Passer au contenu

PACP Rapport du Comité

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

PDF

RAPPORT 3, L’ADMINISTRATION DE LA JUSTICE DANS LES FORCES ARMÉES CANADIENNES, DES RAPPORTS DU PRINTEMPS 2018 DU VÉRIFICATEUR GÉNÉRAL DU CANADA

Introduction

Selon le Bureau du vérificateur général du Canada (BVG), le « système de justice militaire a pour but de contribuer à l’efficacité des Forces armées canadiennes en assurant le maintien de la discipline, de l’efficience et du moral[1] », et ce système s’applique à tous les membres de la Force régulière et de la Première réserve[2]. Le système « repose sur la Loi sur la défense nationale, qui inclut le Code de discipline militaire, et les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes. Ces instruments décrivent diverses infractions, ainsi que les autorités, les règles et les procédures afférentes[3]. »

Des accusations peuvent être portées pour des infractions au Code de discipline militaire concernant des incidents qui surviennent dans le contexte militaire (par exemple, l’insubordination ou l’absence sans permission) ou dans le contexte civil (comme le vol ou l’agression sexuelle)[4]. Cependant, si une accusation de meurtre, d’homicide involontaire ou d’enlèvement d’enfant est portée contre un militaire et que cette offense a été commise au Canada, elle sera instruite par le système civil de justice[5].

Le BVG a expliqué que le « système de justice militaire est à deux volets [voir la figure 1]. Les accusations peuvent être jugées dans le cadre d’un procès sommaire ou devant une cour martiale.

  • Un procès sommaire a pour objet de rendre la justice de façon prompte et équitable dans le cas d’une infraction mineure. Un commandant ou un autre officier autorisé préside ce genre de procès. Généralement, l’accusé qui comparaît dans un procès sommaire n’est pas représenté par un avocat.
  • Une cour martiale est un tribunal officiel présidé par un juge militaire. L’accusé a le droit d’être représenté par un avocat. Une cour martiale suit en grande partie les mêmes règles que celles des procédures criminelles appliquées dans les tribunaux civils[6]. »

Par ailleurs, les « circonstances de chaque cause, y compris la nature des accusations et le grade de l’accusé, détermineront si la cause sera instruite par procès sommaire ou en cour martiale. Dans certains cas, l’accusé peut choisir le type de procès[7]. » La figure 1 présente les étapes de base du processus de justice militaire, tandis que la figure 2 décrit les rôles et les responsabilités du système de justice militaire.

Figure 1 — Étapes de base du processus de justice miliaire

Source : Bureau du vérificateur général du Canada, L’administration de la justice dans les Forces armées canadiennes, rapport 3 des Rapports du printemps 2018 du vérificateur général du Canada, pièce 3.1.

Figure 2 — Principaux rôles et responsabilités au sein du système de justice militaire

Rôles

Responsabilités

Commandants d’unités militaires

Il incombe aux commandants de maintenir la discipline parmi les membres des unités militaires des Forces armées canadiennes, y compris l’Armée canadienne, l’Aviation royale canadienne et la Marine royale canadienne.

Ils ont le pouvoir de demander et de confier des enquêtes, de porter des accusations, de présider des procès sommaires et de prononcer des peines. Ils peuvent également déléguer une partie de ces prérogatives.

Groupe de la Police militaire des Forces canadiennes (Police militaire)

Relevant du Grand prévôt des Forces canadiennes, la Police militaire a le pouvoir d’enquêter sur des incidents présumés.

Le Service national des enquêtes, qui fait partie de ce groupe, enquête sur les infractions graves et délicates. Les enquêteurs du Service peuvent porter des accusations.

Cabinet du Juge‑avocat général

Le Juge‑avocat général est le conseiller juridique du gouverneur général du Canada, du ministre et du ministère de la Défense nationale, et des Forces armées canadiennes pour toute question de droit militaire. En dépit du titre de son poste, le Juge‑avocat général n’exerce pas de fonctions judiciaires.

De plus, le Juge‑avocat général exerce son autorité sur tout ce qui touche à l’administration de la justice militaire dans les Forces armées canadiennes. À ce titre, le Cabinet du Juge‑avocat général est chargé d’élaborer les lois, les politiques et les directives en matière de justice militaire. Il offre aussi des conseils juridiques aux unités militaires, examine le système de justice militaire et en rend compte.

Cabinet du juge militaire en chef (comprend l’administrateur de la cour martiale)

Ce cabinet est composé du juge militaire en chef et de trois autres juges militaires. Ces juges président les cours martiales. L’administrateur de la cour martiale fournit un soutien administratif au juge militaire en chef.

Service canadien des poursuites militaires

Relevant du directeur des poursuites militaires, ce service doit décider s’il faut engager des poursuites devant une cour martiale et est chargé de la conduite de toutes les poursuites devant les cours martiales. Le directeur des poursuites militaires conseille également le ministre de la Défense nationale sur les cas portés en appel.

Service d’avocats de la défense

Relevant du directeur du Service d’avocats de la défense, ce Service fournit des conseils juridiques et des services de représentation.

Source : Bureau du vérificateur général du Canada, L’administration de la justice dans les Forces armées canadiennes, rapport 3 des Rapports du printemps 2018 du vérificateur général du Canada, pièce 3.2.

Au printemps 2018, le BVG a publié un audit de performance ayant pour but de déterminer « si les Forces armées canadiennes avaient administré le système de justice militaire de manière efficiente » et, plus particulièrement, d’évaluer « l’efficacité des Forces armées canadiennes à traiter en temps opportun les causes de justice militaire[8] ».

Il convient de noter, dans le contexte de cet audit, que la « Charte canadienne des droits et libertés garantit à tout accusé le droit d’être jugé dans un délai raisonnable et d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat. La Cour suprême du Canada a récemment fait valoir que le traitement rapide des accusations constituait un principe fondamental[9]. »

Le 22 octobre 2018, le Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes (le Comité) s’est réuni pour discuter de cet audit. Les témoins suivants étaient présents : du BVG, Jerome Berthelette, vérificateur général adjoint, Andrew Hayes, avocat général principal, et Chantal Thibaudeau, directrice; du ministère de la Défense nationale (le Ministère), Jody Thomas, sous‑ministre, et la commodore Geneviève Bernatchez, Juge‑avocat général (JAG) des Forces armées canadiennes[10].

Constatations et recommandations

Tel que rapporté par le VG au Comité, la question de la collecte et de l’utilisation inadéquate des données est un problème récurrent auquel font face les organismes fédéraux. Étant donné l’importance de données fiables pour l’exécution et l’évaluation de l’efficacité des programmes, le Comité a fait de cette question une de ses priorités fondamentales et constantes.

