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FAAE Rapport du Comité

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La situation des droits de la personne en Haïti

Introduction

La population d’Haïti est presque entièrement issue d’Africains réduits à l’esclavage par des colonisateurs français pour cultiver la terre au cours des 17e et 18e siècles. Après des générations d’oppression sous la domination française, les Haïtiens se sont rebellés et ont obtenu leur indépendance en 1804, faisant d’Haïti « la première république noire indépendante et la première à renverser le colonialisme, ouvrant la voie à d’autres mouvements d’indépendance partout dans le monde[1] ». L’impact géopolitique du soulèvement d’Haïti ne peut être sous‑estimé. Comme l’a expliqué Chalmers LaRose, chargé de cours au département de science politique de l’Université du Québec à Montréal et au Collège militaire royal du Canada, « la contribution de ce nouvel État fut exemplaire, tant à l’épanouissement qu’au raffermissement des idées de liberté et d’égalité dans le monde[2] ».

Néanmoins, Haïti a payé cher son émancipation. Près de deux décennies après s’être libéré de la France, les Haïtiens ont été contraints « d’indemniser les héritiers de leurs anciens maîtres esclavagistes », d’un montant si exorbitant que plusieurs générations en ont subi le poids. Il fallut plus de 120 ans à Haïti pour payer les réparations, ce que le pays fit en empruntant aux banques françaises, allemandes et américaines, s’endettant davantage et plaçant le pays « sur la voie de son retard de développement, tout en contribuant à l’enrichissement des grandes places financières d’Europe et d’Amérique du Nord[3] ».

Malheureusement, cela n’était que le début des difficultés d’Haïti. Depuis, le pays a dû faire face à de nombreux défis, chacun amplifiant les effets des autres et contribuant à la crise actuelle et à la situation lamentable des droits de la personne. L’instabilité politique chronique et profonde d’Haïti et son sous-développement précoce ont engendré l’une des crises humanitaires les plus graves au monde. Les besoins de la population haïtienne sont profonds et vastes et touchent les nécessités les plus fondamentales, notamment la nourriture, l’eau, le logement et la sécurité. Alors que des millions de personnes dans le pays sont confrontées à une pauvreté extrême, les gangs de rue sévissent et exercent une influence considérable sur le gouvernement non élu. Haïti a été décrit comme un pays déchu sur le point de sombrer dans la guerre civile.

Cette crise a atteint son paroxysme en septembre 2022, après l’annonce par le gouvernement haïtien de la fin des subventions aux carburants. Cette annonce a provoqué des manifestations massives dans tout le pays et une escalade des activités et de la violence des gangs. Le gouvernement et la police nationale haïtienne ont été incapables de contrôler la situation, laissant les citoyens haïtiens ordinaires avec un accès limité aux services essentiels tels que les hôpitaux et les écoles, et vulnérables à la violence, aux enlèvements, aux pénuries de carburant et aux pénuries alimentaires.

Le 23 septembre 2022, le Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes (le Sous-comité) a accepté de mener une étude sur la situation des droits de la personne en Haïti. Le Sous-comité a tenu trois réunions sur ce sujet et a entendu 14 témoins, dont des membres de la diaspora haïtienne au Canada, des universitaires et des groupes de la société civile d’Haïti et du Canada.

Le présent rapport est divisé en cinq sections : Introduction; La situation politique et humanitaire; L’ordre public, la dégradation des institutions étatiques et la montée des gangs; La situation des droits de la personne et La demande d’intervention internationale du premier ministre Henry. Le rapport formule également 11 recommandations qui exhortent le gouvernement du Canada à aider Haïti de diverses manières en vue de répondre aux besoins immédiats et de trouver des solutions durables.

La situation politique et humanitaire

La tourmente politique et sociale qui caractérise Haïti aujourd’hui est le résultat de décennies d’instabilité politique et de corruption, d’interventions étrangères ratées et de catastrophes climatiques. Ensemble, ces facteurs ont provoqué une telle escalade de la pauvreté que le pays n’a pas été en mesure de surmonter la crise humanitaire qui s’aggrave depuis de nombreuses années.

La politique et l’intervention étrangère

Le Sous-comité a appris que l’histoire d’Haïti est caractérisée par une instabilité politique qui a suscité plusieurs interventions de diverses puissances étrangères, lesquelles ont causé des préjudices au pays et créé une méfiance profondément ancrée à l’égard des interventions extérieures. Les figures autoritaires qui se sont succédé ont accentué les divisions sociales pour conserver leur pouvoir et leur influence, et les quelques gouvernements élus ont été incapables ou dépourvus de la volonté d’apporter les changements nécessaires à l’instauration d’une véritable démocratie[4]. Bien que le pays ait été dirigé par des dictateurs depuis ses débuts, de nombreux témoins attribuent les défis politiques actuels du pays à ceux de la famille Duvalier.

Entre 1957 et 1986, le pays est dirigé par la famille Duvalier : d’abord par François Duvalier (1957–1971), puis par son fils Jean-Claude Duvalier (1971–1986). Ils gouvernent le pays dans la violence et la division et laissent un sombre héritage qui pèse encore sur Haïti. Comme l’a expliqué un témoin, l’effondrement de la dictature des Duvalier n’a pas laissé la place à la démocratie, mais plutôt à « la détérioration continue du dialogue politique […], [à une] atmosphère politique et sociale de plus en plus conflictuelle, [à des] fractures sociales et politiques qui se multiplient ainsi qu’[à] une société de plus en plus morcelée et divisée[5] ».

Peu après la chute de la dictature des Duvalier, le pays a pris des mesures importantes en vue d’instaurer une démocratie. En plus de l’adoption d’une constitution garantissant une série de droits démocratiques en 1987, Haïti installe son premier gouvernement démocratiquement élu en 1990–1991. Cependant, malgré ces avancées, un « nombre [effarant] de journalistes, de militants, de juges, d’avocats, d’opposants politiques, de syndicalistes, d’étudiants, de leaders d’opinion et de simples citoyens[6] » ont tout de même été exécutés ou contraints à l’exil. En outre, l’armée nationale, politisée par les administrations précédentes, a renversé le nouveau gouvernement l’année même de son élection[7].

