Passer au contenu
Début du contenu

FAAE Rapport du Comité

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

PDF

Renforcer les capacités diplomatiques du Canada pour une époque de plus en plus agitée

Le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes (le comité) a étudié la question des capacités diplomatiques du Canada au cours de six réunions avec témoins tenues entre le 29 novembre 2023 et le 14 février 2024[1], poursuivant ainsi le travail du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, qui a mené le premier examen approfondi de l’appareil diplomatique du Canada depuis le rapport de 1981 de la Commission royale d’enquête sur la situation dans le service extérieur[2]. Selon le président, le sénateur Peter M. Boehm, la principale conclusion du comité sénatorial est qu’Affaires mondiales Canada et le Service extérieur canadien sont adaptés à leur mission, « mais avec plusieurs réserves[3] ». Celles-ci sont présentées dans le rapport Plus qu’une vocation : le Canada doit se doter d’un service extérieur adapté au XXIe siècle, lequel formule 29 recommandations[4].

Au cours de l’étude, le comité a aussi eu l’occasion d’examiner le plan de transformation du Ministère, présenté dans un document de travail[5] en juin 2023. La ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a exposé le contexte dans lequel ce document a été rédigé, en indiquant que, selon elle, le Canada est confronté à « une crise de sécurité internationale de plus en plus grave[6] ». Elle a averti que « le système fondé sur des règles qui a assuré la sécurité des Canadiens pendant des générations est en train de s’effriter », et que pour relever les défis qui en découlent, la politique étrangère du gouvernement est guidée par deux principes clés : la défense de la souveraineté du Canada et la poursuite d’une « diplomatie pragmatique[7] ». La ministre Joly a ajouté que pour assurer sa réussite sur la scène internationale, le Canada doit avoir des yeux et des oreilles sur le terrain. Cela signifie pouvoir compter sur des diplomates « diversifiés, bilingues, en bonne santé et bien outillés[8] ».

Le plan destiné à transformer Affaires mondiales Canada repose sur quatre piliers : investir dans l’effectif diplomatique du Canada; augmenter la présence diplomatique du Canada dans les régions et institutions multilatérales clés; accroître l’expertise du Canada en matière de politique étrangère; et renforcer les processus internes du Ministère, notamment en ce qui concerne la cybersécurité[9]. Il était nécessaire de réaliser une évaluation aussi franche d’Affaires mondiales Canada et de tracer une voie ambitieuse, a dit la ministre Joly, parce que la dernière réforme du Ministère « remonte à plusieurs décennies[10] ». Le sous-ministre des Affaires étrangères David Morrison s’est prononcé dans le même sens, faisant observer que l’on avait laissé le service extérieur canadien « s’atrophier » au moment où se détériorait le contexte de sécurité dans le monde[11]. L’époque où le Canada était protégé par sa « géographie et la mondialisation » est révolue[12].

Il est apparu clairement au comité que le point de référence pour étudier les capacités diplomatiques du Canada et déterminer comment les renforcer ne devait pas être l’idée d’un « âge d’or » de la politique étrangère canadienne, comme les années ayant suivi la Seconde Guerre mondiale ou la fin de la Guerre froide. Le monde a changé de façon fondamentale. Cette réalité, le comité l’a exprimée dans son rapport « Le rappel au réel[13] » portant sur les implications du retour de la guerre en Europe à la suite de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie. Pour affronter cette nouvelle époque, on doit commencer par reconnaître que le Canada a moins de marge de manœuvre et doit travailler plus fort pour atteindre ses objectifs dans un contexte où les Nations Unies comptent 193 États membres, comparativement à 51 à la création de l’organisation en 1945[14]. Ce monde élargi est façonné par les attentes de nouvelles puissances économiques, les pressions liées aux ambitions régionales, la montée de l’autoritarisme, les tensions de la concurrence stratégique, les bouleversements associés aux nouvelles technologies et aux menaces appuyées par des États ainsi que par les tensions découlant du changement climatique.