A.  Règlement des causes relevant de la justice militaire

Le BVG a constaté « des retards tout au long des étapes du processus de justice militaire ». Il a aussi observé que « les Forces armées canadiennes n’avaient pas établi de normes de temps pour certaines étapes du processus[11] ». De plus, « il a souvent fallu trop de temps pour décider si des accusations devaient être portées et pour renvoyer les accusations aux procureurs. Les procureurs n’ont pas respecté leurs normes de temps relativement aux décisions de porter ou non les causes devant une cour martiale. Lorsqu’ils ont décidé d’aller en cour martiale, il a fallu trop de temps pour déterminer la date de tenue de la cour martiale[12]. »

Le BVG a constaté ce qui suit au sujet des procès sommaires :

  • « Selon le rapport annuel du Juge‑avocat général de 2016‑2017, 553 procès sommaires ont été tenus pendant cet exercice. Le Juge‑avocat général a signalé qu’il avait fallu trois mois en moyenne pour traiter ces causes, à partir du moment de l’infraction, mais que dans environ 18 % des cas, il avait fallu plus de six mois. Ces procès sommaires portaient principalement sur des infractions disciplinaires mineures[13]. »
  • Parmi les 117 causes de procès sommaire que le BVG a examinées, 99 avaient fait l’objet d’une enquête menée uniquement par les unités militaires. Dans chacune de ces 99 causes, le processus de dépôt des accusations avait pris trop de temps. De plus, les « unités ont effectué leur enquête en une semaine et demie en moyenne, mais les commandants ont pris cinq semaines additionnelles en moyenne avant de porter des accusations ». Les dossiers des procès sommaires ne contenaient aucune justification pour expliquer ces retards[14].
  • La Police militaire a été chargée de l’enquête dans les 18 autres causes jugées lors d’un procès sommaire; dans 12 de ces causes, l’enquête a pris plus de 30 jours sans qu’aucune justification ne soit consignée au dossier, ce qui est contraire à la politique interne[15].

Dans l’ensemble, le BVG a constaté des retards dans les enquêtes, le dépôt d’accusations, le renvoi des accusations à un procureur, la décision de porter une cause devant une cour martiale et l’arrêt de la date de la cour martiale[16].

D’après le BVG, « ces retards ont empêché les Forces armées canadiennes de faire respecter la discipline de manière rapide et efficiente, et de veiller à ce que justice soit rendue en temps opportun[17] ». Le BVG a également observé — et c’est peut‑être encore plus troublant — que dans 10 exemples trouvés hors de l’échantillon de 20 causes terminées, « les retards ont contribué à la décision d’abandonner les accusations ou de ne pas engager de poursuites[18] ».

Le BVG a donc recommandé que les Forces armées canadiennes revoient « leurs processus de justice militaire afin de déterminer les causes des retards et de prendre des mesures correctives pour les atténuer[19] ».

En réponse à cette recommandation, le Ministère a fait savoir, dans son Plan d’action détaillé, qu’il élaborait « un système de gestion des affaires militaires. Ce système, appelé le ″système d’administration de la justice et de gestion de l’information″ ou le ″SAJGI″, sera mis en œuvre pendant l’année financière 2018‑2019 » et devrait être pleinement opérationnel d’ici septembre 2019[20].

Selon le Ministère, le « SAJGI effectuera le suivi électronique des dossiers de mesures disciplinaires, de la réception d’une plainte jusqu’à la fermeture du dossier. Le système permettra aux intervenants en justice militaire de consulter les données transmises en temps réel au fur et à mesure que les dossiers sont traités par le système de justice militaire et avisera les acteurs principaux quand ils devront prendre des mesures. On s’attend à ce que le SAJGI écourte considérablement les délais de gestion des dossiers relatifs à la justice militaire. Le SAJGI sera aussi intégré à un nouveau système de mesure du rendement de la justice militaire, qui devrait être lancé en même temps[21]. » Le système pourra ainsi « recueillir des données mesurables sur le rendement du système de justice militaire, ce qui permettra d’identifier les faiblesses du système — dont les retards — et d’élaborer des mesures ciblées pour y remédier[22] ».

En réponse à des questions sur le sujet, Jody Thomas, sous‑ministre de la Défense nationale, a tenu les propos suivants :

Je crois qu’un certain nombre d’éléments entrent en jeu. Il n’y a pas de réponse unique. Je ne peux pas vous donner une réponse simple pour expliquer les retards. Parfois, la victime ne veut pas témoigner, ou les gens concernés sont en déploiement. On parle d’un organisme opérationnel dont les membres se déplacent constamment. S’il y a des retards dans les unités, c’est parce que des membres sont déployés dans des opérations. Parfois, c’est lié à des formations. Parfois, cela a à voir avec la disponibilité des juges ou des procureurs. Il existe un certain nombre de facteurs.
Je crois, et je suis peut‑être la seule, que les données aideront la commodore Bernatchez à gérer les choses différemment, parce qu’elle... Elle croit avoir suffisamment de ressources; peut-être que ce n’est pas le cas et que nous constaterons qu’il y a un goulet d’étranglement quelque part au pays, dans un volet du processus ou dans notre façon de procéder dans certaines parties du processus[23].

Par conséquent, afin de réduire le risque de retards dans le système canadien de justice militaire, le Comité recommande :

Recommandation 1 — Sur le besoin de repérer et de combler les retards

Que, d’ici le 30 avril 2019, le Ministère de la Défense nationale présente au Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes un rapport décrivant les progrès réalisés dans l’établissement des causes de retards dans le processus de justice militaire et la mise en œuvre de mesures correctrices visant à les atténuer.

Notons que bon nombre des engagements pris par le Ministère dans son Plan d’action concernent la nécessité de bien élaborer, mettre en œuvre et utiliser le SAJGI. Certains membres du Comité se sont toutefois dit d’avis que l’efficacité d’un système de suivi électronique était limitée par la qualité des données qui y étaient enregistrées. Par conséquent, vu l’importance qu’il accorde à la bonne collecte des données et à l’utilisation de données de qualité, le Comité recommande :

Recommandation 2 — Sur la bonne collecte et la bonne utilisation des données

Que, d’ici le 30 avril 2019, le Ministère de la Défense nationale présente au Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes un rapport décrivant les progrès réalisés dans 1) l’élaboration et la mise en œuvre du Système d’administration de la justice et de gestion de l’information; 2) l’élaboration et la mise en œuvre d’un programme de formation et de saines pratiques organisationnelles concernant l’utilisation du système.