Alors que le pays était soumis à un régime militaire brutal de 1991 à 1994, le président élu, Jean-Bertrand Aristide, vivait en exil. Il est revenu au pouvoir avec le soutien des États-Unis en 1994, mais l’instabilité politique a persisté[8]. Les élections suivantes ont été marquées par des accusations de fraude, ce qui a entraîné la contestation des résultats par l’opposition et leur remise en question par le public. Les transitions du pouvoir ont été volatiles, ce qui a incité la communauté internationale à intervenir à plusieurs reprises, avec des résultats mitigés[9].

Un exemple de ce type d’intervention est la Mission de stabilisation de l’Organisation des Nations Unies (ONU) en Haïti (MINUSTAH). La MINUSTAH a été créée le 1er juin 2004 par la résolution 1542 du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée en réponse à un conflit armé qui a éclaté dans plusieurs villes après que le président Aristide s’est exilé du pays pour la deuxième fois. Alors que la mission initiale était de mettre fin au conflit armé, elle a ensuite été élargie pour aider le pays à se remettre d’un tremblement de terre dévastateur en 2010.

Même si la MINUSTAH était une mission sanctionnée par l’ONU et dotée d’objectifs pacifiques, des témoins ont rapporté que le personnel de la mission avait introduit le choléra dans le pays, ce qui a causé la mort de plus de 10 000 personnes, et qu’il avait commis des violences sexuelles en toute impunité pendant son séjour dans le pays[10]. Une témoin a expliqué que, bien que les organisations féministes de la société civile haïtienne aient tiré la sonnette d’alarme, les présumés coupables sont retournés dans leur pays d’origine « sans devoir se soumettre à la justice haïtienne », ce qui a exacerbé l’opinion négative du pays à l’égard des interventions internationales[11].

Un témoin a notamment repris l’affirmation de Ricardo Seitenfus, représentant spécial du secrétaire général de l’Organisation des États américains de 2009 à 2011, selon laquelle en 2010, le Core Group (une organisation informelle de puissances étrangères comprenant l’Allemagne, le Brésil, le Canada, l’Espagne, les États-Unis, la France, l’Organisation des États américains, les Nations Unies et l’Union européenne) a pris la décision de fabriquer les « résultats des élections présidentielles pour donner le pouvoir à Michel Martelly, candidat du parti haïtien PHTK[12] ». Selon lui, cette décision a privé la population haïtienne de son droit de vote en plus de mener à l’élection d’un dirigeant qui « n’a réalisé aucune élection et a géré son pays par décret » et qui « a reçu toute l’aide nécessaire de ses commanditaires pour remettre le pouvoir à son poulain Jovenel Moïse, qui a poursuivi les mêmes politiques que Michel Martelly et utilisé les mêmes tactiques que les Duvalier[13] ».

Des témoins ont informé le Sous-comité que puisque les principaux partis politiques ont vu le jour aux époques de Duvalier et d’Aristide, les tensions politiques n’ont cessé de croître jusqu’à aujourd’hui. Le 7 juillet 2021, le président du pays, Jovenel Moïse, a été assassiné, ce qui a aggravé une crise politique déjà difficile à gérer. Ariel Henry a rapidement été nommé premier ministre et a ainsi assumé le pouvoir exécutif dans des circonstances que de nombreux Haïtiens considèrent comme constitutionnellement douteuses. Alors que des élections devaient avoir lieu en novembre 2021, le nouveau premier ministre a résisté à l’intense pression nationale et internationale et a refusé de les organiser. Il préfère gouverner par décret, en contournant le pouvoir législatif et toute forme de « contre-pouvoirs[14] ». Comme l’administration actuelle s’apparente aux précédentes dictatures du pays, un témoin a affirmé que « nous assistons à l’échec de l’implantation de la démocratie. C’est la continuité d’une dictature qui ne porte pas son nom[15] ».

Le Sous-comité s’est engagé à promouvoir la démocratie en Haïti, et convient que la corruption au sein de l’élite politique entrave les efforts visant à tenir des élections libres et équitables et contribue aux nombreux autres problèmes d’Haïti. Le Sous-comité est d’accord avec les témoins que les sanctions actuellement imposées aux individus responsables du sabotage délibéré de la démocratie en Haïti ont été efficaces. Cependant, d’autres acteurs responsables doivent être sanctionnés par le Canada pour assurer la reddition de comptes. Par conséquent, le Sous-comité recommande ceci :

Recommandation 1

Que le gouvernement du Canada règle immédiatement les défauts de son régime de sanctions, y compris le manque de transparence et le peu d’information fourni aux parlementaires, ainsi que l’insuffisance des ressources affectées aux enquêtes et à l’exécution. De plus, que le gouvernement du Canada continue d’appliquer la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus et étende sa portée en sanctionnant les personnes activement impliquées dans la détérioration de la démocratie et dans des violations flagrantes des droits de la personne en Haïti, notamment les acteurs politiques et les oligarques qui financent et soutiennent les gangs armés violents.

Les catastrophes naturelles et la pauvreté

Le Sous-comité a été informé que les tensions politiques sont telles que le gouvernement ne veut pas ou ne peut pas faire face aux défis croissants du pays[16]. Ces dernières années, plusieurs catastrophes naturelles ont dévasté le pays, dont le tremblement de terre de 2010. Bien que plus de 12 ans se soient écoulés depuis le tremblement de terre, le Sous-comité a appris que la population haïtienne en ressent encore les effets, car des milliers de personnes sont encore déplacées dans la capitale du pays et des infrastructures essentielles demeurent endommagées ou détruites.

Le Sous-comité a été informé que la situation politique du pays, combinée aux catastrophes naturelles dévastatrices qui l’ont frappé, notamment le tremblement de terre de 2010, a provoqué une augmentation significative du niveau de pauvreté. Haïti fait partie des pays les plus pauvres du monde. Comme l’a dit Jean Kisomair Dure de la Fédération protestante d’Haïti :

Haïti occupe le 163e rang sur 191 pays, avec un indice de développement humain de 0,535. Son taux de mortalité infantile est de 47 pour 1 000 naissances vivantes et son taux d’alphabétisation est de 62 %, selon les données publiées par la Banque mondiale. En outre, on estime que plus de 6 millions d’Haïtiens vivent en dessous du seuil de pauvreté et que plus de 2,5 millions d’Haïtiens sont tombés en dessous du seuil de l’extrême pauvreté[17].

