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HUMA Rapport du Comité

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Perspectives d’emplois pour les jeunes et ingérence politique

Rapport complémentaire de la loyale Opposition de Sa Majesté

Le Parti conservateur du Canada

Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées

Introduction

De novembre 2017 à septembre 2018, le Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées de la Chambre des communes (HUMA) s’est penché sur la préparation au marché du travail à l’intention des jeunes Canadiens. Le Parti conservateur du Canada (PCC) apprécie tout le travail du Comité et il remercie son président et ses membres, le greffier et son personnel, y compris les analystes, ainsi que les équipes de traduction et de soutien technique. Nous tenons également à remercier les intervenants qui, en comparaissant devant le Comité ou en lui présentant des mémoires, ont transmis des renseignements précieux et des recommandations. Nous sommes heureux d’appuyer le rapport final, intitulé L’apprentissage par l’expérience et la préparation au marché du travail à l’intention des jeunes Canadiens.

En présentant ce rapport complémentaire, les membres conservateurs du Comité complémentent le travail accompli avec rigueur par le Comité et invitent le gouvernement du Canada à mettre en œuvre des recommandations additionnelles.

Contexte

Comme le souligne le rapport du Comité, les jeunes Canadiens « gagneraient à avoir davantage accès » à des occasions d’apprentissage « qui leur permettent de vivre une expérience de travail sur le terrain, afin de faciliter leur transition de l’école au marché du travail[1] ». Nous sommes conscients que les jeunes peuvent intégrer le marché du travail du bon pied s’ils ont l’occasion de trouver leurs passions ainsi que de découvrir et développer leurs aptitudes.

Le programme Emplois d’été Canada (EEC) est l’un des programmes mentionnés dans le rapport du Comité. Selon Emploi et Développement social Canada (EDSC), ce programme permet d’offrir « des contributions salariales aux employeurs afin de créer des emplois pour les étudiants du secondaire et du postsecondaire[2] ». Dans le cadre de ce programme, le gouvernement accorde des fonds à des organismes sans but lucratif, à des employeurs du secteur public ainsi qu’à des petites entreprises du secteur privé comptant 50 employés à temps plein ou moins afin qu’ils créent des possibilités d’emplois d’été pour les jeunes âgés de 15 à 30 ans qui étudient à temps plein et qui prévoient poursuivre leurs études lors de la prochaine année scolaire.

Changements apportés à Emplois d’été Canada par les libéraux pour 2018

Pour la mouture 2018 du programme d’EEC, le gouvernement fédéral a décidé d’exiger aux demandeurs de fournir une attestation. Selon EDSC, « [l]es demandeurs d’EÉC devront attester que l’emploi et le mandat principal de l’organisme sont conformes aux droits de la personne au Canada, y compris les valeurs sous-jacentes à la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que d’autres droits[3] ». Selon le Guide du demandeur d’EEC 2018, pour être admissible, l’emploi « doit être conforme aux droits de la personne au Canada, y compris les valeurs sous-jacentes à la Charte canadienne des droits et libertés (Charte), ainsi que d’autres droits. Ceux-ci incluent les droits en matière de procréation et le droit de ne pas faire l’objet de discrimination fondée sur le sexe, la religion, la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, les déficiences mentales ou physiques, l’orientation sexuelle ou l’identité ou l’expression de genre[4]. »

Le PCC a toujours défendu les droits des Canadiens, mais il s’inquiète de la décision du gouvernement fédéral d’obliger les organismes du secteur privé – qu’il s’agisse d’organisations caritatives sans but lucratif ou d’entreprises à but lucratif – à proclamer les valeurs politiques du Parti libéral du Canada et de faire de cette déclaration une condition d’obtention de fonds fédéraux. Il s’agit là d’un écart marqué dans la façon de procéder, puisque par le passé, tous les Canadiens avaient un accès égal aux programmes d’intérêt public, peu importe leurs croyances ou leurs valeurs personnelles. Entre outre, le PCC croit que le gouvernement fédéral devrait respecter les droits à la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression. Nous sommes particulièrement inquiets du précédent que crée cette décision, à savoir que tout gouvernement futur pourrait approuver ou refuser des fonds à des Canadiens en fonction de leurs croyances. Cela va à l’encontre de la Charte canadienne des droits et libertés et porte atteinte aux libertés fondamentales qui y sont garanties.

