils ont besoin d’aide
pour cocher la case sur le bulletin de vote) :
Même si l’INCA ne se prononce pas sur cette
question, je crois qu’il est important de se rappeler que si le système
électoral n’est pas accessible à tous les Canadiens, des exceptions doivent être
mises en place. Je ne crois pas qu’on puisse m’obliger à voter si je ne peux
pas le faire en secret parce que le système n’est pas accessible[378].
Elle a ajouté ce qui
suit :
Je crois sincèrement que si nous devons rendre le
vote obligatoire, nous devons aussi nous assurer que le système électoral
accorde les mêmes droits à tout le monde. Si le vote doit être obligatoire, je
ne crois pas que je devrais être obligée de m’en remettre à un étranger au
bureau de vote pour faire un X à ma place. J’estime que je devrais pouvoir
le faire moi-même. Je devrais pouvoir vérifier moi-même que je n’ai pas annulé
malencontreusement mon vote, et qu’il est resté secret. Si mes droits ne
peuvent pas être respectés, alors j’estime qu’on ne devrait pas m’obliger à
suivre le même processus que tout le monde. Si on
arrivait à rendre le processus électoral accessible à absolument tout le monde,
ce serait différent[379].
En conclusion, elle a insisté sur le fait que tout
régime de vote obligatoire doit prévoir des exceptions afin de ne pas pénaliser
injustement les Canadiens qui ont de la difficulté à voter :
Je suis convaincue que le vote obligatoire n’est
pas une option viable si le processus n’exempte pas les personnes qui ne sont
pas traitées de manière égale aux autres[380].
April D’Aubin, parlant au nom du Conseil des
Canadiens avec déficiences (CCD), a également souligné que les Canadiens
ayant un handicap ne doivent pas être placés dans une situation plus difficile
par la réforme :
Au cours du processus d’examen de la sécurité sociale
dirigée par le ministre Lloyd Axworthy, le CCD a adopté le principe selon
lequel la réforme électorale ne devrait pas réduire la qualité de vie des
personnes qui ont des déficiences. Certaines d’entre elles risquent de ne pas
pouvoir voter à cause d’obstacles qu’elles seront incapables de contourner. Par
exemple, elles n’auront pas de transport adapté pour se rendre aux urnes. Une
personne qui dépend entièrement d’un préposé aux soins personnels ne pourra pas aller voter parce que son préposé n’est
pas venu travailler. Un bureau de vote pourrait être inaccessible. On
doublerait l’insulte en leur imposant une pénalité fiscale[381].
Louis Sebert,[382] en tant que porte-parole de Yellowknife (T.N.-O.), a dit craindre
toute pénalité proposée en cas d’abstention, précisant que ces sanctions
pourraient toucher de manière disproportionnée les personnes déjà dans le
besoin :
Les amendes pour manquement au vote toucheraient
plus durement ces résidents déjà aux prises avec la réalité quotidienne du
chômage et du sous-emploi sans aucune perspective économique, du coût de la vie
trop élevé et une forte dépendance sur les programmes gouvernementaux[383].
De même, Paul Okalik, député à l’Assemblée
législative du Nunavut, a fait remarquer que si les élections ont lieu pendant
la saison de la chasse, il sera difficile pour les gens de respecter les
exigences liées au vote obligatoire :
Ce qui me préoccupe avec les exigences
obligatoires, c’est que l’élection peut tomber en plein cœur de notre saison de
chasse ou en même temps que quelque chose de très important pour notre famille,
alors le fait de la rendre obligatoire serait difficile pour nous à cause de
cela[384].
Enfin, des témoins ont également observé que
certains membres des Premières Nations ne votent pas, par principe, aux
élections fédérales et ne devraient pas être pénalisés si le vote devient
obligatoire.
Le principal argument invoqué en faveur du vote
obligatoire (outre le fait que le vote est perçu comme un devoir) est que le
taux de participation électorale élevée qui résulte de l’obligation de voter a pour
effet d’accroître la légitimité du gouvernement et de réduire les inégalités
entre les personnes qui se présentent aux urnes et celles qui s’abstiennent.
Comme l’a expliqué Ruth Dassonneville :
Premièrement, cet objectif [la participation
électorale] est important parce qu’il renforce la légitimité démocratique. Un
gouvernement qui a été élu à la suite d’un vote où la participation a été
élevée peut légitimement affirmer qu’il représente la population.
Deuxièmement, et c’est en
fait l’aspect essentiel, une forte participation a pour effet de réduire les
inégalités entre les citoyens qui vont voter et ceux qui ne le font pas. Les
études de sciences politiques démontrent clairement que les personnes
défavorisées votent moins que les autres. De sorte que les personnes ayant peu
d’instruction, peu de revenus et les citoyens qui font partie des classes
sociales inférieures votent moins fréquemment que les autres. Le fait de les
obliger à aller voter aura pour effet de réduire ces inégalités. La réduction
de ces inégalités est importante parce qu’elle modifie la dynamique. Elle
inciterait les partis à s’occuper vraiment des citoyens défavorisés. Si les
partis savent que les citoyens défavorisés, les groupes à faible revenu, les
membres d’une classe sociale peu élevée ne font pas l’effort d’aller voter, et
qu’ils sont difficilement mobilisables, alors ils n’ont aucune raison de se
préoccuper des intérêts de ces personnes. Le vote obligatoire modifierait cette
dynamique[385].
