PACP Rapport du Comité
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INTRODUCTION
Les Rapports du printemps 2018 du Bureau du vérificateur général du Canada (BVG) comprennent une section intitulée « Message du vérificateur général », visant à « tenter de cerner la cause des échecs incompréhensibles de l’administration publique[1] ». Dans cette optique, le vérificateur aborde, dans son Message, plusieurs thèmes concernant l’administration du gouvernement fédéral.
Au printemps 2018, le Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes (le Comité) a convenu d’examiner certains des thèmes soulevés dans le Message.
MESSAGE DU VÉRIFICATEUR GÉNÉRAL
A. Échecs liés à la gestion et à la surveillance des programmes et des projets
Michael Ferguson, vérificateur général du Canada, a qualifié d’« échecs incompréhensibles[2] » le projet de transformation du système de paye Phénix et les programmes fédéraux à l’intention des Autochtones canadiens. Au sujet de Phénix, le vérificateur général a tenu les propos suivants :
Pourquoi est-ce que personne n’a vu que le projet n’aboutirait pas? Pourquoi n’a-t-on pas choisi de faire un temps d’arrêt pour le réévaluer en profondeur? La seule explication possible, c’est que des échecs cruciaux ont marqué tant la gestion du projet que sa surveillance[3].
Parlant de la gestion des programmes pour Autochtones, il a ajouté :
Il s’agit de l’échec incompréhensible des efforts faits par le gouvernement fédéral pour améliorer les conditions de vie des peuples autochtones au Canada. Nos deux récents audits sur le sujet s’ajoutent à la longue liste des audits qui sont venus avant et qui eux aussi ont souligné les piètres résultats des programmes pour les Autochtones[4].
Le vérificateur général a d’ailleurs précisé que ces deux échecs n’étaient pas attribuables à une administration en particulier : « [I]ls ont été transmis de gouvernement en gouvernement[5]. »
B. Responsabilité à l’égard du projet Phénix
Le vérificateur général a noté ce qui suit au sujet de la décision de lancer le système Phénix :
- « [L]e projet Phénix semble avoir été structuré de manière à éviter toute reddition de comptes, que ce soit intentionnellement ou par accident.
- Il n’y a aucun document qui montre qu’une personne a approuvé le déploiement du système.
- Trois sous-ministres se sont succédé à Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC) au cours des sept années qui ont précédé le déploiement du premier volet du système, en février 2016.
- Au moment de déployer Phénix, le sous-ministre de SPAC n’était en poste que depuis environ une année. Et il a quitté ses fonctions peu après la mise en œuvre du premier volet du système.
- SPAC a tenté, à la dernière minute, d’associer l’ensemble du groupe des sous-ministres à la décision de déployer Phénix, mais ce groupe n’avait pas l’autorité de prendre des décisions dans ce dossier.
- Le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada s’est rendu compte tard dans la démarche qu’un problème se profilait, mais lui non plus n’avait pas de pouvoir de décision[6]. »
Le vérificateur général a également expliqué que les « traces écrites » s’arrêtent aux « erreurs commises par les cadres responsables du projet », ajoutant que même si « le sous‑ministre était […] comptable des actions et des décisions prises sous sa gouverne, […] il demeure que son personnel ne lui a pas communiqué l’information dont il avait besoin pour bien saisir les risques qui menaçaient le projet. Il n’y avait aussi aucun mécanisme indépendant de surveillance du projet, et le sous-ministre avait été nommé à la tête d’un ministère complexe au moment même où le projet Phénix tirait à sa fin[7]. » Il fait d’ailleurs remarquer que « [l]’ancien sous-ministre devrait être comptable de la décision de déployer Phénix, mais il n’est pas la cause du problème[8] ».
Enfin, le vérificateur général affirme que les deux gouvernements, celui dirigé par le premier ministre Stephen Harper et celui dirigé par le premier ministre Justin Trudeau, sont responsables des différents problèmes reliés au système de paye Phénix[9].
