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Madame la Présidente, il n'est pas question d'ordonner la production de documents par l'administration d'un hôpital ou les responsables des programmes d'études d'une école. Comme ces deux domaines relèvent entièrement de la compétence provinciale, les préoccupations de la à ce sujet ne tiennent tout simplement pas la route.
Ensuite, en ce qui concerne son point de vue selon lequel la Chambre ne peut pas exercer son pouvoir de demander des documents qui seraient à leur tour fournis à un autre organisme, j'attire l'attention de la Chambre sur le fait que cette question a été examinée par les tribunaux.
Dans la décision qu'elle a rendue en 1989 dans l'affaire Canada (Vérificateur général) c. Canada (Ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressources), la Cour suprême du Canada s'est penchée sur le fait qu'un ancien vérificateur général avait fait l'objet d'obstruction de la part d'un gouvernement Trudeau précédent. La Cour a fait un lien entre le paragraphe 13(1) de la Loi sur le vérificateur général, qui donne au vérificateur général le droit de prendre connaissance librement des renseignements du gouvernement, et l'alinéa 7(1) b), qui exige que le vérificateur général présente un rapport à la Chambre dans lequel « il indique s'il a reçu, dans l'exercice de ses activités, tous les renseignements et éclaircissements réclamés ».
Le juge en chef Dickson a conclu, au nom d'un tribunal unanime, à la page 98: « Cet alinéa impose au vérificateur général l'obligation de faire un rapport mais on peut simultanément, à mon avis, considérer qu'il lui offre ainsi un recours sous forme de rapport. »
Il a poursuivi en disant:
La communication de ce refus à la Chambre des communes vise assurément certaines fins et l'on doit présumer que le Parlement entendait que la Chambre des communes exerce son jugement quant à savoir s'il lui fallait solliciter les renseignements que son préposé n'avait pu obtenir en son nom [...]
Bien qu'il soit inhabituel de citer des arrêts comme précédent pour les débats de procédure à la Chambre, il convient de réfléchir au fait que le plus haut tribunal du pays a clairement envisagé la possibilité que la Chambre exerce son droit d'exiger la production de documents pour aider une tierce partie à obliger le gouvernement à rendre des comptes. Cependant, il ne s'agit pas seulement d'un exercice hypothétique. Il existe, en fait, au moins un exemple concret que le Président connaît bien.
Le 22 juillet 2020, le Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique, auquel siégeait alors le Président, a voté pour exiger la production de documents relatifs aux contrats accordés à Margaret et Sacha Trudeau pour leur participation à des conférences, et pour en fournir une copie au commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique. Bien entendu, le Parlement a été cyniquement prorogé un jour avant la remise des documents.
À la session parlementaire suivante, alors que le comité de l'éthique se demandait s'il devait réadopter l'ordonnance de production, le Président a dit ceci au comité, le 9 octobre 2020. Je cite la page 9 des témoignages:
Quand on a pris cette décision à l'époque, j'ai dit à mes collègues autour de cette table que s'ils tenaient à faire cela, nous pouvions le faire, mais que nous devrions prendre toutes les mesures nécessaires pour nous assurer que ces informations iraient directement au commissaire à l'éthique, par l'entremise de la greffière.
Cependant, si l'avis du Président concernant la transmission d'une requête de production de documents par l'entremise des greffiers a changé, j'invite la présidence à considérer que cet élément de la motion relève du privilège de la Chambre à exiger la publication de documents. Il s'agit d'un privilège qui remonte à la Parliamentary Papers Act de 1840 du Royaume‑Uni, dont le préambule commence comme suit:
Considérant qu'il est essentiel, pour l'exercice effectif des fonctions et devoirs du Parlement et pour favoriser l'élaboration de lois judicieuses, qu'il n'y ait aucun obstacle ou empêchement à la publication des rapports, documents, votes ou travaux de l'une ou l'autre des Chambres du Parlement exigée par l'une de celles-ci:
Si on peut penser que le mot « publication », tel qu'il est employé dans le préambule que je viens de lire, se rapporte à quelque chose qui est communiqué à grande échelle à toute la population, ce n'est pas la seule définition du mot. On peut lire dans le dictionnaire que le verbe « publier » peut également signifier « communiquer quelque chose à un tiers ».