B.  Problèmes systémiques du processus de justice militaire

Le BVG a constaté « des faiblesses systémiques dans le processus de justice militaire, qui avaient contribué aux retards dans l’application de mesures disciplinaires et dans l’administration de la justice. Par exemple, les Forces armées canadiennes n’avaient pas défini de normes de temps pour chacune des étapes du système de justice militaire. Même lorsque de telles normes existaient, des retards inexpliqués se sont quand même produits[24]. » Il a également remarqué que « les pratiques de gestion des ressources humaines n’avaient pas favorisé le développement d’une expertise en matière de litige[25] ».

En outre, « les commandants n’avaient pas immédiatement informé le Service d’avocats de la défense qu’un accusé avait demandé à être représenté. De plus, les procureurs n’ont pas remis à l’accusé toute l’information pertinente pour sa défense dans les plus brefs délais possible. [Le BVG a] par ailleurs constaté que les processus utilisés par la Police militaire pour informer les unités militaires et ceux utilisés par le Service canadien des poursuites militaires pour informer la Police militaire avaient été inefficaces[26]. »

Selon le BVG, « la Loi sur la défense nationale et ses règlements stipulent l’obligation d’agir rapidement, sans toutefois préciser le sens concret de cette obligation. Des examens du système de justice militaire ont recommandé que des normes de temps soient établies pour diverses étapes du processus de justice militaire[27]. » Et même dans les cas où des normes avaient été établies — pour le JAG, la Police militaire et le directeur des poursuites militaires, par exemple — le BVG a constaté que des retards inexpliqués s’étaient produits[28].

Pour cette raison, le BVG a fait la recommandation suivante : les « Forces armées canadiennes devraient définir et communiquer des normes de temps pour chaque étape du processus de justice militaire et s’assurer qu’un processus permet d’en faire le suivi et de les faire appliquer[29] ».

Comme réponse, le Ministère a indiqué dans son Plan d’action qu’il examinera le temps requis pour chaque étape du processus du système de justice militaire, ce qui permettra d’instaurer, d’ici janvier 2019, « des normes de temps qui seraient avantageuses aux fins du processus et qui respecteraient les règles d’équité ainsi que les exigences juridiques[30] ».

Le Ministère a également expliqué que son nouveau système de gestion du rendement — intégré au SAJGI — fournira des données sur le respect des normes de temps et qu’il pourrait aussi « permettre de demander aux divers décideurs d’expliquer pourquoi ils ne pouvaient pas respecter les normes de temps, ce qui aiderait à identifier les causes de retard et à y remédier[31] ».

Enfin, la commodore Geneviève Bernatchez, Juge‑avocat général des Forces armées canadiennes, a donné plus de détails sur le système et son élaboration :

Avec le système d’administration de la justice et de gestion de l’information que nous mettrons en place et que nous élaborons en ce moment — nous en sommes à l’étape 2 du développement, et nous testons chaque étape au fil du processus —, nous pourrons, moi et tout autre intervenant ayant un rôle à jouer dans la prise de décisions du système de justice militaire, voir en temps réel les progrès d’une cause et savoir si les échéanciers définis et inclus dans le système automatisé ont été respectés. Sinon, pourquoi n’est‑ce pas le cas? Ils seront tenus d’entrer dans le système les raisons de cela[32].

Par conséquent, le Comité recommande :

Recommandation 3 — Sur les normes de temps applicables au processus de justice militaire

Que, d’ici le 30 avril 2019, le Ministère de la Défense nationale présente au Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes un rapport décrivant les progrès réalisés dans la définition, la mise en œuvre et la communication de normes de temps relatives à chaque étape du processus de justice militaire et dans l’instauration d’un processus permettant de suivre et d’appliquer ces normes.

C.  Communications entre les enquêteurs de la Police militaire et les autres parties en cause

Lorsqu’ils sont appelés à déterminer l’opportunité de déposer des accusations dans les dossiers de justice militaire, « les commandants et les avocats militaires qui les conseillent doivent pouvoir examiner la preuve recueillie au terme de l’enquête. Les enquêteurs de la Police militaire sont tenus de fournir un sommaire de chaque enquête à l’unité militaire concernée[33]. »

Lors de l’examen par le BVG de l’échantillon des 18 causes de procès sommaires qui ont fait l’objet d’une enquête de la Police militaire, il s’est avéré que les commandants ou les avocats militaires ont demandé un complément d’information à la Police militaire dans plusieurs de ces causes avant de prendre une décision, ce qui a occasionné des retards supplémentaires allant de quelques semaines à dix mois[34].

Le BVG a également noté que le « Service canadien des poursuites militaires n’était pas officiellement tenu d’aviser la Police militaire si des accusations avaient été portées ou de fournir de la rétroaction sur la qualité des enquêtes policières ». Il a observé par ailleurs que « ce manque de communication avait limité la capacité de la Police militaire à mettre à jour ses bases de données et à améliorer la qualité des enquêtes à venir[35] ».

Le BVG a donc recommandé aux Forces armées canadiennes d’« établir des processus officiels de communication pour que la Police militaire, le directeur des poursuites militaires, les avocats du Juge‑avocat général et les unités militaires reçoivent l’information nécessaire pour pouvoir s’acquitter de leurs pouvoirs et fonctions en temps opportun[36] ».

Dans son plan d’action, le Ministère a accepté cette recommandation et a aussi indiqué qu’il prendrait les mesures suivantes, outre la mise en œuvre du SAJGI :

  • « De nouvelles normes pour la remise des rapports de la police militaire seront mises en œuvre d’ici le 31 mars 2019[37]. »
  • Participer à la table ronde de la justice militaire aura lieu au printemps 2018, et aux réunions subséquentes qui auront lieu deux fois l’an[38].
  • « Le directeur des poursuites militaires offrira plus de soutien juridique à l’École de la police des Forces canadiennes d’ici l’été 2019[39]. »

En réponse à des questions sur le sujet, Jody Thomas a reconnu que, si rien ne change véritablement, les problèmes de retard touchant différentes étapes du processus de justice militaire perdureront :

De toute évidence, pour nous, le système contribuera à nous fournir des renseignements, mais si le comportement humain sous‑jacent ne change pas, que nous n’accordons pas la priorité aux enquêtes, que nous ne formons pas les commandants différemment et que nous ne nous assurons pas qu’ils accordent l’attention qui s’impose à ce type de travail et à leurs responsabilités dans le système disciplinaire, alors rien ne changera outre le fait que le [Juge‑avocat général] aura de meilleurs renseignements sur ce qui ne va pas.
Par conséquent, il faut adopter une approche systémique et investir dans les commandants et tous les intervenants qui jouent un rôle dans ce système pour nous assurer qu’ils comprennent leurs responsabilités. Cette vérification est certainement un premier pas en ce sens. Le [Juge‑avocat général] a un rôle à jouer, le chef d’état‑major de la défense a un rôle à jouer, le ministère a un rôle à jouer et les commandants ont un rôle à jouer. Nous devons absolument changer les comportements humains dans le cadre de ce processus[40].

