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FOPO Rapport du Comité

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Déversements de conteneurs de cargaison maritimes

Objectifs de l’étude

Le 21 octobre 2021, le ZIM Kingston, un porte-conteneurs appartenant à la société grecque Danaos Shipping Company Ltd., informe les Services de communications et de trafic maritimes de la Garde côtière canadienne qu’il a perdu environ 40 conteneurs en raison des intempéries à l’entrée du détroit de Juan de Fuca entre la Colombie‑Britannique (C.‑B.) et l’État de Washington[1]. Deux des conteneurs contiennent des matières dangereuses et plusieurs des conteneurs perdus dérivent vers la côte nord-ouest de l’île de Vancouver. Le 27 octobre 2021, on avait déterminé que plus de 100 conteneurs étaient passés par-dessus bord, plutôt que les 40 initialement signalés. Le 3 novembre 2021, le Bureau de la sécurité des transports du Canada déploie une équipe d’enquêteurs sur le site; son enquête se poursuit[2].

Au vu de l’incident du ZIM Kingston et du fait que le transport maritime mondial tend à utiliser des porte-conteneurs plus grands et à accroître le volume total des conteneurs, dans le contexte de l’augmentation des conditions météorologiques extrêmes[3], le 20 janvier 2022, le Comité permanent des pêches et des océans de la Chambre des communes (le Comité) a convenu d’entreprendre une étude sur les effets « des déversements de conteneurs de cargaison maritimes sur le milieu marin du Canada en ce qui concerne

  • (i)   les impacts environnementaux des déversements de conteneurs de cargaison;
  • (ii)   l’amélioration des délais d’intervention et de l’efficacité des interventions en cas de déversement de cargaison;
  • (iii)   l’élimination des écarts de compétence afin d’améliorer la collaboration avec les bénévoles, les organismes de bienfaisance, les organismes provinciaux et territoriaux, les municipalités et les communautés autochtones au cours des interventions en cas de déversement;
  • (iv)   l’amélioration de la responsabilité du pollueur et de la redevabilité financière[4] ».

Le Comité a tenu quatre réunions entre le 29 mars et le 7 avril 2022, au cours desquelles il a reçu 21 témoins représentant la Garde côtière canadienne, Transports Canada, le gouvernement de la Colombie‑Britannique, la Première Nation Tla‑o‑qui‑aht, le Bureau de la sécurité des transports du Canada, des administrations portuaires et des organismes non gouvernementaux et de gestion des situations d’urgence[5]. Le Comité est conscient que les témoignages entendus ont porté essentiellement sur la côte Ouest. Cependant, les thèmes abordés dans le rapport et les recommandations formulées par le Comité d’après les témoignages présentés sont applicables aux trois côtes du Canada et à la voie maritime du Saint‑Laurent.

Incidence sur le milieu marin

À la lumière des évaluations toxicologiques effectuées par Pêches et Océans Canada (MPO) et Environnement et Changement climatique Canada (ECCC), aucune interdiction de pêche n’a été imposée dans la foulée de l’incident du ZIM Kingston. En ce qui concerne les deux conteneurs dans lesquels se trouvaient des matières dangereuses, Chris Henderson, sous‑commissaire, Opérations, Garde côtière canadienne, a dit au Comité qu’ils posaient un risque d’impact environnemental « limité » en raison de la biorestauration. Il a précisé :

Selon l’information que nous ont donnée Environnement et Changement climatique Canada et le ministère des Pêches et des Océans, les données scientifiques sur ces produits chimiques indiquent qu’ils se dissoudront et se biorestaureront très rapidement dans l’eau salée. S’il devait y avoir de la pollution résultant de l’ouverture de ces deux conteneurs maritimes en profondeur, elle sera limitée à la zone environnante et rapidement atténuée par la biorestauration et la dissolution dans l’eau salée[6].

Dans un document fourni au Comité le 15 juin 2022, la Garde côtière canadienne présente des détails sur les matières dangereuses qui se trouvaient dans deux des conteneurs qui sont passés par-dessus bord[7]. L’un des conteneurs contient 23 800 kg d’amylxanthate de potassium et l’autre, 18 000 kg de bioxyde de thiourée[8].

Outre les produits chimiques dangereux, des débris du ZIM Kingston, dont des réfrigérateurs et de la mousse de polystyrène, ont été retrouvés échoués sur la côte nord‑ouest de l’île de Vancouver. Alys Hoyland, coordonnatrice des jeunes, Section Pacific Rim, Surfrider Foundation Canada, a souligné que « [l]es conteneurs et leur cargaison, notamment les plastiques, peuvent persister dans l’environnement marin pendant des décennies, voire des siècles, et circuler dans les courants océaniques, absorbant les polluants et finissant par toucher terre[9] ». De l’avis de Stafford Reid, planificateur d’urgence environnementale et analyste, EnviroEmerg Consulting, la mousse de polystyrène et les granules de plastique provenant de débris marins sont « beaucoup plus insidieuses et ont des conséquences à long terme beaucoup plus considérables que le pétrole[10] ». Les polluants plastiques, y compris les microplastiques, peuvent persister dans le milieu aquatique et leurs effets à long terme sont difficiles à déterminer[11].

Compte tenu de leurs répercussions environnementales potentielles, Alys Hoyland a indiqué qu’il était essentiel de repérer les conteneurs engloutis et d’assurer la surveillance à long terme des débris marins. Selon elle :

S’il est impossible de faire un suivi précis pour savoir où se trouvent ces conteneurs et où leur cargaison de substances chimiques risque d’être déversée, il est presque impossible pour nous d’effectuer une surveillance à long terme et de prévoir exactement, d’un point de vue scientifique, quelles seront les interactions de ces substances chimiques dans le milieu aquatique. Sans ces données, nous ne pouvons pas prévoir les conséquences exactes du point de vue scientifique[12].

Recommandation 1

Que le ministère des Pêches et des Océans mette en œuvre un plan de surveillance et de gestion des débris marins qui traite adéquatement toutes les formes de débris marins ayant une incidence sur les côtes.

Recommandation 2

Que le gouvernement du Canada investisse dans la recherche et la surveillance afin de comprendre les impacts du polystyrène et des autres plastiques qui se retrouvent dans nos océans et d’améliorer la façon dont ces produits sont retirés afin de prévenir les dommages écologiques.

La pollution par les plastiques et la prévention de la pollution marine par les navires étant aussi une préoccupation mondiale et une responsabilité en vertu des conventions de l’Organisation maritime internationale (OMI), Karen Wristen, directrice exécutive, Living Oceans Society, a indiqué que le Canada peut jouer un « rôle de premier plan » au niveau international. Elle a déclaré :

L’Organisation maritime internationale et le Programme des Nations Unies pour l’environnement doivent travailler à l’élimination de la mousse de polystyrène extrudé comme matériau d’emballage, certainement dans le cas de tout ce qui est expédié par conteneur maritime[13].

