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CAAM Rapport du Comité

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LES POLITIQUES D’ACHAT « BUY AMERICA » : RAPPORT PROVISOIRE

Introduction

Les gouvernements sont de grands acheteurs de biens et de services et ils peuvent se servir de leur pouvoir d’achat à des fins stratégiques, notamment pour favoriser les fournisseurs nationaux et leurs travailleurs et, de ce fait, l’économie intérieure. À cette fin, ils utilisent des mécanismes qui peuvent prendre différentes formes; par exemple, ils interdisent la participation des fournisseurs étrangers aux marchés publics et imposent des quotas de contenu national et des exigences techniques susceptibles d’avantager les fournisseurs nationaux.

Même si une série d’accords commerciaux, dont l’Accord révisé sur les marchés publics (l’AMP) de l’Organisation mondiale du commerce, ont cherché à ouvrir la passation des marchés publics aux fournisseurs étrangers, les gouvernements, celui des États-Unis notamment, persistent à mettre en œuvre des politiques de traitement préférentiel de leurs fournisseurs nationaux.

Depuis longtemps, les États-Unis mettent en vigueur des politiques d’achat du gouvernement qui privilégient les fournisseurs du pays, notamment les politiques « Buy America » et « Buy American », et qui restreignent l’accès des fournisseurs étrangers aux marchés publics américains[1]. En conséquence, les gouvernements, les entreprises et les syndicats canadiens s’inquiètent depuis longtemps des effets de ces politiques sur les chaînes d’approvisionnement intégrées en Amérique du Nord et de l’exclusion des entreprises canadiennes, et donc de leurs travailleurs, des débouchés économiques aux États-Unis. Des modifications possibles aux politiques « Buy America » et « Buy American » découlant du décret du président Biden publié en janvier 2021, Executive Order on Ensuring the Future Is Made in All of America by All of America’s Workers, et du plan de création d’emplois, The American Jobs Plan, annoncé en mars 2021, ont ravivé dernièrement les inquiétudes chez les Canadiens.

Le 16 février 2021, la Chambre des communes a adopté une motion créant le Comité spécial sur la relation économique entre le Canada et les États-Unis (le Comité spécial). Le paragraphe l de la motion charge le Comité spécial :

de présenter un deuxième rapport provisoire sur les règles, exigences et politiques d’approvisionnement « Buy America » actuelles et éventuelles, accompagné de recommandations pour la protection des intérêts canadiens, au plus tard le jeudi 17 juin 2021.

Le Comité spécial a tenu cinq réunions entre le 1er et le 29 avril 2021, durant lesquelles 22 témoins ont parlé des politiques de traitement préférentiel des fournisseurs américains, y compris celles du type « Buy America ». Il a entendu la ministre de la Petite Entreprise, de la Promotion des exportations et du Commerce international, le ministre des Affaires étrangères, des représentants d’Affaires mondiales Canada, d’entreprises, d’associations professionnelles, de syndicats, de groupes de réflexion, d’un groupe de la société civile ainsi que des universitaires et un spécialiste indépendant. Quelques témoins, dont l’ambassadrice du Canada aux États-Unis et des représentants d’Affaires mondiales Canada, ont fait des observations sur ces politiques lors des réunions du Comité spécial tenues avant le 1er avril 2021.

Ce rapport provisoire résume les remarques des témoins sur les politiques « Buy America » et autres de même nature, en plus de formuler six recommandations à l’intention du gouvernement du Canada. Le point de vue des témoins sur d’autres sujets sera pris en considération dans les prochains rapports du Comité spécial qui aborderaient les relations économiques entre le Canada et les États-Unis. En particulier, ce rapport provisoire tient compte ici de l’accès des entreprises canadiennes aux marchés d’approvisionnement des gouvernements américains, des implications pour le Canada et les États‑Unis des politiques d’achat « Buy America » et autres de même nature, de même que des actions récentes et éventuelles du gouvernement du Canada à l’égard de ces politiques. Il fait également état des conclusions et recommandations du Comité spécial.