En ce qui a trait à la table ronde de la justice militaire, la commodore Bernatchez a offert les précisions suivantes :

La table ronde de la justice militaire se concentre sur la nécessité d’établir de meilleures communications entre les intervenants du secteur de la justice militaire. Elle regroupe des représentants de la Cour d’appel de la cour martiale, les cours martiales, le Grand prévôt des Forces canadiennes, le directeur des poursuites militaires, le directeur des services d’avocat de la défense de la division de la justice militaire et moi.
C’est une table ronde qui réunit ces intervenants pour discuter de questions d’intérêt commun et examiner des solutions éventuelles. Les questions d’intérêt commun sont les délais. C’est une préoccupation tant pour nous que pour le système civil de justice pénale. Nous sommes bien conscients de l’indépendance de ces intervenants dans nos démarches.
La première réunion a été tenue en juin 2018. La prochaine réunion aura lieu en janvier. Nous élaborons des ordres du jour et établissons des points de discussion pour aborder les questions les plus urgentes. Les conversations jusqu’à présent sont très conviviales. Nous sommes très heureux de nous réunir à nouveau pour tenir ces discussions et pouvoir trouver des solutions ensemble à l’avenir, dans un esprit de collaboration[41].

Le Comité se réjouit de ces derniers développements, mais il tient néanmoins à faire la recommandation ci‑dessous :

Recommandation 4 — Sur les processus officiels de communication

Que, d’ici le 30 avril 2019, le Ministère de la Défense nationale présente au Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes un rapport décrivant les progrès réalisés dans l’implantation de processus officiels de communication pour que la Police militaire, le directeur des poursuites militaires, les avocats du Juge‑avocat général et les unités militaires reçoivent l’information nécessaire dont ils ont besoin en temps opportun.

D.  Communications avec le Service d’avocats de la défense

Le BVG a constaté que, dans 14 des 20 causes de cour martiale qu’il a examinées, « les commandants n’ont pas informé immédiatement le directeur du Service d’avocats de la défense de la décision de l’accusé. Pour 4 de ces causes, il s’est écoulé plus de 30 jours avant que le directeur du Service d’avocats de la défense ne soit averti que l’accusé avait requis les services d’un avocat[42]. » De plus, « tout retard à informer le Service d’avocats de la défense est inacceptable, considérant le droit de l’accusé d’obtenir des conseils juridiques et d’être représenté sans délai[43] ».

Par ailleurs, la politique du directeur des poursuites militaires sur la divulgation de la preuve stipule que les procureurs doivent transmettre la preuve à l’accusé « dès que possible ». Elle ne définit toutefois pas le sens de cette exigence[44].

Enfin, sur les 20 causes jugées devant une cour martiale qu’il a examinées, le BVG a constaté « que, dans 19 d’entre elles, les procureurs avaient mis 3 mois en moyenne à transmettre la preuve à l’avocat de la défense, et plus d’un an dans l’autre cause. Dans 13 de ces 20 causes, le BVG a noté que les procureurs avaient communiqué la preuve à l’avocat de la défense seulement après avoir décidé d’aller en cour martiale[45]. » Ces cas ne sont pas conformes à l’obligation de divulguer la preuve dans les plus brefs délais possible[46].

Pour cette raison, le BVG a recommandé aux Forces armées canadiennes de « définir et communiquer les attentes concernant la divulgation en temps opportun de toute l’information pertinente aux membres accusés d’une infraction[47] ».

Dans son Plan d’action, le ministère de la Défense nationale a accepté la recommandation, ajoutant qu’il examinerait, d’ici janvier 2019, « les délais de communication de la preuve aux personnes accusées d’une infraction[48] ». Le Ministère a également signalé que le directeur des poursuites militaires avait déjà apporté des changements afin d’accélérer la communication de la preuve aux avocats de la défense; par exemple, avant qu’un dossier soit attribué, le superviseur du procureur concerné « demande à l’organisme d’enquête approprié de lui divulguer la preuve[49] ».

Outre les explications qu’elle a fournies concernant les effets positifs que le SAJGI devrait avoir relativement aux trois problèmes observés, la commodore Bernatchez a dit au Comité que le directeur des poursuites militaires avait passé en revue « toutes les politiques qui précisent le délai de divulgation de l’information à l’accusé », une question que le BVG a soulevée avec raison dans son rapport[50].

Comme il adhère entièrement au principe voulant que « justice différée soit justice refusée », le Comité recommande :

Recommandation 5 — Sur la divulgation en temps opportun

Que, d’ici le 30 avril 2019, le Ministère de la Défense nationale présente au Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes un rapport décrivant les progrès réalisés dans la définition et la communication des attentes concernant la divulgation en temps opportun de toute l’information pertinente aux membres accusés d’une infraction.

E.  Développement de l’expertise en matière de litige dans un contexte militaire

Le JAG regroupe 134 avocats militaires qui fournissent des services aux Forces armées canadiennes (au Canada et à l’étranger), sur divers aspects du droit militaire; ses avocats sont affectés à tour de rôle à une grande variété de services juridiques militaires afin d’acquérir de l’expertise dans un large éventail de domaines[51].

Une étude externe menée en 2008 avait recommandé que les procureurs restent en fonction dans leur poste au moins cinq ans (la moyenne étant alors de 2,25 ans). Le BVG a cependant constaté que la durée de l’expérience en poursuites des procureurs militaires n’avait pas augmenté depuis 2008[52]. De plus, il a déterminé que « les pratiques de gestion des ressources humaines du Cabinet du Juge‑avocat général accordaient plus d’importance à l’acquisition d’une expérience générale en droit qu’à celle d’une expertise en matière de litige, c’est‑à‑dire l’expérience de la cour pour les procureurs ou les avocats de la défense[53] ».

Compte tenu de la situation, le BVG a recommandé au JAG de « s’assurer que ses pratiques de gestion des ressources humaines favorisent le développement de l’expertise en matière de litige nécessaire aux procureurs et aux avocats de la défense[54] ».

