Le privilège parlementaire / Droits de la Chambre

Outrage à la Chambre : ministres accusés d’avoir délibérément induit la Chambre en erreur

Débats, p. 5175–5176.

Contexte

Le 19 septembre 2016, Dan Albas (Central Okanagan—Similkameen—Nicola) soulève une question de privilège au sujet des réponses données par Jane Philpott (ministre de la Santé) et Jim Carr (ministre des Ressources naturelles) à sa question écrite Q-152 concernant l’utilisation de services de location de limousine[1]. Il allègue que l’information rapportée dans les médias ne concorde pas avec les réponses données par les ministres à la question écrite. M. Albas ajoute que le fait que la ministre ait déclaré à un journaliste qu’elle aurait pu être plus claire dans sa réponse à la question écrite, et que le ministre, pour sa part, n’ait pas démenti les allégations publiées dans les médias, démontre qu’ils ont tenté d’induire la Chambre en erreur et que cela constitue un outrage. Kevin Lamoureux (secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre des communes) soutient que ce qu’avait dit la ministre de la Santé en dehors de la Chambre au sujet de ses frais de déplacement, à savoir notamment qu’elle allait fournir des renseignements supplémentaires, était une tout autre question[2]. Le 20 septembre 2016, M. Lamoureux intervient à nouveau et explique que le ministre a suivi les règles entourant les questions écrites et a fourni une réponse véridique et qu’il s’agissait d’un différend à propos des faits[3]. La vice-présidente adjointe (Carol Hughes) prend la question en délibéré.

Résolution

Le 27 septembre 2016, le Président rend sa décision. Il explique que la présidence ne peut pas se prononcer sur l’exactitude des réponses aux questions écrites et qu’elle ne peut pas non plus émettre une opinion sur une question dont la Chambre n’est pas officiellement saisie. Il rappelle aux députés les trois conditions qui doivent être remplies pour statuer qu’il y a de prime abord matière à privilège lorsqu’il y a allégation que la Chambre a été induite en erreur : d’abord, une déclaration doit être trompeuse; ensuite, son auteur doit savoir que la déclaration était trompeuse au moment de la faire; enfin, il devait avoir l’intention d’induire la Chambre en erreur. Il conclut qu’il n’y a pas matière à privilège dans cette affaire, mais rappelle à tous l’importance de l’accès à des renseignements exacts dans le régime parlementaire canadien.

Décision de la Présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le 19 septembre 2016 par le député de Central Okanagan—Similkameen—Nicola concernant les réponses du gouvernement à la question écrite Q-152, qui a été déposée à la Chambre le 14 juin 2016.

Je remercie l’honorable député d’avoir soulevé cette question, ainsi que le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes et le député de Beloeil—Chambly pour leurs observations.

Dans son intervention, le député de Central Okanagan—Similkameen—Nicola a soutenu que la ministre de la Santé et le ministre des Ressources naturelles ont induit la Chambre en erreur puisque leurs réponses à la question écrite Q-152, que le député avait posée concernant la location de limousines pour des fonctions officielles du 3 novembre 2015 au 22 avril 2016, ne concordaient pas avec des renseignements qui ont été rapportés par la suite dans les médias. Plus précisément, le député a expliqué que la ministre de la Santé avait affirmé dans une déclaration aux médias que sa réponse écrite aurait pu être plus claire. Selon le député, il s’agissait là d’une omission importante et d’un outrage au Parlement. Le député de Central Okanagan—Similkameen—Nicola a conclu qu’il en allait de même pour le ministre des Ressources naturelles, qui n’a pas nié les informations diffusées dans les médias à cet égard.

Le secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre a répliqué que, en ce qui concerne la ministre de la Santé, il y a deux enjeux distincts : d’une part, la réponse à la question Q-152, laquelle, à son avis, tenait compte de la question posée et contenait les renseignements demandés et, d’autre part, les commentaires que la ministre a formulés à l’extérieur de la Chambre concernant ses frais de déplacement, y compris son engagement à fournir, à l’avenir, des renseignements supplémentaires afin d’apporter des éclaircissements si cela s’avérait nécessaire.

En ce qui concerne le ministre des Ressources naturelles, le secrétaire parlementaire a déclaré que le ministre avait répondu de façon directe et exacte à la question Q-152. Il estime donc qu’il s’agit ni plus ni moins d’un différend à propos des faits.

L’allégation selon laquelle la Chambre a été induite en erreur équivaut, par extension, à demander à la présidence de statuer sur la valeur et la véracité des réponses à la question Q-152, surtout au regard des reportages diffusés dans les médias à ce sujet. La présidence y voit plusieurs problèmes. Il est bien établi et accepté que le rôle du Président dans pareilles circonstances est très encadré et limité. À la page 522 de l’ouvrage La procédure et les usages de la Chambre des communes, 2e édition, il est clairement précisé ce qui suit : « Aucune disposition du Règlement ne permet au Président de contrôler les réponses que le gouvernement donne aux questions. »

Le 8 février 2005, le Président Milliken, à la page 3234 des Débats, a confirmé cet état de fait :

Toute contestation de l’exactitude ou du caractère approprié de cette réponse est un sujet de débat. Ce n’est pas là une question que le Président a le pouvoir le trancher.

