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FOPO Rapport du Comité

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Introduction

Le 19 octobre 2020, le Comité permanent des pêches et des océans (FOPO) a adopté à l’unanimité une motion pour entreprendre une étude sur l’application du droit des Mi’kmaq, protégé par la Constitution, de pêcher pour subsistance convenable, afin : d’évaluer le processus actuel des ententes de réconciliation et de reconnaissance des droits; de trouver de meilleurs moyens de mobiliser les parties intéressées en vue d’améliorer la communication, de réduire les tensions et d’accorder la priorité à la conservation; de cerner les questions devant être abordées et de recommander une marche à suivre.

À l’automne 2020, les Canadiens ont vu les aspirations des Autochtones et leurs droits issus de traités se heurter à la négligence de la ministre des Pêches et des Océans. Le fait que la ministre ait mal géré les négociations avec les communautés autochtones et qu’elle ait exclu du processus les associations de homardiers non autochtones a joué un rôle déterminant dans la crise. La tension, la colère et la frustration engendrées par ce conflit ont conduit à des affrontements violents, à des atteintes à la sécurité publique, à la division des collectivités et de la population canadienne et, enfin, au lancement d’une pêche au homard non autorisée. Ces événements inacceptables auraient pu être évités. La ministre doit reconnaître sa part de responsabilité dans l’envenimement de la crise. En outre, le fait qu’elle n’ait pas su communiquer avec les Canadiens avant, pendant et après le conflit a aggravé la situation.

Les Premières Nations ont déjà fait savoir que, puisque le gouvernement fédéral ne parvient toujours pas à concilier les droits issus de traités et la conservation de la ressource, une pêche au homard gérée par les Premières Nations serait lancée à l’été 2021, en dehors des saisons de pêche commerciale établies par le ministère des Pêches et des Océans. Or, cela aura une incidence sur les pêcheurs commerciaux et les communautés côtières du Canada atlantique.

Arrêts Marshall

Les arrêts Marshall I et II, rendus par la Cour suprême du Canada, ont confirmé le droit des Mi’kmaq de pêcher et de vendre leurs prises « pour s’assurer une subsistance convenable », un droit que le Traité de 1760 leur avait conféré. Si la définition de « subsistance convenable » élaborée par la Cour suprême manquait de clarté, elle a néanmoins fait la lumière sur certains aspects de ce droit issu d’un traité, en établissant notamment que :

  • l’objectif prépondérant de la réglementation est la conservation de la ressource : cette responsabilité incombe carrément au ministre et non aux personnes autochtones et non autochtones qui exploitent la ressource (par. 40);
  • l’existence du droit issu du traité ne signifie pas que ce droit ne peut être réglementé ni que les Mi’kmaq ont un accès garanti aux pêches à longueur d’année (par. 2);
  • le droit issu du traité a toujours été assujetti à la réglementation et que le pouvoir du gouvernement de réglementer l’exercice du droit issu du traité a été confirmé à maintes reprises (par. 24);
  • des limites de prises, dont il serait raisonnable de s’attendre à ce qu’elles permettent aux familles mi’kmaq de s’assurer une subsistance convenable selon les normes d’aujourd’hui, peuvent être établies par règlement et appliquées sans porter atteinte au droit issu du traité; un tel règlement respecterait ce droit et ne constituerait pas une atteinte qui devrait être justifiée suivant la norme établie dans l’arrêt Badger (par. 61).

Les membres conservateurs du Comité ont vu dans cette étude une occasion d’obtenir des réponses aux nombreuses questions laissées en suspens par le gouvernement Trudeau et la ministre Bernadette Jordan. Nous aurions aimé que cette étude donne lieu à un rapport faisant l’unanimité, dans lequel tous les membres du Comité auraient pu fournir au gouvernement des recommandations précises en vue de rétablir le dialogue, l’équilibre, la paix et les débouchés économiques de tous les acteurs des pêches du Canada atlantique.

La portée de l’étude, dont l’objectif était d’examiner « l’application du droit des Mi’kmaq, protégé par la Constitution, de pêcher pour subsistance convenable », a vite dépassé le cadre prévu, le Comité ayant entrepris de se pencher sur les aspirations à la cogestion et à la cogouvernance des ressources halieutiques. Certes, la cogestion et la cogouvernance des pêches, de concert avec les Autochtones, sont des considérations importantes pour l’avenir des pêches au Canada et de nombreuses questions restent à éclaircir à cet égard; toutefois, le mandat de l’étude du Comité se limitait aux cinq aspects énumérés dans la motion.

