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ERRE Rapport du Comité

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CHAPITRE 2
LA RÉFORME ÉLECTORALE ET LA CONSTITUTION

A.  Fondement constitutionnel du système électoral fédéral et implications de la réforme du système

Le mandat du Comité lui demande de « tenir compte des paramètres constitutionnels, juridiques et de mise en œuvre applicables dans la formulation de ses recommandations[17] ». En effet, une partie du débat entourant la réforme du système électoral a porté sur la question de savoir si – et le cas échéant dans quelle mesure – une telle réforme appellerait une modification de la Constitution, et plus particulièrement une modification devant être approuvée par les provinces. À ce propos, bien que la Constitution canadienne ne précise pas selon quel système doit se faire l’élection des députés à la Chambre des communes, elle contient des dispositions s’appliquant au fonctionnement du système électoral, lesquelles sont résumées ci‑dessous.

Le Comité a eu le privilège d’entendre plusieurs constitutionnalistes sur la question de la réforme du système électoral. La plupart d’entre eux étaient d’avis que les types de réforme envisagés par le Comité pourraient se faire sans l’accord des provinces, pourvu que certaines conditions soient respectées. Mais quelques‑uns ont exprimé des réserves, se demandant si la décision de 2014 de la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif à la réforme du Sénat[18], notamment en ce qui concerne « l’architecture constitutionnelle » et la « structure de gouvernement [que la Constitution] vise à mettre en œuvre » s’appliquerait à la réforme électorale. Un expert a laissé entendre qu’avant de proposer un modèle de réforme du système électoral fédéral, le gouvernement demande un renvoi à la Cour suprême du Canada sur le modèle en question[19].

1.   Dispositions de la Constitution relatives au système électoral fédéral et à la réforme du système

Plusieurs dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867 et de la Loi constitutionnelle de 1982 doivent être prises en compte pour déterminer, comme l’a fait remarquer Benoît Pelletier, « dans quelle mesure le Parlement du Canada peut procéder à une réforme du mode de scrutin sans apporter de modification constitutionnelle[20] ».

Les dispositions constitutionnelles établissant la manière dont les députés sont élus à la Chambre des communes sont les articles 37, 40[21], 41, 51, 51A et 52 de la Loi constitutionnelle de 1867. Aussi, l’article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés (dans la Loi constitutionnelle de 1982) porte sur le droit de voter et de se présenter à une élection à la Chambre des communes. Enfin, la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982 énonce les règles entourant la modification de la Constitution du Canada[22]. Différentes formules de modification s’appliquent aux articles pertinents de la Loi constitutionnelle de 1867, limitant ainsi la capacité du Parlement à agir de sa propre initiative pour adopter un nouveau système électoral. 

Loi constitutionnelle de 1867 :