Indépendamment des approches particulières que pourraient adopter les gouvernements canadiens en matière de politique étrangère, on a rappelé au comité l’importance « capitale » de la relation qu’entretient le Canada avec les États-Unis[15]. On a fait remarquer également au comité que cette relation tient à notre réalité géographique et que les « les États-Unis seront toujours notre principal partenaire commercial, notre allié en matière de défense et de sécurité et le coresponsable de la gestion de notre environnement commun[16] ». Par ailleurs, comme cela a été dit au comité, « notre influence à l’étranger dépend de la perception extérieure de notre accès à Washington et de notre compréhension des Américains[17] ». Les décisions prises à Washington influent également sur le contexte général de la politique étrangère, étant donné le rôle que jouent les États-Unis en étant le chef de file de l’Occident et en assurant le respect de l’ordre mondial dans lequel le Canada évolue depuis la Seconde Guerre mondiale[18]. Reconnaître l’importance de ce rôle ne signifie pas pour autant que la politique étrangère du Canada doit être unidimensionnelle. Au contraire, selon ce qu’a appris le comité, il faudrait trouver un équilibre dans la relation bilatérale qu’entretient le Canada avec les États-Unis grâce à « un multilatéralisme actif visant à créer des normes et des règles[19] ».

En tant que membre du G7, du G20 et de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, entre autres institutions internationales, le gouvernement du Canada est d’avis que le Canada est présent « à presque toutes les tables qui ont de l’importance[20] ». Néanmoins, des témoins ont dit au comité que le Canada doit s’adapter au nouvel environnement stratégique en tant que pays représentant « un peu moins de la moitié de 1 % de la population mondiale[21] » et, comme nation commerçante, en tant que pays dont la prospérité dépend grandement « d’un ordre international stable, fonctionnel et ouvert[22] ». Les défis sont énormes, car l’environnement lui-même, comme on l’a dit au comité, – est « moins accueillant à l’égard [des] intérêts et [des] valeurs [du Canada] qu’à tout autre moment depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale[23] ». Le monde est devenu « de plus en plus chaotique, impitoyable et éparpillé[24] » et nécessite une adaptation à une situation de « turbulence permanente[25] ».

Malgré le sentiment de se trouver au début d’une nouvelle ère dans les relations internationales, dont les contours sont si mouvants et contestés qu’aucun nom faisant l’unanimité n’a été trouvé pour la désigner, on a rappelé au comité que le gouvernement du Canada avait rompu avec l’habitude de mener le genre d’examen qui donne lieu à la publication d’une politique étrangère. Des politiques en matière de défense et de développement ont été produites en 2017[26] (celle de la défense a été mise à jour pendant que le comité finalisait le présent rapport[27]), un discours sur les priorités du Canada en matière de politique étrangère[28] a été prononcé à la Chambre des communes et une stratégie pour l’Indo-Pacifique a été publiée en 2022[29]. Or, le dernier document de politique étrangère complet du Canada à avoir été produit est l’énoncé de politique internationale[30], en 2005. Même avec les éléments mis en place depuis, beaucoup ont estimé qu’il manquait une base sur laquelle les relations, les positions, les activités, les dépenses et les stratégies régionales du Canada pourraient s’appuyer.

Les alliés du Canada nous montrent comment ces documents sont produits et publiés. Le comité a appris que le Japon publie un Livre bleu diplomatique de près de 400 pages[31]. Il sait aussi que les administrations américaines sont tenues[32] de publier une stratégie pour la sécurité nationale[33]. Après avoir annoncé en février 2020 que le pays procéderait au plus important examen de sa politique en matière d’affaires étrangères, de défense, de sécurité et de développement depuis la fin de la Guerre froide[34], le gouvernement du Royaume-Uni a publié son examen intégré en mars 2021[35], lequel a déjà été révisé afin de tenir compte du rythme des changements du contexte international[36]. Le but général de ces initiatives est exprimé dans le Livre blanc de la politique étrangère de 2017 de l’Australie. Publié 14 ans après le livre blanc précédent de l’Australie, le document résume son propre objectif en faisant observer que, « si les intérêts nationaux sont constants, le contexte international dans lequel nous les défendons a substantiellement changé, comme l’Australie elle-même[37] ». On a dit au comité que la formulation écrite d’une politique étrangère « force à faire des choix et à établir [des] priorités[38] ». Ces documents donnent aux alliés des indications sur les intentions et constituent « un outil de communication important[39] ». Selon certains témoignages, si elles sont menées de façon rigoureuse[40] et qu’elles s’appuient sur des impératifs et une volonté politique[41], de telles initiatives n’ont pas à être excessivement longues ni à suivre un modèle précis[42].