Des Canadiens de tous les horizons ont exprimé des réserves par rapport au texte de l’attestation exigée. Plus précisément, on ne sait pas exactement ce que le gouvernement libéral voulait dire lorsqu’il a demandé que « le mandat principal » de l’organisme soit « conforme » aux « valeurs sous-jacentes » à la Charte ou respecte ces valeurs. Pour cette raison, le gouvernement libéral a été obligé de publier des Informations supplémentaires en janvier, incluant une définition des termes « mandat principal » et « respect ». Selon ce document, le terme « mandat principal » désigne les « principales activités entreprises par l’organisme et qui reflètent les services permanents qu’il offre à la communauté. Il ne correspond pas aux croyances ni aux valeurs de l’organisme. » Le terme « respect » est défini comme suit : « Les droits individuels de la personne sont respectés lorsque les activités principales d’un organisme, et les responsabilités de l’emploi ne cherchent pas à supprimer ou à miner activement ces droits existants[5]. » Les parties concernées ont signalé que ces précisions n’apportaient pas une solution aux préoccupations soulevées par le libellé de l’attestation que bien des gens voient comme une tentative, par le gouvernement, de forcer les particuliers à adhérer à certaines valeurs qui sont chères aux libéraux. Le gouvernement fédéral a refusé de changer le texte de l’attestation, obligeant un grand nombre de demandeurs à choisir s’il était plus important de fournir des services ou des programmes communautaires ou d’agir selon leurs croyances.

Opposition à l’attestation obligatoire

L’exigence en matière d’attestation des libéraux a suscité de fortes réactions négatives de la part des Canadiens. Plus de 90 représentants de la Conférence des évêques catholiques du Canada, de l’Alliance évangélique du Canada, du Conseil canadien des imams et de la Congrégation juive Shaarei Shomayim, ainsi que d’autres groupes confessionnels, ont écrit au premier ministre Justin Trudeau pour lui demander de respecter « les diverses valeurs et croyances présentes dans la société canadienne[6] ». L’Archidiocèse catholique de Toronto, par exemple, avait demandé 1,1 million de dollars dans le cadre du programme d’EEC, mais leur demande a été rejetée, car les responsables n’avaient pas pu signer l’attestation[7].

Les médias ont rapporté que les organismes confessionnels n’étaient pas les seuls à s’opposer à cette exigence. Des groupes chargés d’organiser des événements communautaires et des Premières Nations ont également exprimé des préoccupations à ce sujet. Par exemple, l’organisation responsable du Great Lakes International Air Show a fait savoir que son conseil avait décidé qu’il ne pouvait pas signer l’attestation. De même, la Première Nation de Loon River a indiqué qu’elle avait refusé de signer l’attestation, car elle crée une discrimination « fondée sur les valeurs auxquelles adhère le demandeur[8] ». La B.C. Civil Liberties Association a aussi exprimé des préoccupations. Josh Paterson, le directeur général de l’Association, a déclaré ce qui suit : « On oblige les gens à répéter ces mots ou à signer cette attestation, qu’ils y croient ou non. Voilà qui est problématique. » Il a ajouté qu’il n’y a pas de droit garantissant l’obtention de subventions gouvernementales, « mais que dès qu’un programme de subvention est mis en place, les gens doivent pouvoir accéder à des fonds et être protégés contre toute discrimination à l’égard de leurs droits protégés par la Charte[9] ».