De l’avis de Karen Wristen, on peut améliorer la prévention des déversements de conteneurs de cargaison maritimes par une application élargie de la Convention de Rotterdam[14]. Les renseignements échangés en vertu de cette convention permettraient aux gouvernements d’évaluer les risques que posent les produits chimiques dangereux et de prendre des décisions éclairées sur leur importation.

Recommandation 3

Que le gouvernement du Canada joue un rôle de premier plan pour encourager le programme des Nations Unies pour l’environnement et ses partenaires internationaux à interdire l’utilisation de la mousse de polystyrène expansé dans les emballages destinés au transport maritime.

Recommandation 4

Que, en collaboration avec les principales nations maritimes, le gouvernement du Canada travaille avec l’Organisation maritime internationale à l’élaboration de normes et d’exigences pour l’installation de dispositifs de localisation dans les conteneurs d’expédition, et que la Garde côtière canadienne, en consultation avec Transports Canada, étudie la possibilité d’installer des dispositifs de localisation, comme des transpondeurs, sur les conteneurs afin d’aider à la localisation des conteneurs perdus ou engloutis.

Recommandation 5

Que, en collaboration avec les principales nations maritimes, le gouvernement du Canada travaille avec l’Organisation maritime internationale pour envisager de nouvelles règles pour les porte-conteneurs, comme les règles de Rotterdam, qui tiennent compte du volume et du risque du transport de conteneurs à notre époque.

Réponse aux déversements des conteneurs de cargaison maritimes

En réponse à l’incident du ZIM Kingston, la Garde côtière canadienne, agissant à titre d’organisme chargé des déversements par des navires, et le ministère de la Stratégie en matière d’environnement et de changement climatique de la C.‑B. ont créé un poste de commandement unifié afin d’établir une réponse harmonisée. Le poste de commandement unifié est aussi formé du groupe Resolve Marine Group, une entreprise américaine engagée par Danaos Shipping Company Ltd. (en tant que pollueur responsable), des Premières Nations et des municipalités concernées.

Selon les témoins, la réponse à cet incident n’a pas été optimale. Des témoins ont indiqué que certains facteurs ont nui à l’efficacité et à la rapidité de l’intervention, notamment la lenteur des communications avec les communautés côtières touchées, l’absence de manifestes de cargaison publics, les capacités limitées de remorquage d’urgence et de lutte contre les incendies et les ressources de sauvetage limitées.

Lenteur des communications

Satinder Singh, vice-président, Opérations maritimes et capitaine de port, Administration portuaire de Nanaimo, a déclaré qu’un retard s’est produit dans la gestion de l’incident, parce que l’administration portuaire n’a pas été intégrée dès le départ aux discussions sur les options d’intervention[15]. On a dit au Comité que le retard pourrait aussi être attribuable à la congestion dans les ports de la côte Ouest. Selon la Chamber of Shipping :

[L]es perturbations et la congestion dans la chaîne d’approvisionnement font qu’un nombre anormal de porte-conteneurs arrivent dans les eaux canadiennes avant de pouvoir effectuer les opérations de manutention de la cargaison dans les terminaux du port de Vancouver et de certains autres ports. Si certains navires arrivent à jeter l’ancre dans les ports ou à proximité de ceux-ci, beaucoup sont obligés d’attendre au large jusqu’à ce qu’un espace se libère. Ils sont ainsi plus vulnérables que s’ils mouillaient dans des eaux abritées. D’autres ports, comme celui de Long Beach, en Californie, ont demandé aux navires de retarder leur arrivée et d’attendre à 100 milles au large, mais il est impossible d’adopter une telle approche en Colombie-Britannique en raison du risque accru que courraient les navires pendant une grande partie de l’année, les conditions météorologiques étant plus souvent défavorables dans le nord-ouest du Pacifique[16].

En revanche, le Comité a également entendu Josh Temple, coordonnateur, Durabilité de l’environnement, Première Nation Tla-o-qui-aht, louer les efforts de la Garde côtière canadienne et de la province de la C.‑B., qui ont fait « un travail exceptionnel pour tenir les gens de la côte, tant autochtones que non autochtones, exceptionnellement bien informés au moyen de communiqués et à des mises à jour constants[17] ».

Pendant l’incident et au cours des opérations de nettoyage, les communications avec les communautés côtières éloignées de la C.-B. ont toutefois semblé souffrir de l’insuffisance de la couverture cellulaire et du service Internet à large bande. Terry Dorward, coordonnateur de projets, Parcs tribaux, Première Nation Tla-o-qui-aht, a déclaré :

Il y a beaucoup d’endroits où le signal est très aléatoire. La connectivité des Premières Nations s’améliore, mais il reste encore beaucoup de travail à faire. Il y a beaucoup de zones sans signal, même dans l’île de Vancouver et, à plus forte raison, dans les îles éloignées. C’est très inégal[18].

Recommandation 6

Que la Garde côtière canadienne recommande qu’une couverture cellulaire et un service Internet à large bande améliorés soient étendus aux communautés côtières du Canada.

Recommandation 7

Que le gouvernement du Canada améliore la responsabilité publique pour les incidents de déversement en mer en communiquant au public les progrès des efforts déployés à la suite d’un déversement.

Étant donné que les changements climatiques entraînent une augmentation de la fréquence des conditions météorologiques extrêmes, les communications avec les navires en détresse sont un autre sujet abordé par la Chamber of Shipping. A son avis,

le gouvernement du Canada devrait favoriser la surveillance proactive des navires et l’orientation des navires lorsque la sécurité peut être compromise par des conditions météorologiques défavorables. Il devrait notamment envisager d’étendre la compétence et les services des Services de communications et de trafic maritimes de la Garde côtière canadienne à la gestion des risques en mer[19].

Accès public aux manifestes des navires

Les conteneurs perdus et leur cargaison pouvant s’échouer n’importe où sur la longue côte du Canada, les communautés côtières peuvent être mises en danger lorsque des substances nocives et potentiellement dangereuses (SNPD)[20] s’échappent de la cargaison. Alys Hoyland a dit au Comité que sans un accès public au manifeste intégral du navire, il est difficile « de repérer et de surveiller avec précision la propagation des débris afin de tenir les coupables responsables du coût total du nettoyage[21] ».