Dans l’ensemble, l’étude du comité a indiqué que l’appareil diplomatique du Canada devrait être réglé sur une politique étrangère stratégique, à savoir une politique qui concilie le pragmatisme que demandent la taille et l’influence relatives du Canada dans le monde avec l’ambition d’être présent, bien informé et influent. Selon les témoignages entendus, pour appuyer cette politique et en assurer la mise en œuvre, on doit prioritairement veiller à ce que le Canada ait des capacités qu’il peut utiliser concrètement.

Les témoins ont également insisté sur l’importance de l’uniformité et de la cohérence s’agissant des principes fondamentaux, notamment en ce qui concerne le droit international, la justice et les droits universels de la personne. On a souligné au comité que, « pour que l’engagement déclaré du Canada à l’égard du droit international se traduise par des gains concrets sur le plan diplomatique et renforce sa réputation à l’échelle internationale, il doit être sincère et crédible aux yeux des autres[43] ». Une telle crédibilité est mise à mal lorsque, dans ses prises de position officielles, le Canada semble avoir deux poids, deux mesures[44]. Bien que les contradictions soient plus une marque distinctive qu’une aberration en relations internationales, on a rappelé au comité que le leadership en matière de droits de la personne a toujours été attendu et exigé du Canada[45]. Tout aussi importante est l’application de l’engagement à des cas précis. Des témoignages ont indiqué que les normes que le Canada applique dans un cas auront une incidence sur son poids diplomatique dans d’autres cas[46].

Outre les témoignages appelant le gouvernement à adopter une approche stratégique, crédible et lucide à l’égard du monde, l’autre principale conclusion de l’étude du comité est que l’appareil gouvernemental du Canada doit suivre le rythme des grands changements et de la transformation. On a dit au comité qu’on ne peut promouvoir les objectifs de politique étrangère sans capacités diplomatiques, lesquelles « dépendent à la fois du pouvoir de contraindre et du pouvoir de convaincre[47] ». Ce genre de pouvoir multidimensionnel émane d’un « service extérieur robuste pour servir les Canadiens et défendre les intérêts canadiens », mais aussi de « forces armées musclées pour avoir un effet de dissuasion et assurer la sécurité collective » et d’une « aide au développement bien financée pour faire face aux inégalités mondiales et soutenir les autres démocraties[48] ».

Certains témoins ont aussi indiqué que, pour qu’elles puissent atteindre leur plein potentiel, les capacités diplomatiques du Canada doivent être considérées de la manière la plus large possible. Or, sous certains aspects, ces capacités semblent sous-utilisées et insuffisamment financées. L’étude du comité a attiré l’attention sur l’importance de la diplomatie culturelle, linguistique et parlementaire du Canada. On a fait valoir que ces autres voies de dialogue avaient à la fois un effet d’amplification et de renforcement[49]. D’après ses affectations à l’étranger, un diplomate à la retraite a dit que la collaboration entre les missions canadiennes et les délégations provinciales est « très importante » parce qu’elle ouvre « des portes pour promouvoir nos industries, nos intérêts et nos valeurs[50] ». Il a néanmoins fait observer que, s’il est reconnu que la diplomatie culturelle et publique est profitable pour le Canada, « le financement de ces programmes a été réduit à néant[51] ».

