FAAE Rapport du Comité
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SOMMAIRE
Le travail des enfants se définit comme tout travail qui nuit aux enfants sur le plan mental, physique, social ou moral et qui compromet leur capacité de recevoir une éducation. Les critères permettant de déterminer si des tâches rentrent ou non dans la dénomination de travail des enfants dépendent de l’âge de l’enfant, de la nature des travaux exécutés et des conditions dans lesquelles ils s’exercent. Le travail des enfants fait l’objet d’interdictions sous une forme ou une autre dans pratiquement tous les États du monde. La communauté internationale s’est donné pour priorité l’élimination des pires formes de travail des enfants, notamment tout travail dangereux qui est susceptible de nuire à la santé, à la sécurité ou à la moralité de l’enfant ainsi que toutes les formes d’esclavage, le travail forcé et la traite de personnes. Cependant, le travail des enfants est encore courant aujourd’hui : en 2016, un enfant sur dix vivait cette réalité. Des progrès mesurables en vue de l’éradication du problème ont été réalisés, mais ceux‑ci demeurent inégaux, et selon l’Organisation internationale du Travail (OIT), les efforts plafonnent depuis 2012. Le travail des enfants se manifeste le plus souvent dans les maillons inférieurs de la chaîne d’approvisionnement, loin du regard de l’acheteur, de l’inspecteur du travail et, ultimement, du consommateur. Les industries du vêtement et des fruits de mer sont des secteurs particulièrement à risque de recourir à la main-d’œuvre infantile. Depuis quelques années, en réponse aux exhortations de la société civile et du secteur privé, des États et des administrations gouvernementales ont recours à des lois pour encourager le secteur privé à prendre des mesures contre ce problème.
À la lumière de ces faits, le Sous‑comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes (le Sous‑comité) a mené en novembre et décembre 2017 une étude sur le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement. Le Sous‑comité a entendu des témoignages de représentants d’organismes non gouvernementaux (ONG) et du secteur privé, d’universitaires ainsi que de représentants de l’OIT et du gouvernement du Canada. Le Sous‑comité a reçu un grand nombre de mémoires, ce qui témoigne du grand intérêt que portent les Canadiens et la société civile aux mesures que prend le Canada pour lutter contre le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement.
Souvent, un enfant travaille parce que la survie de sa famille en dépend. La pauvreté, la vulnérabilité et les crises forcent les pourvoyeurs de soins (qui sont parfois eux‑mêmes des enfants) à prendre des décisions économiques difficiles. Des témoins ont indiqué au Sous‑comité qu’on peut réduire le travail des enfants en s’assurant que les pourvoyeurs de soins – plus particulièrement les femmes – ont accès à un travail décent et échappent aux situations d’exploitation telles que le travail forcé; en renforçant les protections sociales; en améliorant l’accès à une éducation de qualité; en renforçant les systèmes judiciaires et en luttant contre la corruption. Le gouvernement du Canada, plus particulièrement par l’intermédiaire d’Affaires mondiales Canada (AMC) et d’Emploi et Développement social Canada (EDSC), met en œuvre ses engagements internationaux concernant la lutte au travail des enfants au moyen de l’aide au développement et par l’inclusion d’obligations liées au travail et de l’assistance technique dans les accords de libre‑échange qu’il conclut. Le Sous‑comité recommande que le gouvernement du Canada se concentre systématiquement sur l’élimination de toutes les formes du travail des enfants, notamment en augmentant son soutien des programmes qui visent à régler les causes profondes du travail des enfants, tout particulièrement parmi les groupes et dans les régions où l’on n’observe plus de progrès. Le gouvernement du Canada devrait notamment lutter contre le travail des enfants en tirant profit des possibilités d’améliorer l’accès à une éducation de qualité pour les enfants et les adultes, et en aidant les États à accroître leur capacité de forcer les responsables du travail des enfants à répondre de leurs actes. Le Sous‑comité recommande aussi que le gouvernement du Canada prévoie la tenue de discussions concernant le travail des enfants et le travail forcé dans le cadre de ses négociations sur le libre‑échange.
Depuis quelques années, on assiste à une prolifération de lignes directrices et d’initiatives volontaires concernant la responsabilité sociale des entreprises (RSE) élaborées à l’échelle internationale, nationale et sectorielle. Le Canada a mis en place une stratégie de RSE dans le secteur extractif, dont les principes pourraient s’appliquer à d’autres industries. Malgré les progrès réalisés dans certaines industries, notamment le secteur minier canadien et l’industrie internationale du chocolat, les témoins ont fait état de défis persistants. Par exemple, les vérifications internes que mènent les sociétés ne dépassent généralement pas le premier volet de la production et n’évaluent qu’un point donné dans le temps, alors que les violations des droits de la personne comme le travail des enfants ont plutôt tendance à se manifester plus bas dans la chaîne d’approvisionnement et à se prolonger dans le temps. Par ailleurs, la situation risque de créer des conditions inégales pour les entreprises lorsque les pratiques exemplaires ne sont pas diffusées. Le Sous‑comité recommande donc que le gouvernement du Canada augmente le soutien offert aux entreprises canadiennes à l’étranger de manière à ce qu’elles puissent renforcer leur capacité à surveiller leurs chaînes d’approvisionnement afin d’y déceler des cas de travail des enfants, et de communiquer leurs pratiques exemplaires.