Accès des entreprises canadiennes aux marchés publics des États-Unis

Lors de leur témoignage devant le Comité spécial, certains témoins ont discuté des politiques de traitement préférentiel des fournisseurs américains, dont celles du type « Buy America » et du genre « Buy American », et ont émis des commentaires sur la possibilité d’y recourir davantage.

Politiques « Buy America », « Buy American » et autres de même nature

D’après le Centre canadien de politiques alternatives, les politiques « Buy America » sont « pratique courante » aux États-Unis et, vu leur « large appui de la part des deux partis politiques américains », elles sont « là pour de bon ». De l’avis de l’organisation Manufacturiers et Exportateurs du Canada, le principe d’acheter des biens nationaux avec l’argent des contribuables semble « tout à fait sens[é] sur le plan politique et pratique ».

Quoi qu’il en soit, la ministre de la Petite Entreprise, de la Promotion des exportations et du Commerce international, l’ambassadrice du Canada aux États-Unis et des représentants d’Affaires mondiales Canada ont expliqué que, aux termes de l’AMP, le Canada est exempté des politiques de traitement préférentiel des fournisseurs américains qui s’appliquent aux achats du gouvernement fédéral des États-Unis, y compris les achats assujettis à la Buy American Act of 1933. Ils ont aussi expliqué que cette exemption ne vaut pas pour les politiques « Buy America » liées aux programmes fédéraux qui accordent des prêts et des subventions à d’autres ordres de gouvernement, dont les États et les municipalités, parce que les États-Unis ont exclu ces programmes de leurs engagements pris sous le régime de l’AMP. Le Centre canadien de politiques alternatives a fait valoir que les politiques « Buy America » portent surtout sur les transferts de l’administration fédérale aux autres ordres de gouvernement pour « des projets de transport en commun et des projets routiers » et « d’infrastructures hydrauliques », et imposent des quotas sur l’utilisation de fer, d’acier et de produits fabriqués aux États-Unis.

Recensant d’autres politiques qui empêchent les entreprises canadiennes d’accéder aux marchés publics des États-Unis, le Canadian American Business Council a cité en exemple l’État du New Jersey, qui a promulgué dernièrement une loi de traitement préférentiel des fournisseurs américains. Dans la même veine, Geneviève Dufour de l’Université de Sherbrooke, comparaissant à titre personnel, a déclaré que des politiques fédérales américaines qui obligent d’octroyer les contrats d’une valeur inférieure à 250 000 $ US à de petites entreprises des États-Unis peuvent exclure les entreprises canadiennes.

Ensemble, les politiques de traitement préférentiel des fournisseurs américains donnent lieu à une situation d’« une complexité déroutante », de l’avis de la Chambre de commerce du Canada. Dans ce contexte, Manufacturiers et Exportateurs du Canada a fait une mise en garde contre le fait de considérer l’accès des entreprises canadiennes aux marchés publics des États-Unis uniquement comme une somme de règles d’approvisionnement de nature technique, indiquant que ces politiques ont un « effet paralysant » sur la compétitivité de ces entreprises dans des marchés auxquels elles pourraient techniquement avoir accès.

Justin Hughes, de l’Université Loyola-Marymount, qui a témoigné à titre personnel, a qualifié le décret que le président Biden a publié en janvier 2021 de « resserrement général » des politiques en vigueur. Des représentants d’Affaires mondiales Canada et l’ambassadrice du Canada aux États-Unis ont souligné que le décret ne constituait pas une source d’inquiétude immédiate parce que l’AMP exempte le Canada des politiques « Buy American », bien que le Conseil canadien des affaires et Manufacturiers et Exportateurs du Canada aient fait remarquer que le décret est un développement qui demande une réponse de la part du Canada.

Élargissement possible des politiques

Selon les explications de Justin Hughes, le président Biden a toujours appuyé les politiques « Buy America », ses déclarations et ses actions depuis son entrée en fonction reflétant ses positions politiques mises de l’avant durant sa campagne électorale. William Reinsch, du Center for Strategic and International Studies, qui a témoigné à titre personnel, a expliqué pourquoi il croit que les politiques « buy America » et autres de même nature s’intensifieront, tout comme la popularité de ces politiques, ce qui aidera le président Biden à gagner le soutien des cols bleus, partisans de l’ancien président Trump. De plus, selon lui, la pandémie de COVID-19 ainsi que la concurrence de plus en plus grande de la Chine, qui poussent les États-Unis à rapatrier ses chaînes d’approvisionnement du secteur manufacturier, sont d’autres facteurs.

