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FINA Rapport du Comité

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Le Document de travail fait état d’un certain nombre de lacunes d’ordre législatif et réglementaire du Régime, des lacunes sur lesquelles les témoins ont donné leur point de vue; plus précisément, ils ont formulé des suggestions à propos des points suivants :

  • la propriété effective;
  • les personnes politiquement vunérables;
  • la profession juridique;
  • les guichets automatiques à étiquette blanche;
  • le secteur immobilier et les autres prêteurs hypothécaires;
  • la structuration des opérations afin d’éviter la déclaration des opérations;
  • les véhicules blindés;
  • les négociants en biens de grande valeur et les sociétés de ventes aux enchères; et
  • les courtiers en valeurs mobilières.

A.  Propriété effective

(i) Contexte

Contrairement au « propriétaire » – qui détient les titres juridiques d’une propriété ou d’un bien en son nom propre –, le « bénéficiaire effectif » est la personne qui jouit de certains avantages découlant de la propriété d’un bien immobilier ou d’un actif sans qu’elle figure nécessairement sur son titre juridique. Par exemple, les particuliers ou les groupes de particuliers qui ne sont pas les propriétaires en droit d’une société peuvent, directement ou indirectement, voter ou influer sur les activités de celle-ci; en conséquence, ils peuvent être considérés comme ses bénéficiaires effectifs. En général, la propriété est enregistrée, et il est aisé pour le gouvernement ou pour les autorités d’établir le propriétaire. En revanche, les informations relatives à la propriété effective sont plus difficiles à recueillir ou à obtenir.

La propriété effective est liée au Régime en ce sens que les blanchisseurs d’argent et les financeurs d’activités terroristes peuvent se servir de leur propriété effective d’une entité, par exemple une « société-écran » ou un autre type de personne morale, pour occulter leur identité[3].

Selon le règlement d’application de la Loi, un « bénéficiaire effectif » est la personne qui, dans les faits, détient ou contrôle directement ou indirectement 25 % ou plus d’une personne morale, comme une société ou une fiducie. Le bénéficiaire effectif ne peut pas être une autre personne morale ou entité; il doit s’agir d’une personne physique.

Au Royaume-Uni, les entreprises et les sociétés à responsabilité limitée qui exercent des activités sur le territoire sont tenues de fournir à la Companies House, un organisme de direction relevant du Department for Business, Energy & Industrial Strategy, certains renseignements sur les personnes susceptibles d’influencer ou de contrôler une société, que l’on appelle les « personnes qui exercent un contrôle important », ou encore les « bénéficiaires effectifs ». Ces personnes possèdent au moins 25 % de la participation totale ou des titres comportant droit de vote dans une société. Ce registre contient le nom, l’adresse, la date de naissance et la nationalité des personnes en cause. Les informations doivent être confirmées par la société et – hormis l’adresse domiciliaire et la date de naissance complète – sont mises à la disposition du public[4]. Les sociétés peuvent demander à être exemptées de l’obligation de rendre publique la liste des personnes qui, chez elles, exercent un contrôle important, mais uniquement pour certaines raisons (par exemple pour empêcher qu’elles ne deviennent la cible d’activistes). Les organismes d’application de la loi conservent toutefois leur droit d’accès à ces informations.

Aux États-Unis, les bénéficiaires effectifs [disponible en anglais seulement] sont également définis à partir du seuil d’actions détenues de 25 %, et les institutions financières désignées doivent, au minimum, appliquer les mêmes exigences liées à la vérification de l'identité des clients aux bénéficiaires d’actions des sociétés clientes qu'à leurs autres clients non constitués en société[5]. Le Financial Crimes Enforcement Network (FinCEN), l'agence de renseignement financier des États-Unis, a décidé en fin de compte d’un seuil de 25 % de détection d’actions par les bénéficiaires effectifs, mais il a indiqué dans une clarification [disponible en anglais seulement] que certains intervenants plaidaient en faveur d'une participation minimale de 10 % des propriétaires bénéficiaires, et qu'il pourrait être approprié d’établir le seuil à ce pourcentage.

Le 19 avril 2018, le Parlement européen a adopté la proposition de la Commission européenne de publier une cinquième directive de lutte contre le blanchiment (AMLD5) visant à prévenir le financement du terrorisme et le blanchiment d’argent par l’entremise des systèmes financiers de l'Union européenne. L’AMLD5 propose de ramener à 10 % le seuil de détention d'actions pour la propriété effective par les entreprises qui présentent un véritable risque de servir au blanchiment d’argent et à la fraude fiscale.

Une « fiducie » est un instrument juridique par lequel une personne transfère son droit de propriété sur ses biens à un fiduciaire, qui les conserve au profit de toute personne nommée par le cédant. La personne qui cède ses biens à un fiduciaire n’est plus le propriétaire des biens en question, et toute personne nommée à titre de bénéficiaire de ces biens en vertu de la fiducie en devient le bénéficiaire effectif.

Du côté de l’Union européenne, la Commission européenne a adopté en mai 2015 la quatrième directive anti‑blanchiment et financement du terrorisme (la quatrième directive), selon laquelle tous les États membres sont tenus de créer des registres de bénéficiaires effectifs, et ce, pour l’ensemble des personnes morales et entités, y compris les fiducies. Selon la quatrième directive, les entreprises, entités juridiques et autres – comme les fiduciaires de fiducies expresses – doivent recueillir des informations pertinentes, exactes et à jour sur les bénéficiaires effectifs et transmettre ces informations à leur gouvernement. En outre, chaque État membre crée un registre central où il conserve les informations sur les bénéficiaires effectifs et qu’il tient à la disposition – minimalement – des autorités compétentes, des cellules de renseignement financier et de certaines entités précisées, aux fins de l’application de mesures de vigilance à l’égard de la clientèle, ainsi qu’à d’autres personnes pouvant justifier d’un « intérêt légitime » à l’égard desdites informations. Par ailleurs, la quatrième directive impose aux « entités assujetties » (dans le présent cas, les banques et autres établissements financiers et établissements de crédit) l’obligation de s’inscrire et d’appliquer des mesures de vigilance à l’égard de la clientèle.

