Le privilège parlementaire / Droits de la Chambre

Outrage à la Chambre : annonce du gouvernement qui aurait anticipé une décision de la Chambre

Débats, p. 11551–11552.

Contexte

Le 10 mai 2017, Murray Rankin (Victoria) soulève une question de privilège concernant l’annonce de possibilités d’emploi à l’éventuelle Banque de l’infrastructure du Canada, dont la création est proposée dans le projet de loi C-44, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 22 mars 2017 et mettant en œuvre d’autres mesures. Au moment d’afficher l’annonce de possibilités d’emploi par le gouvernement, le projet de loi C-44 était à l’étape de la deuxième lecture et n’avait pas encore fait l’objet d’un vote à la Chambre. M. Rankin est d’avis que les mesures prises par le gouvernement constituent un outrage à l’autorité de la Chambre. Le Président prend la question en délibéré[1].

Le 12 mai 2017, Kevin Lamoureux (secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre des communes) intervient pour faire valoir que le gouvernement n’a autorisé aucune dépense en prévision de la création de la Banque de l’infrastructure du Canada. Il ajoute que l’étude du projet de loi C-44 se poursuit comme prévu et que le gouvernement est autorisé à poursuivre le processus de planification des mesures proposées[2].

Résolution

Le 29 mai 2017, le Président rend sa décision. Il précise que les annonces du gouvernement ne mentionnaient pas que le Parlement devait donner son approbation au projet de loi avant qu’un poste puisse être pourvu officiellement. La présidence souligne, non sans un certain malaise, qu’une mention de l’approbation nécessaire du Parlement a été ajouté aux offres d’emploi en question seulement après que la question a été soulevée à la Chambre. Il détermine qu’en appliquant les règles strictes qui encadrent les questions d’outrage, il ne peut conclure que la question constitue, de prime abord, un outrage à la Chambre, ou, à première vue, une atteinte au privilège.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le 10 mai 2017 par l’honorable député de Victoria concernant l’annonce de possibilités d’emploi à l’éventuelle Banque de l’infrastructure du Canada.

Je remercie le député de Victoria d’avoir soulevé cette question, de même que le secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre des communes, le député de Perth—Wellington et la députée de Surrey-Sud—White Rock de leurs interventions.

Dans ses observations, le député de Victoria a souligné que le gouvernement avait publiquement lancé un processus visant à doter divers postes au sein de l’éventuelle Banque de l’infrastructure du Canada avant même que le projet de loi prévoyant sa constitution et son cadre de gouvernance, soit le projet de loi C-44, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 22 mars 2017 et mettant en œuvre d’autres mesures, ait été adopté par le Parlement et ait reçu la sanction royale. Il a noté que, en fait, le projet de loi n’avait franchi que l’étape de la seconde lecture à la Chambre. Faisant valoir que l’exercice de toute nouvelle activité et l’affectation de fonds connexes sont subordonnés à l’approbation du Parlement, il considère que la mesure prise pour doter ces postes constitue un outrage à la Chambre et une attaque sérieuse contre l’autorité du Parlement.

En réponse, le secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre a convenu que la Banque de l’infrastructure du Canada proposée dans le projet de loi C-44 ne peut être constituée et qu’aucuns fonds connexes ne peuvent être dépensés avant que le Parlement adopte le projet de loi. Il a toutefois ajouté que le député de Victoria tient pour acquis que le gouvernement souhaite sauter des étapes, alors qu’il ne s’agit simplement que d’activités de planification dans l’éventualité où la Banque serait constituée. Pour preuve, il cite le communiqué de presse qu’Infrastructure Canada a publié sur son site Web, où il est mentionné que les processus de sélection en question ont été lancés « sous réserve de l’approbation du Parlement ».

Puisque le député de Victoria plaide qu’il y a eu outrage, il est important de comprendre ce qu’on entend par outrage et de le distinguer du privilège. L’ouvrage La procédure et les usages de la Chambre des communes, deuxième édition, à la page 82, définit l’outrage de la façon suivante :

[…] d’autres affronts contre la dignité et l’autorité du Parlement qui peuvent ne pas constituer une atteinte aux privilèges comme telle.

Il enchaîne :

Ainsi, la Chambre revendique le droit de punir au même titre que l’outrage tout acte qui, sans porter atteinte à un privilège précis, nuit ou fait obstacle à la Chambre, à un député ou à un haut fonctionnaire de la Chambre dans l’exercice de ses fonctions, ou transgresse l’autorité ou la dignité de la Chambre, par exemple la désobéissance à ses ordres légitimes ou des propos diffamatoires à son endroit ou à l’endroit de ses députés ou hauts fonctionnaires.

À l’instar de bon nombre de mes prédécesseurs, j’ajouterais que, bien que les privilèges de la Chambre et ceux des députés à titre individuel, lesquels sont limités, puissent être regroupés par catégorie, on ne peut répertorier ou catégoriser clairement ou nettement les cas d’outrage.