  • L’article 37 donne le nombre de sièges à la Chambre des communes attribués à chaque province et territoire. Au début de la Confédération, en 1867, cet article indiquait le nombre total de sièges pour chacune des quatre provinces, conformément à l’article 40. Toutes les fois qu’il y a une réorganisation en vertu de l’article 51 de la Loi constitutionnelle de 1867, la liste des sièges de l’article 37 est actualisée automatiquement.
  • L’article 40, qui a perdu tout effet (n’est plus en vigueur), établissait le nombre de sièges par province pour le premier Parlement du Canada, en 1867, ainsi que les règles qui permettaient alors de délimiter les districts électoraux. Le nombre de sièges alloués à ce moment‑là devait être conforme, autant que possible, à l’exigence de représentation proportionnelle de chaque province en fonction de son poids démographique.
  • L’article 41 porte sur la continuation des lois d’élection existantes (au début de la Confédération) jusqu’à ce que le Parlement du Canada en ordonne autrement. Comme d’autres lois ont été adoptées depuis, cet article a perdu tout effet (n’est plus en vigueur). Les élections sont maintenant régies par la Loi électorale du Canada[23], et l’éligibilité ainsi que l’inéligibilité des députés sont déterminées par la Loi sur le Parlement du Canada[24]. D’autres aspects du processus électoral sont couverts par d’autres textes législatifs, principalement la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales[25].
  • L’article 51 énonce le fondement de la révision et de la répartition du nombre de sièges à la Chambre des communes. Dans sa forme actuelle, il énumère les six règles permettant de déterminer le nombre de députés pour chaque province, à l’issue de chaque recensement décennal. Le Parlement a redéfini considérablement les règles établies à l’article 51 à plusieurs occasions. Le Parlement peut modifier unilatéralement l’article 51 tant que les changements apportés aux règles ne vont pas à l’encontre des limites imposées par les articles 51A et 52 (décrits plus bas).
  • L’article 51A, aussi appelé « clause sénatoriale » précise qu’une province ne doit, en aucun cas, avoir moins de sièges à la Chambre des communes qu’elle n’en a au Sénat[26]. L’article 51A ne peut être modifié qu’en utilisant la « formule de l’unanimité » prévue à l’article 41 de la Loi constitutionnelle de 1982 (voir description plus bas).
  • Enfin, l’article 52 énonce deux principes fondamentaux censés guider le Parlement et le limiter dans sa capacité de modifier la composition de la Chambre des communes. Premièrement, il prévoit que chaque province doit être représentée par un nombre de députés proportionnel à sa population. Deuxièmement, il suppose que les changements apportés au nombre de députés auront pour effet d’augmenter, et non de diminuer, le nombre total de membres à la Chambre des communes. Il se lit comme suit : « Le nombre des membres de la Chambre des Communes pourra de temps à autre être augmenté par le parlement du Canada, pourvu que la proportion établie par la présente loi dans la représentation des provinces reste intacte. »

La notion de « représentation proportionnelle » renvoie au concept de représentation selon la population, et vise à s’assurer que le nombre de citoyens représentés par chaque député est à peu près le même dans chaque province. Cette garantie de « représentation proportionnelle » peut être changée uniquement conformément à la formule générale de révision énoncée à l’article 38 de la Loi constitutionnelle de 1982, décrite plus bas. Plusieurs des règles qu’a adoptées le Parlement au XXsiècle, et qui ont été incorporées dans les articles 51 et 51A, ont prévu des exceptions précises à l’exigence de « représentation proportionnelle », avec l’effet conjugué d’empêcher que le nombre de sièges de plusieurs provinces ne diminue d’une redistribution à l’autre[27]. On ne sait pas exactement si le Parlement a le pouvoir d’ajouter unilatéralement des règles qui s’éloigneraient un peu plus du principe de représentation proportionnelle dans le contexte d’une réforme du système électoral.

Loi constitutionnelle de 1982 :

La Loi constitutionnelle de 1982, qui contient la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) et la formule de modification de la Constitution (partie V), donne des précisions supplémentaires sur le fonctionnement du système électoral du Canada.

  • Selon l’article 3 de la Charte : « Tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales. »
  • Pour ce qui est d’apporter des modifications à la Constitution, l’article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît au Parlement la compétence de modifier « les dispositions de la Constitution du Canada relatives au pouvoir exécutif fédéral, au Sénat ou à la Chambre des communes ».
  • Toutefois, le pouvoir du Parlement d’agir unilatéralement (comme pour modifier la formule d’attribution des sièges en vertu de l’article 51 de la Loi constitutionnelle de 1867) est limité par les alinéas 41b) et 42(1)a) de la Loi constitutionnelle de 1982. En effet :
    • l’alinéa 41b) exige l’approbation de toutes les provinces, en plus du consentement du Sénat et de la Chambre des communes, pour toute modification à la « clause sénatoriale » de l’article 51A de la Loi constitutionnelle de 1867;
    • de même, l’alinéa 42(1)a) prévoit que toute modification à la représentation proportionnelle des provinces à la Chambre des communes[28] doit se faire conformément à la formule générale de révision énoncée à l’article 38, qui exige l’appui d’au moins sept provinces représentant au moins 50 % de la population de l’ensemble des provinces, en plus du consentement du Sénat et de la Chambre des communes.