Plusieurs groupes – y compris des organismes confessionnels et des entreprises privées – ont contesté devant les tribunaux l’exigence en matière d’attestation des libéraux. Un groupe d’entreprises ont formé une coalition, appelée To Do Business Canada, pour aider à appuyer les contestations judiciaires au nom « des propriétaires d’entreprise dont la demande a été rejetée, car ils avaient refusé de se conformer au test des valeurs du gouvernement[10] ». Par exemple, une entreprise de béton de l’Ontario a décidé de porter sa cause devant le tribunal, affirmant que l’attestation oblige les entreprises à prendre position à l’égard de questions morales et sociales controversées. « En tant que société à but lucratif, Sarnia Concrete n’a pas à prendre position ou à donner son opinion sur l’avortement ou d’autres questions politiques, morales, éthiques et sociales qui n’ont rien à voir avec ses activités » est-il écrit dans l’avis de requête[11].

Le PCC tient par ailleurs à signaler que des députés du Parti libéral, du Nouveau Parti démocratique et du Parti vert ont également exprimé des craintes au sujet de l’attestation. En janvier, le député libéral Scott Simms a déclaré que « l’on exige [aux demandeurs] de faire quelque chose qu’on ne devrait même pas leur demander, et ce tout simplement pour embaucher des jeunes pendant l’été ». Voici ce qu’il a ajouté : « Tout ce que je peux faire, c’est de me tourner vers la ministre et la chefferie et leur dire que le processus, tel qu’il existe actuellement, n’est pas juste[12] ». Un autre député libéral, John McKay, a qualifié l’attestation de « regrettable », affirmant qu’il s’agit d’une « situation déplorable ». À son avis, « les demandes de subventions présentées au gouvernement par des organismes qui font un travail non politique et non activiste ne devraient pas être jugées en fonction de préjugés idéologiques ou faire l’objet d’ingérence politique [13] ». Voici ce qu’a affirmé, en mars, le député néo‑démocrate David Christopherson : « En bout de ligne, la case à cocher [attestation] retire, selon moi, aux Canadiens le droit de ne pas être d’accord avec les lois qui les gouvernent, ce qui pose un problème grave et fondamental pour moi[14] ». La députée Elizabeth May, du Parti vert, a également soutenu que le gouvernement fédéral « était allé trop loin » en exigeant cette attestation[15].

Répercussions sur les emplois pour les jeunes

Dans la lettre de mandat de la ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et du Travail, le premier ministre demande à la ministre d’« augmenter le nombre d’emplois permanents et de qualité pour les jeunes travailleurs. L’atteinte de cet objectif passera notamment par l’accomplissement des tâches suivantes : augmenter nos investissements dans la Stratégie emploi jeunesse et améliorer les résultats de la stratégie[16] ». La ministre de l’Emploi devrait s’efforcer de créer plus de débouchés pour les jeunes Canadiens dans le cadre du programme d’EEC, puisqu’il s’agit d’un des trois piliers de la Stratégie emploi jeunesse. Même si ce programme ne crée pas d’emplois permanents pour les jeunes Canadiens, il leur permet d’acquérir les compétences et l’expérience dont ils ont besoin pour intégrer le marché du travail et pouvoir y rester lorsque viendra le moment. La ministre de l’Emploi a limité les occasions qui s’offrent aux jeunes Canadiens en mettant en place l’obligation de fournir une attestation.

En ce qui concerne l’incidence de cette politique discriminatoire sur les jeunes Canadiens, une question inscrite au Feuilleton[17] révélait qu’EDSC avait reçu 42 708 demandes au titre d’EEC 2018. Dans sa réponse, le gouvernement a indiqué qu’après la phase initiative, « plus de 1 950 demandes avaient été jugées incomplètes ». Ce nombre comprenait celles où il manquait certains renseignements, comme le numéro d’entreprise, le nombre d’employés et le plan de supervision, ainsi que celles où les demandeurs avaient modifié le texte de l’attestation ou avaient refusé de signer l’attestation. Les demandeurs ont eu dix jours pour compléter leur formulaire et le présenter à nouveau. Selon les médias, Service Canada « a dit aux groupes qu’ils pouvaient renvoyer leur demande accompagnée de la pleine attestation. Certains essaient une deuxième fois de demander que l’on respecte leur religion et leur conscience. Or, à moins que le gouvernement fasse marche arrière, ils essuieront de nouveau un refus[18]. »