En réponse à cette recommandation, le Ministère a fait savoir, dans son Plan d’action, qu’il comptait mettre en place une nouvelle politique sur les affectations d’ici le printemps 2019[55]. Entre‑temps, cependant, il a déjà commencé la mise en œuvre de la recommandation; par exemple, en 2018, « la plupart des avocats militaires affectés au Service canadien de poursuites militaires et au Service d’avocats de la défense resteront en poste — et ne seront pas affectés ailleurs — afin d’assurer la stabilité de l’organisation et de développer davantage l’expertise en matière de litige[56] ».

Lors de son témoignage, la commodore Bernatchez a dit ce qui suit :

Cela permettra de développer les compétences, mais vous avez tout à fait raison. Nous devons examiner l’ensemble de cet organisme qu’est le Cabinet du Juge‑avocat général et déterminer où nous devons établir un équilibre pour qu’il y ait également l’approche généraliste, car le Cabinet du Juge‑avocat général est responsable de fournir des conseils juridiques en ce qui concerne tous les domaines du droit militaire et il nous faut en développer les connaissances.
Ce que j’ai demandé aux Forces armées canadiennes, et nous avons commencé cet automne, c’est de faire une analyse de profession des avocats militaires pour déterminer quels sont les besoins en formation, combien de temps l’affectation des avocats militaires devrait durer, et de quel type d’expérience ils ont besoin, qu’il s’agisse d’avocats plaidants ou de généralistes du Cabinet du Juge‑avocat général.
C’est un long processus. Il faut habituellement cinq ans pour qu’il devienne efficace. Lorsque l’analyse de profession sera terminée, nous serons en mesure de déterminer comment nous pouvons ajuster nos pratiques de gestion du personnel pour pouvoir obtenir les meilleurs résultats pour nos clients[57].

Le Ministère a accepté cette recommandation et s’est engagé à appliquer une nouvelle politique qui « imposera une période minimale de cinq ans, lorsque les avocats militaires sont affectés à des postes de procureur et d’avocat de la défense[58] ». Par conséquent, le Comité recommande :

Recommandation 6 — Sur la gestion des ressources humaines

Que, d’ici le 30 avril 2019, le Ministère de la Défense nationale présente au Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes un rapport décrivant les progrès réalisés dans les efforts visant la nouvelle politique qui imposera une période minimale de cinq ans au sein du Cabinet du Juge‑avocat général afin de favoriser le développement de l’expertise en matière de litige nécessaire aux procureurs et aux avocats de la défense.

F.   Systèmes et méthodes de gestion de cas

Selon le BVG, le Cabinet du JAG « n’avait pas l’information requise pour surveiller le système de justice militaire ». En outre, « les diverses parties prenantes, en particulier la Police militaire, le Service canadien des poursuites militaires, le Service d’avocats de défense et le Cabinet du Juge‑avocat général, tenaient leurs propres systèmes de suivi des cas, lesquels ne saisissaient pas toute l’information nécessaire[59] ».

Le BVG a constaté notamment que « certaines unités militaires n’avaient aucun mécanisme ou processus de suivi et de surveillance de leurs cas de justice militaire[60] ». Et lorsque de tels mécanismes ou processus existaient, l’information était souvent limitée et n’incluait pas de données portant sur toutes les étapes du processus de justice militaire[61].

Par ailleurs, d’après les observations du BVG, la base de données du Cabinet du JAG n’est ni complète ni à jour, « car de nombreuses unités militaires n’avaient pas envoyé leurs rapports sur les procès sommaires à temps[62] ». En fait, dans 23 % des cas de procès sommaire qu’il a examinés, le BVG a constaté que « les unités militaires avaient transmis de l’information au Cabinet du Juge avocat‑général en retard[63] ».

Pour cette raison, le BVG a recommandé aux Forces armées canadiennes de « mettre en place un système de gestion de cas qui contient l’information nécessaire pour surveiller et gérer l’avancement et l’achèvement des causes de justice militaire[64] ».

En réponse à cette recommandation, le Ministère répète en bonne partie, dans son Plan d’action, ce qu’il dit concernant d’autres recommandations du BVG, c’est‑à‑dire que le Cabinet du JAG est en train d’élaborer le SAJGI, qui devrait améliorer la gestion de cas. Comme la recommandation 2 du présent rapport porte déjà sur la mise en œuvre du SAJGI, le Comité ne fera pas d’autre recommandation sur le sujet.

G.  Examens du système de justice militaire

Le BVG a constaté que le Cabinet du JAG n’avait pas fait le suivi nécessaire des recommandations découlant des examens internes et externes antérieurs du système de justice militaire, et que ces recommandations n’avaient pas été appliquées[65]. De plus, même si la Loi sur la défense nationale exige que le Cabinet examine régulièrement l’administration de la justice militaire, le BVG a noté qu’il ne le faisait pas[66]. En effet, le Cabinet « n’avait pas examiné ou étudié les processus des procès sommaires au cours des dix dernières années[67] ».

Par conséquent, le BVG a recommandé au Cabinet du JAG et aux Forces armées canadiennes d’« évaluer régulièrement l’efficience et l’efficacité de l’administration du système de justice militaire et [de] corriger toute faiblesse relevée[68] ».

En réponse à cette recommandation, le Ministère a fait référence encore une fois au SAJGI et à sa capacité de suivre et d’évaluer l’efficacité et l’efficience du processus de justice militaire[69]. Par ailleurs, la commodore Bernatchez, abondant dans le même sens que la sous‑ministre, a estimé qu’un nouveau système de gestion de l’information ne suffirait pas à régler le problème :

Vous avez absolument raison lorsque vous dites qu’un système informatique ne peut pas, à lui seul, tout résoudre. Lorsque nous parlons de rapidité, lorsque nous parlons de l’efficacité du système, il faut que tous ces éléments soient cohérents. Les solutions que nous envisageons et sur lesquelles nous travaillons actuellement concernent les normes temporelles et l’expérience en matière de litige, comme l’a souligné le vérificateur général, afin de veiller à ce que nos procureurs et nos avocats de la défense aient l’expertise nécessaire à l’avenir. Cela nécessite également de la formation pour tous les intervenants du système de justice militaire[70].

Le Ministère a indiqué que le SAJGI serait pleinement opérationnel à compter de septembre 2019. Le Comité appuie l’approche du Ministère, mais il estime que trop de temps s’écoulera avant que les parties concernées commencent à analyser en profondeur l’efficacité et l’efficience du système de justice militaire. Par conséquent, quels que soient les efforts soutenus requis pour élaborer et mettre en œuvre le SAJGI, le Comité recommande :

Recommandation 7 — Sur la surveillance continue du système de justice militaire

Que, d’ici le 30 avril 2019, le Ministère de la Défense nationale présente au Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes un rapport décrivant les progrès réalisés dans les efforts visant à évaluer régulièrement l’efficacité et l’efficience de l’administration du système de justice militaire et à corriger toute faiblesse soulevée.

