Privilège parlementaire / Droits de la Chambre

Outrage à la Chambre : député qui aurait délibérément induit la Chambre en erreur; question fondée de prime abord

Débats, p. 3430–3431

Contexte

Le 25 février 2014, Nathan Cullen (Skeena—Bulkley Valley) soulève une question de privilège au sujet de déclarations faites à la Chambre par Brad Butt (Mississauga—Streetsville). Il allègue que, le 6 février, M. Butt a sciemment fait des déclarations trompeuses à la Chambre lorsque, pendant le débat sur le projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et d’autres lois et modifiant certaines lois en conséquence, il a dit avoir vu des gens ramasser des cartes de vote jetées à proximité de boîtes postales communautaires et les remettre à d’autres. Les 24 et 25 février, M. Butt avait invoqué le Règlement pour rectifier et retirer ses déclarations, expliquant qu’il n’avait pas, en fait, été personnellement témoin d’actes de fraude électorale. Il s’était aussi excusé d’avoir fait des déclarations inexactes en ajoutant qu’il n’avait pas eu l’intention d’induire la Chambre en erreur[1]. De l’avis de M. Cullen, cette rectification prouve que les conditions requises pour conclure que la Chambre a été induite en erreur sont remplies. Après les observations d’autres députés, Peter Van Loan (leader du gouvernement à la Chambre des communes) fait valoir que même si M. Butt a tenu des propos erronés le 6 février, son intervention en vue de rectifier ses propos devrait clore la question et ne pas être considérée comme un outrage à la Chambre. Le Président prend l’affaire en délibéré[2].

Résolution

Le 3 mars 2014, le Président rend sa décision. Il déclare que, bien qu’il accepte volontiers que M. Butt n’ait pas eu l’intention d’induire la Chambre en erreur, les députés sont tenus de veiller à ce que leurs déclarations ne contiennent pas d’inexactitudes. Soulignant le fait que les députés doivent pouvoir se fier à l’intégrité de l’information qu’on leur fournit pour exercer leurs fonctions parlementaires, le Président fait observer que la Chambre a été saisie de deux déclarations contradictoires et, par conséquent, qu’un comité devrait examiner la situation de plus près pour la clarifier. Il invite donc M. Cullen à présenter sa motion.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le 25 février 2014 par le leader à la Chambre de l’Opposition officielle au sujet des déclarations faites à la Chambre par le député de Mississauga—Streetsville.

Je remercie l’honorable leader à la Chambre de l’Opposition officielle d’avoir soulevé cette question, ainsi que l’honorable leader du gouvernement à la Chambre des communes, l’honorable député de Winnipeg-Nord et l’honorable député de Kingston et les Îles de leurs interventions.

J’aimerais également prendre acte des déclarations faites par le député de Mississauga—Streetsville.

Lorsqu’il a soulevé la question de privilège, le leader à la Chambre de l’Opposition officielle a affirmé que, le 6 février 2014, au cours du débat sur le projet de loi C-23, Loi sur l’intégrité des élections, le député de Mississauga—Streetsville avait délibérément induit la Chambre en erreur en prétendant avoir été témoin de cas de fraude électorale. Il a ajouté que la question n’avait pas été réglée par les seules déclarations faites les 24 et 25 février par le député de Mississauga—Streetsville, qui avait alors admis que, contrairement à sa déclaration initiale, il n’avait pas réellement été témoin de ce qu’il affirmait avoir vu. Le leader à la Chambre de l’Opposition officielle a ajouté qu’à ses yeux, il ne s’agissait pas d’un simple lapsus, mais que le député avait choisi délibérément de présenter comme des faits dont il avait été témoin des éléments d’information qu’il savait être erronés, et que cela était répréhensible au point de constituer un outrage au Parlement.

Le leader du gouvernement à la Chambre a indiqué que le député de Mississauga—Streetsville s’était acquitté de son devoir de rectifier ses propos afin qu’il ne persiste aucune inexactitude. Il a fait valoir qu’en soi, cela était suffisant pour qu’il « n’y a[it] pas lieu de considérer cette situation comme un outrage. »

Cet incident met en évidence l’importance primordiale que revêtent l’exactitude et la vérité dans nos délibérations. Tous les députés sont investis, à titre individuel et collectif, de la responsabilité de choisir leurs mots avec le plus grand soin et de ne jamais oublier les conséquences graves qui peuvent découler d’un oubli à l’égard de cette responsabilité.

Lorsqu’il a demandé à la présidence de conclure qu’il y avait de prime abord matière à question de privilège en l’espèce, l’honorable leader à la Chambre de l’Opposition officielle a cité la décision que j’ai rendue le 7 mai 2012, dans laquelle, à la page 7650 des Débats, je rappelais à la Chambre que, pour conclure qu’un député avait délibérément induit la Chambre en erreur, trois éléments devaient être prouvés :

[…] premièrement, la déclaration était trompeuse; deuxièmement, l’auteur de la déclaration savait, au moment de faire la déclaration, que celle-ci était inexacte; troisièmement, le député avait l’intention d’induire la Chambre en erreur.