S’agissant de la mise en œuvre, mais aussi de la conception de la politique étrangère du Canada, l’étude du comité a fait remarquer qu’Affaires mondiales Canada ne peut évoluer en vase clos[52]. Une expertise substantielle se trouve à l’extérieur du Ministère, notamment dans les universités, les groupes d’experts et la société civile. Cette force intellectuelle peut être exploitée dans le cadre d’initiatives de consultation, de collaboration avec des organismes consultatifs et de détachement, lesquelles doivent être multiples et offertes à diverses étapes de la carrière. Selon des témoins, les avantages sont à la fois généraux et particuliers. Par exemple, faire travailler pendant plus longtemps les employés d’Affaires mondiales Canada dans le milieu du renseignement favorise la compréhension mutuelle et resserre les liens institutionnels[53]. Les subventions pourraient être un autre outil. Il a notamment été proposé qu’Affaires mondiales Canada appuie la recherche universitaire de la même manière que le ministère de la Défense nationale, en partie pour « que nos universitaires puissent travailler comme experts‑conseils pour le ministère[54] ».

Les capacités internes du Ministère en matière de politiques doivent aussi faire l’objet d’une attention particulière, au-delà des services chargés des programmes, des relations géographiques et de la gestion quotidienne des enjeux. On a dit au comité que beaucoup dans le milieu universitaire et de la recherche ont acquis le sentiment qu’Affaires mondiales Canada « a perdu cet avantage en matière de planification des politiques » et « doit mieux évaluer les tendances à long terme et leurs répercussions possibles[55] ».

En plus de l’établissement d’un appareil ministériel affecté à la formulation de politiques et à la réflexion à long terme, on a dit au comité que le Canada pourrait s’inspirer de « l’audace » dont il a déjà fait preuve en matière de politiques[56]. En agissant ainsi, on mettrait à profit l’héritage des idées canadiennes qui, dans les années 1990, ont contribué à l’établissement de la Cour pénale internationale et de la Convention d’Ottawa pour l’interdiction des mines antipersonnel. Au cours de ces mêmes années, le Canada a fait du programme d’action pour la sécurité humaine « un pilier du travail du Conseil de sécurité », ce qui comprend des initiatives qui n’ont « rien perdu de leur pertinence, comme la protection des civils; les femmes, la paix et la sécurité; les enfants et les conflits armés; et le devoir de protection[57] ». On a également fait valoir que le Canada devrait utiliser une approche équilibrée à l’égard de ce qu’il choisit de promouvoir par sa politique étrangère. Le comité a reçu un document dans lequel on soutient que, si la promotion des valeurs canadiennes a été l’un des trois piliers de la politique étrangère canadienne de l’après-guerre froide (avec la promotion de la prospérité par le commerce et de la sécurité mondiale), le pilier des valeurs prime maintenant sur les deux autres piliers, qui ont littéralement été réduits au silence. Selon ce point de vue, ce déséquilibre a été contre-productif et a contribué à la marginalisation du Canada en tant qu’acteur sur la scène mondiale[58].

En ce qui concerne les diplomates proprement dits, y compris leur recrutement et leur maintien en poste, le présent rapport vise à souligner les principales observations du comité, plutôt qu’à reproduire le travail minutieux déjà effectué par le Sénat et Affaires mondiales Canada. Cela dit, certains points méritent d’être réitérés pour expliquer pourquoi des améliorations systémiques sont requises. Par exemple, un témoin a fait observer que le Canada a suspendu le recrutement des agents du service extérieur pendant une décennie (de 2009 à 2019[59]). Comme un autre témoin l’a déclaré, c’est à ce moment que nous nous sommes « retrouvés pris dans l’engrenage[60] ». En outre, les directives du service extérieur qui établissent les indemnités et les avantages sociaux auxquels ont droit ces agents n’ont pas été révisées depuis 1981[61]. En fait, nombre des problèmes relevés dans le rapport de la Commission royale d’enquête, y compris l’emploi du conjoint, « n’ont jamais vraiment été réglés[62] ».

Parallèlement, le Ministère indique que, en raison du processus de dotation pour certains groupes professionnels, 74 % de ses employés de la fonction publique canadienne ne sont même pas considérés comme faisant partie du « service extérieur[63] ». Cette situation semble avoir créé des problèmes, notamment un sentiment d’iniquité dans les possibilités d’affectation à l’étranger[64]. Du point de vue d’un groupe de membres retraités du service extérieur canadien, ce modèle de ressources humaines a laissé le Canada avec « un contingent insuffisant du service extérieur et un important groupe non permutant qui n’a pas de perspectives de carrière à long terme satisfaisantes[65] ».