H.  Mise en œuvre d’une politique en matière de poursuites

Selon le BVG, la « décision de porter ou non une cause devant une cour martiale est l’une des étapes les plus importantes du processus de poursuite. Elle exige un niveau élevé de discrétion professionnelle, et de mauvaises décisions peuvent miner la confiance dans le système de justice militaire. Il y a un risque que des accusations qui auraient dû donner lieu à un procès n’en fassent pas l’objet, ou que des accusations donnent lieu à un procès alors que cela n’aurait pas dû être le cas. Le procureur doit être indépendant et impartial. Chaque cause doit être considérée avec le plus grand soin dans un souci d’équité et de cohérence[71]. » Le BVG a aussi indiqué ce qui suit :

  • « Le directeur des poursuites militaires est légalement responsable de s’assurer que les décisions de porter des causes devant une cour martiale sont fondées, prises par les bonnes personnes au sein du service des poursuites et documentées comme il se doit. Le Service canadien des poursuites militaires doit aussi rendre des comptes à cet égard[72]. »
  • « Le Service canadien des poursuites militaires dispose d’une politique qui régit les décisions quant à la poursuite des causes en cour martiale. La politique prévoit un processus d’attribution des causes aux procureurs et décrit les pouvoirs qu’ils peuvent exercer. Elle énonce également les exigences relatives à la documentation de certaines décisions, y compris les raisons qui justifient ces décisions[73]. »

Pourtant, le BVG a constaté que « le Service canadien des poursuites militaires n’avait pas élaboré de processus clairs et bien définis permettant de garantir la mise en œuvre de la politique[74] ».

Le BVG a donc recommandé au directeur des poursuites militaires de « s’assurer que les politiques et les processus d’attribution des causes aux procureurs et de documentation des décisions prises dans les causes de justice militaire sont bien définis, communiqués et entièrement mis en œuvre par les membres du Service canadien des poursuites militaires[75] ».

Dans son Plan d’action, le Ministère a accepté cette recommandation, indiquant que le directeur des poursuites militaires :

  • « a déjà apporté des modifications aux documents relatifs à la nomination des procureurs afin de préciser les limites de l’exercice de leurs pouvoirs de poursuite »;
  • « a aussi apporté des modifications afin de mieux consigner l’attribution des dossiers aux procureurs », modifications qui permettront « de s’assurer qu’un dossier approprié est tenu sur le procureur affecté au dossier, la personne responsable de cette affectation, le moment de l’affectation et la personne détenant l’autorisation d’éliminer des documents »;
  • « entreprendra un examen détaillé des politiques, lequel devra être terminé d’ici le 1er septembre 2018, afin de s’assurer que les politiques reflètent bien les modifications susmentionnées et que toutes les décisions importantes prises relativement à un dossier qui pourraient avoir une incidence sur le sort de ce dossier sont bien documentées et communiquées[76] ».

La commodore Bernatchez a aussi donné les précisions suivantes en réponse aux questions sur les lacunes observées et les mesures correctives qui s’imposent :

Le problème qui a été porté à l’attention du directeur des poursuites militaires, et qui est tout à fait fondé, est que ce n’était pas fait de façon documentée, stricte et systématique dans chacun des cas.
Le directeur des poursuites militaires a immédiatement réagi à ce commentaire, à cette observation. Il a émis des directives, l’été dernier, pour s’assurer que, chaque fois qu’une prise de décision est faite par l’un des procureurs au dossier, elle est enregistrée par le procureur affecté au dossier.
Je veux aussi porter à l’attention du Comité le fait que le directeur des poursuites militaires a également fait une révision complète de toute la suite des politiques qui s’adressent à ses procureurs pour s’assurer qu’il y avait une réponse immédiate aux commentaires et aux observations qui avaient été faites par le vérificateur général[77].

Encore une fois, vu l’importance qu’il accorde à la bonne collecte des données et à l’utilisation de données de qualité, le Comité recommande :

Recommandation 8 — Sur l’attribution des dossiers aux procureurs et la documentation de leurs décisions

Que, d’ici le 30 avril 2019, le Ministère de la Défense nationale présente au Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes un rapport décrivant les progrès réalisés dans les efforts visant à s’assurer que les politiques et les processus relatifs à l’attribution des dossiers aux procureurs et à la documentation des décisions rendues dans les affaires de justice militaire soient bien définis, bien communiqués et entièrement mis en œuvre par les membres du Service canadien des poursuites militaires.

I.   Maintien de l’indépendance

Selon le BVG, les « directeurs des services des poursuites militaires et des avocats de la défense sont nommés par le ministre de la Défense nationale pour une durée déterminée. Bien que ces directeurs travaillent sous la supervision générale du Juge‑avocat général, ce processus de nomination a pour but de permettre aux directeurs de jouir d’une grande indépendance dans l’exercice de leurs fonctions[78] » et d’agir dans l’intérêt des deux parties en présence dans le système de justice militaire.

Le JAG effectue l’affectation des avocats militaires au sein des services des poursuites et des services de défense. Le BVG a conclu que cette pratique risque de nuire à la capacité des deux directions de gérer leurs fonctions de manière efficiente et efficace[79].

Enfin, le BVG a constaté que le JAG n’avait pas établi d’entente officielle avec les directeurs des deux services « en vue de déterminer comment il allait exercer sa supervision générale sans entraver leur capacité d’exercer leurs fonctions en toute indépendance ». Il s’avère également que le JAG « n’avait pas évalué si les pratiques et les processus en vigueur portaient atteinte à l’indépendance dont les deux directeurs ont besoin dans l’exercice de leur rôle au sein du système de justice militaire[80] ».

Pour cette raison, le BVG a recommandé au Juge‑avocat général d’ « évaluer si ses pratiques et processus portent atteinte à l’indépendance du directeur des poursuites militaires et du directeur du Service d’avocats de la défense, et s’il y aurait lieu d’apporter des correctifs ou de prendre des mesures d’atténuation[81] ».

Le Ministère a accepté cette recommandation; par ailleurs, en mars 2018, le Cabinet du JAG a diffusé le document Orientation stratégique du Cabinet du JAG pour 2018‑2021, qui renferme un énoncé de mission et une proposition relative à la pertinence selon lesquels l’autorité sur l’administration de la justice militaire doit s’exercer dans le respect des rôles indépendants de chacun des intervenants officiels à l’intérieur du système[82].