Karen Wristen a également souligné les risques qui pèsent sur les communautés côtières en raison du manque d’information sur les débris marins qui échouent sur leurs côtes. Au sujet de l’incident du ZIM Kingston, elle a déclaré :

[…] nous n’avons vraiment aucune idée de ce que nous pouvons attendre des conteneurs coulés disparus. Deux d’entre eux, on le sait, contenaient un produit chimique extrêmement toxique pour les organismes aquatiques, et nous n’avons aucune idée de l’endroit où ils se trouvent ni de l’état de la cargaison, et 102 des conteneurs sont tout simplement des mystères. On nous dit que le manifeste, qui n’est pas rendu public, ne décrit la cargaison que de la façon la plus générale. Nous n’avons aucun moyen d’évaluer la taille ou la nature du risque qui a été déposé dans l’océan. Comment, dès lors, commencer à tenir le pollueur pour responsable du risque ou le forcer à planifier et à payer une intervention quand ces conteneurs coulés se brisent et libèrent leur contenu[22]?

Christopher Hall, président et chef de la direction, Fédération maritime du Canada, a cependant confirmé que certains renseignements du manifeste d’un navire sont divulgués aux organismes d’application de la loi :

Toutes les marchandises qui se trouvent à bord d’un navire sont répertoriées en détail dans le manifeste du navire. J’ignore pourquoi, dans ce cas particulier, le manifeste n’a pas été fourni aux organisations ou pourquoi il a fallu quelque temps avant que les renseignements leur soient transmis. C’est certain que des organismes canadiens disposaient de ces renseignements, notamment l’Agence des services frontaliers du Canada. L’expéditeur devait aussi les avoir[23].

Selon la Chamber of Shipping, bien que la connaissance des types de cargaison transportés sur un navire donné soit disponible, elle n’est pas facilement échangée entre les autorités gouvernementales et les communautés côtières qui pourraient être en mesure d’intervenir[24]. La Chamber of Shipping, Transports Canada et cinq Premières Nations de la côte centrale envisagent de lancer cette année un projet pilote en vue d’échanger rapidement l’information relative aux manifestes de cargaison afin d’orienter la gestion des ressources d’intervention en cas de déversement. La Chamber of Shipping recommande aussi au gouvernement du Canada de « faire progresser rapidement la conception et la mise en œuvre d’un cadre de guichet unique pour l’échange d’informations clés sur les manifestes de cargaison entre les autorités responsables de la prévention et de l’intervention en cas de déversement de cargaison maritime[25] ».

Recommandation 8

Que, en collaboration avec les principales nations maritimes, le gouvernement du Canada travaille avec l’Organisation maritime internationale pour exiger que les manifestes des navires identifient plus précisément les marchandises transportées et pour exiger qu’ils soient mis à la disposition de l’autorité portuaire et de la force d’intervention conjointe en cas de déversement avant l’entrée dans le port. Des forces d’intervention en cas de déversement seraient constituées pour chaque port; elles seraient formées d’organismes fédéraux, provinciaux et territoriaux et compteraient sur la participation de bénévoles des communautés côtières.

Capacités de remorquage d’urgence et de lutte contre les incendies

L’augmentation de la capacité de remorquage d’urgence est une initiative du Plan de protection des océans[26]. L’initiative vise à améliorer la capacité de la Garde côtière canadienne à porter secours aux navires en détresse. En 2018, le gouvernement fédéral a loué pour trois ans deux navires océaniques, l’Atlantic Eagle et l’Atlantic Raven, capables de remorquer des grands navires sur la côte Ouest. Le 5 novembre 2021, le gouvernement fédéral a annoncé la prolongation d’une année du contrat de location[27]. L’Atlantic Raven a participé à l’intervention dans l’incident du ZIM Kingston.

Shri Madiwal, directeur, Opérations maritimes et capitaine de port, Administration portuaire Vancouver-Fraser, a reconnu l’utilité des deux remorqueurs loués[28]. Il a toutefois souligné l’incertitude qui subsiste quant à une éventuelle prolongation du contrat de location et de l’approche nationale à long terme pour le remorquage maritime d’urgence en vertu de la Stratégie nationale sur le remorquage d’urgence. Le Comité note que le budget fédéral de 2022 propose de renouveler et d’élargir le Plan de protection des océans en lui affectant 2 milliards de dollars supplémentaires sur neuf ans[29].

Recommandation 9

Que le gouvernement du Canada examine immédiatement sa capacité de remorquage de sauvetage d’urgence le long de toutes les côtes pour s’assurer que la capacité de remorquage de sauvetage correspond à la taille et au volume des navires qui se rendent dans nos ports, et qu’il établisse des ententes à long terme pour le remorquage maritime d’urgence.

La capacité de lutte contre les incendies joue un rôle important dans la réponse maritime d’urgence. Au sujet de l’incident du ZIM Kingston, Shri Madiwal a révélé que le navire a signalé l’incident initial de l’incendie à environ 12 h 45 et que la Garde côtière est intervenue à entre 17 h 30 et 18 h approximativement. Cependant, le remorqueur équipé pour lutter contre les incendies n’est arrivé sur place que le lendemain à 6 h 30, environ 18 heures plus tard[30]. Stafford Reid a souligné que la situation a été sauvée par la présence fortuite dans les environs de deux navires de ravitaillement marins équipés pour lutter contre les incendies[31].

Recommandation 10

Que la ministre des Pêches et des Océans consulte la Garde côtière canadienne et d’autres ministères relativement aux options pour améliorer les capacités de lutte contre les incendies, comme celles qui étaient requises dans le cas du ZIM Kingston.

Capacité de sauvetage

Le sauvetage maritime est le processus de récupération d’un navire et de sa cargaison après un incident. Comme l’a mentionné Chris Henderson, en vertu de la Loi sur les épaves et les bâtiments abandonnés ou dangereux, la responsabilité du nettoyage de la cargaison perdue appartient au propriétaire du navire. La responsabilité de la Garde côtière canadienne consiste à « veiller à ce que le propriétaire prenne les mesures appropriées à l’égard de la cargaison perdue[32] ».

De l’avis de Stafford Reid, cependant, il n’y a pas de capacité de sauvetage efficace sur la côte Ouest. Il a déclaré :

En cas de perte de conteneurs, très peu de mesures sont prises pour repérer les conteneurs qui flottent, mis à part mettre à l’eau quelques bouées de repérage. De plus, c’est très difficile de trouver et de récupérer les conteneurs immergés. Cela prend une opération de récupération. Le retrait des conteneurs et la récupération des débris échoués sur la côte sont des processus complexes qui requièrent des techniques d’évaluation du nettoyage des rives et la capacité de trouver des employés non seulement qui sont inscrits, mais aussi qui ont fait l’objet d’un processus de sélection, qui ont été engagés, et qui sont supervisés, équipés et rémunérés. La rémunération est un élément important. Il est primordial de bâtir un effectif.
Aucun des principaux fournisseurs de services de récupération dans le monde ne réside ici. Il n’y a pas de représentation comme SMIT, Ardent, Mammoet, ou l’une des 50 autres grandes sociétés de récupération dans le monde. Nous n’avons pas d’installations d’entreposage pour les gros équipements de récupération nécessaires, que l’on peut mettre sur un navire ou un hélicoptère[33].