2.   Exemples tirés de la jurisprudence canadienne : Réforme électorale et Constitution

Même si la jurisprudence traitant de l’analyse du droit de vote consacré par l’article 3 de la Charte ne cesse de s’enrichir, les tribunaux se sont très rarement prononcés sur la relation entre ce droit et la possibilité de réformer le système majoritaire uninominal à un tour du Canada. Par deux fois, la première étant avec la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Figueroa c. Canada (Procureur général)[29], en 2003, et la deuxième avec la décision de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Daoust c. Québec (Directeur général des élections)[30], en 2011, les tribunaux ont conclu que l’article 3 de la Charte ne garantit pas de type particulier de système électoral, y compris le système majoritaire uninominal à un tour (SMUT), mais plutôt le droit de jouer un rôle significatif dans le processus électoral.

Ces décisions ne disent toutefois pas comment la réforme du système électoral pourrait toucher d’autres dispositions constitutionnelles, notamment celles entourant la représentation proportionnelle des provinces. Aussi, dans son Renvoi relatif à la réforme du Sénat[31], en 2014, la Cour suprême a soulevé la question de savoir si le mode de sélection, ainsi que la perception à l’égard du rôle et de la nature des parlementaires, même si ceux-ci ne sont pas énoncés explicitement dans la Constitution, font quand même partie de son « architecture ». Si tel est le cas, des experts se sont demandé si la réforme du système électoral nécessiterait une modification de la Constitution, soit qui relèverait uniquement de la compétence du Parlement, soit qui exigerait l’accord des provinces, conformément à la procédure normale de modification (dite formule 7/50) établie à l’article 38 de la Loi constitutionnelle de 1982.

B.  Observations formulées par les témoins et relevées dans les mémoires au sujet de la constitutionnalité de la réforme du système électoral

La plupart des experts qui ont témoigné devant le Comité ou qui lui ont soumis des mémoires ont fait valoir que les types de réforme du système électoral qu’envisage le Comité ne nécessiteraient pas une modification de la Constitution exigeant l’accord des provinces, à partir du moment où la réforme respecte certains paramètres constitutionnels, comme la représentation proportionnelle entre les provinces. Il n’en demeure pas moins que certains experts se sont demandé si la notion d’« architecture constitutionnelle », dont il est question dans le Renvoi relatif à la réforme du Sénat, pouvait être interprétée de manière à inclure certains éléments du mode de scrutin actuel ou du rôle des députés à la Chambre des communes, dans quel cas il faudrait obtenir l’approbation des provinces, jusqu’à un certain point.

Le constitutionnaliste et ancien ministre du gouvernement du Québec, Benoît Pelletier, a fait remarquer que bien que l’actuel système électoral soit constitutionnel, il n’est pas le seul qui pourrait se conformer à la Constitution[32]. Il a d’ailleurs expliqué combien la Cour suprême, dans l’arrêt Figueroa, a insisté sur le fait que le choix d’un système électoral est essentiellement une question politique, et que c’est au Parlement de décider (en fonction de certains paramètres)[33]. S’il est déterminé que les réformes du système électoral contreviennent à ces paramètres, il faudrait modifier la Constitution. Par exemple, tel qu’indiqué ci-haut, tout changement au principe de la représentation proportionnelle des provinces serait :

… soumis à la procédure 7/50, soit le consentement de la Chambre des communes et du Sénat, sous réserve du fait que le Sénat n'a qu'un veto suspensif de 180 jours, et d'au moins sept provinces représentant au moins 50 % de la population de toutes les provinces[34],

Aussi, M. Pelletier a dit que la constitutionnalité de tout système électoral au Canada[35] repose sur les fondements suivants :

  • la représentation effective (égalité relative entre les électeurs);
  • la charge de la Reine ou du gouverneur général (qui ne peuvent être modifiées sans consentement unanime);
  • la disposition relative au « seuil sénatorial », qui protège le droit des provinces d’avoir un nombre de députés à la Chambre des communes au moins égal au nombre de sénateurs qui les représentent;
  • le principe de la représentation proportionnelle des provinces à la Chambre des communes;
  • le principe de gouvernement responsable[36].