En réponse aux questions sur l’indépendance des intervenants, la commodore Bernatchez a reconnu, dans son témoignage au Comité, qu’il s’agissait d’un point à l’importance cruciale :

En réalité, l’indépendance et la perception d’indépendance sont essentielles à un système de justice militaire légitime. Nous prenons la question très au sérieux.
Le rôle indépendant du directeur des poursuites militaires et du directeur du Service d’avocats de la défense est prévu dans la Loi sur la défense nationale. La relation hiérarchique ou la supervision générale exercée par le Juge‑avocat général à cet égard est établie par l’entremise du Parlement.
Dans la pratique, au quotidien, je garde toujours à l’esprit l’indépendance de ces deux joueurs. Dans le cadre de mon orientation politique stratégique pour les trois prochaines années, j’ai prévu l’obligation pour tout le personnel du bureau du Juge‑avocat général de m’aider dans le cadre de la surintendance du système de justice militaire, dans le respect absolu de l’indépendance de ces joueurs.
À l’heure actuelle, nous avons aussi réalisé un examen complet de toutes les politiques du Juge‑avocat général relatives au directeur des poursuites militaires et au directeur du Service d’avocats de la défense. Nous avons tenu des consultations avec ces deux directeurs et n’avons trouvé aucun problème associé à l’indépendance en ce qui a trait à ces politiques. Nous allons continuer de consulter les deux directeurs pour élaborer de meilleures pratiques afin d’assurer non seulement l’indépendance factuelle, mais aussi la perception d’indépendance, qui est très importante.
L’une des pratiques que j’ai mises en place cette année pour la période de référence est la suivante : pour la toute première fois, j’ai dit au directeur des services d’avocats de la défense et au directeur des poursuites militaires qu’ils étaient responsables de l’évaluation de leur personnel. Je ne jouerai aucun rôle à cet égard. Les directeurs évalueront les membres de leur personnel et les renverront directement au centre en vue de la sélection aux fins d’une promotion[83].

Le Comité croit que l’indépendance du JAG et des deux services est de première importance et qu’elle doit être maintenue, tant dans la réalité que sur le plan de la perception. Et même s’il prend note des progrès et des engagements du Cabinet du JAG à cet égard, le Comité recommande :

Recommandation 9 — Sur l’indépendance du directeur des poursuites militaires et du directeur du Service d’avocats de la défense

Que, d’ici le 30 avril 2019, le Ministère de la Défense nationale présente au Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes un rapport indiquant si les pratiques et les processus du Cabinet du Juge‑avocat général influent sur l’indépendance du directeur des poursuites militaires et du directeur du Service d’avocats de la défense, et s’il y a lieu d’apporter des correctifs ou de prendre des mesures d’atténuation à cet égard.

Conclusion

Le Comité conclue que les Forces armées canadiennes n’ont pas administré efficacement le système de justice militaire, comme le révèlent les retards observés à toutes les étapes des procès sommaires et des procès menés devant une cour martiale. De plus, le BVG a constaté que « des faiblesses systémiques, y compris l’absence de normes de temps et les mauvaises communications, avaient nui au règlement rapide et efficient des causes relevant de la justice militaire[84] ». Enfin, le Cabinet du Juge‑avocat général n’a pas exercé une surveillance efficace du système de justice militaire et qu’il n’a pas l’information nécessaire pour le faire.

Afin de régler les problèmes décrits ci‑dessus et d’améliorer le système canadien de justice militaire, le Comité présente neuf recommandations au ministère de la Défense nationale. Les femmes et les hommes de courage qui font partie des Forces armées canadiennes et qui sont prêts à faire le plus grand sacrifice pour le Canada le méritent incontestablement.

Sommaire des mesures recommandées et échéance

Tableau 1 — Sommaire des mesures recommandées et échéance

Recommandation

Mesure recommandée

Échéance

Recommandation 1

Le Ministère de la Défense nationale doit présenter au Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes un rapport décrivant les progrès réalisés dans l’établissement des causes de retards dans le processus de justice militaire et la mise en œuvre de mesures correctrices visant à les atténuer.

Le 30 avril 2019

Recommandation 2

Le Ministère doit présenter au Comité un rapport décrivant les progrès réalisés dans 1) l’élaboration et la mise en œuvre du Système d’administration de la justice et de gestion de l’information; 2) l’élaboration et la mise en œuvre d’un programme de formation et de saines pratiques organisationnelles concernant l’utilisation du système.

Le 30 avril 2019

Recommandation 3

Le Ministère doit présenter au Comité un rapport décrivant les progrès réalisés dans la définition, la mise en œuvre et la communication de normes de temps relatives à chaque étape du processus de justice militaire et dans l’instauration d’un processus permettant de suivre et d’appliquer ces normes.

Le 30 avril 2019

Recommandation 4

Le Ministère doit présenter au Comité un rapport décrivant les progrès réalisés dans l’implantation de processus officiels de communication pour que la Police militaire, le directeur des poursuites militaires, les avocats du Juge‑avocat général et les unités militaires reçoivent l’information nécessaire dont ils ont besoin en temps opportun.

Le 30 avril 2019

Recommandation 5

Le Ministère doit présenter au Comité un rapport décrivant les progrès réalisés dans la définition et la communication des attentes concernant la divulgation en temps opportun de toute l’information pertinente aux membres accusés d’une infraction.

Le 30 avril 2019

Recommandation 6

Le Ministère doit présenter au Comité un rapport décrivant les progrès réalisés dans les efforts visant la nouvelle politique qui imposera une période minimale de cinq ans au sein du Cabinet du Juge‑avocat général afin de favoriser le développement de l’expertise en matière de litige nécessaire aux procureurs et aux avocats de la défense.

Le 30 avril 2019

Recommandation 7

Le Ministère doit présenter au Comité un rapport décrivant les progrès réalisés dans les efforts visant à évaluer régulièrement l’efficacité et l’efficience de l’administration du système de justice militaire et à corriger toute faiblesse soulevée.

Le 30 avril 2019

Recommandation 8

Le Ministère doit présenter au Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes un rapport décrivant les progrès réalisés dans les efforts visant à s’assurer que les politiques et les processus relatifs à l’attribution des dossiers aux procureurs et à la documentation des décisions rendues dans les affaires de justice militaire soient bien définis, bien communiqués et entièrement mis en œuvre par les membres du Service canadien des poursuites militaires.