À la fin de cette période, 1 683 demandes ont été jugées inadmissibles, EDSC estimant que 1 559 d’entre elles « n’étaient pas complètes pour ce qui est de l’attestation[19] ». En 2017, 126 demandes sur 40 000 avaient été jugées incomplètes[20], ce qui veut dire que 12 fois plus de demandes ont été rejetées en 2018 que l’année précédente, lorsqu’aucune attestation n’était exigée[21]. En conséquence directe de cette exigence des libéraux, des étudiants à l’échelle du pays ont été privés de l’occasion d’acquérir une expérience de travail dans le cadre des 1 559 emplois qui auraient pu être créés.

En plus d’entraîner la perte de milliers de possibilités d’emploi pour les jeunes, la décision de politiser le programme a affecté de manière disproportionnée les circonscriptions conservatrices. On comptait en moyenne 6,5 demandes rejetées par circonscription conservatrice, mais seulement 4,1 par circonscriptions libérales[22]. Bien que tous les jeunes Canadiens soient perdants à cause de l’attestation des valeurs du gouvernement libéral, les jeunes habitant dans des circonscriptions non libérales semblent avoir fait les frais de cette exigence discriminatoire.

Conclusion

Le Parti conservateur du Canada croit que l’attestation exigée par le gouvernement libéral a politisé le programme d’EEC, limitant la possibilité pour les jeunes Canadiens d’accéder à de bons emplois résultant de la participation aux programmes des employeurs. Étant donné que le gouvernement du Canada a décidé d’offrir des fonds au public, la Charte « exige que l’État offre ce financement d’une manière qui n’est pas discriminatoire et qui respecte les libertés fondamentales des Canadiens[23] ». Le PCC croit également que la tolérance, l’ouverture et le respect de la diversité d’opinion sont le propre d’une société libre et démocratique. En tant que société pluraliste, le Canada permet aux gens d’avoir des opinions diverses et protège ceux qui pensent ou croient différemment des autres. Le PCC recommande donc :

Recommandation 1

Que la ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et du Travail veille à ce les employeurs n’aient plus à fournir une attestation lorsqu’ils présentent une demande dans le cadre du programme Emplois d’été Canada.

Recommandation 2

Que la ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et du Travail s’assure que l’on n’exige pas des employeurs de fournir une attestation dans le cadre des nouveaux programmes qui seront élaborés pour appuyer la création d’emplois pour les jeunes au Canada.


[1] HUMA, L’apprentissage par l’expérience et la préparation au marché du travail à l’intention des jeunes Canadiens, p. 10, octobre 2018.

[2] Emploi et Développement social Canada, Financement : Emplois d'été Canada – Aperçu, 23 avril 2018.

[3] Emploi et Développement social Canada, Financement : Emplois d'été Canada – Aperçu, 23 avril 2018.

[4] Gouvernement du Canada, Emplois d'été Canada 2018 : Guide du demandeur, p. 9, 2018.

[5] Gouvernement du Canada, Informations supplémentaires, 2018.

[6] The Canadian Press, Religious leaders call for end to Trudeau's rights-based job funding rules, 25 janvier 2018 [traduction].

[10] Free To Do Business Canada, 2018 [traduction].

[12] Barry, G., « Liberal MP says abortion clause in summer jobs program 'not right », CBC News, 22 janvier 2018 [traduction].

[17] Falk, T., et Canada, Parlement, Chambre des communes, Bureau du leader du gouvernement à la Chambre, organisme de publication, Q-1662 [programme Emplois d’été Canada] posé par M. Falk (Provencher), 17 avril 2018.

[19] Falk, T., Q-1662 [traduction].

[21] Aiello, R., « Rate of denials for summer jobs funding higher in Conservative ridings », CTV News, 20 septembre 2018.

[22] Aiello, R., « Rate of denials for summer jobs funding higher in Conservative ridings », CTV News, 20 septembre 2018.

[23] Bird, B., Canada Summer Jobs and the Charter problem, Options politiques, 16 janvier 2018 [traduction].