En plus de gérer le registre des bénéficiaires effectifs des sociétés sur son territoire, le gouvernement du Royaume-Uni a récemment annoncé [disponible en anglais seulement] que la Companies House administrerait également, à compter de 2021, un registre public des bénéficiaires effectifs des sociétés étrangères qui possèdent des actifs au Royaume‑Uni. Le 23 juillet 2018, il a publié un projet de loi [disponible en anglais seulement] visant l’établissement d’un tel registre, et un document donnant [disponible en anglais seulement] une vue d’ensemble de celui-ci et en établissant le fonctionnement, ainsi qu’une étude des répercussions [disponible en anglais seulement] du projet de loi. En résumé, ce dernier propose l’établissement d’un registre public des propriétaires bénéficiaires de toute personne morale ou société de personnes ou des autres entités régies par les lois de tout territoire de l’extérieur du Royaume-Uni qui détient ou souhaite détenir des biens dans ce pays. Ces entités seront tenues de prendre des mesures raisonnables pour déterminer quels sont leurs bénéficiaires et les répertorier, et, si les renseignements ne sont pas vérifiables, elles devront fournir des renseignements sur leurs membres de la haute direction. L’omission de se conformer au registre pourrait entraîner des amendes, des peines d'emprisonnement ou l’impossibilité d'acheter, de vendre ou de louer des biens au Royaume‑Uni.

En ce qui concerne les contrats de fiducie (fiducies)[6], le Royaume-Uni exige de toute fiducie qui paie ou qui doit des impôts de s’enregistrer auprès du HM Revenue and Customs (HMRC). Le registre contient le nom, l’adresse, la date de naissance et le numéro d’assurance sociale ou de passeport de tous les bénéficiaires de la fiducie. Le registre n’est pas accessible au public; cependant, certaines autorités et le HMRC y ont accès[7].

Le Canada, pour sa part, collige certaines informations sur les entreprises (notamment le nom et l’adresse des directeurs), qu’il rend accessibles au public lorsqu’une entreprise se constitue en société par actions. Au Canada, une entreprise peut choisir de se constituer sous le régime fédéral, en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, ou sous le régime de la province où elle exerce ses activités, par exemple en vertu de la Loi sur les sociétés par actions de l’Ontario. Les informations sont conservées par l’autorité sous le régime de laquelle la constitution a été effectuée. Corporations Canada tient le registre des entreprises constituées en vertu des lois fédérales. Aux États-Unis, les entreprises peuvent également décider de se constituer en société à l’échelle fédérale ou étatique et ne sont pas obligées de divulguer de l’information sur leurs bénéficiaires effectifs au cours du processus. Tant le Canada que les États-Unis n’exploitent donc actuellement pas de registres des bénéficiaires effectifs.

Tels qu’ils l’ont annoncé le 11 décembre 2017, les ministres des Finances fédéral et provinciaux ont convenu de modifier les lois sur les sociétés fédérales, provinciales et territoriales afin que les sociétés par actions conservent des informations exactes et à jour sur les bénéficiaires effectifs. Ces informations seront mises à la disposition notamment des autorités et des administrations fiscales. L’entente a pour objectif de permettre l’entrée en vigueur des modifications d’ici le 1er juillet 2019.

(ii) Témoignages

Au sujet de la création d’un registre public et centralisé de l’information sur les bénéficiaires effectifs des sociétés, Mora Johnson et Vanessa Iafolla, qui ont comparu à titre personnel, ainsi que la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, Canadiens pour une fiscalité équitable et Transparency International Canada ont recommandé que le Canada mette sur pied un tel registre. En outre, divers témoins ont parlé de la nécessité d’élargir le mandat d’un registre du genre afin de diversifier la nature des informations colligées, notamment sur les autres constitutions et entités juridiques comme les fiducies et les propriétés immobilières. Parmi les témoins favorables à un registre élargi, notons la Foundation for Defence of Democracies, Christian Leuprecht, Marc Tassé et Kevin Comeau, qui ont comparu à titre personnel. Transparency International Canada et Kevin Comeau ont par ailleurs fait observer que le registre doit être assorti des pouvoirs nécessaires à l’application de sanctions proportionnées et dissuasives en cas d’informations mensongères. Pour sa part, Mora Johnson a expliqué que, en raison de la complexité de la structure de propriété de certaines entreprises, il peut s’avérer nécessaire de recourir à un registre plus perfectionné, capable d’assurer un suivi des informations transmises afin d’atteindre l’objectif voulu.

Les témoins ne s’entendaient pas sur le caractère public d’un registre des bénéficiaires effectifs et sur l’accessibilité des renseignements personnels qu’il contiendrait. Milos Barutciski, qui a comparu à titre personnel, s’est montré favorable à la création d’un registre dont l’accès serait réservé au gouvernement et aux autorités, et le commissaire à la protection de la vie privée du Canada a laissé entendre que les informations rendues publiques dans un tel registre doivent se limiter à ce qui permettrait d’atteindre un but précis, par exemple autoriser une autre partie contractuelle à savoir avec qui elle faire affaire. L’Association canadienne du commerce des valeurs mobilières, quant à elle, était d’avis qu’il est nécessaire de se doter d’un registre central, mais que la nature publique ou privée d’un tel registre dépend des objectifs des politiques publiques. L’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes était d’avis que, en raison de la nature délicate des informations contenues dans un tel registre, il n’est pas nécessairement approprié de les mettre à la disposition du grand public. L’Association a néanmoins admis que le fait d’en permettre l’accès limité aux entités déclarantes autorisées atténuerait en partie le fardeau réglementaire imposé à leur industrie. En outre, l’Association du Barreau canadien a expliqué que les lois qui obligent un avocat à recueillir des informations pour le compte du gouvernement nuisent à la protection du secret professionnel et compromettent l’indépendance de l’Association. Toutefois, des témoins ont informé les membres du Comité au cours de leurs déplacements que les avocats d'autres pays, comme le Royaume-Uni, ont des obligations de déclaration en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme lorsqu’ils effectuent un travail non judiciaire. De plus, l’Association canadienne de l’immeuble a soutenu que la collecte d’information sur la propriété effective ne devrait pas s’appliquer aux courtiers et aux représentants immobiliers.