De plus, « [s]elon l’ONU, 4,7 millions de personnes, soit près de la moitié de la population, connaissent des niveaux élevés d’insécurité alimentaire, alors que 19 200 personnes sont touchées par le niveau d’insécurité alimentaire le plus élevé, une première dans l’histoire récente du pays[18] ». Chalmers LaRose a décrit la situation comme une « crise alimentaire[19] ».

En plus du taux de pauvreté, le système de soins de santé a été considérablement affecté par la négligence politique et les catastrophes climatiques successives. Jean Kisomair Dure a affirmé que « le pays compte en moyenne 5,9 médecins ou infirmières pour 10 000 habitants » et qu’on compte « 0,7 lit d’hôpital pour 1 000 habitants[20] ». Cette situation a poussé de nombreux Haïtiens à se faire soigner de l’autre côté de la frontière, en République dominicaine, et les femmes enceintes à se passer de soins pendant leur grossesse, leur accouchement et la période post-partum[21]. Mark Brender, de l’organisation non gouvernementale Partners in Health (Zanmi Lasante en Haïti), explique que les faiblesses à long terme du système de soins de santé sont le résultat du « sous-financement chronique de la santé, pour des maladies qui touchent les pays pauvres en raison des nombreuses conditions sociales et économiques sous‑jacentes[22] ».

La récente réapparition du choléra est particulièrement alarmante. Un témoin a expliqué que ce problème n’existait qu’en raison du manque d’investissements à long terme du secteur public, à la suite du tremblement de terre de 2010, pour mettre en place des normes en matière d’eau, d’assainissement et d’hygiène[23]. Michèle Asselin, directrice générale de l’Association québécoise des organismes de coopération internationale, a ajouté que la pénurie actuelle de carburant « a provoqué une pénurie aiguë d’eau potable, qui a entraîné une éclosion de choléra après plus de trois ans sans cas rapporté[24] ». Sa propagation rapide a entraîné plus de 13 000 cas présumés et confirmés à ce jour et 280 décès selon Mark Brender, qui a précisé qu’il s’agissait probablement de sous-estimations importantes. Il a souligné au Sous-comité que les personnes les plus à risque étaient les enfants de moins de cinq ans en raison de l’impact de la malnutrition sur leur système immunitaire[25]. Il a ajouté que même si une campagne de vaccination contre le choléra était en cours, la demande de vaccins dépassait largement l’offre disponible.

Au sujet de la crise du système de soins de santé, Andréanne Martel, consultante et chercheuse en évaluation de programmes humanitaires, a souligné au Sous-comité le rôle clé que le Canada, ainsi que des organisations internationales comme l’ONU, ont joué et continuent de jouer en apportant leur soutien. Elle a toutefois prévenu que « l’afflux massif d’aide internationale en Haïti au cours de la dernière décennie a eu des conséquences souvent négatives sur les structures locales, déjà sous-financées, et sur les initiatives de développement à long terme[26] ». Mark Brender a ajouté que toute intervention humanitaire dans le secteur de la santé doit « tenir compte du long terme en matière de politiques publiques […] pour garantir que les pays pauvres aient la capacité d’intervenir en période de crise[27] ».

Même si le Canada est le deuxième donateur en importance à Haïti après les États-Unis, le Sous-comité convient qu’un manque historique de financement de l’aide à long terme et à un niveau suffisant de la part des partenaires internationaux d’Haïti a été préjudiciable au développement de ce pays. Par conséquent, le Sous-comité recommande ceci :

Recommandation 2

Que le gouvernement du Canada ne se contente pas de concentrer son aide à Haïti sur les besoins humanitaires immédiats, mais qu’il élabore une stratégie à long terme pour le pays, dotée d’un financement et de résultats prévisibles et à long terme. Le gouvernement du Canada doit également miser sur sa position à titre d’un des principaux partenaires humanitaires d’Haïti pour persuader la communauté internationale d’accroître l’aide humanitaire et l’aide au développement.

L’ordre public, la dégradation des institutions étatiques et la montée des gangs

Des témoins ont affirmé au Sous-comité que le gouvernement haïtien était dans un état de paralysie politique et que, par conséquent, il n’était pas seulement « indifférent à la souffrance de son propre peuple », mais qu’il y contribuait[28]. En raison d’un « manque […] de leaders responsables », le peuple haïtien « est laissé à lui-même. Il n’y a pas d’orientation ni de prise en charge réelle du pays[29] ». Les tribunaux et le système de maintien de l’ordre sont les plus touchés par cet échec de la gouvernance, dont l’effondrement a considérablement affecté la sécurité nationale du pays en permettant aux gangs armés de se multiplier.

Les tribunaux

Le Sous-comité a appris que le système judiciaire d’Haïti s’est pour ainsi dire effondré. Les tribunaux ont été largement inopérants au cours des dix dernières années. Le système a été confronté à des grèves des juges, des huissiers, des commissaires du gouvernement ainsi que d’autres intervenants. Le plus haut tribunal du pays fonctionne avec seulement trois de ses 12  juges[30]. De plus, certains palais de justice ont été complètement abandonnés et sont désormais occupés par des gangs[31].

Des témoins ont déclaré au Sous-comité que l’affaiblissement du système judiciaire a favorisé l’impunité, en plus de perpétuer une culture de la criminalité[32]. En outre, elle a entraîné de graves violations des droits de la personne chez les individus placés en détention provisoire. Selon Jean Kisomair Dure, « [e]n date du 1er juin 2021, plus de 82 % des personnes privées de liberté en Haïti n’avaient pas été jugées, et la majorité d’entre elles sont détenues de manière injuste[33] ». De même, le taux de détention prolongée s’élève à 85 %, et des centaines de décès en 2022 « sont dus à l’absence de soins de santé, au manque de nourriture et à d’autres traitements dégradants[34] ».