Lors de l’étude du comité, on a fait observer que, pour réussir, les employés d’Affaires mondiales Canada nécessitent une formation pour assurer leur maîtrise des langues officielles du Canada et pour maintenir leurs compétences en langues étrangères une fois acquises[66]. Au chapitre de l’avancement professionnel, le comité a appris que, dans quelques cas où des considérations politiques de premier plan entrent en ligne de compte, il peut être justifié de confier un poste d’ambassadeur à une personne de l’extérieur du Ministère, mais que lorsque ces nominations augmentent, la situation a un effet de désillusion parmi les fonctionnaires de carrière du corps diplomatique du Canada[67].

De façon plus générale, le Ministère reconnaît que certains de ses employés, « particulièrement les agents du service extérieur possédant une expertise approfondie dans des zones géographiques et des domaines particuliers, se sont sentis de plus en plus désavantagés au fil du temps, y compris dans les processus de promotion, où l’accent a été mis sur les compétences en matière de gestion plutôt que sur l’expertise géographique, linguistique ou liée à un domaine particulier[68] ». En plus de ce qu’une ancienne diplomate de haut rang a décrit comme la « bureaucratisation » d’Affaires mondiales Canada au cours des 20 dernières années, au cours desquelles les fonctionnaires « qui ont accédé à des postes de haut niveau l’ont majoritairement fait sur la base de leurs compétences administratives plutôt que sur leur expérience en matière de politique étrangère », il y a aussi la question de l’affectation des ressources[69]. Comme la même témoin l’a dit, l’administration centrale du Ministère à Ottawa « prend trop de place au détriment des missions[70] ». Bien qu’ils soient appuyés par des milliers de précieux employés « recruté[s] sur place » (dans les pays hôtes)[71], des documents indiquent que seuls 18 % des fonctionnaires du Ministère, appelés « employés canadiens », étaient déployés à l’étranger en 2022[72].

Dans bien des cas, pour corriger ces problèmes, la direction du Ministère devra adopter des réformes, réaliser des économies et formuler une orientation. L’étude du comité a néanmoins souligné que les capacités diplomatiques du Canada sont aussi, en définitive, une question de ressources. En somme, le comité a été informé que

pour réussir, Affaires mondiales Canada et le service extérieur doivent disposer de ressources conformes à l’envergure et à la gravité de leur mission. Autrement dit, il faut de l’argent pour établir ou maintenir une présence adéquate à la fois dans les capitales et aux carrefours les plus stratégiques d’un monde multilatéral. Il s’agit également de fournir une aide au développement suffisante pour gagner en influence et en crédibilité auprès de nos partenaires. Sur les deux plans, comparativement à nos principaux alliés, nous ne faisons pas le poids[73].

Un autre témoin a fait une évaluation similaire et tout aussi fondamentale de la situation, même en supposant que l’on réforme l’appareil gouvernemental et que l’on définisse mieux les intérêts du Canada en matière de politique étrangère. Sans ressources adéquates pour la diplomatie, la défense, le renseignement étranger et la sécurité nationale, « nous ne pourrons défendre nos intérêts que partiellement » a dit ce témoin. « Il faut tout simplement investir davantage[74]. » La transformation de la politique étrangère du Canada est donc à la fois un processus et un objectif que l’on ne peut atteindre que si on lui consacre des ressources de manière ciblée.

En effet, les états généraux sur la diplomatie convoqués par la France en 2023 ont donné lieu à une augmentation de 20 % du budget du ministère des Affaires étrangères et à la décision d’embaucher 700 employés supplémentaires sur quatre ans[75]. On a aussi rappelé au comité que les pays BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud – cherchent à renforcer leur voix à l’échelle internationale[76]. En proportion des postes diplomatiques, le Global Diplomacy Index, publié par le Lowy Institute, classe le Canada au 14e rang des pays du G20[77]. De plus, on a informé le comité que le Canada a un grand nombre de « petites » ou de « micro-missions »[78]. Sur le plan de l’effectif, le Canada n’est jamais plus parvenu au point culminant atteint en 1990, lorsqu’il comptait 2 993 agents du service extérieur à l’étranger[79].