Le ministre des Affaires étrangères a fait observer que le président Biden entend modifier la liste des produits visés par les politiques« Buy America », et des représentants d’Affaires mondiales Canada ont également indiqué que « les matériaux de construction comme le ciment, les agrégats [et] l’asphalte » pourraient en faire partie. L’ambassadrice du Canada aux États-Unis a aussi laissé entendre que d’autres biens pourraient également être inclus dans les politiques « Buy America » en vertu des programmes fédéraux américains existants.

En qualifiant le plan de création d’emplois des États-Unis comme étant un élément de contexte important pour les politiques « Buy America » et en faisant valoir que le Congrès américain doit adopter le plan, le Canadian American Business Council et le Syndicat des Métallos ont prévenu que les investissements proposés de billions de dollars dans les infrastructures seront assortis de ces mêmes politiques d’achat. Des représentants d’Affaires mondiales Canada ont indiqué que le gouvernement du Canada s’attend à devoir négocier un accès à l’approvisionnement relativement au plan.

Implications pour le Canada et les États-Unis

Quand ils ont discuté des conséquences pour le Canada et les États-Unis des politiques « Buy America » et autres de même nature, les témoins ont insisté sur certains effets liés à l’intégration de l’économie et de la chaîne d’approvisionnement, au commerce et aux investissements, aux coûts ainsi qu’aux emplois.

Intégration de l’économie et de la chaîne d’approvisionnement ainsi que commerce et investissements

Des représentants d’Affaires mondiales Canada ont soutenu que l’actuelle administration des États‑Unis est consciente de la nature intégrée des économies canadienne et américaine et comprend qu’« une approche stricte du type “buy America” » serait coûteuse en raison des nombreux intrants canadiens utilisés dans les « biens qu’ils consomment ».

Dans ses observations sur les économies canadienne et américaine qui sont « étroitement liées », le Réseau pour le commerce juste a signalé que toute dépense américaine de relance « aura des retombées au Canada ». À son avis, ces dépenses seront avantageuses pour le Canada à long terme, même si les politiques « Buy America » empêchent toute retombée directe.

Manufacturiers et Exportateurs du Canada a fait valoir que les politiques « Buy America » ont tendance à « compromettre les chaînes d’approvisionnement régionales », car elles ne font pas la « distinction entre les chaînes d’approvisionnement intégrées et les produits importés ou finis ». Dans la même optique, l’Association canadienne du ciment a déclaré que, en limitant la circulation transfrontalière du ciment, les politiques « Buy America » ou « Buy American » qui limitent la libre circulation de ciment d’un côté à l’autre de la frontière canado-américaine « risquent de briser » la « chaîne d’approvisionnement intégrée de longue date » du secteur du ciment. Selon le point de vue des Syndicats des métiers de la construction du Canada, le fait de rendre plus difficile pour les entreprises étrangères d’obtenir des dérogations à certaines politiques américaines d’approvisionnement risque de retarder la réalisation de projets de construction en raison de « l’intégration de notre chaîne d’approvisionnement ».

En ce qui touche au commerce, le ministre des Affaires étrangères a fait remarquer que les politiques « Buy America » nuisent aux intérêts du Canada à l’égard des États-Unis ainsi qu’au commerce bilatéral entre les deux pays. Soulignant les « conséquences indésirables » que pourraient avoir ces politiques, le ministre a dit que les États-Unis « scier[aient] la branche sur laquelle ils sont assis » s’ils bloquaient les importations en provenance du Canada qui, en moyenne, ont un contenu à 21 % américain.