Le maintien de l’ordre

Haïti a l’un des taux de criminalité violente les plus élevés au monde, en grande partie en raison de la croissance de puissants gangs, soutenus par des oligarques, au cours des deux dernières décennies. Selon Gédéon Jean, directeur exécutif du Centre d’analyse et de recherche en droits de l’homme (le Centre), de janvier à novembre 2022, le Centre a comptabilisé « au moins 1 192 décès attribuables à l’insécurité », la majorité se produisant dans la capitale haïtienne de Port‑au‑Prince, où les gangs sont très présents. Il a également indiqué que le Centre a recensé 755 enlèvements entre janvier et septembre 2022. La majorité des victimes étaient des femmes qui ont fait « l’objet de viols collectifs et d’autres traitements inhumains et dégradants[35] ».

Malgré ces risques graves pour la sécurité, le Sous-comité a été informé que la police nationale haïtienne est sous-financée, en sous-effectif et mal équipée[36]. Elle est confrontée à une grave pénurie de personnel, avec 13 000 agents actifs pour une population de 12 millions d’habitants, soit un agent pour près de 1 000 personnes[37].

Citant Michèle Oriol, sociologue haïtienne, Frédéric Boisrond a déclaré que le faible salaire mensuel de 325 $ des policiers contribue à la pénurie de personnel[38]. Le résultat est qu’il y a des déficiences tant au niveau de la quantité que de la qualité des candidats. Il a ajouté que « le recrutement de la police en Haïti fait partie des raisons qui expliquent l’échec de cette organisation. En effet, les candidats qui sont recrutés pour la police ne disposent pas des habiletés nécessaires dès le départ[39] ».

Des témoins ont aussi souligné que les maigres salaires versés aux policiers nuisent à la capacité d’Haïti à recruter des candidats compétents et augmentent leur corruptibilité[40]. Diego Da Rin, de l’International Crisis Group, a rapporté qu’au moins la moitié des policiers sont « de connivence avec des gangs[41] », tandis que Frédéric Boisrond a précisé que, dans certains cas, les policiers sont des membres en règle de gangs[42].

Le Sous-comité a également appris que les services de police sont devenus politisés. Dans au moins un cas, la police a été mobilisée pour faire taire l’opposition, et cette intervention s’est soldée par des décès. Monique Clesca du Bureau de Suivi de l’Accord de Montana a fait part de la conclusion d’un rapport préparé par diverses organisations de défense des droits de la personne sur le massacre de La Saline du 13 novembre 2018. Le quartier de La Saline à Port-au-Prince jouait un rôle de premier plan dans l’organisation de manifestations contre le président Jovenal Moïse. Il a été la cible d’attaques organisées par des membres du gouvernement qui ont fait au moins 71 morts – « le premier massacre pour essayer de saper la contestation sociale[43] » – et ont impliqué le policier Jimmy Chérizier, qui est devenu par la suite l’un des chefs de gang les plus puissants d’Haïti.

Le Sous-comité a été informé que dans ces conditions, les policiers haïtiens ont non seulement du mal à lutter contre la criminalité et sont vulnérables à la corruption, mais deviennent eux-mêmes des victimes[44]. Patrick Auguste, de l’Association du capital humain de la jeunesse ethnoculturelle de demain, a dit au Sous-comité que « [l]es forces policières, elles, forment un groupe de plus en plus débordé et incapable de s’opposer aux groupes armés informels et illégitimes » et qu’en conséquence, « de plus en plus de policiers [sont] assassinés[45] ».

Le Sous-comité est d’accord pour dire que les policiers ont besoin de la formation, des outils et des ressources appropriés pour effectuer leur travail, et souligne que le Canada a déjà offert par le passé ses ressources et son expertise pour former la Police nationale d’Haïti[46]. Il estime également que les policiers, en particulier ceux qui travaillent dans des environnements à haut risque et dans des circonstances exceptionnelles, devraient recevoir un salaire reflétant ces conditions. Par conséquent, le Sous-comité recommande ceci :

Recommandation 3

Que le gouvernement du Canada continue de travailler avec ses partenaires internationaux pour renforcer les capacités de la Police nationale d’Haïti.

Les gangs

Les problèmes de sécurité d’Haïti peuvent être largement attribués à la multiplication fulgurante des gangs. En effet, les gangs sont devenus si prolifiques que, dans de nombreuses régions du pays, ils ont plus de pouvoir que le gouvernement et la Police nationale. À Port‑au‑Prince, par exemple, les quelque 200 gangs opérant dans la capitale du pays contrôlent environ 60 % du territoire de la ville[47]. Ce territoire, selon une témoin, prend « de plus en plus d’expansion », si bien qu’il y a peu de régions de la capitale et de ses environs qui ne sont pas touchées par les actions des groupes armés[48]. L’absence de contrôles adéquats aux frontières a donné lieu à un important trafic d’armes en Haïti, si bien que les gangs possèdent souvent plus d’armes que la police[49].

Le Sous-comité est d’accord avec les témoins pour dire que la faiblesse des contrôles frontaliers en Haïti permet aux gangs de faire entrer des armes en contrebande dans le pays, ce qui amplifie la violence et crée un déséquilibre entre ces entités criminelles et la Police nationale. Par conséquent, le Sous-comité recommande ceci :

Recommandation 4

Que le gouvernement du Canada collabore avec ses partenaires internationaux, en particulier avec les pays sources, pour prévenir et faire cesser l’introduction clandestine d’armes et de drogues illicites en Haïti, et pour aider le gouvernement haïtien à renforcer ses contrôles frontaliers. Il s’agit notamment d’aider le gouvernement à augmenter le nombre d’agents des services frontaliers, à fournir une meilleure formation et de meilleurs outils ainsi qu’à faire des investissements à long terme en temps et en ressources dans l’infrastructure de sécurité d’Haïti.

La situation socioéconomique

Des témoins ont déclaré au Sous-comité que la situation socioéconomique d’Haïti est un facteur déterminant de l’augmentation du nombre de gangs dans le pays. Chantale Ismé, de la Coalition haïtienne au Canada contre la dictature en Haïti, a cité la situation humanitaire désespérée d’Haïti comme cause de la perte d’espoir de nombreux jeunes dans l’avenir du pays et le leur. Beaucoup de jeunes se sont ainsi tournés vers les gangs par désespoir et sous la pression des personnes au pouvoir[50].

De plus, le système judiciaire défaillant d’Haïti et les services de police affaiblis et corrompus permettent aux gangs de commettre des actes criminels en toute impunité[51]. Cela les incite à poursuivre leurs activités illégales et à perpétuer le cycle de la violence et du crime.

