JUST Rapport du Comité
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Opinion dissidente du Bloc Québécois
Le Bloc Québécois salue les membres du Comité ainsi que le personnel de la Bibliothèque du Parlement pour le professionnalisme dont ils ont fait preuve et le travail qu’ils ont accompli au cours de cette étude et remercie tous les témoins et citoyens qui ont nourri le débat et les réflexions sans quoi cette étude n’aurait pas été possible.
Conformément à la motion du 21 mars 2024, le comité a convenu qu’elle mènerait deux études, l’une portant sur l’islamophobie et l’autre sur l’antisémitisme. Par souci d’équité et en raison du climat social exacerbé par la guerre qui oppose l’État d’Israël au Hamas et les tensions sur les campus, le comité a convenu qu’il mènerait ces deux études de manière concurrente. Le Bloc Québécois a appuyé sans réserve la tenue de ces études. Nous présentons, ici, une opinion dissidente, non pas pour nier l’importance ni l’amplitude des événements haineux, mais pour interpeller l’ensemble des parlementaires sur les limites au pouvoir fédéral, les spécificités québécoises sur le vivre-ensemble et les raisons particulières de notre opposition à certaines recommandations.
Ordre constitutionnel de 1867
La fédération canadienne repose sur une administration à deux paliers de gouvernement distincts. D’un côté, le fédéral et de l’autre la nation québécoise et les provinces. En vertu des articles 91 à 95 de la Loi constitutionnelle de 1867, chacun des deux paliers possède ses champs de compétences exclusifs. La lutte contre le racisme ne faisant pas l’objet d’aucune disposition spécifique dans la Loi de 1867, les actions qui seront prises pour lutter contre le racisme devront être interprétées dans le respect de l’esprit du texte constitutionnel.
L’article 93 confère au Québec et aux provinces le pouvoir de décréter des lois relatives à l’éducation. Puisque l’éducation joue un rôle déterminant dans la lutte contre l’intolérance, toute stratégie de lutte contre le racisme est, de prime abord, de la responsabilité du gouvernement québécois.
Aussi, bien que l’immigration soit une compétence partagée, il est prévu par l’Accord Canada-Québec relatif à l’immigration et à l’admission temporaire des aubains que l’accueil et l’intégration linguistique et culturelle soient offerts par le Québec.
Le Bloc Québécois reconnait que le fédéral a une responsabilité en matière de lutte contre le racisme. Au premier chef, son autorité législative en matière de loi criminelle lui permet de sévir contre les actes et discours haineux. À cet effet, le Bloc Québécois a proposé des mesures législatives afin de lutter de manière plus efficace contre les crimes haineux.
De plus, sa compétence en matière de télécommunications, ce qui comprend la communication en ligne, lui donne toute la latitude de se pencher sur un aspect crucial du racisme, soit l’expression de la haine en ligne.
Le Bloc Québécois reconnait également que le gouvernement canadien, en tant que premier employeur au Canada, doit favoriser des milieux de travail exempts de discrimination et qu’il lui incombe ainsi d’agir dans les milieux de travail qui sont sous sa juridiction.
Position de principe du Bloc Québécois
Le Bloc Québécois est un parti profondément attaché aux valeurs et institutions démocratiques. Le projet indépendantiste que nous portons est démocratique, inclusif et respectueux des droits et libertés de la personne. Notre action politique est guidée par des principes humanistes et par un souci permanent pour la valeur, la dignité et l’autonomie des personnes. À chaque occasion et autant de fois qu’il est nécessaire, nous dénonçons le plus vigoureusement toutes les formes de discours haineux ainsi que les crimes à caractère haineux.
La montée de l’antisémitisme rapportée à la fois par les personnes visées et leurs communautés, attestée par les statistiques officielles et relayée par les médias, justifiait parfaitement la décision du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, d’entreprendre la présente étude. Le chapitre premier du présent rapport affirme que la situation actuelle et la forme de haine distincte à l’endroit de la population juive ou de confession juive, appellent une réponse soigneusement adaptée.
Si l’exercice d’enquête du comité, en particulier les témoignages entendus et les nombreux mémoires déposés, permet d’informer les parlementaires et d’envisager des pistes d’action utiles et pertinentes, le Bloc Québécois juge que les recommandations à la Chambre et au gouvernement qui s’y retrouvent ne constituent pas «une réponse soigneusement adaptée».