Dans un mémoire, Stafford Reid a souligné que les États‑Unis exigent juridiquement que les navires qui entrent dans leurs eaux aient un contrat avec une compagnie de sauvetage, contrairement au Canada :

Au Canada, il n’y a pas d’obligation légale pour les grands navires entrant dans ses eaux d’avoir un arrangement avec une société de sauvetage, et il n’y a aucune spécification des exigences de performance d’une société de sauvetage. Ces exigences existent aux États-Unis. L’industrie du transport maritime n’a pas investi dans le renforcement des capacités régionales de sauvetage, par exemple en achetant des équipements essentiels le long de la côte et en organisant des exercices. Elle considère que la faible probabilité d’utiliser des ressources coûteuses ne justifie pas de tels investissements[34].

Karen Wristen a ajouté que, dans le cas du ZIM Kingston, l’entrepreneur engagé par le pollueur n’avait au départ aucun contrat avec la Première Nation Quatsino, où étaient concentrés les efforts de récupération terrestre. À son avis, il existe un « vide politique » en ce qui concerne la récupération en cas de déversements de conteneurs. Elle a déclaré :

Dans ce vide, le propriétaire du navire a retenu les services d’un agent n’ayant aucune expérience de la récupération sur le rivage, aucune connaissance du terrain local, des infrastructures ou des moyens d’intervention, et lui a confié le commandement de toute l’opération. Cet agent a décidé de donner la priorité à l’enlèvement des marchandises qui étaient encore contenues dans un conteneur échoué plutôt qu’à celles qui étaient éparpillées sur la plage. Ce choix est en grande partie responsable du fait que des débris sont maintenant éparpillés sur toutes les plages de Haida Gwaii à Tofino, à tout le moins[35].

Recommandation 11

Que la ministre des Pêches et des Océans écrive au ministre des Transports, au ministre de l’Environnement et aux homologues provinciaux et territoriaux en vue d’examiner les possibilités d’établissement d’une liste d’entrepreneurs en récupération préqualifiés à partir de laquelle les propriétaires de navires choisiront un entrepreneur pour assurer la récupération des débris sur les rives et des cargaisons perdues dans les voies de navigation côtières et intérieurs du Canada.

Recommandation 12

Que, pour être préqualifié pour entreprendre des activités de nettoyage, un entrepreneur en récupération doit avoir démontré qu’il possède la capacité ou les compétences et l’expérience voulues pour travailler en partenariat avec les communautés autochtones et côtières qui possèdent une connaissance du terrain et qui peuvent offrir de précieux conseils et un soutien opérationnel.

Recommandation 13

Que le gouvernement du Canada examine la capacité de sauvetage sur la côte Ouest et les autres côtes canadiennes pour remédier au manque actuel de capacité de sauvetage de grands navires et promouvoir la capacité nationale, et qu’il consulte les organismes fédéraux américains chargés de ces questions au sujet des méthodes et de l’équipement employés pour récupérer les conteneurs engloutis.

Recommandation 14

Que, afin d’encourager la participation de l’industrie au renforcement de la capacité de sauvetage régionale, le gouvernement fédéral étudie les meilleures pratiques à l’échelle mondiale et élabore des normes pour garantir que les compagnies maritimes qui traversent les eaux canadiennes ont conclu des ententes avec des compagnies de sauvetage.

Incidents impliquant des substances nocives et potentiellement dangereuses

Le Groupe de travail sur les débris marins de la Colombie-Britannique a souligné que les produits chimiques, comme l’amylxanthate de potassium que transportait le ZIM Kingston, « peuvent brûler spontanément en présence d’eau et […] peuvent avoir été responsables des dommages importants causés par l’incendie à la cargaison[36] ». Bien que le Plan de protection des océans comporte une initiative sur les SNPD prévoyant « un programme national destiné à mieux se préparer aux rejets de ces substances provenant de bateaux[37] », Stafford Reid a déclaré que le régime canadien de préparation aux urgences maritimes et d’intervention ne comporte « aucune préparation opérationnelle significative » pour gérer les déversements de SNPD par des navires[38].

Satinder Singh a également fait observer que, lors de l’incident du ZIM Kingston, même s’il n’y avait pas d’installation approuvée pour le déchargement de conteneurs à Nanaimo, le port de Nanaimo était la seule installation qui pouvait être utilisée aux fins de l’opération de sauvetage du navire dans la région Ouest en raison de la congestion et du temps requis pour décharger les conteneurs endommagés[39]. Selon Kevin Butterworth, directeur général, Urgences environnementales et assainissement des terres, ministère de l’Environnement et de la Stratégie en matière de changement climatique, gouvernement de la Colombie‑Britannique, il existe assurément une lacune en ce qui concerne la coordination des plans d’intervention à l’égard des substances autres que le pétrole. Il a donc proposé que le gouvernement fédéral collabore avec la province de la Colombie-Britannique pour élargir le régime de préparation et d’intervention à toutes les matières.[40]

Au niveau international, le Protocole de 2000 sur la préparation, la lutte et la coopération contre les événements de pollution par les substances nocives et potentiellement dangereuses de l’OMI « veille à ce que les navires qui transportent des SNPD et les installations de manutention de SNPD qui participent aux opérations de manutention depuis et à partir d’un navire soient visés par les programmes nationaux de préparation et d’intervention semblables à ceux déjà en place pour les incidents mettant en cause des hydrocarbures[41] ». De l’avis du Comité, le Canada devrait établir un programme national de préparation et d’intervention à l’égard des SNPD, conçu en fonction des éléments du protocole de l’OMI. Le Comité tient à répéter dans les recommandations suivantes celles qui ont été faites dans le rapport de 2014 du Comité d’experts sur la sécurité des navires-citernes quant à la nécessité d’établir des catégories d’installations pour la manutention des SNPD, comme l’a fait Transports Canada pour les installations de manutention des hydrocarbures, à savoir désigner des entrepreneurs capables d’offrir une expertise technique et d’intervenir en cas de déversement de SNPD dans le milieu marin et élaborer un programme national visant à mettre en application les compétences et les connaissances requises pour l’intervention en cas de déversement de SNPD.

