Privilège parlementaire / Droits de la Chambre

Outrage à la Chambre : dépôt d’un projet de loi du gouvernement en contravention avec une loi

Débats, p. 2404–2405

Contexte

Le 18 octobre 2011, Wayne Easter (Malpeque) soulève une question de privilège au sujet du projet de loi C-18, Loi réorganisant la Commission canadienne du blé et apportant des modifications corrélatives et connexes à certaines lois. M. Easter soutient qu’étant donné que le gouvernement a négligé de respecter les obligations énoncées à l’article 47.1 de la Loi sur la Commission canadienne du blé, il a violé la loi et porté atteinte au privilège de l’ensemble des députés en déposant le projet de loi C-18. Peter Van Loan (leader du gouvernement à la Chambre des communes) réplique que les questions juridiques ou constitutionnelles n’entrent pas dans la compétence du Président et que le pouvoir du Parlement d’adopter et de modifier des lois est indisputable. D’autres députés font des observations et le Président prend la question en délibéré. Le 19 octobre 2011, M. Easter et le leader du gouvernement à la Chambre font d’autres observations, puis le Président prend de nouveau la question en délibéré[1].

Résolution

Le 24 octobre 2011, le Président rend sa décision. Il réaffirme le droit immuable du Parlement de légiférer et confirme qu’il n’appartient pas à la présidence d’interpréter les lois. Jugeant qu’aucune contrainte procédurale ne se dégage de la façon dont le gouvernement a agi, le Président conclut que l’affaire ne constitue pas, de prime abord, une question de privilège.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le 18 octobre 2011 par le député de Malpeque au sujet de la recevabilité du projet de loi C-18, Loi réorganisant la Commission canadienne du blé et apportant des modifications corrélatives et connexes à certaines lois.

Je remercie le député d’avoir soulevé cette question de même que le leader du gouvernement à la Chambre des communes, le ministre d’État et whip en chef du gouvernement, le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes ainsi que les députés de Guelph et de Winnipeg-Nord de leurs interventions.

Lorsqu’il a soulevé sa question de privilège, le député de Malpeque a affirmé que le gouvernement avait enfreint la disposition d’une loi en vigueur en présentant le projet de loi C-18 sans avoir d’abord permis aux producteurs de grain de voter sur les changements proposés à la structure et au mandat de la Commission canadienne du blé, comme l’exige l’article 47.1 de la Loi sur la Commission canadienne du blé.

Il a alors déclaré :

Le député de Malpeque a expliqué qu’il ne demandait pas au Président de se prononcer sur le caractère légal de l’article 47.1 de la Loi sur la Commission canadienne du blé, mais plutôt de déterminer s’il y avait eu atteinte à ses privilèges du fait que le gouvernement avait présenté une mesure législative qui, selon ses dires, contrevenait à une loi adoptée par le Parlement.

Le leader du gouvernement à la Chambre des communes a rétorqué que, dans les faits, on demandait à la présidence de rendre une décision sur une question de droit en interprétant des dispositions législatives, malgré la pratique bien établie selon laquelle il n’appartient pas à celle-ci de se prononcer sur des questions juridiques ou constitutionnelles.

Il a également contesté l’allégation du député de Malpeque à savoir que l’article 47.1 de la Loi sur la Commission canadienne du blé rendait illégale l’étude du projet de loi C-18, faisant valoir qu’une telle interprétation revenait à affirmer que l’adoption d’une loi pouvait entraver l’étude de futures mesures législatives par la Chambre.

Il a indiqué que cette approche :

[…] aurait pour effet de déléguer le pouvoir décisionnel du Parlement à des personnes externes au Parlement, ce qui donnerait à ces personnes, plutôt qu’au Parlement, le pouvoir d’adopter les lois de notre pays […]

En outre, il a souligné que le Parlement était libre d’étudier toutes mesures législatives qu’il jugeait indiquées, y compris celles visant à modifier des lois en vigueur.

À ce sujet, Peter Hogg a indiqué ce qui suit dans son ouvrage intitulé Constitutional Law of Canada, cinquième édition, volume 1, à la page 352 :

Dans leurs champs de compétence respectifs, le Parlement ou les assemblées législatives peuvent non seulement adopter les lois de leur choix, mais également abroger telle ou telle de leurs lois antérieures. Même si le Parlement ou une assemblée législative disposait qu’une loi ne pourrait être abrogée ou modifiée à l’avenir, une telle disposition n’empêcherait en rien ses successeurs d’abroger ou de modifier la « loi protégée ».