Le Bloc Québécois estime qu’il est inutile et contre-productif aux parlementaires d’émettre des recommandations d’action publique dans des domaines qui ne relèvent pas de la compétence du Parlement du Canada. Cette pratique de plus en plus courante au sein des comités de la Chambre des communes est d’autant plus regrettable lorsque les problèmes publics dont il est question sont d’une haute importance, comme c’est le cas en matière de protection des droits fondamentaux et de la lutte contre les discriminations, la haine et la violence. Ces problèmes appellent justement une réponse publique adaptée, c’est-à-dire réaliste et efficace.
Il est malheureusement devenu commun à la Chambre d’ajouter maladroitement l’expression « dans le respect des compétences des provinces » ou une expression similaire, lorsque l’on sait que la proposition que l’on émet ne respecte pas les champs de juridiction. Cette pratique révèle soit une disposition peu honorable des parlementaires à l’égard de la Constitution et des fondements mêmes du fédéralisme canadien, qui trahit un penchant favorable au développement d’un État centralisé et éventuellement unitaire, soit un aveu d’échec annoncé, soit les deux à la fois. Le Bloc Québécois n’adhère pas à cette approche qui n’honore pas l’institution en plus de manquer d’égards envers la population qui est en droit d’attendre que les pouvoirs publics apportent des solutions adaptées et conséquentes aux problèmes réels qui sont vécus, en particulier lorsque les citoyennes et les citoyens exercent leur pouvoir démocratique en participant aux travaux de la Chambre.
En tant qu’indépendantistes québécois agissant sur la scène politique fédérale, nous comprenons parfaitement l’insatisfaction qui peut être ressentie vis-à-vis du caractère fondamentalement dysfonctionnel du régime fédéral canadien. Mais, ceci ne change pas ce fait fondamental à l’élaboration des politiques publiques que la réussite d’une politique nécessite la prise en compte adéquate de l’environnement institutionnel et de la réalité sociale dans lesquels elle s’inscrit et est appelée à se déployer.
Ainsi, le Bloc Québécois est favorable à la majorité des recommandations qui permettraient au gouvernement fédéral d’améliorer ses pratiques et ses politiques, de mobiliser l’appareil public dans la lutte contre la discrimination et la haine et de modifier les lois, notamment le Code criminel, afin de mieux protéger les personnes et les communautés contre les actes et les crimes haineux.
Par ailleurs, le Bloc Québécois a également soutenu par le passé et soutien toujours la définition de l’antisémitisme proposé par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA), en spécifiant que cette dernière ne doit en aucun cas être interprétée comme une restriction à la critique légitime de l’État d’Israël ou comme une restriction à la liberté d’expression. La définition spécifiait que «les critiques à l’égard d’Israël comparables à celles exprimées à l’encontre d’autres pays ne peuvent être qualifiées d’antisémites».
À ces recommandations, nous proposons d’ajouter la proposition du Bloc Québécois visant à éliminer l’exception religieuse de la loi qui criminalise les propos haineux ou incitant à la violence. Le porte-parole en matière d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté, ainsi que Droits de la personne, le député du Lac-Saint-Jean, a présenté le projet de loi C-373, Loi modifiant le Code criminel (fomenter la haine ou l’antisémitisme). Le texte modifie le Code criminel afin d’éliminer comme moyen de défense contre l’infraction de fomenter volontairement la haine ou l’antisémitisme, le fait qu’une personne a, de bonne foi, exprimé une opinion sur un sujet religieux ou une opinion fondée sur un texte religieux auquel elle croit, ou a tenté d’en établir le bien-fondé par argument. Plusieurs témoins ont accueilli favorablement ce projet de loi et le Bloc Québécois juge qu’il aurait été nécessaire que cela fasse partie des recommandations de ce rapport.
Nous sommes, par ailleurs, défavorables aux recommandations qui suggèrent une intervention fédérale dans les compétences exclusives du Québec, notamment dans le domaine de l’éducation. Il est inacceptable à ce que le gouvernement fédéral s’invente des droits de regard sur l’administration des établissements scolaires, notamment en matière d’embauche et de contenus des programmes d’études. L’appui des parlementaires fédéraux à ces propositions inquiétantes mérite d’être relaté et dénoncé.