Ces données et comparaisons ont leur importance. Qu’il s’agisse des normes qui régiront les systèmes de communication sans fil de la 6G ou de celles qui sont nécessaires pour s’adapter à d’autres avancées sociétales, le comité est conscient que les règles concernant les futures frontières, qui auront une incidence sur la prospérité et la sécurité nationale du Canada, sont en train d’être écrites dans les rencontres diplomatiques[80]. Par conséquent, il est dans l’intérêt du Canada de s’assurer d’avoir un effectif complet de représentants[81], dotés de l’expertise et des compétences requises, pour siéger aux bonnes tables[82].

Les capacités auront un effet sur l’influence exercée par le Canada dans les organisations multilatérales de manière générale. Elles pourraient également déterminer si le Canada est même invité à prendre part aux coalitions, qui prennent maintenant la forme de cadres adaptés aux circonstances et qui privilégient les capacités que chaque acteur peut apporter[83]. Selon un témoin, la mesure dans laquelle le Canada est perçu comme allié fiable et est admis en fonction de cette réputation est primordiale, parce que le Canada « agit très rarement seul[84] ».

L’investissement dans les capacités diplomatiques vise aussi à veiller à ce que le Canada puisse prévoir et gérer les crises touchant ses intérêts nationaux et le bien-être de sa population ouverte et branchée sur le monde[85]. Les services consulaires doivent être soutenus. Depuis 2006, les évacuations d’urgence de Canadiens du Liban, de l’Afghanistan, de l’Ukraine, du Soudan et de Gaza, ainsi que les efforts de rapatriement sans précédent déployés pendant la pandémie de COVID-19, ont fait valoir ce point[86]. Même en faisant abstraction des zones de conflit et des situations d’urgence, on a rappelé au comité que les Canadiens sont ceux qui « voyagent le plus par habitant[87] » et qu’ils paient pour les services consulaires lorsqu’ils se procurent un passeport[88].

Aujourd’hui, la caractéristique déterminante du système international dans lequel évolue le Canada est la complexité. D’innombrables forces et variables, qu’elles soient politiques, économiques, géopolitiques ou technologiques, interagissent et influencent l’évolution du système. Cela dit, cette complexité est moins intimidante quand on envisage le système comme une maison, pour utiliser une métaphore[89]. Avec le temps et les diverses pressions, même les meilleures structures, et celles qui ont bien rempli leur rôle, peuvent se délabrer. Ce sont les gens, soutenus par un milieu favorable, équipés des outils et des ressources dont ils ont besoin et guidés par les objectifs qui leur sont donnés, qui empêchent la dégradation ou entreprennent la modernisation lorsqu’elle s’impose.


[1]              Chambre des communes, Comité permanent des affaires étrangères et du développement international (FAAE), Procès-verbal, 8 novembre 2023; FAAE, « Capacités diplomatiques du Canada », Travaux, 44e législature, 1re session.

[2]              Commission royale d’enquête sur la situation dans le service extérieur, Bibliothèque et Archives Canada, 1981.

[3]              FAAE, Témoignages, 12 février 2024, 1610 (Peter M. Boehm, sénateur, Ontario, GSI).

[4]              Sénat, Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, Plus qu’une vocation : le Canada doit se doter d’un service extérieur adapté au XXIe siècle, décembre 2023.

[6]              FAAE, Témoignages, 7 février 2024, 1705 (l’honorable Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères).

[7]              Ibid.

[8]              Ibid.

[9]              Ibid., 1710.

[10]            Ibid., 1805.

[11]            FAAE, Témoignages, 7 février 2024, 1830 (David Morrison, sous-ministre des Affaires étrangères, ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement).

[12]            Ibid.

[13]            FAAE, Le rappel au réel : Le monde d’après de 24 février 2022, 44e législature, 1re session 14e rapport, avril 2023.

[15]            FAAE, Témoignages, 11 décembre 2023, 1105 (Balkan Devlen, directeur, Programme transatlantique, Institut Macdonald-Laurier, à titre personnel).