Le Sous-comité a appris que les enfants des rues du pays, c’est-à-dire ceux qui ont été séparés de leurs parents pour diverses raisons telles que l’abandon, la criminalité, la maladie ou une catastrophe humanitaire, figurent parmi les jeunes recrutés par les gangs. Le Sous-comité a appris que ces enfants, laissés dans des situations d’extrême vulnérabilité, sont activement recrutés par les gangs, voire victimes de la traite de personnes[52].

Des enfants sont recrutés par des gangs et victimes de la traite de personnes au lieu de participer à des activités qui les aideront à reconstruire leur pays. Par conséquent, le Sous-comité recommande ceci :

Recommandation 5

Que le gouvernement du Canada et ses partenaires internationaux prennent des engagements financiers à long terme envers des organisations de la société civile basées en Haïti qui s’efforcent de fournir aux enfants haïtiens des espaces sûrs pour apprendre et jouer.

Les graves répercussions sur les civils

Le Sous-comité a appris que les gangs ont amplifié la crise humanitaire qui perdure en Haïti. Dans certains cas, les gangs ont réussi à prendre le contrôle d’infrastructures essentielles. De la mi-septembre au 4 novembre, par exemple, des gangs ont pris le contrôle du terminal pétrolier de Varreaux à Port-au-Prince, coupant la ville de son principal approvisionnement en carburant. De plus, l’accès au carburant, à la nourriture, à l’eau et aux services médicaux a été restreint par les gangs en raison du contrôle exercé par ces dernières sur les ports, les marchés et les routes[53].

Des témoins ont déclaré au Sous-comité que les interruptions de l’approvisionnement en carburant et les blocages entravaient l’accès des citoyens aux soins de santé. Mark Brender a notamment décrit l’ampleur de la situation en ces termes : « La crise est très aiguë. Elle l’est plus que jamais[54] ». Morgan Wienberg, cofondatrice et directrice exécutive de l’organisme à but non lucratif de défense des droits des enfants Little Footprints Big Steps, a d’ailleurs ajouté ceci :

Les hôpitaux et les services ambulanciers sont non fonctionnels. Beaucoup de procédures médicales sont uniquement disponibles à Port-au-Prince, qui est actuellement inaccessible. L’accès aux transfusions sanguines et à l’oxygénothérapie est difficile, en particulier dans les régions à l’extérieur de la capitale[55].

Certains témoins ont rapporté que la situation était devenue si précaire que dans un hôpital, le personnel a été contraint de transporter du carburant à dos de mule et à pied depuis la République dominicaine, à six heures de là, pour assurer le fonctionnement de l’établissement[56]. Cependant, de nombreux autres hôpitaux ont été contraints de fermer partiellement ou complètement leurs portes en raison de la pénurie de carburant.

De plus, des témoins ont rapporté que d’innocents civils se retrouvent souvent coincés par les fusillades entre gangs[57]. Des Haïtiens ordinaires sont victimes d’enlèvements, de meurtres et de violences sexuelles. Les policiers et les membres de l’appareil judiciaire, ainsi que les militants politiques, figurent parmi les cibles des gangs[58]. La violence commise par ces groups a coûté la vie à plus de 550 personnes à Port-au-Prince entre janvier et juin 2022[59]. Jean Kisomair Dure a souligné au Sous-comité qu’aucune classe sociale n’est à l’abri de cette violence[60]. Ce niveau de violence a fait des Haïtiens ordinaires des prisonniers dans leurs propres maisons, dans un pays qui a pour ainsi dire sombré dans l’anarchie.

La situation des droits de la personne

Il n’est pas surprenant que les droits de la personne en Haïti soient gravement compromis par la situation politique, sécuritaire et humanitaire. Les droits les plus touchés sont les droits démocratiques, comme la tenue d’élections libres et équitables, les droits des enfants ainsi que les abus liés à la violence fondée sur le sexe, aux migrations forcées et aux déplacements à l’intérieur du pays.

L’état de la démocratie

Plusieurs témoins ont décrit le gouvernement actuel comme étant non élu ou « illégitime[61] ». Frédéric Boisrond a expliqué au Sous-comité que l’article 149 de la Constitution haïtienne stipule que de nouvelles élections présidentielles doivent être organisées dans un délai maximum de 90 jours en cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit[62]. Selon lui, le fait que le premier ministre Henry n’ait pas organisé d’élections signifie qu’il « n’est en fait qu’un usurpateur du pouvoir et un dictateur[63] ». Michèle Asselin a décrit cette situation comme une « crise démocratique » où « il y a un fort consensus : on ne croit pas à la légitimité du gouvernement actuel[64] ». Monique Clesca a décrit la conséquence du consensus quant à l’illégitimité du gouvernement haïtien comme « l’érosion totale de la confiance des Haïtiens envers l’État ». Elle a établi un lien entre la crise démocratique et la crise politique plus générale en expliquant que « la situation des droits de la personne en Haïti ne peut être considérée hors du contexte général et préalable de la crise politique », qui n’est rien de moins qu’un « État en déliquescence, étant donné la corruption et l’impunité omniprésentes ainsi que l’inaptitude des forces de l’ordre[65] ».

D’autres témoins ont souligné que la diaspora canadienne est du même avis. L’un d’eux a même affirmé ceci : « Je n’ai pas vu d’appui pour Ariel Henry au sein de la diaspora, et je crois que tout le monde a compris que son gouvernement est illégitime[66] ». Plusieurs témoins ont mentionné que le soutien perçu du Canada envers le gouvernement Henry nuisait gravement à sa crédibilité auprès de la population haïtienne[67]. D’ailleurs, Andréanne Martel a affirmé au Sous-comité que « la grogne est de plus en plus grande à l’égard des gouvernements étrangers du Core Group, dont fait partie le Canada, qui appuient le gouvernement d’Ariel Henry, gouvernement que la société civile haïtienne conteste ouvertement[68] ». De même, Chantal Ismé a avancé que « la première solution est d’arrêter de soutenir le gouvernement actuel, puisqu’il n’a aucune volonté politique de résoudre ces problèmes[69] ». Le Sous-comité est d’accord avec les témoins que la voix des Haïtiens est indispensable pour que les efforts d’aide du Canada produisent des résultats concrets. Le soutien, ou le soutien perçu, du gouvernement du Canada à l’administration actuelle suscitera la méfiance et pourrait constituer un obstacle important pour gagner la confiance du peuple haïtien. Pour ces raisons, le Sous-comité recommande ceci :

Recommandation 6

Que le gouvernement du Canada veille à profiter de toutes les occasions de consulter la société civile, l’opposition et les défenseurs des droits de la personne haïtiens, et qu’il s’engage à appuyer une sortie de crise émanant des Haïtiens.