Les témoins issus de la fonction publique ont eux aussi abordé la question de la propriété effective. À ce chapitre, le CANAFE a fait observer que, pour le Groupe d’action financière (GAFI) sur le blanchiment d’argent, la propriété effective constitue l’une des deux grandes lacunes du système canadien[8]. Le ministère des Finances a indiqué qu’il donnait suite à l’élaboration d’un registre des bénéficiaires effectifs, tandis que le ministère de l’Industrie, quant à lui, a souligné que ce champ relève autant du fédéral que des provinces et que toutes les parties devront grandement se concerter. Le gouvernement de la Colombie-Britannique, pour sa part, a expliqué qu’un registre centralisé est l’une des avenues possibles, mais qu’il serait aussi envisageable que le gouvernement fédéral fixe les pratiques exemplaires sur la communication de la propriété effective et délègue aux provinces et aux territoires la mise sur pied et la gestion de leur propre registre. Enfin, l’Agence du revenu du Canada a indiqué que l’absence de registre public des bénéficiaires effectifs nuit à ses enquêtes.

Dans le cadre de ses déplacements, le Comité a appris que le registre des bénéficiaires effectifs mis en place au Royaume-Uni est le fruit de nombreuses années d’efforts de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes qui ont dicté les normes pour le reste de l’Europe. De plus, le Comité a appris que le registre ne vise pas les fiducies exemptes d’incidence fiscale, car il a été jugé que ces fiducies sont de nature personnelle; tous les fiduciaires sont néanmoins tenus de tenir à jour leurs dossiers sur les bénéficiaires effectifs et de les remettre aux autorités sur demande.

Le Comité a également appris que le registre en place au Royaume-Uni dépend en grande partie de l’examen public pour vérifier l’exactitude de l’information que fournit chaque société, bien que la Companies House soit en mesure, grâce à la juricomptabilité, d’étudier les allégations d’information inexacte. De surcroît, les personnes chargées au sein d’une société de saisir et de tenir à jour les informations consignées dans le registre doivent prendre des mesures raisonnables pour identifier les bénéficiaires effectifs de leur société. À défaut de fournir des informations exactes en temps voulu, ces personnes peuvent être tenues personnellement responsables et sont passibles d’une peine d’emprisonnement allant jusqu’à deux ans.

Selon les témoins, l’Union européenne envisage de modifier la définition des personnes qui exercent un contrôle important en faisant passer de 25 % à 10 % le pourcentage de la participation ou des titres à droit de vote qui permet de dire d’une personne qu’elle exerce un contrôle important au sein d’une société.

B.  Personnes politiquement vunérables

(i) Contexte

L’article 9.3 de la LRPCFAT prévoit que toutes les entités déclarantes (énumérées à l’article 5 de la Loi) déterminent si elles font affaire avec une « personne politiquement exposée », un membre de la famille d’une personne politiquement exposée visée par le Règlement ou une personne dont la personne ou l’entité sait ou devrait normalement savoir qu’elle est étroitement associée – pour des raisons personnelles ou d’affaires – à une personne politiquement exposée. Comme le définit le paragraphe 9.3(3) de la Loi, les personnes politiquement vunérables peuvent être des personnes, nationales ou étrangères, qui occupent certains rangs militaires ou certains postes au sein du gouvernement, ainsi que des dirigeants d’une organisation internationale.

De plus, le paragraphe 9.6(2) de la Loi et l’alinéa 71(1)c) du Règlement sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes forcent toutes les entités déclarantes à évaluer le niveau de risque de blanchiment d’argent et de financement d’activités terroristes associé à chaque client et les relations d’affaires de celui-ci. Si, à la suite de l’évaluation du risque, l’entité déclarante détermine que les risques sont élevés, elle est tenue de prendre les mesures spéciales ou accrues de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes prévues au paragraphe 9.6(3) de la Loi et à l’article 71.1 du Règlement.

Le Royaume-Uni et les États-Unis définissent la notion de « personne politiquement exposée » de manière quasi identique, comme on le constate à la lecture du paragraphe 14(5) du Money Laundering Regulations 2007 et du Department of the Treasury Regulations, respectivement.

(ii) Témoignages

Dans son Examen du Régime canadien de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, le ministère des Finances indique que les exigences prévues dans la Loi et son règlement d’application à l’égard des entités déclarantes (à savoir déterminer si leurs clients sont des personnes politiquement vunérables) ne s’appliquent pas aux bénéficiaires effectifs de sociétés clientes ou d’autres entités juridiques telles que les fiducies. À ce propos, Mora Johnson a fait observer que les personnes politiquement vunérables utilisent souvent un associé ou un agent, afin que ceux-ci mènent des activités pour leur compte, n’étant pas elles-mêmes identifiées comme des personnes politiquement vunérables. Elle a ajouté que cette réalité appelle à la création d’une base de données, ou plus, qui permettrait de cerner certaines tendances et de découvrir des liens entre certaines personnes; à titre d’exemple, elle a mentionné la base de données World‑Check, dont les banques se servent. Toutefois, l’accès aux bases de données de ce genre coûte cher et ne sera pas nécessairement à la portée des entités déclarantes de moindre envergure.

L’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes aimerait que la définition d’une personne politiquement vunérable soit précisée, sur le plan tant national qu’étranger, mais s’est dite défavorable pour le moment à ce que la définition soit élargie afin d’y inclure les chefs des Premières Nations. Elle était aussi d’avis que l’obligation de déterminer si un bénéficiaire effectif est une personne politiquement vunérable devrait être envisagée seulement après la mise en place d’une méthode fiable d’identification, comme un registre. Pour sa part, l’Association canadienne de l’immeuble était d’avis que l’instauration de nouvelles exigences concernant la propriété effective et les personnes politiquement vunérables causerait de grandes frustrations et ferait augmenter les coûts liés à la conformité dans leur secteur.

Dans le cadre de ses déplacements, le Comité a appris que l’identification des personnes politiquement vunérables manque singulièrement d’uniformité d’une juridiction à l’autre. Jusqu’à présent, les entités déclarantes ont eu le champ libre pour décider dans quelle mesure elles appliqueraient la procédure de diligence raisonnable pour identifier les personnes politiquement vunérables; bon nombre d’entre elles y ont peu ou pas du tout recours. Par exemple, des témoins ont fait observer que certaines entités déclarantes se contentent de demander à leurs clients de s’auto-identifier en cochant une case dans leur demande de services, sans définir ce qu’elles entendent par « personne politiquement vunérable », tandis que d’autres ont cessé d’accepter de prendre à leur compte les personnes politiquement vunérables, car elles ont du mal à cerner le niveau de risque qu’elles représentent. Par ailleurs, certains témoins ont soutenu que la définition dans la loi canadienne est beaucoup trop vague, au point où chacun serait une personne politiquement vunérable si l’on interprétait la définition de manière plus technique.