Concernant le commerce de produits en particulier, la Canadian Canola Growers Association a dit que les politiques « Buy America » sont « préoccupantes » pour le secteur du canola, une culture axée sur l’exportation. Cependant, l’Association a indiqué que ces politiques n’ont pas encore eu de répercussions sur les producteurs canadiens de canola. En outre, lorsqu’elle a affirmé que les agriculteurs peuvent aider à répondre aux « besoins croissants » de l’Amérique du Nord en biocarburants à faible teneur en carbone, l’Association a insisté sur l’importance d’assurer « la libre circulation » de ces produits, de leurs matières de base et des carburants finis.

L’Association de l’aluminium du Canada a affirmé que, « malgré les mesures “Buy America” », « nous continuerons de trouver des acheteurs » d’aluminium canadien exporté aux États-Unis. Selon l’Association, les fabricants canadiens de pièces et de composants pour les projets de tramways ou les réseaux municipaux de transport en commun qui sont « subventionnés » par le gouvernement des États-Unis sont susceptibles d’être touchés si le Canada n’obtient pas une exemption à ces politiques.

AddÉnergie Technologies inc. a observé que, pour être capables de réduire de moitié leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, il sera « essentiel » pour les États‑Unis d’avoir « accès le plus rapidement possible » à un approvisionnement « fiable et hautement compétitif » de technologies et d’énergie propres auprès d’entreprises de confiance « de part et d’autre de la frontière ». L’entreprise a également dit craindre que « les mesures “Buy America” actuelles ou qui sont susceptibles d’être renforcées » puissent « entraver de manière significative l’électrification des transports aux États-Unis » et nuire aux entreprises canadiennes qui contribuent à cette électrification si elles s’appliquent aux bornes de recharge pour véhicules électriques fabriquées au Canada.

AddÉnergie Technologies inc. a d’ailleurs ajouté qu’il lui est impossible de prédire comment les ministères et organismes américains appliqueront les politiques « Buy America » dans le contexte du plan de création d’emplois des États-Unis. Selon l’entreprise, il peut s’écouler « de nombreux mois, voire des années » pour ajuster sa chaîne d’approvisionnement de façon appropriée, après quoi elle devra renouveler l’homologation de leurs produits.

En ce qui a trait aux investissements, l’Association canadienne des producteurs d’acier a prédit que les politiques « Buy America » « détourner[ont] sans aucun doute les investissements vers les aciéries américaines », et que ce détournement nuira, à son avis, à la compétitivité des producteurs d’acier canadiens. IPEX Gestion inc. a laissé entendre qu’elle pourrait construire d’autres usines aux États-Unis si le Canada n’obtient pas une exemption aux politiques « Buy America » ou autres de même nature.

Le Canadian American Business Council a indiqué que, à cause d’une obligation d’« achat local », Bombardier a construit une usine à Plattsburgh, dans l’État de New York, quand la ville de New York a lancé un appel d’offres pour la construction de rames de métro. Manufacturiers et Exportateurs du Canada a déclaré que quelques-uns de ses membres ont fait l’acquisition d’entreprises américaines pour contourner certaines politiques de traitement préférentiel des fournisseurs américains, mais on leur a dit qu’ils ne pourraient toujours pas participer aux marchés publics américains parce qu’ils n’étaient pas des entreprises américaines.

Des coûts en particulier

Selon les observations d’AddÉnergie Technologies inc., dans l’éventualité où les politiques « Buy America » engloberaient les bornes de recharge pour véhicules électriques, sa production « efficace et intégrée » de ses bornes de recharge serait limitée. En particulier, l’entreprise a souligné que la production obligatoire de toutes les bornes aux États-Unis avec des composants entièrement fabriqués en sol américain provoquerait sans doute le dédoublement des chaînes de production, « l’augmentation des coûts de production » pour les producteurs dans son secteur « et enfin, l’augmentation du fardeau des contribuables américains pour atteindre les objectifs d’approvisionnement ».

Les Syndicats des métiers de la construction du Canada et le Canadian American Business Council ont cité en exemple la ville de Bettendorf, en Iowa, qui doit faire installer des ascenseurs dont certaines pièces seraient peut-être entièrement fabriquées au Canada. Les Syndicats des métiers de la construction du Canada ont souligné qu’à défaut d’une dérogation aux politiques « Buy America », la ville sera obligée de faire fabriquer des pièces d’ascenseur sur mesure, ce qui doublera le coût – 427 000 $ US – des ascenseurs, ou de « renoncer » à la subvention d’approvisionnement consentie par le gouvernement fédéral des États-Unis[2].