C. Culture du gouvernement fédéral
Pour formuler son Message, le vérificateur général s’est posé la question suivante : « Comment le projet Phénix a-t-il pu échouer de façon aussi retentissante quand le système prévoit un cadre de responsabilisation de gestion, des politiques de gestion des risques, des évaluations de programmes, des audits internes, des comités ministériels d’audit, des administrateurs des comptes, des plans ministériels, des rapports ministériels sur le rendement, des primes de rendement et les audits de performance du Bureau du vérificateur général[10]? » Le vérificateur général a également noté que les programmes pour Autochtones ne donnent pas non plus de résultats tangibles, et que le problème dure depuis des années.
En réponse à sa propre question, le vérificateur général avance que d’autres échecs incompréhensibles se produiront[11] si l’administration du gouvernement fédéral ne change pas. Selon lui, « notre meilleur espoir pour éviter d’autres échecs incompréhensibles repose sur un changement de la culture du gouvernement fédéral[12] ».
Le vérificateur général décrit en ces termes la culture du gouvernement fédéral :
- Une certaine tension entre le camp politique et la fonction publique est saine; en cas de déséquilibre, le risque d’échec augmente.
- « Dans la culture actuelle du gouvernement, les deux points de vue ne sont pas en équilibre, et le côté politique domine. Cela s’explique en grande partie par le caractère instantané des communications numériques : en d’autres termes, la classe politique se préoccupe davantage de la gestion du message et de l’image. »
- « La prédominance du point de vue politique a érodé l’influence des sous‑ministres. Deux choses le confirment : la courte durée du mandat des sous-ministres et l’influence croissante du personnel du bureau du ministre. »
- La fonction publique doit promouvoir la vision à long terme pour assurer la viabilité des programmes gouvernementaux, et ce même au prix des intérêts politiques à court terme.
- L’accent mis sur les objectifs à court terme explique les problèmes liés aux programmes pour Autochtones : « Le succès se mesure désormais aux sommes dépensées, et non à des résultats supérieurs pour les peuples autochtones. »
- Puisque les sous-ministres font concurrence avec le personnel ministériel lorsqu’il s’agit de conseiller le ministre, « il est plus facile pour eux de suivre simplement la volonté du ministre sans poser de questions, plutôt que de lui donner des avis courageux sur les embûches qui pourraient survenir et sur la manière de les éviter. C’est ainsi que les sous-ministres conservent la confiance de leur ministre et préservent le peu d’influence qu’ils ont. »
- Par conséquent, la « culture du gouvernement a engendré une fonction publique docile qui craint les erreurs et les risques. Sa capacité à exprimer les vérités difficiles s’est amoindrie, et la volonté des cadres supérieurs [y compris les ministres] de les entendre s’est aussi érodée. Cette culture cause les échecs incompréhensibles que la fonction publique cherche justement à éviter[13]. »
Le vérificateur général a admis qu’il n’avait pas de solution à ce problème de culture. Il a toutefois fait remarquer que « [s]i la culture est certainement problématique, le dernier sondage mené auprès des fonctionnaires indique que le fonctionnaire moyen souhaite un changement et veut travailler dans un milieu de travail qui se préoccupe de produire des résultats pour les citoyens[14] ».
Le 18 juin 2018, le vérificateur général a déclaré ce qui suit au sujet du taux de roulement des sous‑ministres lors d’une des audiences du Comité sur le système de paye Phénix :
Encore une fois, c’est l’un des problèmes de culture que j’ai relevés dans le [Message], à savoir la durée des fonctions des sous-ministres à ces postes. Je crois que, au cours de cette période, il y a eu quatre sous-ministres différents à SPAC, y compris Mme Lemay, qui est arrivée à la toute fin.
Encore une fois, ce genre de roulement de sous-ministres, je crois, est quelque chose de problématique. Nous voyons cela tout le temps lorsque nous faisons un audit, puis que nous revenons faire un suivi, il y a même parfois eu un troisième sous-ministre entre les deux. Nous effectuons l’audit auprès d’un sous-ministre. Lorsque nous revenons pour faire un suivi, c’est un nouveau sous-ministre et on nous répond encore: « Bien, je n’étais pas là à ce moment-là. » Ils n’y peuvent rien. Ils n’étaient pas là à ce moment‑là[15].