Les droits des enfants

Les enfants, qui sont parmi les personnes les plus vulnérables d’Haïti, sont les plus touchées par cet échec de la gouvernance et la crise humanitaire qui en découle. On constate d’ailleurs « une hausse marquée du nombre d’enfants séparés de leur famille ou non accompagnés », que Morgan Wienberg attribue à la « crise actuelle[70] ». Jean Kisomair Dure a informé le Comité que près de 3 000 enfants vivent dans les rues de Port-au-Prince.

Les risques encourus par les enfants non accompagnés sont nombreux. Comme mentionné précédemment, ceux qui vivent dans la rue sont souvent recrutés par des gangs ou utilisés par ces derniers pour commettre des crimes[71], un témoin allant jusqu’à dire qu’en Haïti, « des enfants deviennent des enfants-soldats[72] ». Le Sous-comité a également appris que certains de ces enfants sont exposés à la violence sexuelle ou ont recours à la prostitution infantile comme moyen de survie[73].

Si la pauvreté et la violence poussent de nombreux enfants dans les rues d’Haïti, beaucoup d’autres sont confiés aux soins de l’État ou abandonnés par des familles incapables de s’occuper d’eux. En raison de l’incapacité du gouvernement à réglementer et à superviser correctement les orphelinats, on compte plus de 700 établissements illégaux dans le pays, où de nombreux enfants sont victimes de mauvais traitements, notamment de « négligence grave, [de] violence physique et psychologique, [de] traite d’enfants [et d’]exploitation sexuelle[74] ». Morgan Wienberg, qui a passé plus de dix ans à travailler dans le domaine de la protection de l’enfance en Haïti, a également déclaré au Sous-comité que « les pédophiles de l’étranger ciblent souvent les enfants des orphelinats », où un système politique et judiciaire corrompu permet à de nombreux délinquants d’agir en toute impunité[75].

Plusieurs témoins ont également mentionné que le droit à l’éducation des enfants est affecté négativement par cette crise. Les gangs et la police ont bloqué des routes, et la menace constante de violence de la part des gangs signifie que même si les écoles peuvent ouvrir, de nombreux élèves peinent à s’y rendre et à en revenir[76]. Morgan Wienberg a affirmé au Sous-comité qu’au cours des « cinq dernières années, tous les élèves du pays ont été privés de l’accès à l’éducation à maintes reprises[77] ». Jean Kisomair Dure a ajouté qu’à l’heure actuelle, seulement 15 % des écoles primaires du pays étaient toujours ouvertes, privant ainsi la plupart des enfants haïtiens de toute éducation[78].

Le gouvernement d’Haïti ne prend pas suffisamment de mesures pour garantir l’accès des enfants à l’école. Les enfants étant la ressource la plus importante d’un pays, les investissements dans leur avenir doivent être une priorité. Par conséquent, le Sous-comité recommande ceci :

Recommandation 7

Que le gouvernement du Canada et ses partenaires internationaux fassent pression sur le gouvernement d’Haïti pour que l’accès sûr et sans entrave aux écoles soit une priorité pour tous les enfants du pays, et qu’il s’associe à la société civile pour faire pression sur les autorités haïtiennes afin que cesse l’exploitation des enfants conduisant à leur recrutement par des gangs armés.

La violence fondée sur le sexe

Des témoins ont informé le Sous-comité que la violence fondée sur le sexe est un problème profondément ancré en Haïti, avec lequel le pays est aux prises depuis des décennies[79]. Un témoin a expliqué qu’elle a même été normalisée par des célébrités, comme l’ancien président Michel Martelly « un chanteur populaire [qui] a endoctriné toute une génération avec son discours misogyne, violent et haineux, ainsi qu’avec son apologie du viol[80] ».

Si la violence à l’égard des femmes et des filles haïtiennes peut prendre diverses formes, les témoins se sont particulièrement intéressés à celle perpétrée par les gangs. Le Sous-comité a été informé que les cas de violence sexiste ont augmenté de façon significative au cours de la crise actuelle, et que « [b]eaucoup de femmes et d’enfants sont victimes de viol[81] ». Michèle Asselin a attiré l’attention du Sous-comité sur un récent rapport de l’ONU qui conclut que les gangs utilisent la violence sexuelle « comme arme pour terroriser la population et ainsi conquérir des territoires et y asseoir leur contrôle[82] ». Cela se manifeste par des actes de violence sexuelle et par le fait de filmer et de diffuser les preuves de la violence exercée par les membres des gangs à l’échelle du pays[83].

Des témoins ont également rapporté que le gouvernement n’a pas été en mesure de prévenir cette forme de violence ou de traduire les responsables en justice[84]. Par contre, un certain nombre d’efforts ont été déployés par la communauté internationale pour réduire la violence à l’égard des femmes dans le pays. Une témoin a toutefois déclaré que ces efforts, en particulier ceux mis en œuvre après le tremblement de terre de 2010, ont en fait accentué le problème à plus long terme, car les organisations non gouvernementales internationales n’ont pas consulté et renforcé les efforts existants des organisations de femmes haïtiennes. Ces organisations ont donc été affaiblies par l’intervention à court terme[85].

Le Sous-comité est d’accord avec les témoins que les experts haïtiens sont les mieux placés pour trouver des solutions à la violence fondée sur le sexe. Par conséquent, le Sous-comité recommande ceci :

Recommandation 8

Que le gouvernement du Canada poursuive et accentue ses efforts en vue d’aider à habiliter les groupes locaux de la société civile, en particulier les organisations de femmes haïtiennes, à élaborer et à mettre en œuvre des stratégies de lutte contre la violence fondée sur le sexe en Haïti en leur fournissant du financement et de l’expertise, et qu’il contribue à favoriser la participation et la représentation politiques ainsi que l’autonomisation économique des femmes.

