TRAN Rapport du Comité
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RAPPORT COMPLÉMENTAIRE
DU
NOUVEAU PARTI DÉMOCRATIQUE DU CANADA
Étude du processus de certification des aéronefs
Les accidents tragiques impliquant les vols 610 de Lion Air et 302 d’Ethiopian Airlines ont entraîné la mort de 346 personnes et ont durement touché leurs familles, leurs amis et leurs proches, dont beaucoup de Canadiens. Tout décès dans un accident d’avion est tragique et profondément bouleversant, mais ces catastrophes sont d’autant plus préoccupantes qu’elles ont impliqué un appareil neuf, le Boeing 737 MAX, et ont entraîné l’interdiction de vol de ce modèle partout dans le monde.
Si le Nouveau Parti démocratique appuie les constatations et les recommandations du rapport majoritaire, nous sommes d’avis qu’il ne rend pas entièrement les témoignages et les appels à l’action présentés par les représentants des familles éprouvés par les accidents tragiques impliquant les vols 610 de Lion Air et 302 d’Ethiopian Airlines, raison pour laquelle les néo-démocrates publient la présente opinion complémentaire, accompagnée d’une recommandation supplémentaire essentielle.
Les enquêtes du National Transportation Safety Board aux États‑Unis et du Joint Authorities Technical Review, formés des administrations de l’aviation civile de certains États, dont le Canada, ainsi que les enquêtes menées en Indonésie et en Éthiopie, ont révélé que le système de commande de vol du 737 MAX, notamment le système de renforcement des caractéristiques de manœuvrabilité (MCAS), a entraîné l’emballement du compensateur du stabilisateur, faisant perdre au pilote la maîtrise de l’appareil dans les deux accidents.
Des questions importantes ont été posées à juste titre au sujet de la certification d’un avion doté d’une fonction inconnue de nombreux pilotes, le MCAS, reposant sur un seul capteur d’angle d’attaque. Une lecture erronée de cet unique capteur compromettait la navigabilité de l’avion en le faisant automatiquement piquer du nez.
Depuis les écrasements, les révélations sur la négligence en matière de sécurité et l’insuffisance des mécanismes de contrôle tant chez Boeing qu’à la FAA aux États‑Unis ont suscité l’indignation. Comme l’a décrit le Comité des transports de la Chambre des représentants des É.‑U. dans son rapport final, les pressions commerciales pour concurrencer les ventes de ses compétiteurs ont incité Boeing à cacher aux organismes de réglementation d’importantes préoccupations de sécurité relatives au logiciel du MCAS sur le 737 MAX. En outre, le système d’autorité désignée sur lequel comptait la FAA, selon lequel les employés de Boeing agissaient aussi comme inspecteurs de la sécurité pour l’organisme de réglementation, a créé un conflit d’intérêts qui a permis aux intérêts commerciaux d’influencer les décisions de sécurité à la FAA.
Chose inquiétante, le Comité des transports de la Chambre des représentants des États‑Unis est d’avis que ces défaillances n’ont toujours pas été corrigées, comme il l’indique dans son rapport :
La production d’un avion conforme qui s’est avéré dangereux aurait dû indiquer immédiatement à Boeing et à la FAA que le système réglementaire qui a permis la certification du MAX est défaillant. Malheureusement, d’importants doutes persistent quant aux leçons que Boeing et la FAA ont tirées des défaillances du MAX [traduction].
Les inquiétantes constatations faites aux États‑Unis soulèvent d’importantes questions concernant la validation au Canada des certifications accordées aux aéronefs aux États‑Unis. Au cours de notre étude, il est devenu évident que les experts de Transports Canada, Aviation civile (TCAC) se fient trop à la certification des aéronefs par d’autres États, dont les États‑Unis. À la lumière des circonstances tragiques entourant le 737 MAX 8, le Canada doit revoir un certain nombre d’ententes internationales avec d’autres autorités de certification qui prévoient la reconnaissance mutuelle de la certification des aéronefs et réduisent le rôle de TCAC dans l’exécution d’évaluations techniques supplémentaires.
Le Canada doit plus particulièrement réévaluer la feuille de route pour l’amélioration de la validation qu’ont signée TCAC et la FAA le 19 novembre 2018. La feuille de route vise une plus grande intégration de la certification des aéronefs, dans le but énoncé de « réduire ou éliminer le besoin de procéder à d’autres examens techniques ou de fournir d’autres approbations en matière de validation » [traduction]. Comme le Comité l’a appris de nombreux témoins, dont M. Nicholas Robinson de TCAC, M. David Curtis de Viking Air Limited, M. Rob Giguere de l’Association des pilotes d’Air Canada et M. Tim Perry de l’Air Line Pilots Association – Canada, le Canada a l’expertise technique pour mener lui-même des évaluations plus approfondies. MM. Robinson, Giguere et Perry ont en outre déclaré au Comité que c’est la voie que devrait suivre TCAC à l’avenir, particulièrement à la lumière des inquiétantes préoccupations de sécurité qui ont été révélées à l’égard de Boeing et de la FAA.