Troisièmement, un autre privilège de la Chambre est le droit de gérer ses affaires internes, parfois appelé le privilège d'exercer une compétence exclusive sur ses propres délibérations. Le paragraphe 11.16 de l'ouvrage d'Erskine May, 25e édition, explique:
Chaque chambre a le droit d'être seul juge du caractère licite de ses délibérations et d'établir ses propres codes de procédure, ainsi que de déroger à ceux-ci. Ce principe s'applique, que la chambre en question soit saisie d'une affaire qu'elle seule peut trancher, comme dans le cas d'un ordre ou d'une résolution, ou encore qu'il s'agisse de déterminer si une affaire (un projet de loi, par exemple) concerne à la fois les deux chambres.
Vos prédécesseurs ont cité ce principe pour appuyer leur décision, comme on peut le constater dans les Débats de la Chambre des communes, notamment: à la page 1940, le 1er mai 1966; à la page 2039, le 27 avril 2010; à la page 10004, le 17 septembre 2012; et à la page 18550, le 18 juin 2013.
Pour sa part, le comité de la procédure et des affaires de la Chambre a écrit, dans un rapport adopté par la Chambre le 2 décembre 2013: « Seul le Parlement peut juger du caractère approprié de l'exercice des privilèges. »
À propos du privilège parlementaire, l'ouvrage La procédure et les usages de la Chambre des communes, troisième édition, précise à la page 81: « Ce volet du droit parlementaire est donc extrêmement souple, ce qui est presque essentiel pour que la Chambre des communes puisse réagir à toute situation nouvelle. »
À mon avis, cela n'empêche pas la Chambre d'envisager d'adopter une approche nouvelle à l'égard d'une ordonnance de production de documents, et la désobéissance à cet ordre ne sort pas non plus du champ de ce qui constitue un outrage. En effet, il convient peut-être de rappeler que bon nombre des pouvoirs de la Chambre n'ont pas été établis de façon définitive et ont plutôt évolué pendant des siècles de luttes qui ont constitué l'ensemble des précédents.
Quatrièmement, je dirais que le moment de contester la recevabilité de l'ordre était en juin, lorsque la Chambre a étudié la motion de l'opposition conservatrice. La troisième édition de l'ouvrage La procédure et les usages de la Chambre des communes, de Bosc et Gagnon, indique ceci, à la page 565:
Avant de lire une motion à la Chambre, le Président veille au respect de la procédure. Il s'assure donc qu'on a satisfait à l'exigence, le cas échéant, quant à l'avis; que le libellé de la motion correspond à l'avis; et que celle-ci ne contient pas de termes inacceptables. Si une partie de la motion est irrecevable, l'ensemble de la motion le devient. S'il considère que la forme ne convient pas, le Président a l'autorité voulue pour modifier la motion afin de la rendre conforme à l'usage de la Chambre [...]
Si la motion est recevable, qu'elle a été présentée et appuyée, le Président en saisit la Chambre.
Quand la Chambre a étudié la motion de l'opposition conservatrice le 6 juin, c'est exactement ce qui s'est produit. En fait, les libéraux n'ont pas remis en question la recevabilité de la motion. La motion de l'opposition a été inscrite au Feuilleton 48 heures avant le débat, comme l'exige le Règlement, elle a fait l'objet d'un débat d'une journée de séance complète, puis le vote a été reporté au quatrième jour civil suivant le débat. La motion a été inscrite au Feuilleton des avis un mardi après-midi. Elle a été mise aux voix le lundi après-midi suivant. Entretemps, à aucun moment quelqu'un n'a remis en question la recevabilité de la motion. Ce n'est que maintenant que l'on fait valoir une telle chose. Cela me rappelle une situation que je connais assez bien.
Le 27 mars 2014, la Chambre a adopté un ordre exigeant que Tom Mulcair, qui était alors le chef du Nouveau Parti démocratique, comparaisse devant le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, ce qu'il a fait le 15 mai de la même année. Le lendemain, le leader parlementaire du NPD a invoqué le Règlement pour faire valoir que la motion et l'ordre qui en découlait étaient irrecevables. Le 12 juin 2014, la présidence a rendu la décision suivante, qui se trouve à la page 6719 du hansard:
[...] je serais porté à conclure que la motion aurait été irrecevable si la question avait été soulevée dans un délai raisonnable. Soyons clair, la présidence n'a pas jugé d'emblée la motion recevable sur le plan de la procédure, comme le leader à la Chambre [du NPD] l'a laissé entendre. En réalité, en l'absence de toute objection au moment où la motion a été proposée, la procédure a suivi son cours et la motion a été adoptée.