Recommandation 15

Que le gouvernement du Canada élargisse le Régime canadien de préparation et d’intervention en cas de déversement d’hydrocarbures en milieu marin afin d’y inclure les interventions en cas d’incidents impliquant des substances nocives ou potentiellement dangereuses à partir de grands navires.

Recommandation 16

Que le gouvernement du Canada exige que les installations de manutention de substances nocives ou potentiellement dangereuses des catégories prescrites (à déterminer en consultation avec l’industrie) élaborent des plans d’intervention pour les substances nocives ou potentiellement dangereuses afin d’assurer une intervention adéquate en cas d’incidents de pollution qui pourraient se produire pendant la manutention de substances nocives ou potentiellement dangereuses entre un navire et une installation.

Recommandation 17

Que la Garde côtière canadienne s’assure d’avoir la souplesse nécessaire pour passer rapidement un contrat avec des spécialistes techniques et des intervenants appropriés dans le cas où un pollueur est inconnu, ou qu’il ne veut pas ou ne peut pas intervenir en cas de rejet de substances nocives ou potentiellement dangereuses.

Recommandation 18

Que la Garde côtière canadienne s’assure que ses agents ont la formation appropriée pour acquérir une nouvelle expertise et les compétences nécessaires pour que la Garde côtière puisse remplir ses fonctions d’agent de surveillance fédéral et de commandant sur place dans le cadre d’un programme d’intervention en cas de déversement de substances nocives et potentiellement dangereuses.

Recommandation 19

Que la Garde côtière canadienne élabore et tienne à jour un plan d’exercices nationaux afin de vérifier régulièrement l’application du plan d’urgence national pour les substances nocives et potentiellement dangereuses ainsi que la planification et l’état de préparation des régions pour ces substances.

Recommandation 20

Que le gouvernement du Canada joue un rôle de premier plan pour encourager le programme des Nations Unies pour l’environnement et l’Organisation maritime internationale à revoir et à mettre à jour les règles relatives au transport maritime des produits chimiques dangereux, en particulier les produits chimiques réactifs à l’eau et susceptibles de s’enflammer.

Collaboration intergouvernementale

Bien que la Garde côtière canadienne soit l’organisme responsable en matière de déversements provenant de navires et de coordination de l’intervention du poste de commandement unifié, la réponse aux urgences environnementales commence habituellement au niveau local, et les communautés côtières font le gros des efforts de nettoyage[42]. Par conséquent, le Plan de protection des océans prévoit le renforcement des capacités d’intervention des communautés côtières en cas d’urgence. Le Comité note que, dans le cadre de l’Initiative de sensibilisation accrue aux activités maritimes, le gouvernement fédéral collabore avec les communautés côtières à l’établissement d’un système d’information en temps quasi réel sur la circulation maritime dans les eaux locales[43]. Un Programme de formation dans le domaine maritime tenant compte des connaissances locales et des besoins d’apprentissage des communautés côtières, financé le Plan de protection des océans, est aussi offert en C.-B., en Nouvelle‑Écosse et au Nunavut[44].

En C.-B., la signature de l’Accord-cadre de réconciliation pour la gestion et la protection des océans à l’échelle biorégionale en 2018 facilite la collaboration entre le gouvernement du Canada et 14 Premières Nations sur la côte nord et la côte centrale. En ce qui concerne la préparation aux urgences maritimes et l’intervention en cas d’urgence maritime, l’accord demande aux parties de procéder à la définition « des exigences et des lacunes liées aux capacités de préparation aux urgences maritimes et d’intervention en cas d’urgence maritime sur la côte ouest, y compris (sans toutefois s’y limiter) les capacités de remorquage d’urgence, l’infrastructure d’intervention et le transport de marchandises dangereuses ». L’accord prévoit en outre un « Réseau d’équipes d’intervention locale des nations, y compris les nouveaux programmes ou initiatives pour la formation, le renforcement des capacités et la mobilisation concernant la participation des nations de la côte nord du Pacifique aux activités de recherche et de sauvetage régionales, d’intervention environnementale et de gestion des incidents ».

Malgré les programmes de collaboration intergouvernementale en place, des témoins ont dit au Comité que les communautés côtières ont encore un grand besoin en matière de formation et de renforcement des capacités afin de leur permettre de manipuler et d’éliminer les débris marins en toute sécurité. Lucas Harris, directeur exécutif, Surfrider Foundation Canada, a fait état de la nécessité d’améliorer la coordination entre les organismes gouvernementaux, les communautés et les organisations bénévoles pour assurer une réponse rapide et efficace en cas de déversement[45]. Au sujet du cas du ZIM Kingston, Ben Boulton, chef des opérations sur le terrain, Rugged Coast Research Society, a fait état des ressources limitées des organisations bénévoles locales de restauration côtière et du piètre niveau de communication entre les communautés et le groupe Amix, l’entrepreneur engagé par le pollueur pour appuyer le travail de nettoyage[46].

Dans un mémoire, le Groupe de travail sur les débris marins de la Colombie-Britannique a aussi fait mention de lacunes de compétences et de problèmes de communication dans la réponse à l’incident :

La garde côtière n’a pas le pouvoir d’exiger que le propriétaire du navire emploie des groupes locaux bien informés. Il n’a pas de temps de réponse obligatoire prévu par la loi pour la faire respecter. Conséquemment, il a fallu essayer de persuader Amix de se prévaloir des ressources locales. Apparemment, il n’y avait pas de liste à jour des personnes-ressources pour les Premières Nations et il n’y avait aucun moyen de s’assurer que les membres contractuels embauchés pour le travail étaient bien formés.
Ce déversement démontre clairement que des questions de communication et de compétence ont surgi entre la Première Nation Quatsino et la garde côtière. En ce sens, l’intendance territoriale de Quatsino aurait dû lui valoir un siège immédiat au commandement des interventions, et l’assurance que ses membres sont formés, équipés et payés comme priorité pour les travaux de nettoyage. Nous croyons savoir qu’aucune des nations Nuu‑chah‑nulth n’était représentée au sein du commandement des interventions[47].

Dans son témoignage, Terry Dorward a exprimé le souhait que la Première Nation Tla‑o-qui-aht participe à une « structure de premiers intervenants sur la côte » et a indiqué qu’un financement à long terme stable est nécessaire pour le renforcement des capacités :

[…] nous avons besoin de financement direct pour renforcer la capacité d’intervention des Premières Nations côtières et pour fournir de la formation et du matériel d’intervention d’urgence aux communautés autochtones qui sont les mieux placées pour être les premiers intervenants en cas de déversement. Comme on le sait, nous pouvons nous mobiliser de façon sécuritaire et efficace pour réduire les délais d’intervention et atténuer les difficultés liées à la participation d’organismes fédéraux d’intervention éloignés comme Transports Canada, la Garde côtière et des entrepreneurs externes[48].