Les députés conservateurs ont donc cru bon de publier un rapport dissident afin de remplir le mandat initial du Comité, de rendre compte de leur compréhension des témoignages recueillis, de combler les lacunes du rapport du Comité et de répondre aux questions qu’il a soulevées. Il serait impossible de parvenir à une véritable réconciliation si un des groupes est laissé pour compte et exclu des processus qui touchent directement ses moyens de subsistance, ses intérêts et son avenir. En rédigeant ce rapport, nous avons voulu favoriser une réconciliation fondée sur le consensus et la coopération entre le gouvernement du Canada, les Autochtones et les non-Autochtones.

Examen de l’application du droit des Mi’kmaq, protégé par la Constitution, de pêcher pour s’assurer une subsistance convenable

Après que la Cour suprême a rendu les arrêts Marshall en 1999, les gouvernements fédéraux qui se sont succédé ont activement mis en application le droit des Mi'kmaq, issu de traités, de pêcher et de vendre leurs prises à des fins de subsistance convenable, en fournissant un accès et des ressources pour accroître la participation des Autochtones aux pêches de l’Atlantique.

L’Initiative de l’après-Marshall (IAM), lancée par le gouvernement de Jean Chrétien et mise en œuvre de 2000 à 2007, devait permettre au gouvernement fédéral de s’acquitter de ses responsabilités, suivant la décision de la Cour suprême. Dans le cadre de l’IAM, le gouvernement fédéral a commencé à donner aux communautés autochtones l’accès et les moyens nécessaires pour participer à la pêche commerciale en rachetant des permis de pêche commerciale à des pêcheurs non autochtones et en remettant ces permis aux communautés autochtones, tout en leur fournissant également de l’équipement de pêche et de la formation.

L’IAM s’est traduite par des investissements fédéraux considérables, ce qui a donné aux communautés mi’kmaq des ressources et des formations pour accroître et gérer leurs activités de pêche commerciale.

En 2019, l’Institut Macdonald-Laurier (IML) a publié un rapport qui examinait les mesures prises par le gouvernement fédéral au cours des 20 années précédentes pour appliquer le droit des Mi'kmaq, issu de traités, de pêcher et de vendre leurs prises. Dans ce rapport, l’auteur Ken Coates décrit les effets de ces mesures, qui ont transformé radicalement le secteur des pêches de la côte Est[1]. Le 30 novembre 2020, le Comité a accepté le rapport de l’IML comme élément de preuve aux fins de son étude.

De 2000 à 2018, le gouvernement fédéral a investi quelque 535 millions de dollars pour accroître les pêches de subsistance convenable et les activités connexes dans les Maritimes[2]. Selon le rapport de l’IML, ces investissements fédéraux consacrés aux activités de pêche autochtones en réponse aux arrêts Marshall ont renforcé l’activité économique de l’industrie, et le revenu total de la pêche dans les réserves des Mi’kmaq et des Malécites est passé de 3 millions de dollars en 1999 à 152 millions de dollars en 2016[3].

Ces constats tranchent radicalement avec les témoignages des Autochtones, qui ont laissé entendre qu’aucun progrès tangible n’avait été réalisé depuis les arrêts Marshall en ce qui concerne l’accès des Autochtones aux pêches commerciales ou leur participation à celles-ci.

M. Allison Bernard, qui représentait le Bureau de Kwilmu’kw Maw-klusuaqn Negotiation et la Mi'kmaq Rights Initiative, a dit au Comité que « les Micmacs n’ont jamais vraiment eu la chance d’avancer, même si nous jouissons de ce droit issu de traités et malgré l’arrêt Marshall, rendu en 1999, soit il y a 21 ans[4] ». Dans le même ordre d’idées, Mme Shelley Denny a déclaré qu’« il n’y a pas de politique fédérale sur les pêches de subsistance[5] ».

Compte tenu des investissements réalisés au cours de ces deux décennies et de leur rendement appréciable dont fait état le rapport de l’IML, les témoignages voulant que les Mi'kmaq n’aient jamais vraiment la chance d’avancer et qu’il n’y ait pas de politique fédérale sur les pêches de subsistance trahissent un décalage entre les actions du gouvernement fédéral et les expériences des communautés autochtones.

Puisque les droits issus de traités confirmés par les décisions Marshall sont des droits communautaires, les ressources – les permis, les fonds et l’équipement – ont été remises aux gouvernements autochtones afin que ceux-ci créent des débouchés pour leurs communautés dans le secteur des pêches de l’Atlantique.