Au motif que ces trois conditions étaient remplies, il a conclu qu’il y avait atteinte au privilège.

C’est en tenant compte de ces trois critères que j’ai procédé à l’examen minutieux de toutes les déclarations pertinentes faites à la Chambre relativement à l’incident en cause, en portant évidemment une attention particulière aux déclarations du député de Mississauga—Streetsville.

À l’origine, le 6 février, il a déclaré :

En fait, j’ai vu de mes propres yeux des gens ramasser des cartes de vote qui ne leur étaient pas destinées, puis se rendre au bureau de campagne du candidat qu’ils appuient et les remettre à d’autres personnes, qui, à leur tour, communiquent avec les bureaux de scrutin où ils ont des amis qui peuvent se porter garants pour eux, sans qu’ils n’aient à présenter de pièce d’identité.

Plus tard cette même journée, il a ajouté : « Je tiens à raconter quelque chose que j’ai vu de mes propres yeux. »

Ce n’est que le 24 février qu’il a pris la parole pour déclarer :

[…] le 6 février […] j’ai fait […] une déclaration qui est inexacte. Je tiens seulement à mettre en évidence le fait que je n’ai personnellement vu [aucune activité frauduleuse] […] et je tiens à le préciser.

Le 25 février, il s’est de nouveau adressé à la Chambre et a affirmé que sa déclaration du 6 février était « une erreur de [sa] part » et qu’il présentait « [ses] excuses à tous les Canadiens et à tous les députés ». Il a ajouté : « Je ne cherchais d’aucune façon à induire en erreur la Chambre. » La présidence prend note que le député de Mississauga—Streetsville a admis que sa déclaration du 6 février était inexacte et qu’il s’est excusé pour son erreur.

Comme l’a signalé l’honorable leader du gouvernement à la Chambre des communes, nous admettons tous la pratique de longue date dans cette enceinte qui consiste à accorder le bénéfice du doute aux députés lorsque l’exactitude de leurs déclarations est remise en question. Il arrive souvent que des questions de privilège soulevées relativement à un incident de ce genre soient considérées comme étant des désaccords sur les faits plutôt que des questions de privilège fondées de prime abord, en raison principalement du seuil élevé de preuve exigé par la Chambre.

Le Président Parent a déclaré ce qui suit, à la page 9247 des Débats du 19 octobre 2000 :

Seules des preuves irréfragables peuvent permettre à la Chambre ou à son Président d’agir dans les cas où l’on a tenté d’induire en erreur les députés.

D’après les révélations du député de Mississauga—Streetsville et d’autres députés, il ne fait aucun doute que la Chambre a entendu deux récits qui constituent des déclarations contradictoires. Or le député de Mississauga—Streetsville a aussi déclaré qu’il n’avait aucunement l’intention d’induire la Chambre en erreur.

Le Président Milliken a dû examiner une question analogue en février 2002, lorsque le ministre de la Défense nationale de l’époque, Art Eggleton, avait fourni des renseignements contradictoires à la Chambre. Dans sa décision sur une question de privilège soulevée relativement à cette contradiction, rendue le 1er février, à la page 8581 des Débats de la Chambre des communes, le Président Milliken a déclaré :

Je suis prêt, comme je me dois de l’être, à accepter l’affirmation du ministre portant qu’il n’avait pas l’intention d’induire la Chambre en erreur.

Conformément à ce précédent, je suis prêt à faire preuve d’une égale obligeance envers le député de Mississauga—Streetsville.

Cependant, la Chambre demeure saisie de deux déclarations entièrement contradictoires. Cela laisse les députés dans une position difficile, eux qui doivent pouvoir compter sur l’intégrité des renseignements qu’on leur fournit dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions parlementaires.

En conséquence, conformément au précédent que j’ai invoqué tout à l’heure, où le Président Milliken avait indiqué que l’affaire méritait « que le comité compétent en fasse une étude plus approfondie, ne serait-ce que pour tirer les choses au clair », je suis disposé, pour la même raison, à soumettre l’affaire à la Chambre.

J’invite donc le leader à la Chambre de l’Opposition officielle à proposer la motion habituelle.

Post-scriptum

M. Cullen propose que la question soit renvoyée au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre. Le 4 mars 2014, le leader du gouvernement à la Chambre propose que le débat ne soit plus ajourné. La motion de clôture est adoptée et, après débat, la motion de privilège est rejetée[3].

Certains sites Web de tiers peuvent ne pas être compatibles avec les technologies d’assistance. Si vous avez besoin d’aide pour consulter les documents qu’ils contiennent, veuillez communiquer avec accessible@parl.gc.ca.

[1] Débats, 24 février 2014, p. 3080, 25 février 2014, p. 3173.

[2] Débats, 25 février 2014, p. 3147–3152, 3191.

[3] Journaux, 3 mars 2014, p. 611, 4 mars 2014, p. 616, 618–622.