Au cours des dernières années, certaines administrations ont adopté des lois visant à inciter le secteur privé à éliminer le travail forcé, la traite de personnes et d’autres formes d’exploitation, comme le travail des enfants, de leurs chaînes d’approvisionnement. La Californie et le Royaume‑Uni ont respectivement adopté des lois en 2010 et en 2015 exigeant que les entreprises dont la taille dépasse un certain seuil communiquent quels efforts, le cas échéant, elles déploient pour éliminer le travail forcé, la traite de personnes et d’autres formes d’exploitation de leurs chaînes d’approvisionnement. L’Australie s’est engagée à adopter une loi similaire. Des initiatives législatives plus récentes en France (adoption en 2017) et, éventuellement, aux Pays‑Bas, vont plus loin encore et obligent les grandes entreprises à cerner les risques et à mettre sur pied des stratégies de diligence raisonnable. La loi française cible un large éventail de violations des droits de la personne, de même que les dommages causés à la santé et à l’environnement. Le projet de loi néerlandais porte expressément sur le travail des enfants. Les lois sur la transparence et la diligence raisonnable ont déjà eu des effets sur les entreprises canadiennes ayant des activités dans ces pays et États.
Puisqu’elles sont relativement nouvelles, l’efficacité des lois adoptées par les autres administrations n’est pas encore claire. Toutefois, les témoins se sont prononcés sur les forces et les faiblesses relatives de ces mesures législatives. Selon eux, les lois visant les chaînes d’approvisionnement ne devraient pas viser uniquement le travail des enfants, mais, plus généralement, le travail forcé et les violations des droits du travail. Des témoins se sont demandé si les mesures législatives devraient viser des secteurs en particulier ou bien viser toutes les entreprises, et d’autres ont abordé la question du seuil au‑delà duquel les entreprises seraient tenues de respecter des exigences en matière de rapports ou de diligence raisonnable. Des témoins ont comparé l’efficacité des lois exigeant la communication des efforts de lutte contre le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement et des lois exigeant que des mesures de lutte soient prises. Les lois sur la transparence et la diligence raisonnable accordent un rôle important à la société civile et aux consommateurs, à qui il revient de récompenser les pratiques socialement responsables. Il est donc important, selon les témoins, que les communications sur les efforts déployés soient d’une grande qualité et que les données puissent être facilement comparables.
Des représentants du gouvernement ont indiqué au Sous‑comité qu’un groupe de travail interministériel, auquel participent EDSC et AMC, étudie activement la rédaction d’une loi visant les chaînes d’approvisionnement depuis plus d’un an. Compte tenu de la répartition des compétences au Canada, les modèles en place ailleurs ne peuvent pas s’appliquer au contexte canadien sans modification préalable. EDSC considère que les lois sur la transparence des chaînes d’approvisionnement et la diligence raisonnable sont du ressort commun des gouvernements fédéral et provinciaux. La division constitutionnelle des pouvoirs au Canada a orienté les suggestions des témoins en ce qui concerne les mesures concrètes possibles, mais tous étaient d’avis que le gouvernement fédéral doit agir, faute de quoi le Canada risque de « perdre du terrain ».
Conscient des limites de la compétence fédérale, le Sous‑comité recommande que le gouvernement du Canada mette en place des mesures législatives et politiques de manière à encourager les entreprises à éliminer le recours à toutes les formes de travail des enfants dans leurs chaînes d’approvisionnement. Le gouvernement du Canada pourra tirer des enseignements des modèles choisis par des États aux vues semblables. La diversité des idées présentées par les témoins illustre la multitude de solutions possibles pour assurer la conformité dans le contexte canadien. Selon certains témoins, le fait qu’une entreprise ne respecte pas ses obligations en matière de communication devrait constituer une infraction criminelle; pour d’autres, il conviendrait d’imposer des obligations de communications aux importateurs ou aux exportateurs, aux sociétés constituées sous le régime de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, et aux industries sous réglementation fédérale. Des témoins ont proposé d’interdire l’importation de marchandises produites ou fabriquées en ayant recours au travail des enfants ou au travail forcé, une approche déjà en vigueur aux États‑Unis. D’autres ont envisagé des modifications aux politiques d’approvisionnement de manière à ce que les fournisseurs soient tenus de garantir que leurs chaînes d’approvisionnement sont exemptes de travail des enfants. Le Sous‑comité recommande au gouvernement du Canada d’examiner des moyens d’utiliser le régime d’importation et les politiques d’approvisionnement du Canada afin d’encourager les entreprises à éliminer le recours au travail des enfants dans leurs chaînes d’approvisionnement.
Il n’existe pas de solution miracle pour enrayer le travail des enfants, qui peut prendre diverses formes. Le Canada a déjà fait les premiers pas vers l’élimination du travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement. À l’échelle mondiale, cependant, on n’observe plus de progrès dans la lutte contre ce fléau. Le temps est maintenant venu d’agir de manière plus concertée, au moyen d’initiatives législatives et politiques, pour inviter les entreprises à mettre fin au travail des enfants.