Les migrations et les déplacements forcés

La combinaison des catastrophes climatiques et de la violence des gangs a provoqué une crise de migration forcée, entraînant des milliers de personnes déplacées à l’intérieur du pays et de nombreuses autres cherchant refuge dans d’autres pays. Plusieurs témoins ont notamment rapporté que près de 100 000 personnes sont déplacées à l’intérieur même d’Haïti, dont beaucoup sont toujours sans abri depuis le tremblement de terre de 2021[86]. Morgan Wienberg a souligné que « [c]es gens ne vivent pas dans des abris, mais dans des lieux publics, au vu et au su de tous[87] ». Cela rend ces personnes vulnérables à d’autres abus et violations de leurs droits et les rend souvent dépendantes de l’aide humanitaire pour survivre[88].

Le Sous-comité estime que pour qu’une aide au développement soit efficace, les droits de la personne doivent être la priorité absolue. Par conséquent, le Sous-comité recommande ceci :

Recommandation 9

Que le gouvernement du Canada veille à ce que les droits de la personne soient au cœur de toute action qu’il mène en Haïti en tenant compte des besoins des populations vulnérables et marginalisées, comme les personnes déplacées, les femmes et les enfants, les personnes en situation de handicap et la population LGBTQ+.

La demande d’intervention internationale du premier ministre Henry

Compte tenu de la détérioration de la sécurité et de la situation humanitaire, le premier ministre Ariel Henry a lancé le 7 octobre 2022 un appel à la communauté internationale pour qu’elle organise une intervention militaire en Haïti[89]. Le Secrétaire général de l’ONU a réitéré cet appel, et les États-Unis ont demandé au Canada de diriger l’intervention[90].

La plupart des témoins qui ont comparu devant le Sous-comité ont rappelé les erreurs du passé pour rejeter toute proposition d’envoyer une force militaire multinationale en Haïti. Chalmers LaRose, par exemple, a affirmé sans détour que « [l]es événements qui se sont déroulés dans le pays depuis les 20 dernières années indiquent clairement que le passé ne peut inspirer le présent[91] ». Chantale Ismé a pour sa part ajoutée ceci au sujet des missions de la MINUSTAH :

Elles n’ont donné aucun résultat sur le plan de leurs propres objectifs. De surcroît, elles n’ont apporté que souffrance pour la population tout en accroissant sa vulnérabilité : viols, enfants sans père, prostitution. Ceux qui ont perpétré ces crimes n’ont jamais été interpellés, voire jugés[92].

Cependant, comme l’a souligné Patrick Auguste, « il y a quand même un certain soutien à une intervention militaire étrangère, puisque la majorité de la population souffre grandement[93] ». Quelques témoins ont fait des concessions similaires, notamment Renata Segura de l’International Crisis Group, dont l’équipe travaille avec des personnes plongées dans le pire de la crise à Port-au-Prince. Elle a déclaré que ces personnes « sont aussi conscientes des difficultés que rencontreront les membres d’une telle mission, mais elles ne voient pas d’autre option[94] ».

Les quelques témoins qui ont exprimé un certain soutien à une intervention militaire étrangère l’ont fait à contrecœur en raison du caractère désespéré de la situation générale. Par exemple, Renata Segura a dit craindre que « ces troupes étrangères pourraient renforcer le mandat du premier ministre Henry, qui est très impopulaire auprès de la population, ce qui pourrait aggraver encore plus la crise politique[95] ».

Un certain nombre de témoins ont proposé un gouvernement de transition et des élections éventuelles comme solution à la crise actuelle en Haïti. Le Sous-comité a entendu Monique Clesca, représentante d’un groupe de représentants de la société civile, qui préconise un modèle de gouvernement de transition et d’élections appelé l’Accord de Montana. Elle privilégie la démocratie comme la solution aux problèmes d’Haïti et a déclaré ceci au Sous‑comité : « [n]otre combat s’inscrit dans la recherche d’une solution haïtienne, expression inventée par la commission qui a écrit l’Accord de Montana et qui veut dire un consensus large entre Haïtiens et Haïtiennes[96] ».

Le Sous-comité est d’accord pour dire que la crise politique actuelle en Haïti est à l’origine de ses problèmes plus généraux de sous-développement, d’insécurité et de violations des droits de la personne, et que cette crise politique doit être résolue par une transition vers la démocratie. Par conséquent, le Sous-comité recommande ceci :

Recommandation 10

Que le gouvernement du Canada accompagne la société civile haïtienne et ses dirigeants pour trouver une sortie de crise et une gouvernance démocratique appropriée pour le bien-être du peuple haïtien.

Recommandation 11

Que le gouvernement du Canada veille à ce que sa réponse à cette crise englobe des efforts humanitaires, économiques et politiques, de même qu’un soutien au secteur de la justice et de la sécurité, notamment de la formation, tout en précisant qu’il ne déploiera pas de membres des Forces armées canadiennes sur le terrain en Haïti dans le cadre d’un engagement direct dans des opérations militaires.

Conclusion

Au cours de l’étude du Sous-comité, il est devenu évident qu’Haïti vit une crise sans précédent, et que des solutions novatrices seront nécessaires pour relever les défis qui se chevauchent dans le pays. Les témoins ont affirmé à l’unisson que les Haïtiens doivent jouer un rôle de premier plan dans cet effort, et qu’en fait, leur participation est cruciale pour trouver une solution durable. Une approche multidimensionnelle est nécessaire pour aborder les nombreux aspects de la crise actuelle d’Haïti, y compris la stabilisation de la situation sécuritaire actuelle et la prestation d’une aide humanitaire immédiate, sans négliger la nécessité de projets à plus long terme, comme le renforcement des capacités, le développement durable, le renforcement des institutions de base et la mise en œuvre et la création d’une culture de la démocratie. Le Sous-comité exhorte le gouvernement du Canada à jouer son rôle en soutenant les Haïtiens dans leurs efforts pour atteindre ces objectifs en mettant en œuvre les recommandations formulées dans le présent rapport.


[1]              Chambre des communes, Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international (SDIR), Témoignages, 9 décembre 2022, (Mark Brender, conseiller national, Partners In Health Canada).