Lors de son témoignage, M. Colin Sproul, de la Bay of Fundy Inshore Fishermen’s Association, a répondu à une question en déclarant : « Votre question m’amène à demander pourquoi les Autochtones n’ont toujours pas accès à la pêche, étant donné que le gouvernement fédéral a dépensé plus de 600 millions de dollars pour acheter des accès à la pêche auprès des communautés non autochtones pour les remettre aux Premières Nations. C’est au cœur du problème, mais personne n’en parle. »

M. Sproul a répondu partiellement à cette question lorsqu’il a fait remarquer que « [l]e problème, c’est que la majorité de ces accès sont ensuite offerts en location à des sociétés de pêche non autochtones, ce qui prive en réalité les Premières Nations de leur droit légitime de pêcher[6] ».

Le gouvernement fédéral a constamment investi des sommes considérables pour mettre en œuvre les droits issus de traités des Mi'kmaq; cependant, les gouvernements autochtones n’ont pas toujours donné aux membres de leurs communautés les moyens de pratiquer une pêche de subsistance convenable. En outre, on ne sait pas exactement, d’une part, dans quelle mesure les recettes provenant de la location des permis sont remises aux membres des communautés et, d’autre part, si ces derniers sont au courant que ces revenus représentent, en réalité, les tentatives du gouvernement fédéral de mettre en œuvre leurs droits de pêche issus de traités visant à assurer une subsistance convenable.

Cela ne signifie pas pour autant que les fonds tirés de ces permis ne sont pas affectés à d’importantes priorités communautaires. Toutefois, cette pratique pourrait expliquer en partie pourquoi les Premières Nations ont l’impression que leur accès aux ressources halieutiques ne s’est pas accru comme elles l’espéraient. Elle constitue aussi un obstacle pour les membres des Premières Nations qui souhaitent pratiquer eux-mêmes une pêche de subsistance convenable.

La gestion de l’accès aux ressources halieutiques doit viser à maintenir les activités à des niveaux qui assureront la durabilité des pêches. Cela signifie que des limites propres à assurer la conservation des stocks doivent être établies et confirmées par les tribunaux. Étant donné que l’accès octroyé aux communautés autochtones pour la pêche à des fins de subsistance convenable est censé profiter aux membres de la communauté, le gouvernement doit veiller à ce que cet accès atteigne l’objectif visé, c’est-à-dire offrir aux communautés autochtones la possibilité de pêcher pour s’assurer une subsistance convenable.

Recommandation : Nous sommes en faveur d’une participation accrue des Autochtones aux pêches et nous croyons que, pour en arriver là, le gouvernement fédéral et le ministère des Pêches et des Océans devront reconnaître l’objectif des permis – c’est-à-dire permettre une pêche de subsistance convenable – et veiller à ce qu’il soit respecté en interdisant la location de ces permis à des pêcheurs non autochtones.

Toutes les associations de pêcheurs commerciaux qui ont comparu devant le Comité ont dit appuyer une participation accrue des Autochtones aux pêches de l’Atlantique. La plupart de ces associations, qui ont été témoins des retombées bénéfiques et concrètes de l’IAM, estiment que cette initiative était une composante essentielle de la réponse du gouvernement à l’arrêt Marshall et qu’elle était nécessaire pour soutenir les activités de pêche autochtones visant à assurer une subsistance convenable.

Contrairement à ce qu’indique la figure 2 du rapport du Comité, de nombreux témoins ont affirmé que le droit aux pêches à des fins alimentaires, sociales et rituelles est fondé sur l’arrêt Sparrow et non sur l’arrêt Marshall. M. Eric Zscheile, qui a agi comme avocat associé dans l’affaire Marshall, a abondé dans le même sens en déclarant que « dans le domaine de la pêche à des fins alimentaires, les Premières Nations sont titulaires de certaines priorités en matière d’accès aux pêches. Cela vient de l’arrêt Sparrow et d’autres décisions du même genre. » De multiples témoins ont également indiqué que les pêches communautaires et de subsistance convenable font partie des pêches commerciales et devraient être soumises aux mêmes mesures de réglementation, de conservation et de contrôle du Ministère que les pêches commerciales.