Le plus important, toutefois, est l’effet que ces tragédies ont eu sur les familles des victimes. Leur peine est incommensurable et tous les néo-démocrates leur offrent leurs sincères condoléances. Comme l’a dit M. Paul Njoroge, les écrasements ont infligé aux familles des victimes non seulement une vive douleur psychologique, mais aussi une réelle souffrance physique et un isolement profond. Lui et M. Chris Moore ont aussi fait état des répercussions sur la communauté élargie : M. Moore a souligné les effets sur les milieux professionnels des victimes et les causes qu’ils avaient à cœur, alors que M. Njoroge a indiqué que les camardes de classe des enfants qu’il a perdus ont été bouleversés au point de développer une phobie des transports aériens. Ces commentaires sont conformes aux observations de M. Curtis, selon qui ces tragédies ont miné la confiance du public à l’égard du processus de certification.
Pour atténuer ces répercussions, les représentants des familles des victimes ont catégoriquement dit qu’une enquête publique reste nécessaire. Comme l’a déclaré M. Njoroge dans son témoignage :
L’amélioration de ce processus de validation devrait commencer par une enquête indépendante sur le processus décisionnel du ministre des Transports et de Transports Canada, tant avant qu’après les accidents impliquant les 737 MAX. Les Canadiens méritent un processus compétent et transparent.
Une telle enquête porterait sur les préoccupations manifestes que les familles ont exprimées relativement à la conduite de TCAC et aux mesures qui auraient pu être prises pour éviter ces tragédies. Au fil de leurs témoignages et de l’étude du Comité, il est devenu manifeste que des réponses doivent encore être apportées à un certain nombre de questions, que l’on pourrait résumer ainsi :
- Comment se fait-il que le Canada ait validé la certification d’un avion qui était fondamentalement dangereux?
- Pourquoi cet avion n’a-t-il pas fait immédiatement l’objet d’une interdiction de vol après le premier accident, afin d’éviter d’autres morts?
La première préoccupation porte sur un certain nombre de questions relatives au fait que TCAC a validé la certification du 737 MAX accordée aux États‑Unis, un processus dont on sait maintenant qu’il était fondamentalement vicié. Plus particulièrement, deux documents dans lesquels des techniciens de Transports Canada soulevaient des préoccupations, et qui ont été laissés « ouverts » au moment de la validation, nécessitent des explications.
Ces lettres portaient sur « l’interprétation de l’identification de décrochage » et « l’anomalie du système des commandes automatiques de vol » à la suite des vols d’essai effectués par Transports Canada en 2016. Dans le document C-FT 04, les pilotes d’essai signalaient un abaissement soudain du nez lors d’une descente rapide et des responsables se demandaient si le contraire pouvait aussi se produire, à savoir un abaissement du nez pendant l’ascension. Les responsables se disaient insatisfaits de l’explication officielle reçue de Boeing. Ils ont souligné que cette fonction d’abaissement automatique constituerait probablement une surprise pour les équipages, alors que leur charge de travail était déjà supérieure à la normale, et se sont interrogés sur la conformité de cette fonction avec la réglementation en matière de navigabilité.
Malgré les préoccupations manifestes exprimées par les experts de Transports Canada, la poursuite du processus de validation des avions a été autorisée. Chose remarquable, les deux lettres expliquaient la décision de poursuivre le processus en faisant valoir qu’il fallait éviter de retarder les engagements de livraison de Boeing auprès des exploitants canadiens.
Les Canadiens veulent à juste titre savoir comment la certification du 737 MAX a pu être validée alors même que des responsables de Transports Canada relevaient d’importantes questions de sécurité relativement au système antidécrochage et au système de commande de vol. Ils veulent aussi savoir comment on en est venu à considérer les implications commerciales pour l’avionneur dans ce qui devait être essentiellement un contrôle de sécurité. Le Comité n’a obtenu aucune réponse satisfaisante à nombre de ces questions. Un examen technique plus approfondi du processus de validation est maintenant assurément justifié, comme l’a souligné M. Moore :
Nous en savons beaucoup sur ce qui s’est passé aux États-Unis, mais nous ne savons rien, vraiment, de ce qui s’est passé au Canada, et de ce que notre groupe d’aviation civile savait et ne savait pas.