Recommandation 21

Que la garde côtière canadienne consulte les intervenants, y compris les communautés côtières autochtones, aux fins d’un examen de sa formation en intervention d’urgence pour le personnel chargé de l’intervention d’urgence et du nettoyage des rivages dans les communautés côtières afin d’assurer la manipulation et l’élimination adéquates et efficaces des débris et la mise à disposition de l’équipement et du matériel requis.

Recommandation 22

Que le gouvernement du Canada travaille en collaboration avec les communautés autochtones pour examiner leur capacité d’intervention en cas de déversement dans leurs territoires afin de s’assurer qu’elles peuvent participer activement aux efforts de nettoyage.

Recommandation 23

Que le ministère des Pêches et des Océans et d’autres ministères revoient la façon dont ils communiquent les risques de déversement au public afin de s’assurer que les personnes sans formation ne sont pas en danger après un déversement.

À l’instar des propos de Terry Dorward, Karen Wristen a recommandé que le gouvernement fédéral établisse un groupe de travail conjoint d’intervention en cas de déversement formé d’organismes fédéraux et provinciaux ainsi que de communautés côtières. Selon elle, des plans d’intervention maritime d’urgence coordonnés et intégrés doivent être élaborés en collaboration avec tous les gouvernements et avec les organisations non gouvernementales[49]. Ces plans devraient définir des normes précises en matière d’objectifs et de délais d’intervention et en ce qui concerne la main-d’œuvre et l’infrastructure requises pour les activités de nettoyage côtières. Kevin Butterworth a lui aussi indiqué que les normes d’intervention en cas de déversement en mer doivent être plus claires[50].

Bien que le sous-commissaire de la Garde côtière, Chris Henderson, ait dit au Comité que « la Garde côtière était bien outillée pour intervenir rapidement et efficacement face à cet incident[51] », l’organisme a précisé dans une réponse écrite au Comité que c’est la Garde côtière américaine qui a établi le modèle initial de dérive des conteneurs, qu’elle l’a ensuite communiqué au Centre des opérations régionales de la Garde côtière canadienne et que les décisions initiales relatives à la zone touchée ont été prises en fonction de ces renseignements[52].

Recommandation 24

Que le gouvernement du Canada examine les capacités de modélisation de dérive de la Garde côtière canadienne, qui sont essentielles pour intervenir efficacement en cas de déversement en milieu marin.

De l’avis de Christopher Hall, le Canada devrait modeler son régime d’intervention en matière de pollution provenant des navires sur ceux de l’Australie et du Royaume-Uni afin d’assurer un processus décisionnel rapide, comme le recommandait le Comité d’experts sur la sécurité des navires-citernes dans son rapport de 2014 :

Ces régimes prévoient la création d’un poste de représentant du secrétaire d’État pour le sauvetage et l’intervention en mer qu’on appelle le SOSRep. Ce poste est chargé d’agir dans l’intérêt supérieur du public et dispose d’un ensemble de pouvoirs conçus pour atténuer les répercussions environnementales grâce à une prise de décision rapide et à une intervention précoce. Malheureusement, cette partie des recommandations du Comité d’experts n’a jamais été mise en œuvre au Canada[53].

Recommandation 25

Que la Garde côtière canadienne consulte les partenaires actuels et éventuels sur une stratégie pour créer un groupe de travail conjoint d’intervention en cas de déversement afin d’accroître, au besoin, la capacité de nettoyage des groupes de bénévoles et qui intègre le partenariat d’intervention du commandement unifié à la supervision du travail de nettoyage.

Recommandation 26

Que le gouvernement du Canada établisse et finance un groupe de travail conjoint d’intervention en cas de déversement, composé d’entités fédérales, provinciales, territoriales et autochtones, d’organisations de pêche commerciale et de représentants d’organisations non gouvernementales, et lui confie la tâche de recruter, de former régulièrement et d’équiper une main-d’œuvre capable d’intervenir en cas de déversement dans les régions les plus vulnérables, et pouvant être déployée immédiatement après un déversement.

Recommandation 27

Que le gouvernement du Canada confie à un groupe de travail conjoint d’intervention en cas de déversement la tâche de créer les plans d’intervention géographiques nécessaires pour répondre efficacement aux déversements de conteneurs de cargaison sur toutes les côtes, y compris des objectifs précis et des normes claires en matière de délais d’exécution pour les interventions en cas de déversement de conteneurs de cargaison.

Recommandation 28

Qu’un groupe de travail conjoint d’intervention en cas de déversement soit composé de représentants fédéraux, provinciaux, territoriaux et autochtones et qu’il soit chargé de mettre en place l’infrastructure de capital humain et social nécessaire pour intervenir rapidement en cas de déversement de conteneurs de cargaison.

Responsabilité du pollueur et obligation financière

Lorsque survient un déversement, le pollueur est tenu de suivre la réglementation provinciale/territoriale et fédérale en matière de protection de l’environnement, de déclaration des déversements et de recouvrement des coûts liés aux déversements. Martin McKay, directeur exécutif, Affaires législatives, réglementaires et internationales, Sécurité et sûreté maritimes, ministère des Transports, a confirmé au Comité que, en vertu des lois fédérales, les coûts de la pollution doivent être payés par le pollueur, selon le principe du pollueur‑payeur :

Transports Canada établit également le régime de responsabilité et d’indemnisation pour les incidents de navires, notamment les déversements de conteneurs, les incendies et la pollution. En vertu de la Loi sur la responsabilité en matière maritime et de la Loi sur les épaves et les bâtiments abandonnés ou dangereux, les propriétaires de navires sont responsables de la pollution causée par leurs navires et de la perte de cargaisons et de conteneurs[54].

François Marier, directeur, Politiques maritimes internationales, ministère des Transports, a toutefois précisé qu’il existe un délai de prescription, « qui est soit de trois ans à partir du moment où l’on a déterminé que les débris ou le conteneur présentent un danger, soit de six ans à partir de la date à laquelle le conteneur est passé par-dessus bord[55] ». Selon Stafford Reid, étant donné qu’il existe une limite à l’obligation financière du pollueur en vertu de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, dans « le cas d’un accident de navire majeur, le propriétaire du navire peut limiter sa responsabilité financière pour les coûts d’intervention et les indemnités », et « le niveau de responsabilité financière n’est jamais révélé[56] ». Il a aussi déclaré

[l]orsqu’un propriétaire de navire atteint cette limite au cours d’une intervention, son commandant d’intervention peut légalement renoncer à son rôle dans la gestion de l’incident et de l’intervention. Tous les coûts de gestion et d’intervention ultérieurs sont laissés à la charge des collectivités qui restent sous commandement unifié. Ce transfert de commandement peut se produire bien avant la clôture d’un incident : il peut y avoir encore des conteneurs et des débris sur les côtes, et des conteneurs coulés sur le fond marin. La brièveté du délai est souvent une surprise pour les membres du commandement unifié[57].