Évaluation du processus actuel entourant les ententes de réconciliation et de reconnaissance des droits

Au 19 avril 2021, le gouvernement Trudeau avait conclu des ententes de réconciliation et de reconnaissance des droits avec quatre communautés mi'kmaq, soit moins de 12 % des 34 communautés détenant des droits de pêche de subsistance convenable confirmés par les arrêts Marshall. Ce processus d’ententes a été proposé à Ottawa pour la première fois par l’Assemblée des chefs mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse en 2016.

Lors de son témoignage, la chef Darlene Bernard, de la Première Nation de Lennox Island, a expliqué pourquoi les communautés mi’kmaq sont si peu enclines à participer à ce processus : « Les ententes de réconciliation et de reconnaissance des droits ne sont rien d’autre qu’une gifle pour les Premières Nations[7]. »

D’après les témoignages recueillis, les Premières Nations et les associations de pêcheurs commerciaux ne s’entendent pas sur les éléments pouvant être négociés dans le cadre d’une telle entente. D’une part, les Premières Nations veulent une pêche autoréglementée et autogérée, où le seul élément de cogestion serait l’approbation des plans de gestion des pêches par le Ministère. Cette approche donnerait lieu à une nouvelle catégorie de permis, à savoir des « permis de subsistance convenable », distincts des permis de pêche commerciale et des permis de pêche à des fins alimentaires, sociales et rituelles.

Au sujet de l’IAM, M. Bernie Barry, président de la Coldwater Lobster Association, a indiqué, lors de son témoignage, que « [l]'industrie estime que l’État s’est acquitté de sa responsabilité fiduciaire dans le cadre de l’arrêt Marshall ». M. Barry a ajouté que « [l]'industrie est toujours exclue des conversations les plus cruciales sur le transfert de l’accès à la pêche et la manière d’y parvenir sans nuire à l’industrie[8] ».

Ainsi, nous croyons comprendre que l’Assemblée des chefs mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse a proposé un processus d’ententes en 2016, puis que le gouvernement Trudeau, par le truchement du ministère des Pêches et des Océans, a établi un processus auquel des communautés mi'kmaq ont participé pour finalement constater que ce processus ne correspondait pas à leur compréhension de la chose.

Nous en concluons que le gouvernement a soit pris un engagement qu’il n’a pas rempli, soit créé de faux espoirs quant à la portée du processus d’ententes; quoi qu’il en soit, le fait que les communautés autochtones ne se soient pas prêtées à ce processus démontre clairement que le gouvernement Trudeau et la ministre Jordan n’ont pas réussi à en faire un outil efficace de mise en œuvre des droits de pêche issus de traités. Parallèlement, leur refus de discuter en personne avec les groupes de pêcheurs commerciaux a suscité de la méfiance et de l’hostilité à l’égard de ce processus gouvernemental qui écartait les autres Canadiens dont la subsistance dépend de la mer.

Il faut souligner que le Comité n’a pu réaliser qu’une évaluation sommaire du processus entourant les ententes de réconciliation et de reconnaissance des droits, puisque ces ententes ont été négociées à huis clos et que le gouvernement refuse de révéler aux Canadiens le contenu de ces négociations.

Avec le processus entourant les ententes de réconciliation et de reconnaissance des droits, l’approche du gouvernement Trudeau est bien différente de la façon dont les gouvernements successifs ont mené les négociations sur les ressources et l’accès ainsi que leur mise en œuvre pour la pêche à des fins de subsistance convenable, qui a donné de meilleurs résultats que le processus en question.

Dans son témoignage, Colin Sproul a expliqué qu’« [i]l existe des précédents; des conversations de nation à nation pour lesquelles le gouvernement est quand même allé chercher l’avis de l’industrie, la Northwest Atlantic Fisheries Organization étant le meilleur exemple. La ministre discute avec les autres nations et négocie directement avec elles, tandis que, en parallèle, elle obtient les conseils de personnes, tant autochtones que non autochtones, qui font partie de l’industrie de la pêche[9] ».

Thierry Rodon, de l’Université Laval, a déclaré devant le Comité que pour bâtir la confiance et concilier les intérêts autochtones et non autochtones, « [i]l faut que les gens puissent disposer de lieux où ils peuvent se parler et montrer qu’il y a une gestion responsable de part et d’autre[10] ».

Le processus entourant les ententes de réconciliation et de reconnaissance des droits du gouvernement Trudeau n’a pas permis de dissiper ou de prévenir le mécontentement des communautés autochtones, ce qui a provoqué des tensions et des conflits entre ces communautés, les pêcheurs non autochtones et le gouvernement, l’automne dernier. Le processus en question n’a pas non plus permis d’arriver à un accord avec les Premières Nations.