Il importe certainement de reconnaître que les expressions de la haine anti-juive et les actes haineux existent dans de nombreuses sphères de la société, de même que les manifestations récentes de l’antisémitisme ont, de façon notable, eu lieu sur certains campus universitaires. En revanche, il n’est toutefois pas pour autant souhaitable que le gouvernement fédéral se substitue aux autres autorités compétentes.
À cet égard, le rapport semble taire un fait important, à savoir que le Québec déploie ses propres politiques de lutte contre les discriminations, de défense et de promotion des droits et que la question spécifique de l’antisémitisme est aussi l’objet de l’attention des élus de la nation québécoise qui siègent au sein du Parlement du Québec. Le gouvernement du Québec est et doit demeurer le maître d’œuvre de la lutte contre le racisme au Québec.
Ainsi, sur le sujet spécifique de la lutte contre l’antisémitisme, le Bloc Québécois soutient l’engagement du gouvernement du Québec. Le 26 mai 2021, les députés de l’Assemblée nationale du Québec ont unanimement dénoncé les menaces, violences et agressions envers les Québécois de confession juive. L’Assemblée nationale a également réitéré la nécessité de maintenir un débat sain et démocratique concernant le conflit israélo-palestinien et rappelé qu’en tout temps, la violence est intolérable envers quiconque.
Depuis, l’Assemblée nationale a rendu hommage aux victimes des attaques terroristes survenues le 7 octobre 2023 en Israël, ainsi qu'à celles de la guerre entre Israël et le Hamas. Elle a réaffirmé son engagement en dénonçant les actes haineux antisémites commis à Montréal et condamnant les attaques visant des lieux appartenant aux communautés juives, arabes ou musulmanes, tout particulièrement les violentes attaques qui ont visé l'école Azrieli Talmud Torah, l'école Yeshiva Gedola, la synagogue de la congrégation Beth Tikvah et le bâtiment de la Fédération CJA.
Le Bloc Québécois fait siennes ces positions de l’Assemblée nationale et demande au gouvernement fédéral de circonscrire ses actions dans le respect des politiques et des lois québécoises.
Le sujet étudié par le Comité est important pour la nation canadienne comme pour la nation québécoise. Or, il importe d’établir que nos deux nations entretiennent des conversations démocratiques parallèles et distinctes sur les aspects de la question qui leur sont fondamentaux, c’est-à-dire qui traitent de la cohésion sociale et de ce que l’on nomme couramment le vivre-ensemble.
Le vivre-ensemble, l’aménagement de la diversité sociétale, le dialogue interculturel, la souveraineté culturelle et linguistique, l’intégration des personnes immigrantes, la laïcité de l’État, la protection et la promotion des droits, ainsi que la lutte contre les discriminations, sont tous des sujets fondamentaux pour la nation québécoise.
Comme énoncé par la Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec, l’État du Québec est souverain dans les domaines de compétence qui sont les siens. L’Assemblée nationale est composée de députés élus au suffrage universel par le peuple québécois et elle tient sa légitimité de ce peuple dont elle constitue le seul organe législatif qui lui soit propre. Toutes les questions relatives à l’avenir du peuple québécois relèvent des droits et prérogatives de l’Assemblée nationale.
L’Assemblée nationale n’a pas adhéré à la Loi constitutionnelle de 1982 et a unanimement et formellement réaffirmé, à l’occasion du trentième anniversaire du coup de force constitutionnel, qu’elle n’a jamais adhéré à cette loi qui a eu pour effet de diminuer les pouvoirs et les droits du Québec sans son consentement et qu’elle demeure toujours inacceptable pour le Québec.
Au Québec, c’est la Charte québécoise des droits et libertés de la personne qui établit et protège les droits fondamentaux. La Charte protège, entre autres, le droit à la dignité et à l’égalité de tout être humain. Elle interdit toute discrimination mettant en cause, notamment, l’origine ethnique ou nationale et la couleur de la peau.
La Charte québécoise précise également que « Les droits et libertés de la personne s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de la laïcité de l’État, de l’importance accordée à la protection du français, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec. ».