Des témoins ont expliqué que les grandes institutions financières possèdent des services de veille médiatique ou s’abonnent à de tels services pour recenser – grâce aux reportages dans les médias – les personnes qui, parmi leur clientèle, participent à des activités à risque élevé ou, encore, qui sont politiquement vunérables. Les entités déclarantes de moindre envergure, en revanche, n’ont pas la capacité requise pour exploiter de tels services ou y souscrire. Les témoins ont fait valoir qu’un registre centralisé des personnes politiquement vunérables permettrait de remédier à ces lacunes du Régime.

C.  Profession juridique

(i) Contexte

Les avocats qui exercent au Canada et les notaires en exercice au Québec (les juristes) sont autoréglementés par les barreaux de leur province ou de leur territoire, qui sont au nombre de 14. Avant 2015, les juristes figuraient parmi les entités qui, comme le prévoit la LRPCFAT, doivent tenir des dossiers détaillés sur l’activité financière de leurs clients; les organismes d’application de la loi pouvaient consulter ces informations sans obtenir un mandat au préalable. La Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada a fait valoir que ces dispositions de la Loi étaient inconstitutionnelles et, le 13 février 2015, la Cour suprême du Canada a statué que ces dispositions allaient à l’encontre du secret professionnel[9]. Par suite de l’arrêt de la Cour, les dispositions de la Loi ne s’appliquent plus aux juristes. Les barreaux des provinces et des territoires peuvent néanmoins exiger des avocats sous leur autorité de procéder à des vérifications et de tenir un registre des opérations financières de leurs clients.

Le secret professionnel de l'avocat décrit la confidentialité protégée par la loi qui existe pour les communications entre le client et son avocat, laquelle découle de l'argument selon lequel une personne doit pouvoir parler franchement à son avocat pour que celui‑ci soit en mesure de la représenter pleinement, ce qui facilite le bon fonctionnement du système juridique. La Cour suprême du Canada a décrit les origines du secret professionnel de l'avocat au Canada dans R. c. McClure [2001], expliquant que ce type de privilège résulte d’une règle de preuve et est devenu un droit fondamental en vertu de la common law[10]. Dans l'affaire, elle indique que, même s'il existe certaines exceptions à l’égard du secret professionnel de l’avocat (que ce privilège ne s'applique pas aux clients qui n’ont pas l’intention d’obtenir l’avis d’un conseiller juridique), celui-ci doit être aussi absolu que possible pour fonctionner correctement.

Aux États-Unis, le secret professionnel de l'avocat fonctionne de la même façon qu’au Canada, et les professionnels du droit sont exemptés de l'obligation de déclaration dans les deux régimes juridiques. Toutefois, les professionnels de la justice du Royaume-Uni sont assujettis aux mêmes obligations de déclarations que les autres entités déclarantes dans le cadre de tout travail non judiciaire effectué. En général, le Royaume-Uni évalue la prépondérance des intérêts du client différemment qu'au Canada et aux États-Unis. Au Royaume-Uni, on accorde plus d'importance aux obligations des avocats à l'égard des tribunaux, et il existe des différences sociétales entre nos juridictions en ce qui concerne l'interprétation de l'action dans " l'intérêt de la justice " et du rôle que les membres de la profession juridique sont appelés à jouer dans la société[11].

Aux États-Unis et au Royaume-Uni, la profession juridique est elle aussi autoréglementée; toutefois, l’Office for Professional Body Anti-Money Laundering Supervision (OPBAS) du Royaume-Uni établit de quelle façon certains professionnels – par exemple les avocats et les comptables – devraient s’acquitter de leurs obligations professionnelles au chapitre des initiatives en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes. L’OPBAS est financé par les droits imposés aux corps professionnels et relève de la U.K. Financial Conduct Authority, l’organe de réglementation prudentielle et de conduite professionnelle du Royaume-Uni. Il a pour objectifs d’améliorer l’uniformité de la supervision des corps professionnels appartenant aux secteurs de la comptabilité et du droit au chapitre de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes; toutefois, il ne supervise pas directement les cabinets d’avocats et de professionnels comptables.

Le Trésor du Royaume-Uni contrôle les entités qui sont désignées comme des organismes d'autoréglementation aux fins de la conformité avec les règlements du Royaume‑Uni en matière de lutte contre le blanchiment d'argent [disponible en anglais seulement]. L'OPBAS relève de la Financial Conduct Authority et a le pouvoir de recueillir de l’information, d’effectuer des examens et d'émettre des directives aux organismes autoréglementés. Si un tel organisme ne se conforme pas aux obligations énoncées dans les règlements en matière de lutte contre le blanchiment d'argent du Royaume-Uni ou fait une déclaration fausse ou trompeuse à l'OPBAS, la Financial Conduct Authority peut alors le censurer ou recommander le retrait de son titre d'organisme autoréglementé.

(ii) Témoignages

L’exclusion des avocats et des notaires de la LRPCFAT représente pour la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et le ministère des Finances la lacune la plus importante du Régime. Selon les explications du gouvernement de la Colombie-Britannique, l’absence des avocats a aussi pour effet de nuire aux enquêtes policières sur la circulation des fonds par le truchement du secteur immobilier et des autres secteurs financiers. Pour remédier à cette lacune, Transparency International Canada et Marc Tassé ont recommandé que la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, de concert avec le gouvernement fédéral, intègre les juristes dans le Régime d’une manière conforme à la Constitution. Ils ont aussi avancé que la Loi devrait désigner comme étant à haut risque toutes les opérations financières qu’effectuent les juristes – en particulier ceux qui utilisent des comptes en fiducie –, et qu’elle oblige les entités déclarantes à faire preuve d’un surcroît de vigilance quant à ces opérations, par exemple en établissant l’identité du bénéficiaire effectif et la source des fonds. Transparency International Canada a indiqué que la Solicitors Regulation Authority [disponible en anglais seulement], qui régit les avocats en Angleterre et au pays de Galles, est un modèle que pourraient étudier la Fédération des ordres professionnels de juristes au Canada et le gouvernement. En outre, le gouvernement de la Colombie‑Britannique a recommandé qu’une loi soit créée pour exiger la déclaration des fonds détenus dans des comptes en fiducie d’avocats. Mora Johnson, pour sa part, a proposé que les agents et les fiduciaires – y compris les actionnaires et les administrateurs désignés – soient tenus de déclarer à certains fonctionnaires leur statut à titre de représentants et l’identité des parties qu’ils représentent. Tous les témoins, toutefois, ne partageaient pas ces points de vue.