Recommandation : La ministre des Pêches doit s’engager personnellement et directement dans des négociations parallèles avec les organisations de pêcheurs commerciaux de homard et les représentants des Mi’Kmaq, afin de parvenir à un accord de gré à gré sur une nouvelle approche acceptable pour l’élaboration d’un processus de négociation sur la pêche à des fins de subsistance convenable qui concilie la nécessité de permettre aux Autochtones de pêcher à des fins de subsistance convenable, comme établi dans les arrêts Marshall I et Marshall II, et d’évaluer les besoins historiques et l’impact économique des pêcheurs commerciaux et des collectivités rurales.

Meilleures façons de mobiliser les acteurs concernés pour améliorer la communication, apaiser les tensions et prioriser la conservation

À trop vouloir trouver des solutions qui plaisent à tous, on ne contente personne. Il est donc impératif que le gouvernement du Canada, par l’entremise du ministère des Pêches et des Océans, convie les communautés autochtones et les parties intéressées non autochtones à rechercher ensemble les solutions nécessaires à la poursuite de l’important travail de mise en œuvre des droits issus de traités des Mi’kmaq à une pêche de subsistance convenable, tout en assurant la conservation de la ressource dont dépendent les Canadiens.

Les membres conservateurs du Comité approuvent le résumé des témoignages du rapport, dans la partie intitulée La conservation du homard – Les mesures de conservation réglementées par le MPO. Il est néanmoins décevant de constater que le rapport du Comité ignore délibérément le témoignage livré le 23 novembre 2020 par le représentant du secteur des sciences du ministère des Pêches et des Océans, qui a exposé en détail les raisons scientifiques pour lesquelles le homard n’est pas pêché à certaines époques de l’année, comme le prévoient les restrictions saisonnières de la pêche commerciale dans le cadre du système de zones de pêche du homard (ZPH) du Ministère.

Kent Smedbol, du ministère des Pêches et des Océans, a déclaré : « La manipulation des homards lorsque leur carapace est molle ou pendant leur période de frai peut avoir des effets au niveau individuel sur le homard, il est plus sensible à la manutention. La manipulation pourrait entraîner une augmentation de la mortalité ou des effets sublétaux. » Au député Morrisey, qui lui a dit « [c]'est pourquoi vous avez des saisons qui sont en place depuis un certain temps », il a répondu « oui ». M. Morrisey a ajouté « je peux raisonnablement conclure que la pêche dans ces zones à certaines périodes de l’année aurait un effet négatif à long terme sur les stocks de homard », ce à quoi a aussi répondu « oui » Matthew Hardy, gestionnaire à la Division des sciences halieutiques et écosystémiques du ministère des Pêches et des Océans[11].

Le 18 novembre 2020, lorsque la ministre des Pêches et des Océans a comparu devant le Comité, on l’a interrogée au sujet de l’initiative de pêche permettant d’assurer une subsistance convenable lancée dans la baie St. Peters pour la Première Nation de Potlotek. Voici ce qu’a déclaré la ministre à ce sujet : « Les agents des pêches sont très inquiets de la surexploitation des stocks dans la région, et de son incidence possiblement négative sur leur durabilité à long terme. La situation nous préoccupe. Comme je le dis chaque fois que j’en parle, nous voulons veiller à ce que la conservation soit la priorité. Or, les activités de pêches actuelles dans la baie dépassent même ce que les Premières Nations ont dit vouloir pêcher dans leurs plans de subsistance convenable[12]. »

Les membres conservateurs du Comité s’inquiètent du fait que la ministre ait reconnu qu’il y a de la surpêche et qu’il n’est pas certain que la conservation de la ressource soit une priorité. La ministre n’a pris aucun engagement pour s’acquitter de sa responsabilité d’assurer une saine gestion des pêches et la conservation de la ressource.

Recommandation : Pour garantir une exploitation durable de la ressource, il faut que la délivrance, par la ministre des Pêches, de permis de pêche au homard pour assurer une subsistance convenable n’exerce pas de nouvelle pression sur les pêches et ne permette pas d’ajouter des permis de pêche actifs dans une ZPH, au-delà des chiffres de 2020, sans que l’on ait des données scientifiques à l’appui de l’augmentation des prises résultant de la délivrance de tels permis.