[2]              SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022, (Chalmers LaRose, chargé de cours, Département de science politique, Université du Québec à Montréal, Collège militaire royal du Canada, à titre personnel).

[3]              Ibid.

[4]              SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Chalmers LaRose); SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Patrick Auguste, Association du capital humain de la jeunesse ethnoculturelle de demain); et SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Frédéric Boisrond, sociologue, à titre personnel).

[5]              SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022, (Patrick Auguste).

[6]              SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022, (Frédéric Boisrond).

[7]              SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Chalmers LaRose).

[8]              Ibid.

[9]              SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Chalmers LaRose); et SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Andréanne Martel, consultante en évaluation de programmes humanitaires et chercheuse, à titre personnel).

[10]            SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Monique Clesca, journaliste, écrivaine et activiste prodémocratie, Bureau de suivi de l’Accord de Montana).

[11]            SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Andréanne Martel).

[12]            SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Frédéric Boisrond). Voir Dan Beeton et Georgianne Nienaber, « Haiti’s Doctored Elections, Seen from the Inside: An Interview with Rocardo Seitenfus », Dissent Magazine, 24 février 2014 [disponible en anglais seulement].

[13]            SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Frédéric Boisrond).

[14]            Ibid.

[15]            Ibid.

[16]            SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Chantale Ismé, militante féministe et chercheuse communautaire, Coalition haïtienne au Canada contre la dictature en Haïti); SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Frédéric Boisrond); et SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Monique Clesca).

[17]            SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Jean Kisomair Dure, pasteur, Fédération protestante d’Haïti).

[18]            SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Michèle Asselin, directrice générale, Association québécoise des organismes de coopération internationale).

[19]            SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Chalmers LaRose).

[20]            SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Jean Kisomair Dure).

[21]            Ibid.

[22]            SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Mark Brender).

[23]            Ibid.

[24]            SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Michèle Asselin).

[25]            SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Mark Brender).

[26]            SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Andréanne Martel).

[27]            SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Mark Brender).

[28]            SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Chantale Ismé).

[29]            SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Philippe Dieudonné, maître en gestion de projet, à titre personnel).

[30]            SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Gédéon Jean, directeur exécutif, Centre d’analyse et de recherche en droits de l’homme).

[31]            SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Jean Kisomair Dure); et SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Gédéon Jean).

[32]            SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Chalmers LaRose); et SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Chantale Ismé).

[33]            SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Jean Kisomair Dure).

[34]            SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Gédéon Jean).

[35]            Ibid.

[36]            SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Gédéon Jean); SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Patrick Auguste); SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Chalmers LaRose); SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Frédéric Boisrond); et SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Gédéon Jean).

[37]            SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Diego Da Rin, consultant, Amérique latine et Caraïbes, International Crisis Group); et SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Patrick Auguste).

[38]            SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Frédéric Boisrond).

[39]            Ibid., 1000.

[40]            SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Monique Clesca).

[41]            SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Diego Da Rin).

[42]            SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Frédéric Boisrond).

[43]            SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Monique Clesca).

[44]            SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Monique Clesca); et SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Frédéric Boisrond).

[45]            SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Patrick Auguste).

[46]            SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Chantale Ismé).

[47]            SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Gédéon Jean).

[48]            SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Michèle Asselin).

[49]            Ibid.

[50]            SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Chantale Ismé).

[51]            SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Andréanne Martel).

[52]            SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Morgan Wienberg, cofondatrice, Little Footprints Big Steps).

[53]            SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Renata Segura, codirectrice, Amérique latine et Caraïbes, International Crisis Group).

[54]            SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Mark Brender).

[55]            SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Morgan Wienberg).

[56]            SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Mark Brender).

[57]            SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Michèle Asselin).

[58]            SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Patrick Auguste).

[59]            SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Jean Kisomair Dure); tel que cité par le témoin, Marie Farah Fortuné, « Haïti Criminalité : Plus de 550 personnes tuées, de janvier à juin 2022, dans les actes de violence à Port-au-Prince, selon la Ce-Jilap », AlterPresse, 6 juillet 2022.

[60]            SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Jean Kisomair Dure).

[61]            SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Chantale Ismé); SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Frédéric Boisrond); SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Andréanne Martel); SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Michèle Asselin); et SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Monique Clesca).

[62]            SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Frédéric Boisrond); La République D’Haïti, 1987 Constitution de la République d’Haïti, base de données politiques des Amériques, Université Georgetown, art. 149.

[63]            SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Frédéric Boisrond).

[64]            SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Michèle Asselin).

[65]            SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Monique Clesca).

[66]            SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Frédéric Boisrond); et SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Patrick Auguste).

[67]            SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Michèle Asselin); SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Frédéric Boisrond); et SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Monique Clesca).

[68]            SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Andréanne Martel).

[69]            SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Chantale Ismé).

[70]            SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Morgan Wienberg).

[71]            Ibid.

[72]            SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Frédéric Boisrond).

[73]            SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Morgan Wienberg).

[74]            Ibid.

[75]            Ibid.

[76]            SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Michèle Asselin).

[77]            SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Morgan Wienberg).

[78]            SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Jean Kisomair Dure).

[79]            SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Monique Clesca).

[80]            SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Frédéric Boisrond).

[81]            SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Morgan Wienberg).

[82]            SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022, 0900 (Michèle Asselin); Bureau intégré des Nations Unies en Haïti et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, Violence sexuelle à Port-au-Prince : Une arme utilisée par les gangs pour répandre la peur, 14 octobre 2022.

[83]            SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Morgan Wienberg).

[84]            SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Frédéric Boisrond); SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Monique Clesca); et SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Morgan Wienberg).

[85]            SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Andréanne Martel).

[86]            SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Michèle Asselin).

[87]            SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Morgan Wienberg).

[88]            SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Monique Clesca).

[89]            Ibid.

[90]            SDIR, Témoignages, 18 novembre 2022 (Frédéric Boisrond).

[91]            SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Chalmers LaRose).

[92]            SDIR, Témoignages, 4 novembre 2022 (Chantale Ismé).

[93]            SDIR, Témoignages, 4 novembre (Patrick Auguste).

[94]            SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Renata Segura).

[95]            Ibid.

[96]            SDIR, Témoignages, 9 décembre 2022 (Monique Clesca).