La deuxième série de questions sans réponse concerne la réponse de Transports Canada au premier écrasement, celui du vol 610 de Lion Air, le 29 octobre 2018, et l’information que la FAA et Boeing ont donnée aux responsables canadiens au sujet de la cause de l’écrasement. Après être survenu, ce premier incident aurait dû pousser toutes les autorités de l’aviation civile à examiner sérieusement la sécurité et la navigabilité du 737 MAX. Il est donc impératif d’évaluer les mesures prises par Transports Canada, afin de déterminer s’il aurait dû en faire plus, et de déterminer si des mesures supplémentaires auraient pu prévenir les autres décès survenus cinq mois plus tard lors du vol 302 d’Ethiopian Airlines. Cette question est particulièrement importante pour les familles des victimes, comme en a témoigné M. Njoroge :
[…] l’accident qui a tué ma famille aurait pu être évité. Les organismes de réglementation de l’aviation du monde entier n’ont pas fait preuve de suffisamment de diligence dans l’exercice de leur pouvoir réglementaire concernant la certification et la validation de l’avion 737 MAX. Il est certain que le Canada n’aurait pas perdu ses 18 citoyens et un nombre inconnu de résidents permanents si Transports Canada avait fait preuve de prudence dans ses décisions à la suite de l’écrasement du vol 610 de Lion Air.
Les témoignages devant le Comité ont soulevé plusieurs questions quant au processus décisionnel de Transports Canada. Parmi les questions à examiner :
- Les communications entre la FAA et Transports Canada à la suite de la catastrophe de Lion Air, notamment l’information sur les causes de l’accident qui a été obtenue lors d’une réunion entre les organismes, le 7 novembre 2018.
- L’information transmise par Boeing et la FAA sur les risques que posaient encore le MCAS et le 737 MAX, notamment le rapport sur la méthode d’évaluation des risques des avions de transport (TARAM) de la FAA, lequel prédisait 15 autres accidents mortels sur la durée de vie de l’avion.
- Les motifs pour lesquels Transports Canada a adopté une directive de navigabilité de la FAA le 8 novembre 2018, laquelle demandait que l’on donne aux pilotes des aide-mémoire supplémentaires plutôt que d’interdire que l’avion vole pendant que l’accident faisait l’objet d’une enquête.
Comme l’a résumé M. Moore, ce sont des questions importantes auxquelles on doit répondre :
Comment un deuxième écrasement ait pu se produire me dépasse. C’est de cela dont je veux parler. Cela n’arrive pas d’habitude. Nous pensons que Transports Canada a joué un rôle dans cette situation.
Amplifiant les appels constants des familles des victimes, de nombreux témoins ont fait valoir les avantages d’une enquête publique pour répondre à ces questions non résolues. L’expert en ingénierie Gilles Primeau a maintenu qu’une enquête indépendante pourrait être l’occasion pour que des professionnels examinent les données que les familles des victimes ont demandées et qui n’ont pas été communiquées pour des raisons de confidentialité. Il a fait observer que, avec une telle initiative, « les attitudes [de Boeing et de la FAA] commenceraient peut-être à changer » pour ce qui est de leur refus de fournir des réponses pertinentes. Mme Kathleen Fox, présidente du Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports (BST), a quant à elle indiqué que le BST, malgré toute son impartialité, ne pouvait répondre aux questions des familles en raison de son mandat. Il ne peut, par exemple, imputer des fautes ou déterminer des responsabilités civiles ou criminelles. De plus, quand on lui a demandé si, après les tragédies, le BST aurait pu lancer une enquête sur le 737 MAX au Canada, ou s’il pouvait commenter les enquêtes internationales, Mme Fox a indiqué que le BST n’avait pas de rôle officiel ou établi par mandat. C’est dans ce contexte que le Nouveau Parti démocratique, avec les familles des victimes du Boeing 737 MAX, se fait l’écho de l’appel de M. Chris Moore :
[…] nous demandons que les mesures prises par le ministre des Transports du Canada et l’agence de l’aviation civile fassent l’objet d’un examen en ce qui a trait à la validation et à la sécurité opérationnelle continue de l’avion MAX. Seule une enquête indépendante approfondie peut permettre d’atteindre cet objectif.
Recommandation 1
Que, dans les meilleurs délais, le gouvernement du Canada lance une enquête publique sur le processus de certification des aéronefs du Canada et son rôle dans la certification du Boeing 737 MAX 8, ainsi que sur les actions de Transports Canada à la suite de l’écrasement du vol de Lion Air en 2018.