TÉMOIGNAGE DU GREFFIER DU CONSEIL PRIVÉ
Le mardi 12 juin 2018, Michael Wernick, greffier du Conseil privé et secrétaire du Cabinet (le greffier), a comparu devant le Comité pour parler du Message du vérificateur général[16]. Dans son témoignage, le greffier n’était pas d’accord avec la « généralisation » du problème et a déclaré que l’échec de Phénix était « compréhensible », qu’on « aurait pu l’éviter » et qu’on « peut le corriger[17] ».
En ce qui concerne les programmes pour Autochtones, le greffier a expliqué que les problèmes n’étaient pas de nature administrative, qu’il s’agissait plutôt d’échecs stratégiques; que le financement des programmes et projets doit avoir un fondement législatif plutôt que de dépendre d’une loi et d’accords de contribution obsolètes[18].
En ce qui concerne les sous-ministres, le greffier a expliqué qu’il n’avait aucune autorité exécutive à leur égard, que son rôle consistait à conseiller le premier ministre au sujet de leur nomination, promotion, rémunération au rendement et cessation d’emploi[19].
TÉMOIGNAGE DU SECRÉTAIRE DU CONSEIL DU TRÉSOR
Le 14 juin 2018, Peter Wallace, secrétaire du Conseil du Trésor du Canada, a comparu devant le Comité dans le cadre de l’audience sur le Rapport 1— La création et le déploiement du système de paye Phénix, des Rapports du printemps 2018 du vérificateur général du Canada[20]. (Ont aussi comparu d’autres représentants du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada et de Services publics et Approvisionnement Canada, de même que le vérificateur général et son personnel[21].)
En réponse à des questions au sujet de Phénix et de la gestion de projet, le secrétaire a expliqué :
La réalité, c’est que les projets de technologie de l’information sont très risqués et que bon nombre d’entre eux sont des échecs. La littérature montre clairement qu’un très grand pourcentage de projets échouent. Le problème, ce n’est pas l’échec. Le problème, c’est l’échec catastrophique. Nous comprenons que ce qui nous a menés à cet échec catastrophique est un processus long et complexe. Les mesures correctives le seront également.
Bien sûr, nous avons mis en place un grand nombre d’étapes supplémentaires, comme l’établissement de points de contrôle organisationnels et une diversité d’autres choses. Nous pouvons appliquer tout cela. Ce sont tout simplement des étapes supplémentaires. Comme le vérificateur général l’a souligné à juste titre, si ces mesures de contrôle échouent, il faut comprendre ce qui se produirait si on avait des mesures de contrôle supplémentaires[22].
Le secrétaire a également tenu les propos suivants au sujet de la responsabilisation et de la gouvernance :
En fait, nous avons entrepris une conversation très sérieuse à l’interne au sujet de quelque chose de fondamental. Le vérificateur général a utilisé ce même langage. Les mesures de contrôle et les processus que nous mettons en place ne peuvent pas seulement être appliqués pour la forme. Il faut aussi en respecter l’esprit. Il s’agit là d’un dialogue extrêmement porteur, approprié et nécessaire. Et nous l’avons entrepris.
Il y a des leçons incroyablement importantes à tirer de cet échec. Il s’agit de leçons d’ordre technique, concernant la façon dont nous établissons la gouvernance. Ce sont également des leçons qui portent sur la façon dont nous exploitons le système, y compris la culture. Nous le comprenons et l’acceptons. Nous amorçons le dialogue dans le but de nous assurer que cette notion fondamentale... Je me ferai l’écho de ce que vous avez dit relativement au respect, ainsi que de ce qu’a dit le vérificateur général relativement à l’importance de la substance par rapport à la forme. Je répéterai certains propos selon lesquels nous ne nous mettrons pas des œillères, que nous joignons le geste à la parole et que nous faisons le travail qui nous revient. Il est absolument essentiel que nous le fassions[23].
Je crois que nous devons reconnaître à quel point la situation était dysfonctionnelle et problématique. Vous avez tout à fait raison lorsque vous dites que le rôle du Conseil du Trésor est de surveiller ce genre de choses et d’en faire une analyse critique. L’observation du vérificateur général est tout à fait juste : le processus a été respecté quant à la forme, mais pas quant au fond. Dans les faits, les cases ont été cochées, mais la valeur n’a pas été mise à l’essai concrètement. Le fait est que nous travaillons avec des humains, et que nous devons assurer un contrôle parfait.