Emploi

Le Conseil canadien des affaires a soutenu que « le moment et l’approche des dernières mesures proposées » par les États‑Unis dans leur plan de création d’emplois et le décret intitulé Executive Order on Ensuring the Future Is Made in All of America by All of America’s Workers « vont à l’encontre de l’esprit » de l’Accord Canada–États‑Unis–Mexique (ACEUM) ainsi que de « nombreux objectifs communs de coopération bilatérale ». Soulignant que l’objectif de l’ACEUM est « d’accroître la compétitivité nord-américaine dans le secteur manufacturier, entre autres, tout en créant un climat propice aux emplois bien rémunérés », le Conseil canadien des affaires a dit que « l’orientation “Buy American” de [l’actuelle] administration [des États‑Unis] […] mine la réussite de cet accord crucial ».

Qui plus est, le Conseil canadien des affaires a avancé que, « [s]i les règles et les restrictions privilégiant l’achat américain sont appliquées davantage dans le plan de création d’emplois des États-Unis », les travailleurs canadiens et américains en souffriront. Par ailleurs, le Canadian American Business Council a soutenu que la politique « Buy American » provoquera une perte d’emplois aux États-Unis.

Unifor a fait valoir que l’augmentation du contenu américain exigé imposée en 2018 pour les « achats des transports en commun financés par le gouvernement fédéral » des États‑Unis a forcé une entreprise canadienne à mettre à pied des dizaines de membres d’Unifor qui travaillaient dans une usine d’assemblage de Winnipeg[3].

Actions récentes et éventuelles du gouvernement du Canada

Dans leurs observations sur les actions du gouvernement du Canada à propos des politiques « Buy America », les témoins ont souligné le dialogue récent avec de nombreux décideurs américains en plus de proposer des arguments que le gouvernement du Canada pourrait invoquer pour une demande d’exemption aux dispositions « Buy America »[4].

Dialogue entre les deux pays

Le ministre des Affaires étrangères a affirmé que le premier ministre Justin Trudeau et la ministre des Finances avaient discuté avec la vice-présidente des États-Unis des moyens d’éviter les « conséquences indésirables » des politiques « Buy America ». Pour sa part, la ministre de la Petite Entreprise, de la Promotion des exportations et du Commerce international a parlé de ses entretiens avec le président Biden et la représentante au Commerce des États-Unis afin d’« assurer la stabilité et la prospérité de nos industries ». Des représentants d’Affaires mondiales Canada ont signalé qu’un « certain nombre de conversations » avaient déjà été tenues et qu’il y a une « ouverture » et une « volonté » à discuter de toute « répercussion négative » possible des politiques « Buy America ».

De plus, la ministre de la Petite Entreprise, de la Promotion des exportations et du Commerce international et l’ambassadrice du Canada aux États-Unis ont dit que, si les États‑Unis décident d’élargir les politiques « Buy America », le gouvernement du Canada tentera de soustraire le Canada à leur application.

Arguments pour une exemption du Canada

Le Canadian American Business Council, le Conseil canadien des affaires et IPEX Gestion inc. ont encouragé le gouvernement du Canada à solliciter une exemption totale aux politiques « Buy America », une approche qui est qualifiée d’« option [non] viable » par la Chambre de commerce du Canada et que Unifor décrit comme « pas réaliste ».

Des représentants d’Affaires mondiales Canada ont déclaré que, dans leurs discussions avec leurs homologues américains sur les exemptions aux politiques « Buy America », le principal point visait à établir les secteurs clés auxquels le Canada peut « apporter beaucoup de valeur ajoutée ». Dans la même optique, la Chambre de commerce du Canada a pressé le gouvernement du Canada de recenser les secteurs que les États-Unis ont priorisés dans leur plan d’infrastructures et dans lesquels le Canada possède « des compétences clés ». Pour sa part, Unifor a proposé de se concentrer sur les « points d’harmonisation » mutuellement bénéfiques pour le Canada et les États-Unis.