M. Pelletier a ajouté que « le Parlement ne peut pas provoquer des bouleversements profonds par l’introduction d’institutions politiques étrangères et incompatibles avec le système canadien », ce qui veut dire, par exemple, que le « référendum ne pourrait pas devenir le seul mécanisme pour l’adoption des lois[37] ». Enfin, il a déclaré que si le Parlement le voulait, il pourrait unilatéralement abolir les circonscriptions au Canada ou en réduire le nombre[38].

Emmett Macfarlane, dont les travaux de recherche se concentrent sur les mesures législatives prises à la suite de décisions des tribunaux et leurs implications sur les politiques publiques, a expliqué également que le Parlement pourrait entreprendre une réforme du système électoral sans obstacles de nature constitutionnelle ou juridique, à condition de respecter certaines limites[39]. M. Macfarlane a laissé entendre que même si on considérait que le système électoral est inscrit dans la Constitution, c’est‑à‑dire qu’il fait partie de l’« architecture constitutionnelle » (et que, de ce fait, il faille suivre les règles concernant la modification constitutionnelle), il n’y aurait pas d’incidence sur les intérêts des provinces; de sorte que la réforme ne nécessiterait pas le déclenchement de la procédure normale de modification de la Constitution[40].

Yasmin Dawood a ajouté qu’il est « possible d’introduire une réforme électorale sans adopter une modification constitutionnelle exigeant le consentement des provinces, pourvu que la réforme respecte certaines limites constitutionnelles »[41]. Elle a fait remarquer que dans le Renvoi relatif à la réforme du Sénat, en 2014, la Cour suprême a soulevé la question de savoir si le consentement des provinces pouvait être requis[42].

Matthew P. Harrington est allé plus loin, disant que la question de l’« architecture constitutionnelle » a « créé beaucoup d’ambiguïté et de confusion » et qu’il « pense qu’il est donc presque impossible actuellement d’établir si un changement dans la façon d’élire les membres du Parlement est suffisamment important pour exiger le consentement des provinces »[43]. M. Harrington a expliqué qu’une proposition de réforme du système électoral peut influer sur le concept « nébuleux » d’« architecture constitutionnelle » ou « modifier largement ce que la Cour [suprême du Canada] appelle les caractéristiques essentielles de la Chambre [des communes] » de deux façons : soit en modifiant les relations ou les droits des provinces, soit en changeant considérablement les relations entre le premier ministre et la Chambre[44]. Ainsi, M. Harrington est d’avis que « l'élimination du système de scrutin uninominal majoritaire» pourrait « exiger le recours à l'article 42 » de la Constitution[45].

Peter Russell a insisté sur les éventuelles répercussions constitutionnelles de certaines options de réforme du système électoral. Il a dit qu’un système de représentation proportionnelle mixte (RPM) serait beaucoup plus susceptible de remettre en question l’« architecture constitutionnelle » qu’un système de vote unique transférable (VUT), parce que la RPM « produit deux sortes de représentants », tandis que le système de VUT a déjà été utilisé au Canada[46]. Toutefois, comme cela est indiqué plus loin dans le présent rapport, d’autres témoins ont déclaré devant le Comité qu’il n’y aurait pas de différences réelles entre parlementaires élus dans un système de RPM.

Enfin, Patricia Paradis, directrice générale du Centre d’études constitutionnelles à l’Université de l’Alberta, a laissé entendre que selon le type de réforme du système électoral proposé, cela vaudrait la peine de demander à la Cour suprême de se prononcer sur la constitutionnalité de la proposition, car un renvoi de la Cour suprême ferait plus autorité et prendrait moins de temps qu’une contestation judiciaire[47]. Elle a ajouté que si la Cour suprême déterminait que la réforme électorale était une question constitutionnelle, alors le processus d’amendement approprié s’appliquerait.


[17]               ERRE, À propos, 1re session, 42e législature.

[18]               Renvoi relatif à la réforme du Sénat, [2014] 1 RCS 704.

[19]               ERRE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 29 septembre 2016, 1355 (Patricia Paradis, directrice générale, Centre d’études constitutionnelles, Université de l’Alberta, à titre personnel).