Le 30 avril 2019

Recommandation 9

Le Ministère doit présenter au Comité un rapport indiquant si les pratiques et les processus du Cabinet du Juge‑avocat général influent sur l’indépendance du directeur des poursuites militaires et du directeur du Service d’avocats de la défense, et s’il y a lieu d’apporter des correctifs ou de prendre des mesures d’atténuation à cet égard.

Le 30 avril 2019


[1]                     Bureau du vérificateur général du Canada (BVG), L’administration de la justice dans les Forces armées canadiennes, rapport 3 des Rapports du printemps 2018 du vérificateur général du Canada, paragr. 3.2.

[2]                     Ibid.

[3]                     Ibid., paragr. 3.3.

[4]                     Ibid., paragr. 3.4.

[5]                     Ibid.

[6]                     Ibid., paragr. 3.5.

[7]                     Ibid.

[8]                     Ibid., paragr. 3.7.

[9]                     Ibid., paragr. 3.12.

[10]            Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes, Témoignages, 1re session, 42e législature, 22 octobre 2018, réunion no 113. Le sigle « JAG » peut désigner le poste de Juge‑avocat général ou le Cabinet du Juge‑avocat général.

[11]            BVG, L’administration de la justice dans les Forces armées canadiennes, rapport 3 des Rapports du printemps 2018 du vérificateur général du Canada, paragr. 3.41.

[12]            Ibid.

[13]            Ibid., paragr. 3.20.

[14]            Ibid., paragr. 3.21.

[15]            Ibid., paragr. 3.22.

[16]                  Ibid., paragr. 3.24 et 3.25.

[17]                  Ibid., paragr. 3.26.

[18]                  Ibid., para. 3.29.

[19]                  Ibid., paragr. 3.31.

[20]            Ministère de la Défense nationale, Plan d’action détaillé, p. 1.

[21]            Ibid.

[22]            Ibid.

[23]            Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes, Témoignages, 1re session, 42e législature, 22 octobre 2018, réunion no 113, 1650.

[24]                  BVG, L’administration de la justice dans les Forces armées canadiennes, rapport 3 des Rapports du printemps 2018 du vérificateur général du Canada, paragr. 3.32.

[25]                  Ibid.

[26]                  Ibid., paragr. 3.33.

[27]                  Ibid., paragr. 3.38.

[28]                  Ibid., paragr. 3.41.

[29]                  Ibid., paragr. 3.43.

[30]            Ministère de la Défense nationale, Plan d’action détaillé, p. 2.

[31]            Ibid., p. 2‑3.

[32]            Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes, Témoignages, 1re session, 42e législature, 22 octobre 2018, réunion no 113, 1600.

[33]                  BVG, L’administration de la justice dans les Forces armées canadiennes, rapport 3 des Rapports du printemps 2018 du vérificateur général du Canada, paragr. 3.44.

[34]                  Ibid., paragr. 3.45.

[35]                  Ibid., paragr. 3.46.

[36]                  Ibid., paragr. 3.47.

[37]            Ministère de la Défense nationale, Plan d’action détaillé, p. 3‑4.

[38]            Ibid.

[39]            Ibid.

[40]            Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes, Témoignages, 1re session, 42e législature, 22 octobre 2018, réunion no 113, 1615.

[41]            Ibid., 1620.

[42]                  BVG, L’administration de la justice dans les Forces armées canadiennes, rapport 3 des Rapports du printemps 2018 du vérificateur général du Canada, paragr. 3.49.

[43]                  Ibid.

[44]                  Ibid., paragr. 3.50.

[45]                  Ibid., paragr. 3.51.

[46]                  Ibid.

[47]                  Ibid., paragr. 3.52.

[48]            Ministère de la Défense nationale, Plan d’action détaillé, p. 5.

[49]            Ibid.

[50]            Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes, Témoignages, 1re session, 42e législature, 22 octobre 2018, réunion no 113, 1545.

[51]                  BVG, L’administration de la justice dans les Forces armées canadiennes, rapport 3 des Rapports du printemps 2018 du vérificateur général du Canada, paragr. 3.53.

[52]                  Ibid., paragr. 3.54.

[53]                  Ibid., paragr. 3.55.

[54]                  Ibid., paragr. 3.57.

[55]            Ministère de la Défense nationale, Plan d’action détaillé, p. 6.

[56]            Ibid., p. 6‑7.

[57]            Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes, Témoignages, 1re session, 42e législature, 22 octobre 2018, réunion no 113, 1700.

[58]            Ministère de la Défense nationale, Plan d’action détaillé, p. 6.

[59]                  BVG, L’administration de la justice dans les Forces armées canadiennes, rapport 3 des Rapports du printemps 2018 du vérificateur général du Canada, paragr. 3.65.

[60]                  Ibid., paragr. 3.66.

[61]                  Ibid.

[62]                  Ibid., paragr. 3.67.

[63]                  Ibid.

[64]                  Ibid., paragr. 3.70.

[65]                  Ibid., paragr. 3.71 et 3.72.

[66]                  Ibid., paragr. 3.73.

[67]                  Ibid., paragr. 3.75.

[68]                  Ibid., paragr. 3.76.

[69]            Ministère de la Défense nationale, Plan d’action détaillé, p. 8.

[70]            Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes, Témoignages, 1re session, 42e législature, 22 octobre 2018, réunion no 113, 1645.

[71]                  BVG, L’administration de la justice dans les Forces armées canadiennes, rapport 3 des Rapports du printemps 2018 du vérificateur général du Canada, paragr. 3.77.

[72]                  Ibid., paragr. 3.78.

[73]                  Ibid., paragr. 3.79.

[74]                  Ibid., paragr. 3.80.

[75]                  Ibid., para. 3.82.

[76]            Ministère de la Défense nationale, Plan d’action détaillé, p. 9‑10.

[77]            Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes, Témoignages, 1re session, 42e législature, 22 octobre 2018, réunion no 113, 1545.

[78]                  BVG, L’administration de la justice dans les Forces armées canadiennes, rapport 3 des Rapports du printemps 2018 du vérificateur général du Canada, paragr. 3.83.

[79]                  Ibid., paragr. 3.84.

[80]                  Ibid., paragr. 3.85.

[81]                  Ibid., paragr. 3.86.

[82]            Ministère de la Défense nationale, Plan d’action détaillé, p. 10. Pour plus de renseignements, consulter le document intitulé Orientation stratégique du Cabinet du JAG pour 2018-2021.

[83]            Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes, Témoignages, 1re session, 42e législature, 22 octobre 2018, réunion no 113, 1705.

[84]            BVG, L’administration de la justice dans les Forces armées canadiennes, rapport 3 des Rapports du printemps 2018 du vérificateur général du Canada, paragr. 3.87.