À la lumière des témoignages présentés ci-dessus, le Comité est d’avis que, en ce qui concerne la responsabilité du pollueur, l’actuel délai de prescription légal de trois ans à partir du moment où l’on a déterminé que les débris ou le conteneur présentent un danger, ou de six ans à partir de la date à laquelle le conteneur est passé par-dessus bord, est insuffisant étant donné l’incidence environnementale à long terme pour les communautés côtières. Stafford Reid a également indiqué au Comité qu’il « n’existe qu’un seul niveau de financement des interventions immédiates et des indemnisations futures pour un incident de porte-conteneurs sans déversement d’hydrocarbures ou menace. Ce financement est fourni par les assureurs du Club de protection et d’indemnisation[58]. » Selon Josh Temple, le cadre actuel de financement des interventions est insuffisant et ne prévoit « pas beaucoup de fonds pour soutenir les efforts de récupération à grande échelle dans une situation comme [celle] découlant de l’incident du Zim Kingston[59] ». De l’avis du Comité, un examen du processus actuel de financement des interventions pourrait être nécessaire pour que les communautés et organisations locales qui entreprennent des opérations de nettoyage aient rapidement accès à des fonds suffisants pour agir vite en cas de déversement de conteneurs de cargaison maritimes.

Recommandation 29

Que, dans le cadre du principe du pollueur-payeur ou de l’industrie-payeuse, le gouvernement fédéral envisage des mécanismes de rechange qui iraient au-delà de l’actuel délai de prescription de trois ou six ans et qui assureraient que des fonds suffisants sont rapidement disponibles pour répondre aux dommages environnementaux immédiats et à long terme causés par des déversements de conteneurs de cargaisons maritimes.

Pour renforcer le principe du pollueur-payeur, Karen Wristen a proposé que le gouvernement fédéral établisse une redevance par conteneur qui transite par les ports canadiens afin de créer un fonds pour assurer une indemnisation suffisante aux communautés touchées par des déversements de conteneurs et appuyer le travail d’intervention en cas de déversement :

À mon sens, pour être efficace, le mécanisme d’intervention doit tendre à répartir le risque le plus possible et au moindre coût possible entre tous les joueurs. Notamment, le prélèvement d’une taxe pour chaque conteneur est très efficace. Même une faible taxe prélevée pour chaque conteneur qui transite par nos ports nous permettrait de créer un fonds de soutien à un mécanisme permanent d’intervention en cas de déversement, qui serait appliqué en collaboration avec les populations locales et qui mettrait à contribution leur savoir et leurs capacités[60].

La redevance proposée par Karen Wristen n’a cependant pas été appuyée par Christopher Hall et Shri Madiwal. Christopher Hall a souligné que la Convention SNPD « devrait être le seul mécanisme permettant d’établir la responsabilité pour les déversements de conteneurs impliquant de telles matières[61] ». À son avis, « imposer des frais supplémentaires sur la cargaison ou aux transporteurs serait à la fois contre-productif et préjudiciable à la compétitivité du Canada et compromettrait l’intention de la Convention SNPD elle-même[62] ». De l’avis de Shri Madiwal, la Convention SNPD offre déjà un cadre veillant à ce que les industries des SNPD indemnisent ceux qui ont subi des pertes ou des dommages liés à un incident impliquant des SNPD[63]. Il a indiqué que, selon le système international d’indemnisation établi par la Convention SNPD, lorsque la limite de responsabilité du propriétaire de navire est dépassée, le fonds d’indemnisation prend le relais et offre des indemnisations supplémentaires aux communautés touchées. Shri Madiwal a comparé le fonds d’indemnisation de la Convention SNPD à la Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires, actuellement en place au Canada.

En ce qui concerne l’obligation financière en matière de déversements de substances nocives et potentiellement dangereuses, le Canada a ratifié la Convention SNPD en 2018[64], mais celle‑ci n’est pas encore entrée en vigueur à l’échelle internationale. Aux termes de la Convention SNPD, l’industrie serait tenue d’offrir une indemnisation à ceux qui ont subi des pertes ou des préjudices en raison d’un incident lié à un navire. François Marier a indiqué que le Canada dirige « les efforts internationaux pour promouvoir la convention et inciter d’autres États à y adhérer afin qu’elle puisse entrer en vigueur[65] ».

Conclusion

Le Comité note que, à l’heure actuelle, le gouvernement fédéral, les provinces et les communautés côtières ne sont pas prêts sur le plan opérationnel à gérer efficacement les déversements de conteneurs de cargaison maritimes, y compris les déversements de SNPD. La capacité de récupération requise pour atténuer les répercussions environnementales à long terme des débris marins est toujours insuffisante. Il n’y a actuellement aucune capacité de suivi des conteneurs à la dérive et de récupération des conteneurs engloutis. En outre, la capacité de remorquage d’urgence et de lutte contre les incendies en mer est encore insuffisante.

Le Comité demande au gouvernement fédéral de mettre en œuvre les recommandations formulées dans le présent rapport dans le cadre de ses efforts pour établir un régime sérieux de préparation et d’intervention en matière de déversements de conteneurs de cargaison maritimes au Canada.


[1]              Gouvernement de la Colombie‑Britannique, Equipment Failure—M/V ZIM Kingston [disponible en anglais seulement].

[2]              Bureau de la sécurité des transports du Canada, Enquête sur la sécurité du transport maritime M21P0297.

[3]              Transport Canada, « Volumes de transport et performance », dans Les transports au Canada 2020, Un survol, 2020, p. 7.

[4]              Chambre des communes, Comité permanent des pêches et des océans [FOPO], Procès-verbal, 20 janvier 2022.

[5]              FOPO, Déversements de conteneurs de cargaison maritimes.

[6]              FOPO, Témoignages, 29 mars 2022 (Chris Henderson, sous-commissaire, Opérations, Garde côtière canadienne).

[7]              Garde côtière canadienne, Follow ups to the March 29 FOPO meeting with Canadian Coast Guard officials, lettre au Comité, 15 juin 2022.