Problèmes que doit régler le gouvernement fédéral

Plus de coopération, de transparence et de communication de la part de la ministre

Le lancement de l’initiative des pêches à des fins de subsistance convenable, le 17 septembre 2020, s’est fait en dehors de la saison de pêche réglementée par le Ministère. Dans une déclaration qui a été publiée, la ministre a affirmé que « jusqu’à ce qu’un accord soit conclu avec le Ministère, il ne peut y avoir de pêche commerciale en dehors de la saison désignée. Il faut un cadre solide pour la gestion et la conservation des stocks des poissons[13] ».

« Je veux qu’il soit clair que le Ministère continue de s’attaquer à la pêche non autorisée », a poursuivi la ministre. « La pêche sans permis constitue une infraction à la Loi sur les pêches et toute personne qui dépasse le cadre des activités autorisées en vertu d’un permis s’expose à des sanctions[14] ».

Cette déclaration, aussi claire soit-elle pour les Canadiens et les communautés autochtones, a été annulée le lendemain, puisqu’elle a été retirée du site Web du ministère des Pêches et des Océans et remplacée par un communiqué de presse indiquant la volonté de la ministre de rencontrer les dirigeants autochtones et les représentants du secteur.

Dans les semaines qui ont suivi, d’autres initiatives concernant les pêches à des fins de subsistance convenable ont été lancées, mais la ministre n’a pas fourni aux Canadiens en temps opportun ou de manière détaillée des informations expliquant la légalité de l’augmentation des prises en dehors de la saison réglementée par le Ministère. L’absence de communications proactives a ajouté à la confusion, à la frustration et à la colère généralisées qui, dans certains cas, ont mené à des conflits et à de la violence.

On aurait pu atténuer ou même éviter ces conflits et cette violence si la ministre avait donné rapidement des informations complètes sur la légalité de la pêche pratiquée pour assurer une subsistance convenable. La crise qui a éclaté en 2020 est le résultat de l’échec du processus entourant les ententes de réconciliation et de reconnaissance des droits, des déclarations contradictoires de la ministre au début de la crise et de son indifférence face aux avertissements des députés conservateurs pendant les neuf mois qui ont précédé cette crise.

Le Comité a aussi entendu M. Sproul déclarer que la ministre avait été mise en garde contre l’éventualité d’un conflit déclenché par les associations de pêcheurs commerciaux. « Depuis trois ans, nous exerçons des pressions intenses sur la ministre Jordan et le ministre Blair, et nous avons soulevé des préoccupations en matière de sécurité publique », a-t-il dit[15]. « Au cours des trois dernières années, le cabinet de Justin Trudeau, en guise de tactique de négociation, a cessé d’appliquer la politique et les dispositions législatives du Canada sur les pêches parce qu’il ne veut pas refroidir l’atmosphère à la table. Ce laxisme dans l’exécution de la loi est précisément ce qui a mené au chaos et à l’animosité entre des pêcheurs qui, auparavant, coexistaient de façon pacifique[16]. »

M. Sproul a conclu en disant : « En réalité, le nœud du problème, c’est que le gouvernement a certes de louables intentions, en voulant conclure des accords de réconciliation des droits avec les nations, mais qu’une des tactiques qu’il a utilisées pendant les négociations a été de cesser de faire appliquer la loi. Cela n’a fait qu’inciter les gens à continuer de pêcher hors des saisons réglementées. Cette tactique a été un échec, évidemment. Ce que nous avons vu, c’est que 12 nations ont quitté la table des négociations, et aucune n’a participé[17]. »

Ce témoignage ne peut être ignoré, parce qu’il traduit toute la méfiance que la crise a créée entre les pêcheurs non autochtones et le gouvernement Trudeau, la ministre et le ministère des Pêches et des Océans. Tous les Canadiens doivent avoir confiance dans la volonté de leur gouvernement de respecter la primauté du droit et dans l’engagement de la ministre à s’acquitter des responsabilités que lui confèrent la Constitution, la Loi sur les pêches ainsi que les autres lois et règlements applicables.

Comme la ministre Jordan l’a dit clairement lorsqu’elle a comparu devant le Comité le 18 novembre 2020 : « Le ministère des Pêches et des Océans est responsable de la gestion globale des pêches canadiennes et des stocks dont elles dépendent[18] ». Les Canadiens sont majoritairement d’accord avec la ministre sur ce point. Pourtant, la crise de l’année dernière a démontré que la ministre avait la volonté de suspendre voire d’abandonner la gestion globale des pêches au Canada pour des raisons qu’elle n’a pas données à la population canadienne. Ce manque de cohérence entre les paroles et les actes n’est pas propice à la conservation de la ressource, à une saine gestion des pêches, à la réconciliation ou à la mise en œuvre de pratiques de pêche permettant d’assurer une subsistance convenable.