Nous avons tiré des leçons, et pas seulement relativement aux étapes supplémentaires, aux obstacles, aux niveaux, aux exigences préalables, à tout le reste. Nous avons tiré des leçons fondamentales quant à la façon dont nous fonctionnons en tant que système et au rôle du Conseil du Trésor, qui est de veiller à ce que, dans tout projet — au début, au milieu et jusqu’à ce qu’on donne le feu vert, à chaque point de décision —, la valeur de chaque composante soit mise à l’essai en situation réelle[24].
Le secrétaire a fourni de nombreux exemples d’améliorations que l’on pourrait apporter dans l’avenir et des moyens que peut prendre le Conseil du Trésor pour aider à les mettre en œuvre :
Laissez-moi vous énumérer un certain nombre de mesures que nous avons déjà mises en place, puis vous parler de quelque chose d’encore plus fondamental que cela.
Bien sûr, nous avons renforcé le rôle du dirigeant principal de l’information. Nous avons mis à jour nos politiques en matière de technologies et de gestion de l’information. Nous avons mis en place une structure de gouvernance plus solide en ce qui concerne les comités de sous-ministres en établissant une hiérarchie plus claire des responsabilités. Nous nous sommes assurés que le Conseil du Trésor s’engage de manière plus significative à l’égard de deux formes de fonction de remise en question : la fonction de remise en question financière, et maintenant un rôle beaucoup plus grand en ce qui concerne la fonction de remise en question de la TI également. Nous avons établi un certain nombre de normes numériques très importantes en matière d’interopérabilité et d’accès au nuage ainsi que tout un ensemble d’éléments absolument essentiels pour éviter ces choses et permettre d’étendre l’interface des fournisseurs également.
Nous avons beaucoup travaillé sur une stratégie de gestion de projet sous l’égide du Bureau du contrôleur général. Nous avons mis en place une variété de modèles de gouvernance à plusieurs paliers associés à tous ces éléments.
Cependant, pour être clair, ce sont tous des obstacles, des jalons. Ils pourraient entraîner des frictions au sein de la bureaucratie si nous ne prenons pas au sérieux la leçon principale, soit qu’ils ne doivent pas être contournés. Ces éléments sont en place pour que nous puissions en fait comprendre ce que nous faisons. Nous prenons des risques appropriés, mais pas démesurés à l’égard de la valeur des contribuables, de la protection des renseignements personnels de nos employés, de notre besoin fondamental de payer nos employés avec exactitude et en temps opportun ou de ce qui concerne tout autre projet de TI[25].
Le secrétaire a aussi suggéré ce qui suit au sujet du personnel :
J’apprécie la question sur la responsabilisation. Elle est importante et fondamentale, et je vais répondre en pensant à l’avenir, si vous me le permettez.
Je crois qu’il pourrait y avoir des possibilités d’améliorer le régime de responsabilisation du gouvernement du Canada dans l’avenir. Par exemple, on peut examiner le nombre de couches de cadres et déterminer si cela facilite un flux efficace de l’information.
Ensuite, et peut-être ce qui est essentiel, nous devons analyser la capacité de congédiement du gouvernement du Canada. Les exigences pour ce qui est des motifs de congédiement sont extrêmement élevées. Il serait approprié d’envisager une modification législative afin de faciliter un congédiement plus rapide des cadres qui ont mal fait leur travail. Nous pourrions aussi nous pencher sur la possibilité de récupérer une rémunération au rendement, ou, en particulier, une rémunération conditionnelle qui risque d’avoir été accordée par erreur. Autrement dit, si on apprenait qu’il y avait eu des cas graves de mauvaise gestion ou d’autres anomalies très importantes, selon la procédure établie, il pourrait être approprié de récupérer ces sommes.
Le gouvernement a adopté ces directives pour les futures nominations du gouverneur en conseil, et elles peuvent très bien s’appliquer également à la fonction publique. À mon avis, il s’agit d’une discussion importante parce qu’elle soulève les questions fondamentales de la responsabilisation concernant le flux de l’information et des conséquences[26].