[20]               ERRE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 22 août 2016, 1430–1435 (Benoît Pelletier, professeur titulaire, Faculté de droit, Université d’Ottawa, à titre personnel).

[21]               L’article 40 de la Loi constitutionnelle de 1867 fixe les districts électoraux des quatre provinces (l’Ontario, le Québec, la Nouvelle‑Écosse et le Nouveau‑Brunswick) au début de la Confédération. Cet article est maintenant désuet, car les districts électoraux, ou circonscriptions, sont établis par des proclamations émises de temps à autre en vertu de la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales, L.R.C. 1985, ch. E-3, avec des modifications pour certaines circonscriptions, conformément aux lois du Parlement.

[22]               Le paragraphe 52(2) de la Loi constitutionnelle de 1982 établit que la Constitution du Canada comprend : la Loi de 1982 sur le Canada (y compris la Loi constitutionnelle de 1982) ainsi que les textes législatifs et les décrets figurants à l’annexe (essentiellement la Loi constitutionnelle de 1867). La Cour suprême du Canada a réitéré que la définition de l’article 52 n’est pas exhaustive.

[23]               Loi électorale du Canada, L.C. 2000, ch. 9.

[24]               Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C., 1985, ch. P-1.

[25]               Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales, L.R.C., 1985, ch. E-3.

[26]             Cet article est le fondement constitutionnel de l’attribution de quatre sièges à l’Île‑du‑Prince‑Édouard, sans quoi l’adhésion au principe de « représentation proportionnelle » énoncé à l’article 52 exigerait que le nombre de sièges accordés à la province soit inférieur.

[27             Pour une analyse des récents changements dans la formule de répartition, voir, par exemple : Michael Pal, « Fair Representation in the House of Commons? » (mai 2016). Revue de droit parlementaire et politique, numéro hors-série, Le Guide du citoyen averti aux élections (2015); Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, document de travail no 2016-02. Disponible sur le SSRN à : https://ssrn.com/abstract=2705498 [en anglais seulement].

[28]             À l’article 51A de la Loi constitutionnelle de 1867.

[29]             Figueroa c. Canada (Procureur général), [2003] 1 R.C.S. 912, 2003 CSC 37, au paragraphe 37. Dans cette affaire, le juge LeBel de la Cour suprême s’est penché sur les avantages et les inconvénients perçus de divers systèmes électoraux, ainsi que sur la latitude à donner au gouvernement pour déterminer comment concevoir un système électoral conforme à l’article 3 de la Charte [gras ajouté] ]. Voici ce qui a été dit :

Enfin, même si certains aspects du système électoral actuel favorisent l’agrégation des préférences politiques, je ne crois pas qu’il y ait lieu de constitutionnaliser ce facteur. Dans ses motifs, le juge LeBel fait valoir que le système uninominal majoritaire à un tour favorise les principaux partis ayant agrégé les préférences politiques à l’échelle nationale. Tel est peut‑être le cas en effet. Le système électoral actuel reflète certaines valeurs politiques, mais cela ne veut pas dire que ces valeurs sont consacrées par la Charte ou qu’il est opportun de les mettre en balance avec le droit de tout citoyen de jouer un rôle significatif dans le processus électoral. Après tout, la Charte ne précise aucunement le type de système électoral dans le cadre duquel doit être exercé le droit de voter ou de briguer les suffrages des électeurs. Ce fait tend à indiquer que l’art. 3 n’a pas pour objet de protéger les valeurs ou objectifs que pourrait comporter notre système électoral actuel, mais bien de protéger le droit de tout citoyen de jouer un rôle significatif dans le processus électoral, quel que soit ce processus.

[30]             Daoust c. Québec (Directeur général des élections), 2011 QCCA 1634; la demande d’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada a été rejetée (2012 CanLII 22108, 26 avril 2012). Dans cette affaire, on contestait directement « le mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour ». La Cour d’appel a rejeté la demande des requérants et refusé de déclarer le système inconstitutionnel et donc inopérant, et elle s’est rangée derrière la décision Figueroa pour conclure que l’article 3 de la Charte canadienne ne garantit pas un type particulier de système électoral. Se prononçant au nom de la Cour d’appel du Québec, le juge Dufresne a fait remarquer qu’à partir du moment où il y a représentation effective des citoyens, quel que soit le type de système électoral utilisé, le droit de vote consacré à l’article 3 de la Charte canadienne et à l’article 22 de la Charte québécoise est respecté (voir par. 55 à 57).