Cette citation met en évidence, avec raison, le droit immuable du Parlement de légiférer.

Le leader du gouvernement à la Chambre des communes a aussi parlé du rôle du Président dans la rédaction des décisions, et il a cité un passage de La procédure et les usages de la Chambre des communes, deuxième édition, page 261. Pour la gouverne de la Chambre, je vais citer à nouveau ce passage dans son intégrité :

Enfin, bien que les Présidents doivent prendre en compte la Constitution et les lois au moment de rédiger une décision, nombre d’entre eux ont expliqué qu’il n’appartient pas à la présidence de se prononcer sur la « constitutionnalité » ou la « légalité » des mesures dont la Chambre est saisie.

La note de bas de page nº 75 à la page 261 renvoie à une décision rendue le 9 avril 1991 par le Président Fraser, aux pages 19233 et 19234 des Débats. Ce dernier avait alors conclu que la présidence devait éviter d’interpréter, même indirectement, la Constitution ou les lois. Il s’agit là d’une pratique bien établie qui est toujours en vigueur aujourd’hui, et à laquelle j’ai fait allusion lorsque la question a été soulevée pour la première fois, le 18 octobre 2011.

Aussi, il importe de faire une distinction claire entre interpréter les dispositions d’une loi — ce qui ne relève pas de la compétence de la présidence — et veiller à ce que la Chambre emploie des procédures et des pratiques saines dans l’examen des mesures législatives —, ce qui, bien entendu, est le rôle de la présidence.

Le député de Malpeque a présenté sa propre interprétation de la loi à la Chambre — en l’espèce l’article 47.1 de la Loi sur la Commission canadienne du blé. Il a conclu que le gouvernement n’a pas respecté les dispositions de cette loi et qu’il lui est par conséquent interdit d’aller de l’avant avec le projet de loi C-18. En ce qui me concerne, comme mes prédécesseurs dans des circonstances similaires, je dois refuser de suivre l’exemple du député. Il n’appartient pas à la présidence d’interpréter le sens de l’article 47.1 de la Loi sur la Commission canadienne du blé. J’ai donc limité mon examen de la question à l’aspect purement procédural.

Après avoir soigneusement passé en revue les interventions dans l’affaire qui nous occupe, force m’est de conclure que, même si le député de Malpeque est mécontent de l’approche du gouvernement et de la présentation, par celui-ci, du projet de loi C-18, rien dans la preuve avancée ne démontre que les actions du gouvernement en l’espèce ont de quelque façon que ce soit entravé le député dans l’exécution de ses fonctions parlementaires.

En conséquence, la présidence ne peut conclure que le dépôt du projet de loi C-18 ou le fait que les députés soient appelés à étudier ce projet de loi constitue, de prime abord, une question de privilège.

Je remercie les députés de leur attention.

Post-scriptum

Le 8 décembre 2011, Frank Valeriote (Guelph) soulève une question de privilège pour faire part au Président d’une décision rendue la veille par la Cour fédérale[2]. Soutenant que la décision de la Cour sur les agissements du gouvernement confirme son opinion selon laquelle le gouvernement a violé le privilège des députés dans sa gestion des travaux sur le projet de loi C-18, M. Valeriote demande au Président de revenir sur sa décision du 18 octobre 2011. Le leader du gouvernement à la Chambre réplique que la décision de la Cour n’a aucune influence sur la capacité du Parlement de légiférer et que, comme la Chambre n’est plus saisie du projet de loi, elle n’a plus compétence pour l’amender[3]. Le 31 janvier 2012, le Président rend sa décision en précisant que la question fondamentale demeure inchangée, puisque les pouvoirs du Président se limitent à statuer sur des questions de procédure parlementaire et non sur des questions de droit, et il conclut qu’il n’y a pas, de prime abord, matière à question de privilège[4].

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[1] Débats, 18 octobre 2011, p. 2104–2107, 2149–2150, 19 octobre 2011, p. 2221–2223.

[2] Amis de la Commission canadienne du blé c. Canada (Procureur général), 2011 CF 1432.

[3] Débats, 8 décembre 2011, p. 4209–4213.

[4] Débats, 31 janvier 2012, p. 4626-4627.