[16]            FAAE, Témoignages, 11 décembre 2023, 1215 (Colin Robertson, membre, Institut canadien des affaires mondiales).

[17]            Ibid.

[18]            FAAE, Témoignages, 13 décembre 2023, 1645 (Stéphane Roussel, professeur titulaire, École nationale d’administration publique, à titre personnel).

[19]            FAAE, Témoignages, 11 décembre 2023, 1215 (Colin Robertson).

[20]            FAAE, Témoignages, 7 février 2024, 1825 (David Morrison).

[21]            FAAE, Témoignages, 29 novembre 2023, 1735 (Adam Chapnick, professeur, Études de la défense, Collège des Forces canadiennes, à titre personnel).

[22]            FAAE, Témoignages, 11 décembre 2023, 1105 (Balkan Devlen).

[23]            FAAE, Témoignages, 29 novembre 2023, 1735 (Jennifer Welsh, professeure, Gouvernance et sécurité mondiales, Université McGill, à titre personnel).

[24]            FAAE, Témoignages, 11 décembre 2023, 1215 (Colin Robertson).

[25]            FAAE, Témoignages, 29 novembre 2023, 1750 (Jennifer Welsh).

[27]            Premier ministre du Canada, Justin Trudeau, Notre Nord fort et libre : une vision renouvelée pour la défense du Canada, communiqué, 8 avril 2024.

[28]            Affaires mondiales Canada, Discours de la ministre Freeland sur les priorités du Canada en matière de politique étrangère, discours, 6 juin 2017.

[29]            Affaires mondiales Canada, La Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique, 2022.

[31]            FAAE, Témoignages, 14 février 2024, 1655 (Stephanie Carvin, professeure associée, Norman Paterson School of International Affairs, Université Carleton, à titre personnel). Voir aussi ministère des Affaires étrangères du Japon, Livre bleu diplomatique 2023, 22 novembre 2023.

[32]            États‑Unis (É.‑U.), Historical Office, Office of the Secretary of Defense, National Security Strategy.

[33]            Pour consulter la version la plus récente, voir É.‑U., Maison-Blanche, National Security Strategy, octobre 2022.

[34]            Royaume‑Uni, Cabinet du premier ministre, le très honorable Boris Johnson, PM outlines new review to define Britain’s place in the world, communiqué, 26 février 2020.

[35]            Royaume‑Uni, secrétariat du Cabinet, Global Britain in a Competitive Age: the Integrated Review of Security, Defence, Development and Foreign Policy, document de politique, publié le 16 mars 2021, mis à jour le 2 juillet 2021.

[36]            Royaume‑Uni, Integrated Review Refresh 2023: Responding to a more contested and volatile world, présenté au Parlement par le premier ministre sur ordre de Sa Majesté, mars 2023.

[37]            Gouvernement de l’Australie, « Ministerial foreword », 2017 Foreign Policy White Paper, p. vi.

[38]            FAAE, Témoignages, 14 février 2024, 1655 (Stephanie Carvin).

[39]            Ibid.

[40]            FAAE, Témoignages, 29 novembre 2023, 1815 (Jennifer Welsh).

[41]            FAAE, Témoignages, 14 février 2024, 1720 (Thomas Juneau, professeur agrégé, Affaires publiques et internationales, Université d’Ottawa, à titre personnel).

[42]            FAAE, Témoignages, 13 décembre 2023, 1720 (Stéphane Roussel).

[43]            FAAE, Témoignages, 11 décembre 2023, 1210 (Ardi Imseis, professeur adjoint, Faculté de droit, Université Queen’s, à titre personnel).

[44]            Mark Kersten, Mémoire, 30 janvier 2024, p. 1.

[45]            FAAE, Témoignages, 12 février 2024, 1745 (Alex Neve, agrégé supérieur, École supérieure d’affaires publiques et internationales, Université d’Ottawa, à titre personnel).

[46]            FAAE, Témoignages, 14 février 2024, 1710 (Farida Deif, directrice au Canada, Human Rights Watch).

[47]            FAAE, Témoignages, 11 décembre 2023, 1215 (Colin Robertson).

[48]            Ibid.