[31]             Renvoi relatif à la réforme du Sénat, [2014] 1 R.C.S. 704, 2014 CSC 32. Dans cette décision, la Cour suprême a déterminé que toutes les options de réforme envisagées exigeaient que l’on modifie la Constitution du Canada, tel que défini au paragraphe 52(2) de la Loi constitutionnelle de 1982. La Cour a rappelé que la définition contenue dans l’article 52 n’est pas exhaustive. D’ailleurs, les règles d’interprétation constitutionnelle ont amené la Cour suprême à conclure que la Constitution a une « architecture interne » ou une « structure constitutionnelle fondamentale », de sorte que l’« élément individuel de la Constitution est lié aux autres et doit être interprété en fonction de l’ensemble de sa structure » (voir par. 26).

[32]             ERRE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 22 août 2016, 1430 (Benoît Pelletier) :

À la lumière de tout ce que j’ai lu, mon analyse m’amène à dire qu’aux yeux de la Cour suprême du Canada, le système uninominal majoritaire à un tour, soit the first-past-the-post system, est constitutionnel, et ce, malgré ses défauts. Il est bon de savoir que le système actuel est conforme à la constitution canadienne, malgré ses faiblesses que nous constatons tous. Deuxièmement, et ce que je dis ici s’inscrit toujours essentiellement dans la perspective de la Cour suprême du Canada, la Constitution n’exige pas un système électoral démocratique en particulier et ne prévoit pas que ce système soit immuable. En d’autres termes, la Cour suprême s’est montrée ouverte à un changement du mode de scrutin et a mentionné que notre Constitution ne requérait pas un mode de scrutin en particulier. Donc, le scrutin majoritaire uninominal à un tour respecte la constitution, mais ce n’est pas le seul dans cette situation, et ce n’est pas le seul à être conforme aux valeurs canadiennes.

[33]             ERRE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 22 août 2016, 1430 (Benoît Pelletier) :

La Cour suprême semble aussi vouloir dire que le choix d’un mode de scrutin par rapport à un autre exprime une option entre des valeurs politiques concurrentes. Le gouvernement dispose d’une assez grande latitude en la matière et il ne convient pas que la Cour intervienne en ce qui concerne la réforme du mode de scrutin ou, du moins, il ne convient pas qu’elle intervienne trop. Quant à moi, cela est fondamental. La Cour suprême a dit que la réforme électorale relève des représentants élus, du Parlement, du gouvernement. Ce n’est pas un aspect dans lequel la Cour suprême souhaiterait intervenir.

[34]             Ibid., 1425.

[35]             Ibid., 1430–1435.

[36]             Ibid., 1435 (Benoît Pelletier). M. Pelletier a donné sa compréhension des principes qui sous‑tendent le modèle britannique de gouvernement responsable en ces termes :

Le premier principe veut que les pouvoirs exécutifs soient officiellement et théoriquement conférés au chef de l’État et qu’ils soient concentrés sous sa gouverne. En vertu du deuxième principe, ces pouvoirs exécutifs sont exercés en pratique par le premier ministre et les ministres. En vertu du troisième principe, le pouvoir exécutif fait partie de l’assemblée législative. En d’autres termes, non seulement l’exécutif contribue-t-il à l’exercice du pouvoir législatif, mais il fait partie intégrante de l’assemblée législative. Selon le quatrième principe, le pouvoir exécutif doit rendre des comptes à l’assemblée législative. Il doit répondre des politiques gouvernementales devant l’assemblée législative. Le principe suivant veut que la légitimité démocratique du pouvoir exécutif dépende de l’assemblée législative et qu’elle soit octroyée par celle‑ci. En vertu du dernier principe, qui rejoint le principe du gouvernement responsable, le premier ministre doit remettre la démission de son gouvernement au gouverneur général ou doit demander la dissolution de la Chambre s’il ne dispose pas de la confiance des élus du peuple. Pour ma part, c’est la définition que je donne au parlementarisme de type britannique. Cela dit, il est évident que d’autres experts pourraient vouloir raffiner cette définition ou la compléter.