Priorisant une exemption permanente aux politiques « Buy America » pour le Canada dans le cadre d’une nouvelle entente ou d’un accord commercial déjà en vigueur, Manufacturiers et Exportateurs du Canada a dit considérer comme « essentiel » un accord bilatéral permanent qui donnerait aux fournisseurs canadiens et américains un accès préférentiel aux marchés publics. Cela dit, Geneviève Dufour a laissé entendre qu’une renégociation de l’ACEUM pour que le Canada puisse être exempté des politiques « Buy Amercia » ne semble pas « une bonne idée[5] ». Qui plus est, elle a soutenu que les États-Unis ont pris, dans le cadre de l’AMP, des engagements qui les empêchent de donner au Canada un accès préférentiel si ces mêmes privilèges ne sont pas aussi accordés aux autres pays signataires.

Selon un mémoire présenté par Affaires mondiales Canada au Comité spécial, les États‑Unis ont la possibilité de négocier une exemption « Buy America » distincte pour le Canada, tout en respectant leurs obligations commerciales internationales. On peut y lire que l’AMP « ne s’applique pas aux “accords non contractuels, ni à toute forme d’aide qu’une Partie fournit, y compris les accords de coopération, les dons, les prêts, les participations au capital social, les garanties et les incitations fiscales” » et permet donc au gouvernement des États-Unis de mettre en place des exigences « Buy America » relativement aux fonds fédéraux versés aux gouvernements des États et des collectivités locales « pour entreprendre des projets d’infrastructure de façon conforme à l’AMP ».

La ministre de la Petite Entreprise, de la Promotion des exportations et du Commerce international ainsi que les représentants du Syndicat des Métallos, d’Unifor, des Syndicats des métiers de la construction du Canada, de l’Association de l’aluminium du Canada, de l’Association canadienne des producteurs d’acier et de l’Association canadienne du ciment ont expliqué pourquoi une exemption du Canada aux politiques « Buy America » profiterait aussi bien au Canada qu’aux États-Unis et ont souligné l’avantage du Canada à produire des matériaux de construction plus faibles en carbone, notamment l’acier, l’aluminium et le ciment. D’après le Canadian American Business Council, les Syndicats des métiers de la construction du Canada et le Syndicat des Métallos, une exemption du Canada aux politiques « Buy America » doit être abordée dans le contexte d’une stratégie d’approvisionnement bilatérale axée sur la durabilité.

Les États-Unis pourraient envisager une exemption du Canada à travers le prisme de la sécurité nationale. L’Institut canadien des affaires mondiales, la Chambre de commerce du Canada et le Canadian American Business Council ont ainsi avancé qu’on pourrait s’inspirer de l’Accord sur le partage de la production de défense conclu entre le Canada et les États-Unis pour l’établissement de relations similaires en matière de marchés publics.

Enfin, en parlant du lien entre la sécurité nationale et les chaînes d’approvisionnement du secteur manufacturier au Canada et aux États-Unis, des représentants d’Affaires mondiales Canada, Justin Hughes ainsi que l’Institut canadien des affaires mondiales, la Chambre de commerce du Canada et le Conseil canadien des affaires ont souligné l’intérêt que porte le gouvernement des États‑Unis à des chaînes d’approvisionnement sécuritaires et résilientes comme une occasion de promouvoir une approche intégrée des marchés publics. À titre d’exemple d’une telle intégration, le ministre des Affaires étrangères et l’ambassadrice du Canada aux États-Unis ont cité la stratégie de la chaîne d’approvisionnement canado-américaine lancée dernièrement par le premier ministre Trudeau et le président Biden dans le cadre de la Feuille de route pour un partenariat renouvelé États-Unis–Canada.

Conclusion

Comme il est difficile, à cause de données insuffisantes, de quantifier les effets passés et actuels des politiques « Buy America » sur le Canada, le Comité spécial estime que l’application de ces politiques aux biens canadiens – pratique qui dure depuis des dizaines d’années – empêche le bon fonctionnement des chaînes d’approvisionnement intégrées, peut forcer des entreprises à renoncer à investir au Canada et freine l’exportation de certains produits canadiens aux États-Unis, dont certains intrants. Qui plus est, ces politiques sont susceptibles de provoquer des pertes d’emplois tant au Canada qu’aux États-Unis, car elles gênent la compétitivité à l’échelle du continent et l’intégration des marchés qui est mutuellement bénéfique aux deux pays. De plus, ces politiques augmentent les coûts d’approvisionnement pour les contribuables américains et limitent la capacité des États‑Unis d’atteindre leurs objectifs, notamment en matière d’environnement.

