Privilège parlementaire / Droits des députés
Protection contre l’obstruction : ministre accusé d’avoir modifié le témoignage d’un comité
Débats, p. 3743–3744
Contexte
Le 23 novembre 2011, Tony Clement (président du Conseil du Trésor et ministre de l’Initiative fédérale du développement économique dans le Nord de l’Ontario) soulève une question de privilège au sujet d’allégations faites par des députés de l’Opposition officielle selon lesquelles il aurait modifié les Témoignages d’une séance du Comité permanent des comptes publics tenue le 2 novembre 2011. M. Clement nie les faits reprochés et qualifie les allégations d’atteinte grave à son privilège[1]. Le 24 novembre 2011, Joe Comartin (Windsor—Tecumseh) déclare que l’Opposition officielle aimerait savoir pourquoi la transcription a été modifiée. Le Président prend la question en délibéré[2].
Résolution
Le 29 novembre 2011, le Président rend sa décision. Il explique aux députés la procédure habituelle de révision des témoignages de comité. Il confirme ensuite que les modifications apportées aux Témoignages du Comité permanent des comptes publics respectent le protocole habituel de révision et n’ont pas été demandées par des députés ou leur personnel. Il rappelle ensuite à la Chambre qu’habituellement, le Président ne statue pas sur les questions relatives aux délibérations des comités et que, à défaut d’un rapport du Comité sur la question, il ne peut trouver de motifs suffisants pour établir qu’on avait empêché le ministre de s’acquitter de ses fonctions parlementaires. Par conséquent, il conclut qu’il n’y a pas, de prime abord, matière à question de privilège.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le 23 novembre par l’honorable président du Conseil du Trésor au sujet de modifications apportées à la transcription des délibérations de la séance du 2 novembre du Comité permanent des comptes publics et des conséquences qu’ont eues ces modifications sur sa capacité d’exercer ses fonctions.
Je remercie le ministre d’avoir soulevé cette question, ainsi que l’honorable leader de l’Opposition officielle à la Chambre des communes pour son intervention.
Le ministre a expliqué que les allégations selon lesquelles son personnel et lui auraient demandé que des modifications soient apportées à la version publiée des Témoignages des comités où figure la transcription de son témoignage devant le Comité étaient fausses, car son bureau n’avait pas formulé de telles demandes. Il a affirmé que ces allégations constituaient une atteinte à ses privilèges et nuisaient à son travail de député et de ministre.
Pour la gouverne des députés, j’aimerais d’abord faire quelques remarques au sujet de la production des Débats et des Témoignages de comités. Premièrement, il importe de noter que, dans les faits, les Débats et les Témoignages de comités ne sont pas une transcription mot à mot des paroles prononcées, mais plutôt un compte rendu des délibérations que les réviseurs de la Chambre modifient pour en assurer la clarté et la conformité aux règles grammaticales et syntaxiques. Il existe toutefois une distinction entre la procédure suivie pour la production des Débats et celle qui s’applique aux Témoignages de comités. En ce qui concerne les Débats, une procédure formelle permet aux députés d’apporter des corrections et des modifications mineures à leurs interventions telles que transcrites dans la version non révisée des Débats, qu’on appelle communément les « bleus ». En revanche, il n’y a pas de procédure identique qui permette aux députés de réviser les transcriptions des Témoignages de comités, ce qui ne veut pas dire que les députés n’ont pas la possibilité de proposer des changements à la transcription non révisée.
À la page 1219 de La procédure et les usages de la Chambre des communes, deuxième édition, on indique clairement de quelle manière on peut apporter des corrections et des modifications aux transcriptions des délibérations des comités, et je cite :
Les transcriptions non révisées des délibérations des comités, qu’on appelle les « bleus » (comme dans le cas des Débats), sont mises à la disposition des usagers d’Intraparl, le site Web interne du Parlement du Canada, habituellement dans un délai de 24 heures suivant la réunion. Normalement, des corrections mineures peuvent être apportées en soumettant la modification proposée aux réviseurs; les corrections plus importantes devront être apportées par le comité même au moyen d’un corrigendum. Le cas échéant, la version électronique est diligemment mise à jour.
Lorsque la question de privilège a été soulevée, la présidence a demandé un rapport sur la procédure de révision qui a été suivie dans le cas de la transcription contestée. Je puis assurer de façon catégorique à la Chambre qu’aucun député ni membre du personnel d’un député n’a réclamé que des changements soient apportés à la transcription. Tous les changements ont été effectués dans le cadre de la procédure habituelle de révision. Je m’explique.
En raison des délais très stricts et de la quantité volumineuse de texte, la tâche technique de la révision est souvent divisée entre plusieurs réviseurs. Le produit de leur travail collectif est ensuite révisé par un réviseur principal. Les réviseurs principaux examinent le contexte de la transcription initiale dans son ensemble, en tenant compte notamment de l’intonation de l’intervenant, afin de rendre avec exactitude le sens voulu dans la transcription définitive. Par conséquent, ils autorisent couramment la suppression de mots redondants, de débuts de phrase abandonnés, d’hésitations et de mots susceptibles de brouiller le sens véritable d’une déclaration, et ainsi de suite. Il leur arrive parfois de restructurer une phrase entière pour la rendre plus claire. Même à l’intérieur du témoignage d’un même témoin ou député, il n’est pas rare que des mots soient supprimés à un endroit et conservés ailleurs dans le texte, si les réviseurs jugent qu’à cet autre endroit, les mots ne portent pas à confusion ou ne confèrent pas aux propos un sens qu’ils ne sont pas censés avoir.
Il va sans dire que la révision des transcriptions des délibérations, tant celles de la Chambre que celles des comités, est une tâche difficile et exigeante que les réviseurs et réviseurs principaux prennent très au sérieux. Au bout du compte, cependant, c’est le comité qui a le dernier mot sur la version définitive, comme je viens de l’indiquer, et celui-ci est bien entendu libre de publier un corrigendum s’il le souhaite.
Il reste à trancher la question de savoir si le résultat de la transcription, effectuée selon la manière décrite, a en l’espèce entravé le président du Conseil du Trésor dans l’exercice de ses fonctions parlementaires au point de conclure qu’il y a, de prime abord, matière à question de privilège. La présidence se doit de rappeler à la Chambre qu’en règle générale, le Président ne se prononce pas sur les questions liées aux délibérations des comités. Puisque la question qui nous intéresse concerne les Témoignages d’une réunion du Comité permanent des comptes publics, et en l’absence d’un rapport de ce dernier sur la question, il serait prématuré de la part de la présidence de rendre une décision maintenant. La présidence laissera au Comité le soin de déterminer comment régler les questions liées à la transcription du témoignage du ministre.
Il ne fait aucun doute que le ministre se sent lésé par l’interprétation qui a été faite des événements. Cependant, compte tenu des faits qui ont été présentés à la présidence et, encore une fois, en l’absence d’un rapport du Comité sur la question, je ne puis conclure qu’il y a des raisons suffisantes d’établir que le ministre a été entravé dans l’exercice de ses fonctions parlementaires. En conséquence, je ne puis conclure qu’il y a, de prime abord, matière à question de privilège.
Je remercie les honorables députés de leur attention.
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[1] Débats, 23 novembre 2011, p. 3465–3466.
[2] Débats, 24 novembre 2011, p. 3558–3559.