Par conséquent, pour que le gouvernement fédéral remédie aux éventuelles lacunes de sa structure redditionnelle, le Comité formule la recommande suivante :
Recommandation 1 – Structure redditionnelle
Que, d’ici le 28 février 2019, le gouvernement du Canada voit comment il pourrait améliorer sa structure redditionnelle, notamment pour régler les cas graves de mauvaise gestion ou autres anomalies très importantes et qu’il fasse rapport de ses conclusions au Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes.
ANALYSE
A. Réflexions du Comité
En plus de se démarquer par son caractère sincère et urgent, le Message du vérificateur général donne l’occasion exceptionnelle au Comité d’examiner l’approche du gouvernement fédéral en matière de gouvernance et de responsabilisation. Ainsi, le Comité a été profondément troublé par les questions soulevées dans le Message et a décidé de se pencher sur certaines d’entre elles.
Tout d’abord, le Comité ne saurait trop insister sur l’immense respect et toute l’admiration qu’il a pour la fonction publique professionnelle du Canada. Les fonctionnaires fédéraux à l’échelle du Canada méritent ces éloges pour leurs efforts acharnés, parfois dans le contexte d’un travail ingrat. Le Comité cherche par son étude à garantir que le gouvernement du Canada dispose des mécanismes appropriés pour éviter de nouvelles catastrophes comme Phénix.
Des membres du Comité ont exprimé leur dissentiment quant à la manière dont le greffier a réagi au Message du vérificateur général. Celui-ci fait un travail dont l’excellence est généralement admise et saluée. Le Comité estime que ses observations sont professionnelles, mesurées et fondées sur des données probantes, et c’est pourquoi il est convaincu de la gravité des questions soulevées dans le Message. En fait, le Comité fait écho aux conclusions du vérificateur général : il est incompréhensible qu’un tel échec puisse se produire compte tenu des différents paliers, que l’on parle de vérifications, de pouvoirs de décision ou de reddition de comptes.
En revanche, le Comité a été épaté et encouragé par le caractère réfléchi et prospectif de la réponse du secrétaire au Message du vérificateur général et à l’audit du système de paye Phénix. Sa volonté de résoudre ce genre de problème de manière proactive répond aux inquiétudes du vérificateur général et la démarche qu’il propose comprend des mesures concrètes.
De plus, le Comité tient également à répondre aux affirmations du greffier au sujet de la durée des mandats des sous-ministres :
Vous avez mentionné, monsieur le président, un roulement rapide des sous‑ministres. Les faits montrent le contraire. J’ai des données qui le prouvent. Le vérificateur général a laissé une impression qui est, en fait, erronée et qu’on peut corriger avec ces données. On mesure la durée du mandat des sous‑ministres au nombre d’années où ils ont occupé le poste du début à la fin. Si on prend les 33 sous-ministres sur lesquels j’ai une influence, et leurs trois derniers mandats — c’est-à-dire pas le tableau de ceux en poste actuellement et dont le mandat court encore —, on obtient 99 mandats de sous-ministre. Trente‑trois sont allés au bout de leur mandat, et trois... Quarante-neuf ont été en poste plus de trois ans, ce qui est le point de référence proposé par le Comité dans de précédents rapports. Vingt-sept ont occupé leurs fonctions pendant plus de quatre ans et 16, pendant plus de cinq ans. La médiane et la moyenne sont toutes deux supérieures à trois ans. Par conséquent, nous n’avons pas, selon moi, un problème généralisé de roulement des sous-ministres.
Le Comité accepte les calculs présentés par le greffier dans le cadre de son témoignage, mais il demeure que :
- Selon le vérificateur général, par exemple, quatre sous-ministres différents ont dirigé ce qu’on appelle maintenant Services publics et Approvisionnement Canada durant la mise en œuvre du projet Phénix[27];
- Depuis le début de la 42e législature, le Comité s’est fait dire à maintes reprises par des sous-ministres qu’ils n’étaient pas le sous-ministre (ou l’administrateur responsable) en poste durant la période visée par l’audit en question du BVG. Le vérificateur général a indiqué qu’il se butait au même problème dans le cadre de ses audits[28].
Autrement dit, peu importe les statistiques sur la durée moyenne des affectations des sous-ministres dans leur ensemble, le Comité estime que le roulement des sous‑ministres est plus élevé que la moyenne dans certains ministères, ce qui soulève des problèmes pour ce qui est de la gouvernance et de la responsabilisation.