En conséquence, le Parlement fédéral doit se garder de légiférer sur les questions qui sont fondamentales pour le peuple québécois et qui lui sont reconnues par la constitution canadienne.
Si le Canada entend entretenir des relations harmonieuses avec la nation québécoise, ses élus doivent reconnaître l’engagement résolu du Québec à respecter les droits et libertés de la personne, convenir que le Québec n’a pas adhéré à la Loi constitutionnelle de 1982, puis exercer une pratique de fédéralisme asymétrique fondée sur la reconnaissance, par la Chambre des communes, de la nation québécoise.
Cette reconnaissance devrait notamment se matérialiser par l’adoption d’une législation fédérale qui affirmerait que la Loi sur le multiculturalisme canadien ne s’applique pas au Québec, attendu que les Québécois forment une nation et que, de ce fait, ils ont en main tous les outils nécessaires à la définition de leur identité, à l’affirmation du pluralisme et à la protection de leurs valeurs communes.
Le Bloc Québécois a déposé une telle législation à la Chambre des communes à plusieurs reprises. La dernière occasion s’est présentée par le dépôt du projet de loi C-226, Loi modifiant la Loi sur le multiculturalisme canadien, pendant la 43e législature. Malheureusement, le mercredi 9 juin 2021, les parlementaires des partis canadiens, incluant leurs représentants fédéralistes pour le Québec, ont voté contre cette proposition du Bloc Québécois.
En conclusion, la politique fédérale de lutte contre les discriminations ne serait pas seulement plus efficace si elle prenait mieux en compte les responsabilités respectives des diverses autorités publiques impliquées, elle pourrait aussi devenir plus cohérente, si elle reconnaissait le caractère plurinational du Canada et acceptait de déployer une politique territorialement différenciée pour le Québec.
Considérations complémentaires
À la lumière des remarques faites ci-dessus, le Bloc Québécois s’oppose à de nombreuses recommandations se trouvant au Rapport sur l’antisémitisme du Comité permanent de la justice et des droits de la personne.
Le Bloc Québécois rejette les recommandations n°1, 2, 6 et 8 du Rapport sur l’antisémitisme, car elles interviennent dans les champs de compétence exclusive du Québec et des provinces en matière d’éducation, comme prévu à l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867. Qu’importe son objectif, le gouvernement fédéral ne devrait jamais s’ingérer dans les programmes d’enseignement ni dans l’administration de l’éducation, cela est d’ailleurs clairement inconstitutionnel. Aucun gouvernement n’est mieux placé que celui du Québec et des autres provinces canadiennes pour élaborer des programmes scolaires efficaces, au bénéfice de leurs citoyens.
Également, le Bloc Québécois est opposé à la recommandation n°10, car il s’agit d’une proposition visant à criminaliser un comportement, sans aucune donnée à l’appui de son efficacité. De nombreux témoins ont indiqué au Comité que l’application inadéquate du Code criminel crée un terreau fertile pour la haine et le racisme (paragraphes 101 à 103 du Rapport du Comité). Autrement dit, ce n’est pas en raison d’un manque d’outils législatifs que l’antisémitisme n’est pas combattu avec suffisamment d’efficacité, mais plutôt en raison d’une mauvaise utilisation des dispositions existantes.
En suivant cette logique, il semble inopportun d’ajouter un nouvel article au Code criminel visant à criminaliser certaines expressions et certains gestes dans un secteur déterminé autour d’écoles et de lieux de culte. Toute atteinte à la liberté d’expression doit être mûrement réfléchie et justifiée, ce qui n’a clairement pas été le cas en l’espèce.
La recommandation 15 pose également problème pour une raison semblable. Le fait de retirer l’obligation d’obtenir le consentement du procureur général, afin d’engager une poursuite pour un discours haineux (art. 319 C.cr.), pourrait avoir pour effet de multiplier le nombre de poursuites, en vertu de cet article, en accélérant le processus judiciaire. Cependant, comme indiqué plus haut, le Bloc Québécois est d’avis que toute atteinte à la liberté d’expression doit être sérieusement réfléchie et justifiée et que pour ce faire l’autorisation préalable du procureur est essentielle. Nous ne voyons pas en quoi la recommandation 15 aurait un effet bénéfique dans la lutte à l’antisémitisme.