Faire valoir, comme tente de le faire le leader parlementaire, l'inadmissibilité de la motion plus de 14 semaines après que l'ordre de la Chambre eut été adopté ne peut tout simplement pas être admis. Bien sûr, j'estime la recevabilité de la motion serait confirmée aussi bien aujourd'hui qu'elle l'aurait été le 6 juin.
Cinquièmement, quant à savoir si le caviardage avait été autorisé, je souligne ce qu'a écrit le légiste et conseiller parlementaire à la page 2 du rapport qu'il vous a présenté le 17 juillet dernier sur le respect de l'ordre de la Chambre des communes: « Je note également que l'ordre n'envisageait pas que des documents soient expurgés ou que des informations soient retenues. »
Retenons à ce sujet que le passage de l'ouvrage de Maingot cité par la leader parlementaire du gouvernement fait état d'une « limitation que la Chambre pourrait elle-même s'imposer ». Or, la Chambre ne s'est imposé aucune limitation, dans son ordre du 10 juin, pour permettre le caviardage. Comme je l'ai mentionné dans mon argumentaire initial, c'est toujours à la Chambre elle-même de déterminer la portée de ses ordres de production de documents et de juger les raisons pour lesquelles le gouvernement refuse de fournir certains renseignements. C'est ce qu'elle fait au cours des débats, de l'examen des propositions d'amendement et des votes. Quoi qu'il en soit, si vous deviez ne pas être d'accord avec moi en ce qui concerne le caviardage, cela ne justifierait pas pour autant le fait pour les institutions gouvernementales de ne pas avoir fourni tous les documents requis dans les délais imposés par l'ordre de la Chambre.
Sixièmement, en ce qui concerne l'inquiétude de la leader parlementaire du gouvernement au sujet des droits garantis par la Charte des personnes qui auraient fraudé l'État ou été autrement impliquées dans la corruption gouvernementale, je vous rappellerai qu'elle a elle-même reconnu que la présidence ne décide pas des questions de droit. Quoi qu'il en soit, il convient également de rappeler que le droit du privilège parlementaire est un ensemble de règles constitutionnelles toutes aussi importantes que la Charte. Quant aux préoccupations de nature politique concernant le non-respect de la Charte, je dirais qu'il aurait été plus pertinent de présenter ce genre d'argument dans le cadre du débat sur la motion de l'opposition du 6 juin ou, si la présidence jugeait qu'il y a eu de prime abord outrage à la Chambre, de le faire au moment du débat sur la motion de privilège subséquente.
Or, absolument rien en ce sens n'a été évoqué pendant le débat du 6 juin. Pendant ce débat, les libéraux étaient beaucoup plus occupés à parler d'une annonce concernant l'appareil gouvernemental vu que les libéraux avaient trouvé un nouveau moyen de faire grossir la caisse noire environnementale. Ma vis-à-vis a laissé entendre qu'une étude du comité de la procédure et des affaires de la Chambre pourrait être utile. En réponse, j'aimerais citer les paragraphes 84 et 86 du rapport de 2019 du comité de la procédure de la Chambre des communes du Royaume‑Uni portant sur la production de documents, que j'ai cités dans mon intervention initiale.
Voici ce qu'on peut y lire:
Les ministres ont la responsabilité de présenter à la Chambre leurs arguments contre la production d'information qui, à leur avis, doit être protégée. S'ils sont incapables de persuader la Chambre d'accepter ces arguments par le processus décisionnel et le vote ou qu'ils ne tentent pas de le faire, ils devront déterminer dans quelle mesure ils se conformeront à la résolution qui en a résulté ou à l'ordre de la Chambre. Ce n'est pas à la Chambre qu'il revient d'instaurer des procédures et des pratiques pour protéger les ministres qui omettent d'exercer cette responsabilité [...]
C'est à la Chambre et à elle seule de déterminer la portée de son pouvoir d'exiger la production de documents. Dans l'étude d'une motion, elle peut déterminer s'il s'agit d'une demande de recours à ce pouvoir qui est inappropriée ou irresponsable, ou si la question qui est en jeu ne justifie pas qu'on exige des ministres qu'ils produisent l'information demandée. Dans de telles situations, nous nous attendons de la Chambre qu'elle exerce son jugement et qu'elle continue de préconiser le recours responsable à ce pouvoir.
Septièmement, en ce qui concerne les craintes de la de donner l'impression que la Chambre dicte sa volonté aux forces de l'ordre, je rappelle les commentaires du , qui a dit qu'il revenait à la GRC de décider ce qu'il fallait faire avec les documents. L'ordre de la Chambre exigeait uniquement que le légiste et conseiller parlementaire transmette les documents. Il n'obligeait pas la GRC à ouvrir l'enveloppe ni à insérer la clé USB dans un ordinateur.