[37]             En se fondant sur la décision de 1919 du Conseil judiciaire du Conseil privé dans Re Initiative and Referendum Act, à laquelle la Cour suprême du Canada a fait référence en 1987 dans Le procureur général de l’Ontario c. SEFPO.

[38]             ERRE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 22 août 2016, 1440 (Benoît Pelletier) :

Enfin, je dirais qu’il se trouvera peut-être des experts pour dire que le Parlement n’a pas de prise sur le fait qu’il y a des circonscriptions électorales au Canada. L’article 40 de la Loi constitutionnelle de 1867 fait référence aux circonscriptions électorales. Certains experts peuvent dire que les circonscriptions électorales sont du ressort de la Constitution et ne peuvent être modifiées par le Parlement unilatéralement, mais je ne partage pas ce point de vue. Je pense que l’article 44 de la loi de 1982 autorise le Parlement à abolir des circonscriptions électorales ou à en réduire le nombre de manière unilatérale.

[39]             ERRE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 23 août 2016, 0955 (Emmett Macfarlane, chargé d’enseignement, Université de Waterloo, à titre personnel).

[40]             Extraits du « Mémoire au Comité spécial sur la réforme électorale de la Chambre des communes » d’Emmett Macfarlane, 23 août 2016 :

1.     À moins de profonds changements influant sur des garanties constitutionnelles précises, il n’y a pas de contraintes juridiques ou constitutionnelles jouant sur la capacité du Parlement à mettre en œuvre une réforme électorale. Tel qu’il est expliqué ci-dessous, bien que la réforme électorale puisse être tenue pour un changement constitutionnel commandant une modification formelle, il s’agit néanmoins d’une réforme que le Parlement est libre de mettre en œuvre unilatéralement en vertu de l’article 44 de la formule de modification.

2.     En soi, le système électoral n’est pas expressément établi dans le texte constitutionnel ou dans la formule de modification. Néanmoins, dans la récente jurisprudence de la Cour suprême sur la formule de modification, en particulier le Renvoi relatif à la réforme du Sénat de 2014 et le Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême de 2014, encore qu’il ne soit pas particulièrement question de la réforme électorale, le raisonnement présenté fait fortement penser que le système électoral fait partie de “l’architecture constitutionnelle”. La Cour suprême précise que l’architecture constitutionnelle comprend des aspects qui ne sont pas décrits dans le texte constitutionnel. Étant donné que le système électoral est un élément essentiel de la Chambre des communes, tout indique qu’il pourrait aussi être tenu pour une partie de la structure fondamentale.

3.     Le raisonnement de la Cour présenté dans le Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême indique également que, dans les faits, certains volets des lois ordinaires (comme la Loi électorale du Canada) pourraient trouver leurs racines dans la Constitution. Si cette logique s’applique au système électoral, il faudrait comprendre la réforme électorale comme un changement de nature constitutionnelle commandant une modification formelle. Ceci dit, à moins de changements très précis (décrits au prochain paragraphe), la réforme électorale n’est pas une transformation qui touche des intérêts provinciaux, comme une réforme du Sénat toucherait ces intérêts. Tandis que la nature régionale de la représentation au Sénat suppose des intérêts provinciaux, le rôle de représentation de la Chambre des communes a pour objet de refléter la volonté à l’échelle nationale. Par conséquent, je conclus que même si la réforme électorale exige une modification constitutionnelle, il s’agit d’une modification que le Parlement est libre de mettre en œuvre unilatéralement en vertu de l’article 44 de la formule de modification (plus particulièrement, de la même façon qu’il l’a fait pour la redistribution des sièges en 1985 et en 2011).