L’Association du Barreau canadien a souligné que l’indépendance du barreau vis-à-vis du gouvernement et le respect du secret professionnel sont au cœur du système de justice du Canada. C’est pourquoi l’Association et la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada ont recommandé que les barreaux du Canada continuent à autoréglementer leur industrie au chapitre des exigences réglementaires en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes. La Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada a fait valoir que ses règlements qui, entre autres, limitent la capacité d’un conseiller juridique d’accepter de l’argent comptant (le « règlement sur les transactions en espèces ») et imposent des obligations de vérification de l’identité des clients (le « règlement sur l’identification des clients ») témoignent de l’engagement des ordres professionnels de juristes à une réglementation proactive dans ce domaine. Selon ses estimations, la conjugaison de règles de déontologie, de règles sur la comptabilité financière, du règlement sur les transactions en espèces et du règlement sur l’identification des clients permet de gérer efficacement les risques d’activités de blanchiment d’argent ou de financement d’activités terroristes impliquant des membres de la profession juridique. La Fédération des ordres professionnels de juristes a aussi attiré l'attention des membres du Comité sur le fait qu’elle effectuait actuellement un examen exhaustif des règles relatives à la lutte contre le blanchiment d’argent et les produits de la criminalité ainsi que des mesures connexes de conformité et d'application de la loi qu'utilisent les barreaux, et qu'elle mettrait en oeuvre les modifications à ces règles d'ici la fin de 2018. Le 19 octobre 2018, la Fédération a approuvé les règles modifiées.

Selon la GRC, étant donné que les avocats jouent un grand rôle dans les transactions immobilières et d’affaires, il importe de les inclure dans le Régime. Elle a d’ailleurs réalisé un audit, de juillet 2013 à juin 2017, de 51 affaires ayant trait à des crimes financiers; à la lumière de l’audit, elle a constaté que plus de 75 % des avocats en cause étaient soit des suspects directs soit une personne ayant soulevé des doutes au cours de l’enquête.

Dans le cadre de ses déplacements, le Comité a appris de certains témoins qu’il est fréquent que des avocats omettent de vérifier si leurs clients sont inscrits sur les listes de personnes politiquement vunérables ou les listes de sanctions, faisant observer que rien ne les y oblige. Dans le même ordre d’idées, ces témoins ont précisé que les avocats ne sont pas tenus de se renseigner sur la source de financement de leurs clients et qu’ils croient que leur code de déontologie les oblige à s’intéresser aux questions de blanchiment d’argent et de financement des activités terroristes uniquement dans les cas d’opérations manifestement douteuses.

En ce qui concerne les déclarations au CANAFE, ces témoins ont expliqué que les transferts de 10 000 $ ou plus depuis le compte en fiducie d’un avocat sont déclarés par la banque qui fournit le compte en question. Toutefois, on ignore la mesure dans laquelle les banques déposeraient des rapports d’opérations suspectes sur ces transferts.

D.  Guichets automatiques à étiquette blanche

(i) Contexte

Les guichets automatiques « à étiquette blanche » ou « anonymes » sont, la plupart du temps, détenus et exploités par l’entreprise privée et non par une institution financière. Ces guichets automatiques ont accès au réseau de paiement Interac, ce qui permet le partage de services financiers électroniques et l’accès aux comptes de banque par voie électronique.

En 2015, le ministère des Finances a publié un rapport découlant de l’Évaluation des risques inhérents au recyclage des produits de la criminalité et au financement des activités terroristes au Canada, dans lequel il explique la démarche du Canada en vue « de mieux cerner, de mieux évaluer et de mieux comprendre les risques inhérents au recyclage des produits de la criminalité et au financement des activités terroristes au Canada, et ce, de façon continue ». Selon le rapport, l’industrie des guichets automatiques à étiquette blanche est extrêmement vulnérable au blanchiment d’argent et au financement d’activités terroristes; pourtant, les acteurs de l’industrie ne sont pas assujettis à la LRPCFAT.

(ii) Témoignages

D’après l’ATM Industry Association, l’industrie du guichet automatique est régie par plusieurs règlements fédéraux et provinciaux et assujettie à la supervision du CANAFE par le truchement de ses liens avec les institutions financières. Dans sa déclaration préliminaire, l’Association a expliqué au Comité que, depuis 2009, les guichets automatiques à étiquette blanche sont visés par des règlements précis adoptés pour lutter contre le recyclage de produits de la criminalité, ce qui oblige leurs propriétaires à fournir des renseignements sur eux-mêmes, sur l’origine de l’argent utilisé pour remplir les guichets automatiques et sur l’emplacement des guichets, ainsi que des détails sur le compte bancaire canadien dans lequel le guichet automatique dépose les fonds destinés à être retirés. En outre, l’ATM Industry Assotiation a indiqué que les propriétaires d’entreprise qui possèdent de multiples guichets automatiques ou qui y enregistrent des volumes élevés d’opérations doivent fournir des attestations de vérification des antécédents criminels. De plus, les règlements exigent la tenue d’audits annuels. Elle a également indiqué que le Québec est la seule province au pays à s’être dotée d’une loi sur les d’entreprises de services monétaires qui tient compte des guichets automatiques, y compris les guichets automatiques à étiquette blanche, ajoutant qu’elle préférerait que cette loi soit abrogée ou que les guichets automatiques en soient retirés.

En revanche, selon le CANAFE, les guichets automatiques sont un moyen de blanchir de l’argent; le Centre a concédé toutefois qu’il est difficile de connaître la gravité du problème, car cette variable ne fait l’objet d’aucune mesure étant donné que ce secteur ne fait pas partie des entités déclarantes.

E.  Secteur immobilier et autres prêteurs hypothécaires

(i) Contexte

Certaines entreprises et certains acteurs du secteur immobilier sont visés par la LRPCFAT, par exemple les courtiers, les représentants et les promoteurs. Toutefois, d’autres entreprises et acteurs, tels que les assureurs hypothécaires, les entreprises d’enregistrement foncier et d’assurance de titres ne le sont pas. Dans son rapport intitulé Évaluation des risques inhérents au recyclage des produits de la criminalité et au financement des activités terroristes au Canada, le ministère des Finances fait observer que cette industrie présente une cote élevée de risque de blanchiment d’argent et de financement des activités terroristes.