De plus, le greffier cite plusieurs sondages et enquêtes indiquant que le gouvernement du Canada est une organisation saine et un bon endroit où travailler. Cependant, le Comité est gravement préoccupé et a relaté de nombreuses difficultés vécues par des fonctionnaires à cause des défaillances de Phénix.
B. Recommandations
1. Gestion du changement
En juin 2018, le McKinsey Center for Government a publié un document de travail intitulé Delivering for Citizens: How to Triple the Success Rate of Government Transformations[29]. S’appuyant sur un sondage mené auprès de quelque 3 000 fonctionnaires dans 18 pays, les auteurs affirment que « 80 % des efforts de transformation déployés par les gouvernements n’atteignent malheureusement pas les objectifs recherchés[30] ». Ils présentent toutefois « cinq principes directeurs qui, mis ensemble, triplent les chances que les transformations se réalisent ». Ces principes peuvent sembler aller de soi, mais les recherches montrent qu’il est très difficile de bien les appliquer[31]. Ces principes sont :
- Engagement des leaders. Les leaders de la transformation doivent consacrer énormément d’énergie aux efforts, assumer personnellement la responsabilité des réussites et des échecs, diriger par l’exemple et remettre en question les conventions établies de longue date. Pour encourager la transformation, ils doivent passer beaucoup de temps à communiquer de vive voix avec les personnes touchées et consacrer autant de temps à les écouter.
- Objectifs et priorités clairement établis. Dans le cas des transformations réussies, un tableau convaincant du but recherché est brossé, et on explique clairement aux fonctionnaires et aux citoyens pourquoi le changement est nécessaire. En outre, vaut mieux limiter les objectifs : les projets qui connaissent du succès se limitent à quelques objectifs bien précis et orientés sur les résultats.
- Rythme et coordination sur le plan de l’exécution. Les transformations doivent être exécutées à un rythme soutenu. Elles requièrent moins de paliers que ce que l’on trouve habituellement dans la fonction publique. Il doit y avoir une collaboration étroite entre les différents organismes et services, et il faut prévoir une certaine marge de manœuvre pour régler les problèmes au fur et à mesure qu’ils se présentent. Il faut une équipe de transformation ciblée et dotée des pouvoirs nécessaires pour faire avancer le projet et en suivre les progrès.
- Communication efficace. Tous les gouvernements communiquent, mais très peu le font de manière efficace. Près de 90 % des participants à notre sondage sur la transformation ont indiqué que l’on pourrait obtenir de meilleurs résultats en consultant davantage le personnel de première ligne. Les transformations exigent une communication bidirectionnelle exhaustive et planifiée avec tous les groupes concernés par le changement, en particulier les employés.
- Capacité de changer. Même si la fonction publique est souvent composée de personnes très compétentes, celles-ci ont rarement l’expertise et l’expérience requise en matière de gestion du changement. On compte trop souvent sur la capacité de mener les activités comme si rien n’avait changé, ce qui contribue au taux élevé d’échec des transformations entreprises par les gouvernements. Les trois compétences suivantes sont particulièrement importantes : capacité de diriger des organismes vastes et complexes de prestation de services; gestion de projets et de programmes; et compétences numériques et analytiques[32].
Selon le Comité, ces principes directeurs, s’ils étaient adoptés, pourraient aider le gouvernement fédéral à transformer divers aspects de la gouvernance et de la responsabilisation. Par conséquent, le Comité encourage fortement le gouvernement à étudier et à songer à appliquer ces principes, pour que les Canadiens sachent que le gouvernement travaille sans relâche pour les servir du mieux qu’il le peut, en mettant à profit ses talents. Pour ses raisons, le Comité recommande ce qui suit :
Recommandation 2 – Suggestions de pratiques exemplaires relatives aux transformations dans la fonction publique
Que le gouvernement du Canada étudie les cinq principes directeurs énoncés dans le document de travail intitulé Delivering for Citizens: How to Triple the Success Rate of Government Transformations et envisage de les appliquer à tous les grands programmes et projets gouvernementaux; et qu’il présente au Comité un rapport sur l’état d’avancement de ces travaux au plus tard le 31 mai 2019.