De toute façon, je prendrais note du paragraphe 11.29 de la 25e édition de l'ouvrage d'Erskine May, où l'on peut lire:
Dans les cas d'atteinte au privilège qui constituent également des infractions à la loi, lorsque la sanction que la Chambre des communes a le pouvoir d'infliger ne serait pas à la hauteur de l'infraction ou que, pour toute autre raison, la Chambre estime qu'une procédure judiciaire est nécessaire, soit en remplacement, soit en complément de sa propre procédure, le procureur général a été chargé de poursuivre l'auteur de l'infraction.
Pour les personnes qui souhaitent en savoir plus, M. Lee examine la question plus en détail aux pages 211 à 213 de son livre.
Quiconque étudie le Parlement du Royaume‑Uni se rappellera que, jusqu'à récemment, la Chambre des communes britannique avait l'habitude d'adopter chaque année, le premier jour de chaque session, un ordre sessionnel adressé au commissaire de la police métropolitaine afin que les rues menant au palais de Westminster demeurent libres et ouvertes à la circulation. Je ne dis pas que nous devrions donner des directives à la police ou aux procureurs, mais il s'agit néanmoins d'un élément important pour comprendre les pouvoirs de la Chambre des communes.
Enfin, en ce qui concerne l'argument de la selon lequel la seule motion appropriée serait une motion destinée à renvoyer la question au comité de la procédure et des affaires de la Chambre, je ne suis pas d'accord. Lorsque son suppléant a tenté de faire valoir le même argument au sujet de la motion proposée pour traiter de la question de privilège qui portait sur le refus de Kristian Firth, l'entrepreneur pour ArriveCAN, de répondre aux questions du comité, le Président a statué, le 22 mars 2024, à la page 21946 des Débats, ce qui suit: « [...] j'estime qu'elle est recevable sur le plan de la procédure. Comme dans le cas survenu en 2021 dont il a été fait mention, la motion prévoit [...] des mesures précises pour remédier au manquement commis. »
C'est ce que ferait ma motion: elle offrirait un recours permettant d'ordonner de nouveau la production des documents. Bosc et Gagnon décrivent, aux pages 986 et 987, les options dont dispose un comité lorsqu'il se bute à un refus d'obtempérer à son ordre de production de document: il peut accepter le refus, chercher un compromis ou maintenir sa position, c'est-à-dire maintenir l'ordre de production de document. La motion que je propose correspond, en fait, à cette troisième option. Je crois que, dans ce contexte, il n'existe pas de distinction entre la Chambre et l'un de ses comités.
Quoi qu'il en soit, Bosc et Gagnon discutent, aux pages 138 et 987, d'un scénario dans lequel un comité signale à la Chambre que quelqu'un refuse d'obtempérer à un ordre de production de document, ce qui constituerait un outrage, je le signale; ils indiquent que, dans le but de régler cette situation, la Chambre peut adopter son propre ordre de production de document. Dans le cas de 2021 qui a été mentionné, la Chambre a ordonné au président de l'Agence de la santé publique du Canada de comparaître à la barre, notamment dans le but de remettre les documents qui n'avaient pas été fournis. Cette façon de faire s'inspirait des précédents décrits aux pages 131 et 132 de l'ouvrage de Bosc et Gagnon.
En conclusion, les arguments de la ne tiennent tout simplement pas la route. Le gouvernement n'a pas respecté la volonté légitime et dûment exprimée de la Chambre des communes. C'est un outrage au Parlement. Si le Président est d'accord, les conservateurs donneront au libéral une autre chance de respecter le Parlement et de remettre les documents sur la caisse noire environnementale dans un délai d'une semaine.
En termes clairs, il vaudrait mieux que tous les arguments avancés par la soient soumis non pas à la présidence, mais plutôt aux députés pendant le débat sur la motion de privilège. La présidence n'est pas censée accepter de nouvelles restrictions au pouvoir de la Chambre d'exiger la production de documents. Seule la Chambre peut le faire.
Le rôle du Président dans cette affaire est simplement de juger, presque comme s'il s'agissait d'une simple formule mathématique. Une motion portant production de documents a été déposée, débattue et mise aux voix. Elle a été adoptée. Cette case est cochée. L'ordre de production de documents a-t-il été respecté? Non. Il n'y a qu'une seule conclusion. Si l'ordre n'est pas respecté, le Président doit soumettre la question à la Chambre, qui peut alors décider de la solution la plus appropriée.