Au Canada, le secteur hypothécaire s’étend au-delà des banques et comprend une pléthore d’entreprises qui ne sont pas du ressort du gouvernement fédéral (par exemple les sociétés de financement par capitaux propres, les sociétés de financement hypothécaire, les sociétés de placement immobilier, les sociétés de placement hypothécaire, les fonds communs de placement, les sociétés de placement hypothécaire consortial ou les particuliers qui agissent à titre de prêteurs privés). Tant l’Évaluation des risques inhérents au recyclage des produits de la criminalité et au financement des activités terroristes au Canada que le plus récent rapport d’évaluation mutuelle [disponible en anglais seulement] du GAFI ciblent les stratagèmes complexes d’emprunts et de prêts hypothécaires, tels que la fraude hypothécaire, comme étant des domaines à risque de blanchiment d’argent.

(ii) Témoignages

Le gouvernement de la Colombie-Britannique a donné un exemple de cas de blanchiment d’argent par le truchement de l’immobilier, un dossier où il a été en mesure d’associer un joueur compulsif, qui avait obtenu 645 000 $ en petites coupures par un point de chute situé à l’extérieur d’un casino et la propriété d’une résidence de 14 millions de dollars à Vancouver. Par ailleurs, le gouvernement a affirmé que les prêts d’une entreprise de services monétaires non enregistrée avaient servi à financer des développements immobiliers et à verser des paiements hypothécaires; il a indiqué son désir de donner suite à la question de la criminalité dans le secteur immobilier maintenant que l’examen sur le blanchiment d’argent dans les casinos touche à sa fin. Il a ajouté que le secteur immobilier est particulièrement préoccupant, car, selon les estimations, le tiers du PIB de la province en dépend. Il a recommandé que les opérations immobilières soient soumises aux exigences de déclarations énoncées dans la LRPCFAT.

Transparency International Canada a exprimé un avis similaire à celui du gouvernement de la Colombie‑Britannique. Par ailleurs, il a recommandé que la Loi soit modifiée afin d’exiger des courtiers, des représentants, des promoteurs et des prêteurs qu’ils identifient les bénéficiaires effectifs avant de procéder à une opération. Il a aussi indiqué que la Loi ne tient pas compte des achats d’édifices commerciaux ou résidentiels existants et suggéré que les promoteurs de ces édifices soient inclus dans le Régime afin de minimiser les risques que l’immobilier serve au blanchiment d’argent et au financement des activités terroristes. Enfin, il a demandé la mise sur pied d’un registre des bénéficiaires effectifs de terrains.

Dans l’exposé qu’elle a livré au Comité, l’Association canadienne de l’immeuble s’est dite favorable à l’élargissement des types d’entités tenues de faire une déclaration au CANAFE afin d’équilibrer la situation dans le secteur immobilier. De plus, l’Association a souligné que le gouvernement devrait se concentrer sur l’élimination des échappatoires qui existent dans le secteur immobilier et indiqué que les ventes entre particuliers ouvrent la voie aux vulnérabilités que peuvent exploiter les blanchisseurs d’argent. Selon l’Association, les entreprises qui facilitent ce type de transactions devraient elles aussi être soumises aux mêmes obligations de déclaration et de tenue de registre. Elle a par ailleurs reconnu qu’il sera essentiel de consentir des efforts en matière d’éducation et de sensibilisation à l’endroit des agents et des courtiers immobiliers, nouveaux et anciens, pour s’assurer qu’ils comprennent les exigences auxquelles ils doivent satisfaire. Elle a également suggéré que le CANAFE améliore sa stratégie de rayonnement en vue d’établir des partenariats durables avec les entités déclarantes et d’optimiser la conformité. Enfin, elle a recommandé que le CANAFE clarifie les directives en vigueur de manière que les courtiers et les agents les comprennent bien, et qu’il interprète ses politiques d’une façon mieux adaptée à l’industrie.

Dans le cadre de ses déplacements, le Comité a entendu des témoignages selon lesquels le secteur de l’immobilier comprend mal les obligations auxquelles le Régime les soumet. Plus particulièrement, les acteurs du secteur ne saisissent pas la complexité de l’interaction entre les structures de propriété des sociétés et la règle de la « notoriété du client », et ils ne vérifient pas si leurs clients figurent sur les listes de sanctions et les listes des personnes politiquement vunérables.

F.   Structuration des opérations afin d’éviter la déclaration des opérations

(i) Contexte

Selon la Loi, les entreprises peuvent se structurer ou structurer la conduite de leurs affaires de sorte à se soustraire aux exigences de déclaration énoncées dans le Régime. Ailleurs, notamment aux États‑Unis, qui ont adopté le Code 31 USC 5324, il est interdit de structurer ses opérations financières de la sorte.

(ii) Témoignages

De l’avis de la Foundation for Defense of Democracies, la structuration des opérations par une entité ou un particulier de sorte à contourner les exigences de déclaration du Régime devrait constituer une infraction criminelle, un peu comme le prévoit le titre 31 de l’article 5324 du code américain. Cette mesure devrait viser tant les institutions financières que leur clients.

G.  Véhicules blindés

(i) Contexte

Au Canada, le secteur des véhicules blindés n’est pas visé par le Régime, contrairement à d’autres pays (dont les États-Unis). Les véhicules blindés recueillent des fonds de divers clients et les déposent dans des comptes contrôlés par le service de voitures blindées. Ces fonds sont ensuite transférés électroniquement dans les comptes des clients du service, ce qui peut en masquer la provenance.

(ii) Témoignages

La Foundation for Defense of Democracies a fait valoir que les services de véhicules blindés qui exercent des activités au Canada devraient être assujettis au Régime, précisant que ces véhicules sont l’un des nombreux moyens dont se sont servi les cartels de la drogue pour faire entrer des fonds aux États‑Unis depuis le Mexique.

H.  Négociants en biens de grande valeur et les sociétés de ventes aux enchères

(i) Contexte

Au Canada, les négociants en métaux précieux et en pierres précieuses sont visés par le Régime, tandis que les autres négociants en biens de grande valeur ou en articles de luxe ne le sont pas. Dans son plus récent rapport d’évaluation mutuelle [disponible en anglais seulement], le GAFI a identifié d’autres segments (tels que les automobiles de luxe, les œuvres d’art et les antiquités) comme étant des secteurs à risque élevé de blanchiment d’argent et de financement d’activités terroristes. En outre, les sociétés de ventes aux enchères qui vendent des métaux précieux et des pierres précieuses ne sont pas assujetties aux exigences de déclaration du Régime.