Reconnaissance du fait que les droits issus de traités peuvent être assujettis à des règlements

Au paragraphe 61 de la décision Marshall I, la Cour suprême dit que « [d]es limites de prises, dont il serait raisonnable de s’attendre à ce qu’elles permettent aux familles mi’kmaq de s’assurer une subsistance convenable selon les normes d’aujourd’hui, peuvent être établies par règlement et appliquées sans porter atteinte au droit issu du traité. Un tel règlement respecterait ce droit et ne constituerait pas une atteinte qui devrait être justifiée suivant la norme établie dans l’arrêt Badger ».

Au paragraphe 38, la Cour précise que « [l]e droit issu de traité qui permettait aux Mi’kmaq de participer en 1760 à une pêche commerciale largement non réglementée a évolué pour devenir un droit issu de traités leur permettant de participer à la pêche commerciale largement réglementée des années 1990 ».

Définition de « subsistance convenable »

En outre, au paragraphe 59 de la décision Marshall I, la Cour suprême donne une certaine définition de « subsistance convenable », que voici : « La notion de “subsistance convenable” s’entend des choses essentielles comme “la nourriture, le vêtement et le logement, complétées par quelques commodités de la vie”, mais non de l’accumulation de richesses (Gladstone, précité, au par. 165). Elle vise les besoins courants. »

Lors de sa comparution, la ministre n’a pas été en mesure de fournir au Comité une définition de l’expression « subsistance convenable » ni aucun détail sur la définition du terme employé par les négociateurs du Ministère dans leurs pourparlers en cours avec les Premières Nations.

Un organisme de réglementation, une autorité

Les pêcheurs non autochtones qui ont témoigné devant le Comité n’étaient pas contre une approche de cogestion, mais ils ont fait valoir que cette cogestion devait se faire dans le cadre d’une pêche réglementée par le ministère des Pêches et des Océans sous l’autorité du ministre des Pêches; cadre dans lequel tous les pêcheurs, qu’ils soient autochtones ou non, respectent les mêmes saisons et les mêmes règles. Les témoins ont également déclaré que tout cadre de cogestion doit suivre les limites claires du pouvoir et des attributions du ministre des Pêches décrites dans l’arrêt Marshall.

Alan Joseph Clarke, ancien chef de l’application des règlements au Ministère, maintenant à la retraite, a déclaré que « [l]e MPO doit appliquer un ensemble unique de règles et de règlements pour tout le monde. […] La pêche commerciale pour les pêcheurs autochtones et non autochtones doit être soumise à un ensemble unique de règles et de règlements, notamment en ce qui concerne les saisons[19]. »

Au paragraphe 41, l’arrêt Marshall II dit : « Le pouvoir du ministre s’étend à d’autres objectifs d’intérêt public réels et impérieux, par exemple, la poursuite de l’équité sur les plans économique et régional ainsi que la reconnaissance du fait que, historiquement, des groupes non autochtones comptent sur les ressources halieutiques et participent à leur exploitation[20]. »

Les facteurs mis de l’avant par la Cour suprême pour servir de guide au pouvoir réglementaire du ministre ne se limitent pas à la conservation. Au paragraphe 41 de l’arrêt Marshall II, la Cour souligne que M. Marshall lui-même a dit « qu’il est clair que des restrictions peuvent être imposées pour conserver les espèces ou les stocks exploités et pour assurer la sécurité du public ». L’avocat de M. Marshall a ajouté que « les préférences des Autochtones en matière de récolte des ressources, ainsi que la dépendance d’une communauté ou d’une région non autochtone vis‑à‑vis d’une ressource donnée peuvent être prises en compte dans l’élaboration des régimes de réglementation. »

Dans son témoignage, Eric Zscheile a déclaré : « Ce que la Cour suprême dit dans la décision Marshall II, c’est que ces constatations faisaient partie intégrante de Marshall I aussi. Ainsi, Marshall I ne peut pas soutenir la proposition que le gouvernement fédéral ne possède pas en définitive la capacité de réglementer des aspects comme la conservation et la sécurité publique[21]. »

Tous les membres du Comité reconnaissent la nécessité de la participation des Autochtones aux aspects de la gestion des ressources halieutiques, de la protection, de la prise de décisions et de l’exécution des programmes, mais on ne sait pas très bien comment la ministre des Pêches et des Océans peut s’acquitter de sa responsabilité ultime de la gestion ou de la gouvernance globale des pêches au Canada si les pouvoirs associés à la réglementation et à la gouvernance des pêches sont dispersés.