[8]              L’amylxanthate de potassium est une poudre jaune pâle utilisée dans l’industrie minière et le bioxyde de thiourée est un agent organosulfuré blanc employé dans l’industrie du textile. Les deux substances sont classées par Environnement et Changement climatique Canada parmi les matières dangereuses de catégorie 4.2, à savoir qu’il s’agit de matières sujettes à l’inflammation spontanée.

[9]              FOPO, Témoignages, 31 mars 2022 (Alys Hoyland, coordonnatrice des jeunes, Section Pacific Rim, Surfrider Foundation Canada).

[10]            FOPO, Témoignages, 29 mars 2022 (Stafford Reid, planificateur d’urgence environnementale et analyste, EnviroEmerg Consulting).

[11]            FOPO, Témoignages, 7 avril 2022 (Valérie Langlois, professeure titulaire et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en écotoxicogénomique et perturbation endocrinienne, Institut national de la recherche scientifique).

[12]            FOPO, Témoignages, 31 mars 2022 (Hoyland).

[13]            FOPO, Témoignages, 31 mars 2022 (Karen Wristen, directrice exécutive, Living Oceans Society).

[14]            La Convention de Rotterdam sur la procédure de consentement préalable en connaissance de cause applicable à certains produits chimiques et pesticides dangereux qui font l’objet d’un commerce international est un « traité international qui vise à transmettre aux pays des notifications préalables sur une vaste gamme de produits chimiques dangereux faisant l’objet de commerce international, qui ont été interdits ou strictement réglementés dans d’autres pays, afin de protéger la santé humaine ou l’environnement ».

[15]            FOPO, Témoignages, 31 mars 2022 (Satinder Singh, vice-président, Opérations maritimes et capitaine de port, Administration portuaire de Nanaimo).

[16]            Chamber of Shipping, Mémoire, 26 avril 2022.

[17]            FOPO, Témoignages, 5 avril 2022 (Josh Temple, coordonnateur, Durabilité de l’environnement, Première Nation Tla-o-qui-aht).

[18]            FOPO, Témoignages, 5 avril 2022 (Terry Dorward, coordonnateur de projets, Parcs tribaux, Première Nation Tla‑o-qui-aht).

[19]            Chamber of Shipping, Mémoire, 26 avril 2022.

[20]            L’Organisation maritime internationale définit les substances nocives et potentiellement dangereuses (SNPD) comme étant « toute substance autre qu’un hydrocarbure qui, si elle est introduite dans le milieu marin, risque de mettre en danger la santé de l’homme, de nuire aux ressources biologiques et à la flore et la faune marines, de porter atteinte à l’agrément des sites ou de gêner toute autre utilisation légitime de la mer ».

[21]            FOPO, Témoignages, 31 mars 2022 (Hoyland).

[22]            Ibid. (Wristen).

[23]            FOPO, Témoignages, 7 avril 2022 (Christopher Hall, président et chef de la direction, Fédération maritime du Canada).

[24]            Chamber of Shipping, Mémoire, 26 avril 2022.

[25]            Ibid.

[26]                  Gouvernement du Canada, Plan de protection des océans — Augmentation du remorquage d’urgence, février 2018.

[27]                  Garde côtière canadienne, Le gouvernement du Canada prolonge le contrat pour les remorqueurs d’urgence maritime sur la côte Ouest, communiqué, 5 novembre 2021.

[28]            FOPO, Témoignages, 31 mars 2022 (Shri Madiwal, directeur, Opérations maritimes et capitaine de port, Administration portuaire Vancouver-Fraser).

[29]            Gouvernement du Canada, « Protéger nos terres, nos lacs et nos océans », chapitre 3.3 du budget de 2022 — Un plan pour faire croître notre économie et rendre la vie plus abordable, 2022.

[30]            FOPO, Témoignages, 31 mars 2022 (Madiwal).

[31]            FOPO, Témoignages, 29 mars 2022 (Reid).

[32]            Ibid. (Henderson).

[33]            Ibid. (Reid).

[34]            Stafford Reid, planificateur d’urgence environnementale et analyste, EnviroEmerg Consulting, Mémoire, 29 mars 2022.

[35]            FOPO, Témoignages, 31 mars 2022 (Wristen).

[36]            Groupe de travail sur les débris marins de la Colombie-Britannique, Mémoire, 24 mars 2022.

[37]                  Gouvernement du Canada, Plan de protection des océans — Substances nocives et potentiellement dangereuses, février 2018.

[38]            Reid, Mémoire, 29 mars 2022.

[39]            FOPO, Témoignages, 31 mars 2022 (Singh).

[40]            FOPO, Témoignages, 7 avril 2022 (Kevin Butterworth, directeur général, Urgences environnementales et assainissement des terres, ministère de l’Environnement et de la Stratégie en matière de changement climatique, gouvernement de la Colombie-Britannique).

[42]            FOPO, Témoignages, 5 avril 2022 (Dorward).

[44]                  Transports Canada, Renouveler le Programme de formation dans le domaine maritime.

[45]            FOPO, Témoignages, 31 mars 2022 (Lucas Harris, directeur exécutif, Surfrider Foundation Canada).

[46]            FOPO, Témoignages, 29 mars 2022 (Ben Boulton, chef des opérations sur le terrain, Rugged Coast Research Society).

[47]            Groupe de travail sur les débris marins de la Colombie-Britannique, Mémoire, 24 mars 2022.

[48]            FOPO, Témoignages, 5 avril 2022 (Dorward).

[49]            FOPO, Témoignages, 31 mars 2022 (Wristen).

[50]            FOPO, Témoignages, 7 avril 2022 (Butterworth).

[51]            FOPO, Témoignages, 29 mars 2022 (Henderson).

[52]            Garde côtière canadienne, Annex A, lettre au Comité, 15 juin 2022.

[53]            FOPO, Témoignages, 7 avril 2022 (Hall).

[54]            FOPO, Témoignages, 29 mars 2022 (Martin McKay, directeur exécutif, Affaires législatives, réglementaires et internationales, Sécurité et sûreté maritimes, ministère des Transports).

[55]            FOPO, Témoignages, 29 mars 2022 (François Marier, directeur, Politiques maritimes internationales, ministère des Transports).

[56]            Reid, Mémoire, 29 mars 2022.

[57]            Ibid.

[58]            Ibid.

[59]            FOPO, Témoignages, 5 avril 2022 (Temple).

[60]            FOPO, Témoignages, 31 mars 2022 (Wristen).

[61]            FOPO, Témoignages, 7 avril 2022 (Hall).

[62]            Ibid.

[63]            FOPO, Témoignages, 31 mars 2022 (Madiwal).

[65]            FOPO, Témoignages, 29 mars 2022 (Marier).