[…]

5.     Ni le système électoral actuellement en vigueur, ni l’un ou l’autre des systèmes de rechange habituellement envisagés dans le contexte canadien ne contreviennent à la Charte des droits et libertés. La jurisprudence de la Cour suprême au sujet des droits démocratiques enchâssés dans la Charte fait penser que le Parlement jouit d’une vaste marge de manœuvre dans ses choix au sujet du système électoral. De plus, dans les cas où des contestations liées à l’actuel système de scrutin majoritaire uninominal à un tour (SMU) ont été soulevées sous l’angle de la Charte des droits – dont l’affaire la plus récente, qui a été entendue par la Cour d’appel du Québec en 2011 –, le système a été tenu pour constitutionnel.

[41]             Chambre des communes, Comité spécial sur la réforme électorale, Témoignages, 1re session, 42e législature, 29 août 2016, 1510 (Yasmin Dawood, professeure agrégée, chaire d’études canadiennes en démocratie, constitutionnalisme et loi électorale, Faculté de droit, Université de Toronto, à titre personnel).

[42]             Ibid. :

Je dirais que, jusqu’à la décision relative au renvoi sur le Sénat rendue par la Cour suprême, il semblait assez clair que le Parlement pouvait prendre des décisions en matière de réforme électorale ou modifier les lois électorales, pourvu qu’il suive le processus parlementaire normal. La Cour a déclaré à plusieurs reprises que le système électoral relevait du Parlement.

La Cour a reconnu que la Constitution imposait certaines limites au Parlement. Ces limites portent principalement sur le droit de vote, tel que protégé par l’article 3 de la Charte. Il y a aussi les exigences en matière de répartition que l’on trouve à l’article 51A de la Loi constitutionnelle. À part ce genre de restrictions, on aurait pensé, avant l’arrêt relatif au renvoi sur le Sénat, que le Parlement pouvait procéder à une réforme électorale.

Comme vous le savez, la Cour a déclaré, dans le renvoi relatif au Sénat, que les divers projets de réforme du Sénat constituaient en fait des modifications constitutionnelles, même si elles n’avaient pas pour effet de modifier le texte de la Constitution. Par exemple, pour ce qui est des élections consultatives, le projet prévoyait qu’elles pourraient avoir lieu sans qu’il soit nécessaire de modifier le texte de la Constitution; la Cour a néanmoins conclu que cela constituait une modification constitutionnelle.

Il s’agit de savoir maintenant si la réforme électorale constitue une modification à la Constitution qui exigerait le consentement des provinces selon la règle des 7/50, selon laquelle sept provinces représentant au moins 50 % de la population doivent accepter le changement.

        Dans l’article dont je parlais, j’ai essayé de voir s’il n’y aurait pas le moyen d’éviter cette règle. Est-il possible que la Cour déclare à l’avenir qu’il n’est pas nécessaire que la réforme électorale soit approuvée de la même façon qu’une modification constitutionnelle qui exige le consentement des provinces? À mon avis, cela peut se soutenir. Mais il est également possible d’affirmer qu’il faudrait procéder à une modification constitutionnelle qui exige le consentement des provinces.

[43]             ERRE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 23 août 2016, 1420–1425 (Matthew P. Harrington, professeur titulaire, Faculté de droit, Université de Montréal, à titre personnel).

[44]             Ibid.

[45]             Ibid., 1420.

[46]             ERRE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 26 juillet 2016, 1525 (Peter Russell, professeur émérite, Département de science politique, Université de Toronto, à titre personnel) :

Je pense qu’un député courrait le risque dans ce cas-là, parce qu’une élection produit deux sortes de représentants. Cette formule employée dans l’arrêt pour désigner l’architecture de la Constitution, vous en conviendrez, n’est pas précise, et la création de deux sortes de représentants pourrait être considérée comme un écart par rapport à l’architecture. Cependant, avoir des circonscriptions plurinominales selon diverses versions du système de vote unique transférable serait, je crois, correct. Nous l’avons déjà appliqué dans notre histoire. C’est une autre raison pour laquelle je suis passé de la représentation proportionnelle mixte au vote unique transférable, car je pense que ce dernier mode de scrutin crée moins d’incertitude du point de vue de la Constitution.

[47]             ERRE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 29 septembre 2016, 1355 (Patricia Paradis).