(ii) Témoignages

Pour le gouvernement de la Colombie-Britannique, le secteur de l’automobile représente un risque élevé parce que, d’une part, Vancouver est la ville qui compte le plus de « super voitures » en Amérique du Nord et que, d’autre part, les concessionnaires automobiles de la grande région métropolitaine de Vancouver figurent parmi les plus importants concessionnaires d’automobiles de luxe neuves et d’occasion au Canada, selon le volume des ventes. Le gouvernement est aussi d’avis que le mode de vie criminel gravite souvent vers les biens de consommation coûteux, comme les voitures de luxe et les bateaux de plaisance qui, du reste, sont d’excellents moyens de réintroduire les produits de la criminalité dans l’économie. Sachant cela, il a recommandé que les entreprises qui vendent des articles de luxe soient assujetties aux exigences de déclaration prévues dans la LRPCFAT et qu’elles déclarent les opérations en espèces au CANAFE. La Corporation des associations de détaillants d’automobiles a toutefois fait observer que, en 2017, seuls 8 % des ventes de véhicules neufs ont été conclues sans avoir recours à une entente formelle de location ou d’emprunt. En conséquence, les ventes conclues à l’aide de telles ententes, soit 92 % d’entre elles, seraient déjà signalées par le biais des déclarations des institutions financières. De plus, moins de 1 % des 8 % des ventes conclues sans entente formelle de location ou d’emprunt ont été réglées en espèces.

L’Association canadienne des bijoutiers a soutenu que tous les négociants en produits de luxe – voitures, bateaux et œuvres d’art, par exemple – devraient être tenus de déclarer au CANAFE les opérations impliquant de fortes sommes d’argent. Les maisons de ventes aux enchères qui seraient visées par la réglementation et les négociants en métaux précieux et en pierres précieuses qui entrent dans la catégorie des secteurs à faible risque devraient pouvoir se conformer à un régime simplifié ou être entièrement exemptés du Régime s’ils ne font pas d’opérations en espèces d’une valeur supérieure au seuil de déclaration. Par ailleurs, l’Association a souligné que les maisons de ventes aux enchères ne sont pas assujetties à une règle de la « notoriété du client ».

I.   Courtiers en valeurs mobilières

(i) Contexte

Les valeurs mobilières (ou « titres ») sont des avoirs financiers négociés sur le marché; il peut s’agir par exemple des actions d’une société, d’obligations, des bons du Trésor ou d’autres titres de créance[12]. Au Canada, l’industrie des valeurs mobilières relève des provinces et des territoires; elle est donc réglementée par ceux-ci. Néanmoins, afin d’assurer la coordination des politiques provinciales et territoriales à l’échelle nationale, les organismes de réglementation des valeurs mobilières se sont regroupés pour former les Autorités canadiennes en valeurs mobilières, dont la tâche première consiste à instaurer un processus harmonisé de réglementation des valeurs mobilières dans l’ensemble du pays. En juillet 2015, le gouvernement fédéral a lancé une initiative fédérale-provinciale, le Régime coopératif en matière de réglementation des marchés des capitaux, qui vise à rationaliser le cadre de réglementation des marchés des capitaux afin de protéger les investisseurs, engendrer des marchés des capitaux efficients et gérer le risque systémique, tout en préservant les avantages du système existant[13].

Selon l’Évaluation mutuelle [disponible en anglais seulement] du GAFI, les courtiers en valeurs mobilières comprennent bien leurs obligations au regard de la lutte contre le blanchiment d’argent et du financement des activités terroristes. Il a constaté toutefois que ces obligations sont moins bien comprises dans les sociétés de valeurs mobilières de moindre envergure.

(ii) Témoignages

Lors de sa comparution devant le Comité, l’Association canadienne du commerce des valeurs mobilières a indiqué que bon nombre de ses membres sont des sociétés de petite taille qui doivent composer avec un fardeau de conformité découlant du Régime démesuré pour leurs capacités.

Dans le cadre de ses déplacements, le Comité a entendu des témoignages selon lesquels le secteur des valeurs mobilières constitue une lacune du Régime, à cause surtout de la multiplicité des organes de réglementation et de l’absence de direction ou de supervision de la part du fédéral à cet égard. D’autres ont fait observer que les courtiers en valeurs mobilières soupçonnés d’acte répréhensible peuvent démissionner de leur poste avant la conclusion de l’enquête interne menée à leur endroit. Ils vont ensuite travailler dans une autre entreprise ou maison de courtage qui, en raison des lois canadiennes en matière de protection des renseignements personnels, n’est pas mise au fait des allégations ou de l’existence de l’enquête suspendue dont le courtier faisait l’objet. Ainsi, les « pommes pourries » de l’industrie peuvent poursuivre leurs activités sans être inquiétées et se soustraire aux poursuites.

Recommandations du chapitre 1

Recommandation 1

Que le gouvernement du Canada travaille de pair avec les provinces et territoires à la création d’un registre pancanadien des bénéficiaires effectifs pour toutes les personnes morales et entités, dont les fiducies, qui exercent un contrôle important, à savoir qu’elles possèdent au moins 25 % de la participation totale ou des titres comportant droit de vote dans une société.

  • Ce registre contiendrait notamment les noms, adresses, dates de naissance et nationalités des personnes qui exercent un contrôle important.
  • Le registre, qui ne sera pas à la disposition du public, pourrait être consulté par certaines autorités, l’Agence du revenu du Canada, l’Agence canadienne des services frontaliers, le CANAFE, les entités déclarantes autorisées et autres pouvoirs publics.
  • Pour assurer l’exactitude des renseignements et le bon fonctionnement du registre, il faut se doter des ressources nécessaires pour assurer le suivi des renseignements fournis.
  • Il serait bon de s’inspirer des bonnes pratiques et des enseignements de l’étranger pour établir le registre. En particulier, le Comité s’intéresse au système d’inscription à deux voies en cours au Royaume-Uni, où l’inscription se fait par l’entremise d’un professionnel du droit ou directement en ligne, comme le montre la Companies House.
  • Les autorités se verraient conférer les pouvoirs nécessaires pour imposer des sanctions proportionnelles et dissuasives lorsqu’une entité ne se conforme pas entièrement dans les délais prescrits.
  • Les bénéficiaires effectifs de sociétés étrangères qui possèdent des actifs au Canada devraient également s’inscrire au registre.
  • Sous réserve du droit canadien, le gouvernement du Canada devrait étudier les demandes soumises par des gouvernements étrangers pour la communication de renseignements inscrits dans son registre des bénéficiaires effectifs dans la mesure où ont été conclus des conventions fiscales ou encore autres ententes ou protocoles juridiques sur le blanchiment d’argent, le financement des activités terroristes ou les activités criminelles éventuels ou existants.