En revanche, les détracteurs du vote obligatoire
ont souligné que la participation électorale accrue pourrait masquer le
désengagement civique que peuvent traduire actuellement les taux de
participation. Ainsi, Don Desserud a indiqué :
Je crains que nous passions à côté de l’essentiel.
Certes, le vote est un devoir civique et en soi, une forme d’engagement
civique, mais c’est aussi une mesure, un indice de l’engagement de la
collectivité. Autrement dit, avec le vote obligatoire, nous risquons d’oublier
ou de masquer ceux qui ne votent pas pour des raisons autres que simplement
l’absence d’incitatifs[386].
D’autres témoins ont affirmé que « le vote
obligatoire s’attaquerait probablement au symptôme plutôt qu’à la cause[387] » et qu’il n’est pas « le remède universel aux maux qui
affligent les démocraties[388] ».
Enfin, en plus de rendre le vote plus accessible,
certains ont proposé d’encourager les gens à respecter leur obligation de voter
en utilisant la « carotte » plutôt que le « bâton ». Sur ce
point, Matt Risser a déclaré : « Je dirais que vous devez
épuiser toutes les carottes avant de passer aux bâtons[389]. » Un autre témoin, Christopher Majka, était d’accord
avec M. Risser, affirmant : « Comme lui, je pense que les
carottes sont beaucoup plus intéressantes à manier que les bâtons. Je pense
qu’il y a beaucoup d’options entre nos mains pour encourager la participation
démocratique[390]. »
L’idée de tendre une « carotte » au lieu
d’utiliser un « bâton » pour encourager les électeurs à voter a été
mise de l’avant en premier par Nelson Wiseman, professeur de sciences
politiques à l’Université de Toronto :
Puis‑je dire un mot du vote obligatoire? Je
considère que le vote est davantage un droit qu’un devoir, mais je ne suis pas
contre l’idée de le rendre obligatoire. C’est que je ne pense pas qu’il soit
dans l’intérêt de la plupart des députés de procéder ainsi.
Au lieu d’une pénalité,
comme cela se fait en Australie – où, je le mentionne en passant, la
participation des électeurs n’est guère supérieure à 80 %, je crois... En
Nouvelle-Zélande, où le vote n’est pas obligatoire, la participation à
certaines élections a atteint 98 %. Plutôt que d’imposer une pénalité, à
laquelle il est possible d’échapper en présentant une excuse, il faudrait
utiliser une carotte. Le Parlement a accordé tant de crédits d’impôt à la
pièce. Donnez-leur 20 $ ou 30 $. À l’heure actuelle, chaque bulletin
de vote coûte environ 30 $[391].
Comme il a déjà été mentionné, la majorité des
répondants aux consultations en ligne du Comité appuyaient l’idée d’utiliser
des mesures incitatives pour encourager les gens à voter[392].
Au cours de son étude, certains membres du Comité
ont été impressionnés par certains des arguments formulés en faveur de la
présence obligatoire au bureau de vote. Plus particulièrement, certains membres
ont remarqué l’impact qu’aurait le vote obligatoire sur les campagnes
électorales, c’est-à-dire qu’elles ne seraient plus axées sur le fait
d’encourager les citoyens à aller voter mais plutôt centrées sur les enjeux et
les politiques. Certains membres du Comité ont également pris en considération
le fait que l’introduction du vote obligatoire pourrait rendre le vote plus
égalitaire en créant un incitatif pour les partis politiques à rejoindre ces
derniers (par exemple, par l’annonce de politiques publiques les concernant).
Toutefois, certains membres du Comité ont également
considéré l’argument à l’effet que voter est un droit qui inclût le droit de ne
pas voter et de ne pas se présenter au bureau de vote. Ce choix doit se faire
librement. De plus, le Comité reconnaît que l’introduction du vote obligatoire
n’éliminerait pas les causes fondamentales derrière l’enjeu de la baisse du
taux de participation, et pourrait même avoir pour conséquence de les masquer.
Finalement, le Comité prend note de l’inconfort suscité à l’idée d’introduire
toute mesure punitive envers ceux ayant choisi de ne pas participer au
processus électoral, particulièrement ceux ayant un handicap.
Considérant ce qui précède, le Comité ne
recommande pas le vote obligatoire pour l’instant. Le Comité est d’avis qu’une
variété de mesures, présentées au chapitre 8, pourraient être considérées pour
améliorer le taux de participation des électeurs. Plus particulièrement, le
Comité appuie les initiatives pour rendre le vote plus convivial et accessible,
incluant améliorer l’éducation et la sensibilisation à l’importance de voter
ainsi que faciliter le vote et l’ajout au Registre national des électeurs.
Recommandation 3
Le Comité recommande que le vote obligatoire ne
soit pas mis en œuvre pour l’instant.