2. Changement de la culture dans la fonction publique
En juin 2018, le Comité de la fonction publique et des affaires constitutionnelles de la Chambre des communes du Royaume-Uni (PACAC) a publié un rapport intitulé The Minister and the Official: The Fulcrum of Whitehall Effectiveness[33]. Le Comité y examinait divers aspects de la fonction publique britannique, dont certains sont également mentionnés dans le Message du vérificateur général, tels que la relation entre les ministres et les hauts fonctionnaires des ministères, de même que le taux de roulement élevé parmi les employés (y compris les hauts fonctionnaires). Le 19 juin 2018, le vérificateur général a témoigné que ce rapport pourrait donner au Comité des pistes de solution au sujet des mesures à prendre en réponse à son Message[34].
Pour s’assurer de mener une étude approfondie, le PACAC a embauché un expert‑conseil externe (le professeur Andrew Kakabadse), qui a eu accès aux ministres passés et présents, aux secrétaires permanents (l’équivalent des sous‑ministres), aux hauts fonctionnaires, aux conseillers politiques et à des entrepreneurs privés, ce qui lui a permis d’étudier la relation entre les ministres et les fonctionnaires. (Les citations et les renseignements recueillis ne sont pas attribués à des personnes, mais à des postes, pour assurer une discussion franche et ouverte. Le rapport présente le nom des participants à la fin, mais il est impossible d’établir un lien entre ces noms et les citations contenues dans le rapport[35].) Le PACAC s’est servi de ce rapport dans le cadre de son étude.
Certains des thèmes abordés dans le rapport final du PACAC se retrouvent dans le Message du vérificateur général. Plusieurs des problèmes rencontrés étaient semblables à ce que l’on trouve au Canada, mais d’autres ne s’appliquaient pas en raison de différences en matière de pratiques et d’institutions gouvernementales, par exemple :
- Culture d’obéissance et de désobéissance : Contrairement à ce qu’affirme le vérificateur général dans son Message au sujet de la culture d’obéissance au sein de la fonction publique canadienne — à savoir que les fonctionnaires craignent de contredire les ministres — c’est une culture de désobéissance qui semble poser problème dans la fonction publique britannique, où les hauts fonctionnaires sont hésitants à mettre en œuvre les changements stratégiques voulus par les ministres. Il s’agirait d’une résistance au changement plutôt que d’une opposition à des politiques en particulier. Le rapport suggère qu’il faudrait améliorer la communication entre les ministres et les secrétaires permanents et accroître la responsabilisation parmi les secrétaires permanents.
- Roulement élevé parmi les sous-ministres : Le Royaume-Uni semble éprouver le même problème que le Canada en ce qui concerne la courte durée en poste des sous-ministres. Au Royaume-Uni, on semble croire que les fonctionnaires doivent souvent changer de postes pour obtenir des promotions, ce qui fait d’eux des généralistes plutôt que des spécialistes. Les hauts fonctionnaires semblaient avoir de bonnes compétences en matière de gestion de programmes et de personnes, mais une connaissance limitée de sujets précis. Les sous-ministres canadiens changent aussi couramment de fonctions, assumant des responsabilités dans des domaines variés comme la santé, la justice, l’emploi, etc.
Compte tenu de ce qui précède, le Comité recommande aussi ce qui suit :
Recommandation 3 – Suggestions de pratiques exemplaires pour régler certains défis dans la fonction publique
Que le gouvernement du Canada étudie et envisage d’appliquer les recommandations pertinentes contenues dans le rapport du Comité de la fonction publique et des affaires constitutionnelles de la Chambre des communes du Royaume-Uni intitulé The Minister and the Official: The Fulcrum of Whitehall Effectiveness, en particulier, celles portant sur : 1) la durée en poste des sous-ministres; 2) les pratiques ainsi que les liens de confiance entre les ministres et les sous‑ministres, ainsi qu’entre les sous-ministres, les hauts fonctionnaires et la fonction publique en général.
CONCLUSION
En réponse aux préoccupations soulevées dans le Message du vérificateur général, le Comité a formulé trois recommandations pour aider le gouvernement du Canada à améliorer son approche en matière de gouvernance et de responsabilisation. Le Comité espère que ces recommandations contribueront à améliorer la culture de la fonction publique fédérale, une culture qui nuit actuellement à la mise en œuvre de projets importants, comme Phénix, ou qui empêche d’améliorer les résultats pour les Autochtones canadiens.