Dans l’affaire qui nous préoccupe, l’inhabilité du Président à statuer sur l’exactitude des réponses aux questions, qu’elles soient écrites ou orales, s’ajoute au fait que le Président ne peut se prononcer sur des questions dont la Chambre n’est pas officiellement saisie. Le pouvoir du Président se limite à l’examen des renseignements présentés à la Chambre, pensons aux déclarations faites à la Chambre ou aux questions étudiées dans les rapports de comité; il ne peut se saisir d’office de renseignements issus d’autres sources.

Le député de Central Okanagan—Similkameen—Nicola a vu juste lorsqu’il a fait valoir que, le 9 mars 2011, le Président Milliken a déclaré que les informations fournies à la Chambre par la ministre avaient « le moins qu’on puisse dire […] semé la confusion » et il a donc conclu qu’il y avait, à première vue, matière à question de privilège. Il convient toutefois de souligner que le Président a pu tirer cette conclusion seulement après que le rapport de comité avait été officiellement présenté à la Chambre. Dans sa décision initiale, laquelle précédait le dépôt du rapport, il avait déclaré ce qui suit à la page 8030 des Débats le 10 février 2011 :

[…] la présidence est tenue de respecter des paramètres très restreints dans des situations comme celle-ci. Même si cela peut apparaître comme un point très technique, il n’en demeure pas moins que la présidence doit, lorsqu’elle est appelée à trancher une affaire de ce genre, s’en tenir à la preuve dont la Chambre est officiellement saisie.

Toute allégation selon laquelle la Chambre aurait été délibérément induite en erreur mérite qu’on s’y attarde, et ce, malgré les limites du rôle de la présidence. Les députés se souviendront du principe que j’ai rappelé dans la décision rendue le 5 mai 2016, à la page 2956 des Débats : lorsqu’il est allégué qu’un député a induit la Chambre en erreur, trois conditions doivent être remplies pour que le Président puisse conclure qu’il y a, à première vue, matière à question de privilège :

[…] tout d’abord, la déclaration doit être trompeuse. Ensuite, le député ayant fait la déclaration devait savoir, au moment où il l’a faite, que celle-ci était inexacte. Enfin, il faut prouver que le député avait l’intention d’induire la Chambre en erreur.

Il n’est pas surprenant que la plupart des questions de privilège soulevées soient considérées par la présidence comme étant des désaccords quant à des faits. Voici ce qu’on peut lire à la page 145 de l’ouvrage La procédure et les usages de la Chambre des communes, deuxième édition :

En délibérant sur une question de privilège, la présidence prendra en considération dans quelle mesure l’atteinte aux privilèges a gêné le député dans l’accomplissement de ses fonctions parlementaires ou semble avoir fait outrage à la dignité du Parlement. Si la question de privilège concerne un désaccord entre deux députés (ou plus) quant à des faits, le Président statue habituellement qu’un tel différend ne compromet pas leur capacité de s’acquitter de leurs fonctions parlementaires et qu’il ne porte pas atteinte aux privilèges collectifs de la Chambre.

En l’espèce, sur le fondement des renseignements dont je suis saisi, je ne peux conclure que le député a été gêné dans l’accomplissement de ses fonctions parlementaires et, par conséquent, je ne peux conclure qu’il y a eu, à première vue, atteinte au privilège.

Néanmoins, les préoccupations soulevées par le député de Central Okanagan—Similkameen—Nicola inquiètent grandement la présidence, surtout celles portant sur la valeur des questions au Feuilleton et sur le fait que cet outil pourrait devenir de moins en moins utile pour demander des comptes au gouvernement. On a, à juste titre, fait observer que, en tant que Président et serviteur de la Chambre, il est de mon devoir de protéger l’intégrité de nos procédures, notamment celles concernant les questions écrites. La présente affaire constitue un rappel frappant : pareil outil est nécessaire et important, car il permet aux députés de s’acquitter de leurs obligations de législateurs et de représentants du peuple.

L’accès à des renseignements, à des renseignements exacts, est l’un des piliers de notre régime parlementaire. Les députés doivent pouvoir s’y fier en tout temps. L’intégrité de bon nombre de nos procédures, surtout celles portant sur les questions écrites, est fondée sur l’attente légitime que les ministres et les fonctionnaires qui les appuient comprennent qu’il est important et utile de fournir aux députés des réponses écrites non seulement techniquement exactes, mais aussi complètes et transparentes.

Autrement dit, il incombe à ceux qui répondent à pareilles questions de répondre — pour reprendre les mots du député de Central Okanagan—Similkameen—Nicola — « aux normes attendues d’eux ».

Le public nourrit la même attente. Il faut que les élus se montrent dignes de la confiance que les citoyens leur ont accordée. Après tout, il faut garder à l’esprit que ce sont les citoyens qui sont, en définitive, les arbitres des débats publics que soulèvent à l’occasion les réponses aux questions écrites. Voilà qui explique en partie la déclaration que mon prédécesseur a faite le 29 janvier 2013, à la page 13395 des Débats :

Je crois que tous les députés conviendront qu’ils sont en droit de s’attendre à ce qu’une question raisonnable reçoive une réponse raisonnable, particulièrement compte tenu du rôle essentiel des questions écrites dans notre système parlementaire.

Je remercie les honorables députés de leur attention.

Certains sites Web de tiers peuvent ne pas être compatibles avec les technologies d'assistance. Si vous avez besoin d'aide pour consulter les documents qu'ils contiennent, veuillez communiquer avec accessible@parl.gc.ca.

[1] Débats, 19 septembre 2016, p. 4788–4790.

[2] Débats, 19 septembre 2016, p. 4790.

[3] Débats, 20 septembre 2016, p. 4822–4823.