Voilà le cadre dans lequel la présidence doit déterminer si le gouvernement a transgressé l’autorité ou la dignité de la Chambre en publiant l’annonce de possibilités d’emploi à l’éventuelle Banque de l’infrastructure du Canada avant que le Parlement ait autorisé la constitution et le financement de la Banque. Selon le député Victoria : « [Le gouvernement] ne reconnaît même pas la nécessité de faire adopter un projet de loi par la Chambre avant de nommer des personnes à des postes à cette banque. » Il s’agit d’une question sérieuse et, dans un certain sens, d’autant plus complexe que la présidence doit soigneusement soupeser les précédents du fait qu’il est impossible d’énumérer ou de catégoriser les cas d’outrage.

La présidence doit donc examiner avec attention la preuve présentée, notamment le communiqué de presse qu’Infrastructure Canada a publié sur son site Web ainsi que le processus de sélection que le Bureau du Conseil privé entend mener et qu’il a publié sur son site Web. En particulier, j’ai cherché tout indice donnant à penser que l’approbation du Parlement n’était pas nécessaire ou importante ou qu’elle avait déjà été donnée. Autrement dit, j’étais à l’affût de toute transgression ou manque de respect envers l’autorité et la dignité de la Chambre et de ses membres.

La Présidente Sauvé a précisé le 17 octobre 1980, à la page 3781 des Débats de la Chambre des communes, que, pour qu’une publicité constitue un outrage à la Chambre : « […] il faudrait quelque preuve qu’il s’agit d’une publication de comptes rendus faux, falsifiés, partiaux ou préjudiciables des délibérations de la Chambre des communes, ou encore une fausse représentation des députés. »

La présidence a, elle aussi, cherché pareille preuve. Au cours de ses recherches, la présidence a constaté que, comme l’avait souligné le secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre, les mots « sous réserve de l’approbation du Parlement » se trouvaient clairement dans le communiqué de presse qu’Infrastructure Canada a publié sur son site Web. En outre, la présidence a remarqué qu’il n’y avait aucune mention d’une date d’entrée en fonction. Par conséquent, rien ne donne à penser que les postes annoncés pour la Banque de l’infrastructure du Canada seraient dotés avant l’édiction de la loi habilitante.

La présidence doit aussi tenir compte de l’affirmation du secrétaire parlementaire de la leader du gouvernement à la Chambre selon laquelle l’annonce ne constituait qu’une mesure préparatoire à une éventuelle initiative et que le rôle du Parlement y était clairement reconnu. Comme le veut l’usage, la présidence doit croire le député sur parole.

Cependant, comme la députée de Surrey-Sud—White Rock l’a fait remarquer, les offres d’emploi en question affichées sur le site Web appointments-nominations.gc.ca, lequel est un site du Bureau du Conseil privé, ne faisaient aucune mention du fait que le Parlement devait donner son approbation. À cet égard, la présidence souligne, non sans un certain malaise, qu’une telle mention a été ajoutée après que la présente question a été soulevée à la Chambre. Les postes annoncés sont maintenant assortis de la mention « anticipée », et un avertissement a été ajouté pour chaque poste. En voici le libellé : « La nomination à ce poste ne sera effectuée qu’une fois que le texte de loi visant à créer la Banque de l’infrastructure du Canada aura été adopté par le Parlement et aura reçu la sanction royale. »

Le député de Victoria a souligné que le projet de loi C-44 n’avait franchi que l’étape de la seconde lecture et que le sort qui sera réservé au projet de loi repose encore entre les mains de la Chambre et des députés. Comme le Président Fraser l’a souligné dans la décision rendue le 10 octobre 1989, à la page 4459 des Débats, dans une affaire semblable à celle dont nous sommes saisis :

Il aurait fallu, pour qu’il y ait entrave, qu’une action quelconque empêche la Chambre ou des députés d’exercer leurs fonctions, ou tende à discréditer si gravement un député qu’elle l’empêche de s’acquitter de ses responsabilités.

Vu sa pertinence en l’espèce, cette décision a été soigneusement examinée par la présidence; dans cette affaire, l’administration publique fédérale avait faussement représenté le rôle du Parlement dans des publicités concernant le projet de taxe sur les produits et services qui avaient été publiées dans des journaux. Soulignons que, sur la question de la clarté des publicités, le Président Fraser a rappelé à l’administration publique fédérale qu’elle doit reconnaître et respecter le rôle du Parlement.

Comme les députés le savent, le Président Fraser n’a toutefois pas conclu que, à première vue, il y avait outrage. L’honorable député de Perth—Wellington a peut-être raison : si le Président Fraser avait été de nouveau saisi d’une affaire semblable, il aurait peut-être rendu une décision différente, ce qu’il avait dit qu’il ferait. Nous ne le saurons jamais, car le Président Fraser n’a jamais eu à trancher une autre affaire de ce genre.

Ainsi, je dois aujourd’hui examiner la question qui nous occupe en fonction des faits qui lui sont propres. Après avoir appliqué les règles procédurales strictes encadrant les questions d’outrage, la présidence ne peut que conclure que l’affaire ne constitue pas, à première vue, un outrage à la Chambre et que, par conséquent, il n’y a pas, à première vue, matière à question de privilège étant donné que rien ne prouve que la Chambre a été gênée dans l’exercice de son pouvoir législatif ou que des députés ont été gênés dans l’exercice de leurs fonctions parlementaires.

Je remercie les honorables députés de leur attention.

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[1] Débats, 10 mai 2017, p. 11027–11028.

[2] Débats, 12 mai 2017, p. 11155–11156.