[49]            FAAE, Témoignages, 11 décembre 2023, 1155 (Martin Théberge, président, Société nationale de l’Acadie).

[50]            FAAE, Témoignages, 11 décembre 2023, 1230 (Colin Robertson).

[51]            Ibid.

[52]            FAAE, Témoignages, 13 décembre 2023, 1635 (l’honorable Allan Rock, ancien ambassadeur du Canada auprès des Nations Unies, à titre personnel).

[53]            FAAE, Témoignages, 14 février 2024, 1700 (Thomas Juneau).

[54]            FAAE, Témoignages, 13 décembre 2023, 1740 (Stéphane Roussel).

[55]            FAAE, Témoignages, 29 novembre 2023, 1735 (Jennifer Welsh).

[56]            FAAE, Témoignages, 13 décembre 2023, 1635 (l’hon. Allan Rock).

[57]            Ibid.

[58]            Notes d’allocution, 14 février 2024 (Jean-François Caron, professeur agrégé, département de science politique et de relations internationales, Université Nazarbayev).

[59]            FAAE, Témoignages, 12 février 2024, 1610 (le sénateur Peter M. Boehm).

[60]            FAAE, Témoignages, 13 décembre 2023, 1650 (Guy Saint-Jacques, ancien ambassadeur du Canada en République populaire de Chine, à titre personnel).

[61]            FAAE, Témoignages, 12 février 2024, 1610 (le sénateur Peter M. Boehm).

[62]            FAAE, Témoignages, 13 décembre 2023, 1655 (Pamela Isfeld, présidente, Association professionnelle des agents du service extérieur).

[64]            FAAE, Témoignages, 12 février 2024, 1620 (le sénateur Peter M. Boehm).

[65]            Forum des anciens du service extérieur canadien, Mémoire, 12 mars 2024, p. 4.

[66]            FAAE, Témoignages, 12 février 2024, 1610 (le sénateur Peter M. Boehm).

[67]            FAAE, Témoignages, 29 novembre 2023, 1820 (Adam Chapnick).

[69]            FAAE, Témoignages, 13 décembre 2023, 1640 (Louise Blais, diplomate en résidence, Université Laval, à titre personnel).

[70]            Ibid., 1735.

[71]            FAAE, Témoignages, 7 février 2024, 1810 (l’hon. Mélanie Joly).

[73]            FAAE, Témoignages, 13 décembre 2023, 1635 (l’hon. Allan Rock).

[74]            FAAE, Témoignages, 14 février 2024, 1755 (Thomas Juneau).

[75]            France, ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, Les États généraux de la diplomatie.

[76]            FAAE, Témoignages, 7 février 2024, 1805 (l’hon. Mélanie Joly).

[77]            Lowy Institute, Global Diplomacy Index.

[78]            Forum des anciens du service extérieur canadien, Mémoire, 12 mars 2024, p. 3.

[80]            FAAE, Témoignages, 7 février 2024, 1830 (David Morrison).

[81]            FAAE, Témoignages, 13 décembre 2023, 1735 (l’hon. Allan Rock).

[82]            FAAE, Témoignages, 7 février 2024, 1830 (David Morrison).

[83]            FAAE, Témoignages, 14 février 2024, 1715 (Stephanie Carvin); FAAE, Témoignages, 14 février 2024, 1715 (Thomas Juneau). Voir aussi FAAE, Témoignages, 11 décembre 2023, 1220 (Charles Burton, agrégé supérieur, Institut Macdonald-Laurier, à titre personnel).

[84]            FAAE, Témoignages, 14 février 2024, 1720 (Thomas Juneau).

[85]            FAAE, Témoignages, 29 novembre 2023, 1750 (Jennifer Welsh).

[86]            FAAE, Témoignages, 12 février 2024, 1610 (le sénateur Peter M. Boehm).

[87]            FAAE, Témoignages, 7 février 2024, 1805 (l’hon. Mélanie Joly).

[88]            FAAE, Témoignages, 12 février 2024, 1740 (Gar Pardy, ancien ambassadeur, à titre personnel).

[89]            FAAE, Témoignages, 14 février 2024, 1755 (Stephanie Carvin).