Les États‑Unis semblent prêts à discuter avec le Canada des politiques « Buy America », notamment dans le contexte du plan de créations d’emplois aux États-Unis. Le Comité spécial estime que le gouvernement du Canada devrait poursuivre les discussions avec le gouvernement des États-Unis afin d’obtenir une exemption totale à ces politiques, aussi bien dans le présent que dans l’avenir. Dans l’impossibilité d’une exemption totale, une exemption pour des secteurs canadiens en particulier, y compris ceux qui font partie de chaînes d’approvisionnement intégrées, serait une solution de second choix. En l’occurrence, le gouvernement du Canada devrait déterminer les secteurs prioritaires par la tenue de consultations auprès d’entreprises, d’employés et autres parties prenantes.

Une exemption pour le Canada des politiques « Buy America » bénéficierait au Canada ainsi qu’aux États-Unis. De l’avis du Comité spécial, une telle exemption tiendrait compte de la nature intégrée des deux économies et de certains secteurs. Elle aiderait au bon fonctionnement des chaînes d’approvisionnement et favoriserait un climat propice aux décisions d’affaires qui permettraient aux entreprises et aux travailleurs de maximiser leurs contributions économiques.

Si les avantages d’accorder au Canada une exemption aux politiques « Buy America » et l’importance des chaînes d’approvisionnement continues et résilientes étaient mieux connus aux États‑Unis, les efforts visant à garantir un meilleur accès aux marchés publics des États‑Unis seraient facilités. Par conséquent, le Comité spécial est d’avis que le gouvernement du Canada devrait continuer de faciliter des discussions dans les deux pays sur les politiques « Buy America ».

Le Canada et les États-Unis ont une longue histoire de collaboration pour le bien commun dans un grand nombre de sphères. Le Comité spécial est d’avis que les marchés publics pourraient constituer un secteur où une plus grande collaboration entre les deux pays entraînerait des gains pour chacun d’eux. Dans cette perspective, il serait bénéfique pour le Canada et les États-Unis qu’ils élaborent ensemble des stratégies d’approvisionnement bilatérales et qu’ils se penchent d’abord sur les secteurs dans lesquels ils ont des priorités communes immédiates.

Enfin, alors que les parlementaires étudient des questions particulières et formulent des recommandations, ils devraient avoir accès à des renseignements fiables, en temps opportun. Lorsque le Comité spécial poursuivra son étude sur les politiques « Buy America », il serait utile qu’il reçoive des mises à jour, y compris du gouvernement du Canada, sur les répercussions possibles du plan de création d’emplois des États-Unis.

À la lumière de ce qui précède, le Comité spécial formule les recommandations suivantes :

Recommandation 1

Que le gouvernement du Canada poursuive son dialogue avec le gouvernement des États‑Unis au sujet des politiques « Buy America ». Les discussions devraient aborder les effets néfastes de ces politiques pour les deux pays, notamment concernant les chaînes d’approvisionnement et les emplois, et devraient viser à obtenir une exemption totale du Canada aux actuelles et futures politiques « Buy America ».

Recommandation 2

Que, dans l’impossibilité d’une exemption totale pour le Canada en ce qui concerne les politiques « Buy Amercia », le gouvernement du Canada accorde la priorité à l’exemption des chaînes d’approvisionnement intégrées et qu’une distinction soit faite entre celles‑ci et les produits importés ou finis, et essaie d’obtenir une exemption pour des secteurs canadiens en particulier. Le gouvernement devrait désigner ces secteurs à la suite de consultations appropriées auprès des entreprises, des travailleurs et des autres parties prenantes.