Contiguïté

Le rapport du Comité rejette à tort l’existence du principe de contiguïté pour déterminer l’accès aux pêcheries fourni aux communautés autochtones pour la pêche à des fins de subsistance convenable, comme l’a confirmé la Cour suprême. En effet, le Comité a ignoré le paragraphe 17 de l’arrêt Marshall I, selon lequel « [l]es traités et les avantages réciproques en découlant avaient un caractère local. En l’absence d’une nouvelle entente avec l’État, l’exercice des droits issus de traités se limite au territoire traditionnellement utilisé par la communauté locale qui a conclu un traité “similaire”[22] ».

Par ailleurs, dans son rapport de 1999 sur les décisions Marshall, le Comité des pêches et des océans de la Chambre des communes a écrit que « [l]a Cour a confirmé que le droit issu de traités était un droit communautaire devant être exercé sous l’autorité de la communauté locale, et qu’il était limité au territoire traditionnellement utilisé par la communauté locale[23] ».

La Cour suprême a confirmé également que ce droit issu de traités en vertu de l’article 35 de la Constitution ne s’applique qu’aux Premières Nations qui ont signé les Traités de paix et d’amitié[24].

Les Premières Nations autres que celles d’Acadia et de Bear River qui pratiquent la pêche au homard à des fins de subsistance convenable dans la baie Sainte-Marie et dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse contreviennent aux stipulations des arrêts Marshall si elles n’ont pas de permis commerciaux qui les y autorisent. De nombreux pêcheurs de ces régions viennent de collectivités autochtones se trouvant à 300 kilomètres et plus de la baie Sainte-Marie.

Recommandation : Seul le ministère des Pêches et des Océans est responsable à la fois de la réglementation et de l’application de la loi en vertu des décisions de la Cour suprême du Canada. Toute pêche pratiquée à des fins de subsistance convenable par les Premières Nations doit se conformer aux exigences du Ministère en matière de réglementation et d’application de la loi, comme l’a souligné la Cour suprême du Canada. Toute cogestion de la pêche pratiquée à des fins de subsistance convenable doit se faire dans le respect de ce cadre et assurer un équilibre entre les effets mutuellement acceptables et mutuellement bénéfiques pour les non-Autochtones qui ont un attachement à la pêche.

Recommandation : Les permis de pêche à des fins de subsistance convenable sont des permis de pêche commerciale et, à ce titre, ils doivent être soumis aux mêmes règlements, y compris en ce qui concerne les saisons, que tous les permis de pêche commerciale.


[1] Ken Coates, The Marshall Decision at 20: Two Decades of Commercial Re-Empowerment of the Mi’kmaq and Maliseet (Institut Macdonald-Laurier, 2019), p. 4.

[2] Ibid., p. 17.

[3] Ibid., p. 5.

[4] Comité permanent des pêches et des océans de la Chambre des communes, Témoignages, 21 octobre 2020.

[5] Ibid.

[6] Ibid.

[7] Comité permanent des pêches et des océans de la Chambre des communes, Témoignages, 16 novembre 2020.

[8] Comité permanent des pêches et des océans de la Chambre des communes, Témoignages, 25 novembre 2020.

[9] Comité permanent des pêches et des océans de la Chambre des communes, Témoignages, 21 octobre 2020.

[10] Comité permanent des pêches et des océans de la Chambre des communes, Témoignages, 16 novembre 2020.

[11] Comité permanent des pêches et des océans de la Chambre des communes, Témoignages, 23 novembre 2020.

[12] Comité permanent des pêches et des océans de la Chambre des communes, Témoignages, 18 novembre 2020.

[14] Ibid. [traduction].

[15] Comité permanent des pêches et des océans de la Chambre des communes, Témoignages, 21 octobre 2020.

[16] Comité permanent des pêches et des océans de la Chambre des communes, Témoignages, 21 octobre 2020.

[17] Ibid.

[18] Comité permanent des pêches et des océans de la Chambre des communes, Témoignages, 18 novembre 2020.

[19] Comité permanent des pêches et des océans de la Chambre des communes, Témoignages, 25 novembre 2020.

[21] Comité permanent des pêches et des océans de la Chambre des communes, Témoignages, 23 novembre 2020.