Recommandation 2

Que le gouvernement du Canada examine, précise et éclaircisse au moyen de formation la définition juridique de personnes politiquement vulnérables (PPV). En particulier, la notion d’« association avec une PPV » dans la loi suscite un manque de clarté et d’uniformité dans les institutions quant à la définition exacte d’une PPV.

Recommandation 3

Que le gouvernement du Canada adopte un modèle de conformité fondé sur les risques pour les personnes politiquement vulnérables et assouplisse les exigences pour les détenteurs de portefeuilles financiers transparents et non susceptibles d’éveiller les soupçons.

Recommandation 4

Étant donné que les avocats du Royaume-Uni ont les mêmes obligations de déclaration en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes que les autres entités déclarantes lorsqu’ils effectuent un travail non judiciaire, le gouvernement du Canada et la Fédération des ordres professionnels de juristes devraient adopter un modèle analogue à celui de l’Office of Professional Body Anti-Money Laundering Supervision du Royaume-Uni.

  • Que le gouvernement du Canada demande un renvoi à la Cour suprême du Canada pour savoir si le secret professionnel entre un avocat et son client tient quand le client sollicite des conseils sur le blanchiment d’argent ou le montage financier aux fins d’activités illégales.

Recommandation 5

Que le gouvernement du Canada assujettisse, dans le respect de la Constitution, les professions juridiques au régime de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes de sorte que les normes canadiennes énoncées dans la LRPCFAT protègent bien contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.

Recommandation 6

Que le gouvernement du Canada envisage d’instaurer un organisme semblable à l’Office of Professional Body Anti-Money Laundering Supervision du Royaume-Uni pour ce qui est des professions autoréglementées au Canada.

Recommandation 7

Que le gouvernement du Canada modifie la LRPCFAT de sorte à assujettir les véhicules blindés et les guichets automatiques à étiquette blanche au régime de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes, à l’instar des États-Unis et du Québec respectivement.

Recommandation 8

Que le gouvernement du Canada modifie la LRPCFAT afin de forcer toutes les entités déclarantes, dont les entreprises et professions non financières désignées, notamment les courtiers et prêteurs du secteur immobilier, qui sont pour l’instant exempts de déclarer obligatoirement la propriété effective, à effectuer ce qui suit :

  • établir et vérifier l’identité des propriétaires effectifs;
  • déterminer si leurs clients sont des personnes politiquement vulnérables ou s’ils sont des parents ou des associés d’une personne politiquement vulnérable;
  • interdire l’ouverture de comptes ou les opérations financières jusqu’à ce que l’identité du propriétaire effectif ait été établie et vérifiée à l’aide de documents officiels.

* Les mesures ci-dessus s’appliqueraient aussi aux propriétaires effectifs étrangers.

Recommandation 9

Que le gouvernement du Canada étende les obligations énoncées dans la LRPCFAT pour les courtiers, représentants et promoteurs aux assureurs hypothécaires, aux entreprises d’enregistrement foncier et d’assurance de titres.

Recommandation 10

Que le gouvernement du Canada érige en infraction criminelle le fait qu’une entité ou une personne structure des opérations de manière à éviter les obligations de déclaration. Les dispositions à cet effet seraient inspirées du titre 31 de l’article 5324 du code américain.

Recommandation 11

Que le gouvernement du Canada force les entreprises qui vendent des articles de luxe à satisfaire les exigences de déclaration de la LRPCFAT et à signaler au CANAFE les opérations impliquant de fortes sommes d’argent si ces dernières ne sont pas déjà déclarées autrement.

Recommandation 12

Que le gouvernement du Canada modifie les lois sur la protection des renseignements personnels dans l’unique but d’autoriser les organismes de réglementation des valeurs mobilières à examiner en bonne et due forme les états de services professionnels des courtiers de valeurs mobilières et de leurs employés.

Recommandation 13

Que le gouvernement du Canada établisse une vision nationale de la lutte contre le blanchiment d’argent en partenariat avec les provinces et territoires et de faire connaître les bonnes pratiques aux organismes de réglementation afin de ne pas négliger les sociétés de valeurs mobilières.


[3]              Une « société-écran » est une société qui ne participe pas activement à des activités commerciales, mais qui peut servir à des fins commerciales légitimes.

[4]              La Companies House publie divers documents d’orientation sur le registre, dont un guide sommaire sur l’inscription des personnes exerçant un contrôle important au sein d’une entreprise [disponible en anglais seulement].

[6]              Avec une fiducie, une personne – le « constituant » – transfère son droit de propriété sur ses biens à un fiduciaire, qui détient ces biens pour le compte du ou des bénéficiaires nommés par le constituant. Ce dernier n’étant plus le propriétaire légitime des biens, il n’a aucune obligation fiscale à leur égard.

[7]              Pour obtenir de plus amples renseignements à propos du registre des fiducies, voir KPMG, UK Trust Register – What You Need to Know, 11 juillet 2017 [disponible en anglais seulement].

[8]              Comme l’a précisé le ministère des Finances, l’autre lacune relevée par le GAFI est l’exclusion du secteur juridique du régime de déclaration.

[10]            La common law découle de la coutume et du précédent judiciaire plutôt que des lois, et porte aussi le nom de « jurisprudence ».

[11]            Pour un exposé à ce sujet, voir : Publication conjointe de l’Association internationale du Barreau, de l'American Bar Association et du Council of Bars and Law Societies of Europe, A Lawyer's Guide to Detecting and Preventing Money Laundering [DISPONIBLE EN ANGLAIS SEULEMENT], octobre 2014.

[12]            Pour obtenir une liste de formes autres de titres en vigueur au Canada, voir : gouvernement du Canada, Qu’est-ce qu’un titre?, consulté par l’auteur le 4 octobre 2018.

[13]            La Colombie-Britannique, l’Ontario, la Saskatchewan, le Nouveau-Brunswick, l’Île-du-Prince-Édouard et le Yukon sont les provinces et territoires qui participent au Régime coopératif en matière de réglementation des marchés des capitaux.