Recommandation 3

Que le gouvernement du Canada travaille en étroite collaboration avec des entreprises et des syndicats du Canada afin de continuer de faciliter des discussions avec leurs homologues des États‑Unis et d’autres Américains en vue de sensibiliser les Américains au sujet de l’augmentation des coûts des projets entrepris par les États et les collectivités locales qui découlerait du fait de ne pas accorder d’exemption au Canada relativement aux politiques « Buy America ». Qui plus est, le gouvernement devrait créer un groupe de travail composé de représentants d’entreprises, de syndicats et d’autres parties prenantes des deux pays, qui fournirait aux Américains des renseignements sur l’importance des chaînes d’approvisionnement continues et résilientes et insisterait sur cet aspect.

Recommandation 4

Que le gouvernement du Canada discute de possibles stratégies d’approvisionnement bilatérales avec le gouvernement des États-Unis. Si de telles stratégies sont élaborées, les pays devraient se pencher d’abord sur les produits et les secteurs dans lesquels ils ont des priorités communes immédiates.

Recommandation 5

Que le gouvernement du Canada travaille avec le gouvernement des États‑Unis pour élaborer une stratégie d’approvisionnement qui accordera la priorité à l’achat de biens ayant de faibles émissions de carbone. Cette stratégie devrait peut‑être inclure des droits de douane sur le carbone, et elle devrait aussi reconnaître que la production canadienne dans certains secteurs, comme l’aluminium, l’acier et le ciment, donne lieu à des émissions de carbone relativement faibles, de même qu’offrir un avantage concurrentiel aux producteurs canadiens et américains dont les émissions de carbone sont plus faibles que celles des producteurs d’autres pays.

Recommandation 6

Que le gouvernement du Canada suive de très près l’approbation et la mise en œuvre possibles du plan de création d’emplois, annoncé par le président Joe Biden en mars 2021, et communique au Comité spécial sur la relation économique entre le Canada et les États-Unis de la Chambre des communes des mises à jour, par écrit, sur les répercussions de ce plan et de toute politique « Buy America » connexe. Le gouvernement devrait fournir ces mises à jour le 31 juillet 2021 et le 31 août 2021.


[1]              Les témoins emploient parfois « Buy American » pour évoquer la politique « Buy America » ou les autres politiques de traitement préférentiel des fournisseurs américains. Le cas échéant, et par souci d’uniformité, ce rapport modifie les termes qui sont employés par les témoins.

[2]              Selon le Service des délégués commerciaux du Canada, dans le cas des approvisionnements américains non « visés » par un accord commercial, les États-Unis peuvent déroger aux exigences relatives aux politiques « Buy American » et « Buy America » et permettre l’usage de produits étrangers. Le Service a précisé qu’en règle générale les États-Unis peuvent accorder une dérogation à condition que l’utilisation d’un produit américain soit « irréalisable ou irait à l’encontre de l’intérêt public »; que le produit ne soit pas « extrait, produit ou fabriqué » aux États-Unis « en quantités commerciales suffisantes et raisonnablement disponibles dans une qualité satisfaisante »; ou que l’utilisation d’un produit américain augmente de façon « déraisonnable » le coût total d’un projet.

[3]              La Federal Transit Administration des États-Unis ne financera pas l’achat de wagons et d’autocars à moins que ceux-ci n’aient un minimum de contenu américain calculé selon le coût des pièces. La loi américaine Fixing America’s Surface Transportation Act a fait passer le seuil minimal de contenu américain auparavant fixé à plus de 60 % durant l’exercice financier 2016 à plus de 70 % durant l’exercice 2020.

[4]              Les témoins ont employé les termes « exemption », « dérogation » ou « soustraction » pour désigner les exceptions à toute nouvelle politique « Buy America ». Pour le rapport, le terme « exemption » s’entend des mesures qui excluraient le Canada de toute future politique de même nature.

[5]              Le chapitre 13 de l’Accord Canada–États‑Unis–Mexique porte sur les marchés publics; toutefois, ses dispositions s’appliquent uniquement aux États‑Unis et au Mexique. Les engagements en matière d’approvisionnement entre le Canada et les États‑Unis sont énoncés dans l’Accord révisé sur les marchés publics de l’Organisation mondiale du commerce.