Somme toute, le succès de cet exercice se mesurera à la lumière des améliorations apportées dans l’administration des politiques et des programmes fédéraux et, plus important encore, dans la prestation de services aux Canadiens et aux Canadiennes.
RÉSUMÉ DES MESURES RECOMMANDÉES ET LEUR DÉLAI
Tableau 1 — Résumé des mesures recommandées et leur délai
Recommandation |
Mesure recommandée |
Échéance |
Recommandation 1 |
Le gouvernement du Canada devrait voir comment il pourrait améliorer sa structure redditionnelle, notamment pour régler les cas graves de mauvaise gestion ou autres anomalies très importantes, et devrait faire fapport de ses conclusions au Comité. |
28 février 2019 |
Recommandation 2 |
Le gouvernement du Canada devrait étudier les cinq principes directeurs énoncés dans le document de travail intitulé Delivering for Citizens: How to Triple the Success Rate of Government Transformations et envisager de les appliquer à tous les grands programmes et projets gouvernementaux; il devrait présenter au Comité un rapport sur l’état d’avancement de ces travaux. |
31 mai 2019 |
Recommandation 3 |
Le gouvernement du Canada devrait étudier et envisager d’appliquer les recommandations pertinentes contenues dans le rapport du Comité de la fonction publique et des affaires constitutionnelles de la Chambre des communes du Royaume-Uni intitulé The Minister and the Official: The Fulcrum of Whitehall Effectiveness, en particulier, celles portant sur : 1) la durée en poste des sous‑ministres; 2) les pratiques ainsi que les liens de confiance entre les ministres et les sous ministres, ainsi qu’entre les sous-ministres, les hauts fonctionnaires et la fonction publique en général. |
[1] Bureau du vérificateur général du Canada (BVG), Message du vérificateur général du Canada, des rapports du printemps 2018 du vérificateur du général du Canada.
[2] Ibid.
[3] Ibid.
[4] Ibid.
[5] Ibid.
[6] Ibid.
[7] Ibid.
[8] Ibid.
[9] Ibid.
[10] Ibid.
[11] Ibid.
[12] Ibid.
[13] Ibid.
[14] Ibid.
[15] Chambre des communes, Comité permanent des comptes publics, Témoignages, 1re session, 42e législature, 14 juin 2018, réunion no 105, 1720.
[16] Chambre des communes, Comité permanent des comptes publics, Témoignages, 1re session, 42e législature, 12 juin 2018, réunion no 104.
[17] Ibid., 1535.
[18] Ibid., 1555.
[19] Ibid., 1615.
[20] Chambre des communes, Comité permanent des comptes publics, Témoignages, 1re session, 42e législature, 14 juin 2018, réunion no 105.
[21] Ibid.
[22] Ibid., 1610.
[23] Ibid.
[24] Ibid., 1650.
[25] Ibid., 1710.
[26] Ibid., 1655.
[27] Ibid., 1720.
[28] Ibid.
[29] McKinsey Center for Government, Delivering for Citizens: How to Triple the Success Rate of Government Transformations, juin 2018.
[30] Ibid., p. 5 [traduction].
[31] Ibid.
[32] Ibid.
[33] Royaume-Uni, Chambre des communes, Comité de la fonction publique et des affaires constitutionnelles, The Minister and the Official: The Fulcrum of Whitehall Effectiveness, cinquième rapport, session 2017-2019, 57e législature, juin 2018. On trouve, sur la rue Whitehall à Londres, les bureaux de la plupart des ministères britanniques, ce qui explique pourquoi ce terme est utilisé pour désigner la fonction publique dans son ensemble.
[34] Chambre des communes, Comité permanent des comptes publics, Témoignages, 1re session, 42e législature, 19 juin 2018, réunion no 106, 1640.
[35] Royaume-Uni, Chambre des communes, Comité de la fonction publique et des affaires constitutionnelles, enquête sur l’efficacité de la fonction publique, professeur Andrew Kakabadse, Is Government Fit for Purpose?, rapport Kakabadse.